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Date : 20221116


Dossier : T-948-21

Référence : 2022 CF 1567

Ottawa (Ontario), le 16 novembre 2022

En présence de l'honorable juge Roy

ENTRE :

JEAN-FRANÇOIS BERGERON, DANIEL VAILLANCOURT, DAVID MORIN, SIMON VOYER, VINCENT TREMBLAY, DANIEL TURCOTTE, CATHIE PAQUET, FÉLIX LAURIN, PASCALE BERNIER, SYLVAIN TURCOTTE, CAROLINE MALOUIN, JOHANNE FERGUSON, NELLY THIBEAULT, DAVID DINUCCI, SIMON LANDRY, MARC LAPLANTE, ALEX-SANDRA BRASSARD, PIERRE BLAIS, JULIE POIRIER, YANICK ARSENAULT, NADINE CAUVIER, JACQUES PETITPAS, ANNIE GAUTHIER, ANGELO TREMBLAY, OLIVIER BACON, LOUIS-PHILIPPE MESSIER, OLIVIER PAGEAU, GUILLAUME LAMY, GUY FRIGON, RÉJEAN BEZEAU, PASCAL GIRARD, ANOUARD EL BADAOUI, SABRINA FORTIN, MARILYN LEBLOND, GILLES TREMBLAY, MARIPIER COURCHESNE, FRÉDÉRIC LABBÉ, MARTIN BACON, STEEVE GAGNON, BASTIEN PÉLOQUIN, LUC THERRIAULT, STÉPHANE GAGNON, HUGO LEMIEUX, TONY THIBEAULT, CARL BOUCHARD, MICHEL COUTURE, GABRIELLE RICARD, MYLÈNE BENOÎT-BOUSQUET, MARIE-PIER CHEVRIER, STÉPHANE-ÉRIC MÉTHOT, LISON VALLÉE, SAMUEL HOULE, NICOLAS COULOMBE, JOHANNE MÉNARD, NANCY CÔTÉ, STEVE MORNEAU, STÉPHANE POIRIER, BRUNO-PIERRE PARADIS, SYLVAIN LESSARD, PASCALE LÉVESQUE, MARTIN DESCHÊNES, BIANCA LALIBERTÉ VIRGINIA ROY DUVAL, ANDRÉ-FRÉDÉRICK DUPLAIN, GUILLAUME MORIN, JONATHAN MATTE, JEAN-PHILIPPE ROY, FRANÇOIS GIRARD, ANTHONY BOUCHARD, ROCH ROY, LINDSAY BELLAMY, RAYMOND ROUSSY, DENIS LANGLAIS, CLÉMENT AUGER, LOUIS NADEAU, SERGE LANGLOIS, GUILLAUME FISET, GABRIEL SÉGUIN, STÉPHANE BRIAND, SÉBASTIEN HÉBERT, PIERRE-OLIVIER DESCHÊNES, PIERRE LUC CORBIN, HUGUES GENOIS, STEVE WALSH, MATHIEU LACHANCE, SOPHIE BEAULIEU

demandeurs

et

SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La présente requête en contrôle judiciaire est relative à une décision du Tribunal de santé et sécurité au travail (le Tribunal) du 13 mai 2021. Une décision, rendue le 14 mai 2018 par une représentante déléguée par le ministre du Travail, selon laquelle il y avait absence de danger justifiant un refus de travail collectif le 3 mai 2018, a été confirmée par le Tribunal à la suite de son enquête.

[2] Les demandeurs, au nombre de 87, sont des agents correctionnels (AC) dans deux pénitenciers à sécurité maximale, situés à Donnacona et Port-Cartier, au Québec. Leur recours en contrôle judiciaire est demandé en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7.

[3] C’est évidemment la décision du Tribunal qui peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Pour la compréhension des choses, il sera utile de revoir la trame factuelle ayant mené au refus de travail collectif, pour ensuite présenter brièvement la décision prise par la représentante déléguée par le Ministre et pour finalement exposer la décision dont contrôle judiciaire est demandée.

I. Les faits

[4] Les faits à la base de toute cette affaire ne font pas l’objet de controverse.

[5] Des agents correctionnels des deux institutions susmentionnées ont dit se prévaloir de l’article 128 du Code canadien du travail, LRC (1985), ch L‑2 [Code] le 3 mai 2018. Cet article permet à un employé de refuser de travailler en cas de danger. Les paragraphes 128(1) et (2) constituent la base juridique au refus :

Refus de travailler en cas de danger

Refusal to work if danger

128 (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employé au travail peut refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche s’il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas :

128 (1) Subject to this section, an employee may refuse to use or operate a machine or thing, to work in a place or to perform an activity, if the employee while at work has reasonable cause to believe that

a) l’utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre employé;

(a) the use or operation of the machine or thing constitutes a danger to the employee or to another employee;

b) il est dangereux pour lui de travailler dans le lieu;

(b) a condition exists in the place that constitutes a danger to the employee; or

c) l’accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou un autre employé.

(c) the performance of the activity constitutes a danger to the employee or to another employee.

Exception

No refusal permitted in certain dangerous circumstances

(2) L’employé ne peut invoquer le présent article pour refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche lorsque, selon le cas :

(2) An employee may not, under this section, refuse to use or operate a machine or thing, to work in a place or to perform an activity if

a) son refus met directement en danger la vie, la santé ou la sécurité d’une autre personne;

(a) the refusal puts the life, health or safety of another person directly in danger; or

b) le danger visé au paragraphe (1) constitue une condition normale de son emploi.

(b) the danger referred to in subsection (1) is a normal condition of employment.

[6] La notion de « danger » qui est au cœur du régime est aussi définie. On en trouve la définition au paragraphe 122(1) du Code :

danger Situation, tâche ou risque qui pourrait vraisemblablement présenter une menace imminente ou sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée avant que, selon le cas, la situation soit corrigée, la tâche modifiée ou le risque écarté. (danger)

danger means any hazard, condition or activity that could reasonably be expected to be an imminent or serious threat to the life or health of a person exposed to it before the hazard or condition can be corrected or the activity altered; (danger)

[7] Les dispositions déjà citées se trouvent à la Partie II du Code qui a été brièvement décrite dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, [2019] 4 RCS 900 [Société canadienne des postes] comme portant sur la santé et la sécurité au travail. Je m’empresse de noter que cette Partie a été amendée après les événements qui ont donné lieu au présent litige. Ainsi, à titre d’exemple, la portée de cette Partie aura été élargie pour passer à « de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi » à « de prévenir les accidents, les incidents de harcèlement et de violence et les blessures et maladies, physiques et psychologiques, liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions ». Dans le même ordre d’idée, la notion d’agent d’appel, la personne qui aura rendu la décision dont on recherche ici le contrôle judiciaire, a été abrogée. Les appels ont dorénavant lieu devant un nouvel organisme. Il va sans dire que ces modifications n’ont aucun effet sur l’affaire entendue qui est régie par les dispositions du Code en vigueur au moment du refus de travailler.

[8] Pour ce qui est de la trame factuelle elle-même, elle n’est pas particulièrement complexe. Il appert que le 3 mai 2018, des agents correctionnels attachés au Service Correctionnel du Canada (le SCC), et travaillant aux pénitenciers de Donnacona et de Port-Cartier, au Québec, ont refusé de travailler.

[9] Ces agents ont articulé leur motif de la façon suivante :

Suite à la dissolution de la brigade incendie institutionnelle qui était composé (sic) d’agents correctionnels-pompiers, la nouvelle procédure et méthode de travail mise en place (MSI 2016) afin d’effectuer la recherche et le sauvetage de moi-même et des autres occupants de mon lieu de travail, lorsque des détenus sont présents, si je suis piégé ou incapable d’évacuer par moi-même d’un secteur à risque pour ma vie (par du feu, de la chaleur, des matières dangereuses, de la fumée et/ou autres risques) représente un danger pour la vie (blessures corporelles graves ou la mort), car le service d’incendie de la Ville ne contrôle pas les détenus et peut décider de ne pas entrer dans l’établissement si la population carcérale n’est pas maîtrisée ou peut quitter à tout moment si la menace d’un détenu ou une agitation met en danger le personnel d’incendie ou de sauvetage.

[10] La preuve administrée devant le Tribunal nous permet de comprendre qu’en 2009, le Manuel sur la sécurité-incendie du SCC contenait une section dédiée aux « équipes d’incendie ». L’article 20 dudit Manuel conférait au directeur d’établissement la discrétion de créer « des équipes d’incendie composées de membres du personnel » qui devaient être formées et disposer de l’équipement nécessaire. Le rôle de ces équipes était plutôt circonscrit en ce qu’elles devaient être « en mesure d’aider à maîtriser les incendies qui ne peuvent être éteints au moyen d’extincteurs manuels et de robinets d’incendie armés, en attendant l’arrivée du service des incendies municipal ou d’un autre service des incendies qui aurait été appelé sur les lieux ». On voit bien qu’il s’agit d’une capacité d’appoint. Par ailleurs, le Manuel de 2009 ne définit pas de façon plus précise en quoi consistent les tâches de ces équipes d’incendie. Le paragraphe 21 du Manuel précise que les membres de l’équipe, d’au moins six personnes, doivent recevoir la formation « adéquate » leur permettant « d’aider, au besoin, le service des incendies ». De fait, on marque le point selon lequel les équipes jouent un rôle d’appoint en précisant, au paragraphe 21, que « (e)n général, on ne fait appel aux équipes d’incendie que lorsqu’elles risquent peu de subir des blessures ou d’être investies par les flammes ».

[11] Le Manuel de 2009 fournit des indications sur les circonstances dans lesquelles la création de ces équipes (lors de l’audition, on y a référé comme étant des « brigades d’incendie » ou « BI ») pourrait être appropriée :

Conformément aux normes du Conseil du Trésor, le recours aux équipes d’incendie est souhaitable dans les cas suivants :

a) l’établissement est éloigné d’un service des incendies bien établi, municipal ou autre;

b) le directeur d’établissement, de concert avec Ressources humaines et Développement des compétences Canada ou le chef du Programme opérationnel de sécurité-incendie à l’administration centrale, juge que le service municipal ou autre service des incendies n’a pas la capacité d’assurer adéquatement la protection de l’établissement, et ce, pour des raisons qui comprennent notamment des préoccupations particulières en matière de sécurité.

[12] Selon la preuve, les établissements de Donnacona et de Port-Cartier sont parmi les institutions carcérales à s’être dotées de BI; mais seulement cinq d’entre elles avaient des BI (sur un total de 53 établissements). Quant à Donnacona et Port-Cartier, les équipes comptaient 15 personnes au pénitencier de Donnacona et 12 personnes à celui de Port-Cartier.

[13] Les Demandeurs ont, me semble-t-il, mis de l’avant un rôle quelque peu élargi de leur BI. En effet, ils mettaient de l’avant tant dans leurs soumissions écrites devant cette Cour qu’à l’audition que les deux brigades dont il est ici question participaient à l’évacuation des lieux, faisaient de la recherche-sauvetage, effectuaient de la prévention et procédaient à des contrôles de routine (mémoire des faits et du droit des Demandeurs, para 11). Il semble que ce rôle ait été le résultat d’une certaine évolution depuis la création des BI qui remonterait au début de la décennie commençant en 1990.

[14] C’est au sujet du rôle relatif à la recherche-sauvetage que le changement au Manuel sur la sécurité-incendie est notable pour nos fins. Il s’agit du document auquel réfèrent les Demandeurs pour leur justification du refus de travailler. Ce Manuel est venu en 2016. Il comporte une section élaborée traitant de la planification de la sécurité-incendie. La discrétion de créer des BI ne s’y retrouve plus et il n’est pas contesté que celles-ci ont été dissoutes. On doit noter de façon expresse que le rôle du personnel y est prévu et qu’il traite de l’évacuation des personnes présentes, de l’utilisation d’appareils de protection respiratoire isolant autonome (APRIA) et de la recherche-sauvetage qui n’est plus l’apanage des AC. Je reproduis les paragraphes 1 et 7 à 13 tirés de la section 5.3.1 (réponse aux alertes d’incendie dans les établissements) :

1) Dans les immeubles à sortie contrôlée et les unités résidentielles, le PPCC doit demander l’assistance du service d’incendie municipal dans les deux minutes suivant la première alerte provenant d’un système d’avertisseur d’incendie, à moins que l’agent responsable soit informé que l’alerte résulte d’un acte de nuisance volontaire ou d’une fausse alarme et que l’intervention du service d’incendie n’est pas nécessaire.

[…]

7) Les employés qui évaluent la situation sur place doivent immédiatement effectuer une évaluation continue de la menace et du risque (EMR) et en communiquer les résultats au gestionnaire correctionnel (agent responsable) et au PPCC (ou à toute autre personne ayant reçu l’alerte).

8) Les résultats de l’évaluation de l’alarme déterminent les mesures à prendre :

a) Fausse alarme – Les employés avisent le PPCC et le gestionnaire correctionnel (agent responsable) et enregistrent l’alerte. Ils communiquent avec les personnes autorisées pour réinitialiser le système d’alarme incendie.

b) Incendie pouvant être maîtrisé – Les employés peuvent éteindre l’incendie par leurs propres moyens s’ils jugent qu’ils en sont capables et que leur sécurité n’est pas compromise.

c) Incendie impossible à maîtriser – Si les employés estiment qu’il s’agit d’un incendie important qu’ils ne peuvent éteindre par eux-mêmes, ils entament immédiatement les procédures de sécurité-incendie dans l’établissement. Le PPCC ou la personne désignée doit communiquer avec le service d’incendie municipal. L’utilisation de l’avertisseur manuel dans le panneau de contrôle de l’unité déclenchera la deuxième étape et fera retentir le signal d’alarme partout dans l’unité. Ce signal vise à lancer les procédures de préparation des délinquants si une évacuation devient nécessaire.

9) En cas d’incendie impossible à maîtriser, l’évacuation progressive est la solution à privilégier. Les délinquants situés le plus près de l’incendie sont évacués/déplacés en premier. Ils sont suivis des détenus de l’unité la plus proche.

10) Lorsqu’une unité avec une présence de fumée est évacuée en raison d’un incendie, le personnel doit utiliser des APRIA pour faciliter l’évacuation. Les APRIA doivent être utilisés seulement lorsque la fumée n’est pas trop dense. Si la visibilité est réduite à environ 10 pieds (3 mètres) ou que la chaleur devient insupportable, les agents ne doivent pas aller plus loin. Ils doivent immédiatement commencer à ouvrir les portes des cellules et donner des ordres verbaux aux délinquants, puis ils quitteront les lieux et attendront l’aide du service d’incendie.

11) Dans les unités résidentielles de détention, une intervention normale en cas de feu de sécheuse sera de le considérer comme un incendie impossible à maîtriser où il convient d’utiliser un APRIA et de prévoir la nécessité d’évacuer la rangée ou le secteur touché.

12) Quand on utilise des APRIA pour procéder à l’évacuation, au moins quatre membres du personnel doivent intervenir :

a) une première équipe de deux personnes munies d’APRIA et ayant la certification appropriée pénètre dans la zone dangereuse ou contaminée par la fumée;

b) une troisième personne munie d’un APRIA et ayant la certification appropriée reste à l’extérieur, au poste de contrôle de l’unité, et garde un contact visuel avec la première équipe;

c) une quatrième personne assure la surveillance à partir d’un endroit sécuritaire près de la zone et demeure en communication avec ses collègues de même qu’avec le gestionnaire correctionnel (agent responsable), en se tenant prête, au besoin, à demander des renforts.

13) L’APRIA sert d’équipement de protection individuelle aux agents. Il ne sera pas utilisé pour effectuer des opérations de recherche et de sauvetage, mais plutôt pour faciliter l’évacuation des délinquants ou rester à un poste de sécurité essentiel contaminé par la fumée pendant l’évacuation.

[15] Comme ces passages en témoignent, le rôle du personnel y est bien circonscrit. Il existe aussi depuis le 15 février 2018 et le 1er avril 2018 des protocoles d’entente entre Sa Majesté le Roi du chef du Canada et les villes de Port-Cartier et Donnacona en vertu desquels des ententes ont été conclues au sujet des services à être offerts contre les incendies dans les deux pénitenciers et pour procéder au sauvetage. Les deux protocoles prévoient que les services à être rendus font l’objet d’une subvention annuelle payée par le gouvernement fédéral tenant lieu de taxes à la ville.

II. Décision dont contrôle judiciaire est demandé

A. Déléguée ministérielle

[16] C’est dans ce contexte factuel que le refus de travailler est survenu le 3 mai 2018. Tel qu’il était alors prévu, la déléguée officielle du ministre du Travail a immédiatement fait enquête. Une décision sur la continuation du refus de travailler a été communiquée par courriel dès le 4 mai 2018, en soirée. Suivait une lettre formelle le lendemain (5 mai) qui confirmait qu’il n’y avait pas autorisation de continuer le refus de travailler, lettre dont les passages pertinents sont reproduits :

Le 4 mai 2018, j’ai effectué une enquête concernant le refus de travailler des employés mentionnés sur la liste ci-jointe (dont vous êtes le représentant) dans le lieu de travail situé au 1537, Route 138, Donnacona, Québec, G3M 1C9.

Veuillez prendre note qu’aux termes du paragraphe 129(4) de la partie II du Code canadien du travail, j’ai rendu la décision suivante :

Absence de danger

Par conséquent, prenez note qu’en vertu du paragraphe 129(7) de la partie II du Code canadien du travail, les employés susmentionnés ne sont pas autorisés aux termes de l’article 128 à continuer de refuser d’exercer leur travail d’agent correctionnel dans leur lieu de travail car la nouvelle procédure et méthode de travail mise en place (MSI 2016) afin d’effectuer la recherche et le sauvetage de lui-même ou des autres occupants du lieu de travail lorsque des détenus sont présents, si l’agent est piégé ou incapable d’évacuer par lui-même d’un secteur à risque pour sa vie (par du feu, de la chaleur, des matières dangereuses, de la fumée et/ou autres risques) représente un danger pour la vie car le service incendie de la Ville ne contrôle pas les détenus et peut décider de ne pas entrer dans l’établissement si la population carcérale n’est pas maîtrisée ou peut quitter à tout moment si la menace d’un détenu ou une agitation met en danger le personnel incendie ou de sauvetage.

Les employés ou le représentant désigné peuvent interjeter appel de la décision par écrit devant un agent d’appel du Tribunal de santé et sécurité au travail Canada (TSSTC) dans les dix (10) jours suivant la réception de la décision en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail. Visitez le site Web du TSSTC pour connaître la marche à suivre : ohstc-tsstc.gc.ca.

Enfin, prenez note qu’un rapport d’enquête sera communiqué dès que possible à l’employeur et au représentant des employés ayant exercés (sic) leur droit de refus.

[17] De fait, un rapport d’enquête a été produit par la déléguée ministérielle le 14 mai 2018. Le rapport d’enquête répertorie les différents éléments soulevés par les employés et l’employeur. Essentiellement, le refus de travail est fonction de la dissolution des BI; elles supportaient ou accompagnaient les pompiers. Les comportements imprévisibles des détenus et le fait que les pompiers n’interviendront pas si les détenus ne sont pas contrôlés auront été notés. L’employeur quant à lui aura souligné que les BI n’avaient pas pour rôle de contrôler les détenus. On aura compris que c’est toujours le rôle des AC de ce faire. Ce rôle ne comprend pas des opérations de recherche et de sauvetage qui sont effectuées par les pompiers : le rôle des AC est d’appliquer les mesures d’urgence et de procéder à l’évacuation des lieux. Les appareils APRIA sont fournis exclusivement pour faciliter l’évacuation, non pour faire des opérations de recherche et de sauvetage. Des moyens techniques ont aussi été mis en place, comme des systèmes de détection d’incendie, des gicleurs, des extincteurs, des systèmes de ventilation, literie et textiles ininflammables et matières combustibles limitées.

[18] La déléguée ministérielle s’est employée à considérer le danger dans le cas d’espèce. Elle a résumé ainsi ce dont il est question :

La situation de danger évoquée le 3 mai 2018 est la suivante : la nouvelle procédure et les méthodes de travail mises en place (MSI 2016) afin d’effectuer la recherche et le sauvetage d’un employé ou des autres occupants du lieu de travail lorsque des détenus sont présents, si l’employé est piégé ou incapable d’évacuer par lui-même d’un secteur à risque pour sa vie (par du feu, de la chaleur, des matières dangereuses, de la fumée et/ou autres risques), représentent un danger pour la vie car le service incendie de la Ville ne contrôle pas les détenus et peut décider de ne pas entrer dans l’établissement si la population carcérale n’est pas maîtrisée ou peut quitter à tout moment si la menace d’un détenu ou une agitation met en danger le personnel incendie ou de sauvetage.

[19] La véritable question qui se pose est de déterminer s’il y avait menace imminente ou sérieuse, aux termes mêmes de la définition de « danger ». Il est convenu qu’il ne s’agit pas d’une menace imminente; tout le monde en convient, même sur contrôle judiciaire. Ce sera donc le caractère vraisemblable de la menace sérieuse qui devra faire l’objet d’une évaluation. Ainsi, la déléguée ministérielle ne doute pas de la probabilité que des AC soient confrontés à un incendie dans le futur. Mais la déléguée ministérielle ne conclut pas à la probabilité d’une menace sérieuse de danger au sens de la définition du Code :

Dans le cas d’un début d’incendie, il est raisonnable de penser que les agents correctionnels vont prendre les mesures pour soit éteindre le feu ou appliquer les procédures d’évacuation. Le risque de propagation d’un incendie est limité par des moyens techniques et opérationnels. Il est raisonnable de penser que les détenus vont être déplacés dans un autre secteur. Les services des incendies pourront alors attaquer le feu. Il est également possible, selon la situation, d’éteindre un feu de l’extérieur.

Tel que mentionné précédemment, l’employeur a aussi plusieurs mesures mises en place afin de prévenir les incendies.

Bref, il est possible qu’un agent correctionnel soit confronté à un feu. Il est possible qu’un agent correctionnel soit en contact avec un détenu. Il est possible qu’un agent correctionnel applique les procédures d’évacuation. Par contre, la probabilité qu’un employé soit prisonnier des flammes et/ou de la fumée, en présence de détenus dans un contexte où la fumée est telle que personne ne peut intervenir et/ou évacuer et que les détenus refusent d’évacuer mettant ainsi leur propre vie en danger est très peu probable. Donc, que toutes ces situations soient présentes au même moment et que des blessures graves surviennent n’est pas vraisemblable.

[20] Comme le disait la lettre du 5 mai, un appel de la décision de la déléguée ministérielle était possible. Les Demandeurs se sont prévalus de cette possibilité devant un agent d’appel du Tribunal de santé et sécurité au travail. Il s’agit de la décision dont contrôle judiciaire est demandé.

B. Tribunal de santé et sécurité au travail

[21] Cette décision s’articule bien sûr autour des faits tels que relatés au rapport d’enquête de la déléguée ministérielle. L’agent d’appel met en exergue :

  • le caractère imprévisible du comportement humain et le contexte particulier du milieu carcéral, qui est énoncé dans la description de poste d’un agent correctionnel;

  • la création de BI est de nature discrétionnaire et leur dissolution est une décision de nature politique relevant de l’employeur;

  • le rôle des BI était limité à maîtriser des incendies là où ils ne pouvaient être éteints grâce aux extincteurs ou à l’utilisation de robinets d’incendie armés en attendant l’arrivée des pompiers municipaux. De façon générale, l’intervention des BI était attendue que lorsque les risques de blessures ou d’être investi par les flammes étaient peu élevés;

  • avec le Manuel 2016, les employés peuvent éteindre l’incendie par leurs propres moyens lorsque celui-ci est « maîtrisable ». Autrement, ce sont les procédures dites de « sécurité-incendie » qui doivent être suivies : le service d’incendie est prévenu.

[22] Huit jours d’audience ont été consacrés à l’appel au cours duquel 10 témoins auront été entendus.

[23] Le Tribunal a passé en revue les différents témoignages entendus. Il expose minutieusement les arguments présentés par les parties.

(1) Les arguments des parties

[24] Essentiellement, les Demandeurs arguent que l’abolition des BI constitue un danger au sens du Code : ce serait là une « détérioration majeure pour la santé et sécurité des employés de l’établissement Donnacona » (décision du TSSTC, para 53). Ainsi, l’absence de brigade ferait en sorte que le risque que des incendies dégénèrent devient plus élevé. On invoque aussi l’absence de formation adéquate faisant en sorte que le risque d’intoxication par la fumée et autres contaminants est plus élevé. Le comportement imprévisible des détenus est dit être un facteur important de danger.

[25] Pour les Demandeurs, il suffira que la preuve soit suffisante pour établir que l’abolition des BI pourrait vraisemblablement mener à un incident causant un préjudice sérieux à un employé.

[26] Or, disent les Demandeurs devant le TSSTC, le danger se serait produit le 26 septembre 2019. Non seulement il est vraisemblable que l’abolition des BI cause un préjudice sérieux, mais la chose s’est produite. Un détenu se serait barricadé dans sa cellule et une équipe d’intervention d’urgence aurait eu à utiliser une grenade assourdissante pour l’en extirper. De la fumée se serait dégagée dans la cellule, puis dans le corridor. Selon le récit disponible, des AC portant des APRIA sont intervenus pour tenter de neutraliser la source de la fumée et retirer les équipements laissés dans le corridor par l’équipe d’intervention. Un ventilateur a été utilisé. Quant aux détenus, ils auraient été avisés d’évacuer leur cellule et le corridor, ce qu’ils ont fait. Selon la décision, il y aurait des images vidéo de l’incident où on verrait les pompiers arriver alors que la fumée, qui aurait été dense selon un témoin, s’était grandement dissipée. Les Demandeurs ont choisi de ne pas fournir les images vidéo à la Cour, pas plus d’ailleurs que le Défendeur. Il semble que quelques employés aient visité l’hôpital mais ont pu être de retour au travail très rapidement.

[27] En fin de compte, le Tribunal résume l’argument des Demandeurs comme étant que la présence de détenus dont le comportement est imprévisible et le risque de feu qui requiert une réponse humaine par des employés adéquatement formés et qualifiés font en sorte que la dissolution des BI est non seulement mal avisée, mais elle constitue une aggravation du danger au sens du Code.

[28] Le Défendeur a plutôt argumenté que les AC ne sont pas exposés à un danger au sens du Code. Le retrait des BI des établissements de Donnacona et Port-Cartier ne saurait constituer un danger.

[29] Il importe qu’il y ait vraisemblance de risque de blessures (ou maladies) graves. La simple possibilité ne saurait suffire. En l’espèce, la preuve de la vraisemblance, c’est-à-dire plus qu’une simple possibilité, n’a pas été établie. La preuve établirait plutôt que les feux sont mineurs (sauf un en 2008). Quant à l’incident du 26 septembre 2019, il ne serait aucunement pertinent étant donné que l’incident a été maîtrisé par les AC avant même l’arrivée du service d’incendie de Donnacona. La situation du 26 septembre ne correspond aucunement à l’allégation de la plainte.

[30] Le Défendeur insiste sur les mesures particulières mises en place pour chercher à éliminer le danger au sens du Code. Ces mesures assistent pour permettre de conclure que le danger tel que défini au Code ne constitue pas un risque vraisemblable. On les trouve au paragraphe 99 de la décision et je les reproduis :

· Tous les logements de l’employeur à sécurité moyenne et maximale sont construits en béton;

· Tous les produits et les finis sont conformes aux exigences minimales du Code national du bâtiment du Canada;

· L’imposition de certaines restrictions sur le mobilier afin de limiter la propagation du feu;

· Limites strictes sur les matelas et tous les articles de literie dans les installations;

· L’intimé a installé des détecteurs de fumée, des gicleurs automatiques, des détecteurs de chaleur, des déclencheurs manuels et des systèmes d’alarme à double signal;

· Les établissements sont équipés d’extincteurs et d’armoires d’incendie;

· Les établissements sont subdivisés en rangées afin de limiter l’étendue potentielle d’un incendie;

· Tous les moyens d’évacuation et les issues sont conformes au Code national de prévention des incendies du Canada;

· L’employeur effectue des inspections quotidiennes, mensuelles et semestrielles visant à détecter et à éliminer les risques d’incendie;

· Mesures en place pour assurer qu’un contrôle strict soit appliqué tout au long d’une cérémonie de sueries autochtones et des pratiques religieuses impliquant une purification par la fumée ou l’encens;

· Mesures de contrôle en place relativement à l’emplacement, l’entreposage et du remplissage des liquides inflammables, des mesures de contrôle quant au chauffage et à la cuisson, les barbecues, les appareils de chauffage, à l’élimination des rebuts et des déchets, du matériel et des appareils électriques, la blanchisserie, des règles relatives aux décorations et aux lumières (fêtes), à l’entreposage des documents et des dossiers, à l’entreposage général, au contenu des cellules, ainsi que les mesures de sécurité pour la prévention des incendies pendant les travaux de construction et de rénovation;

· L’entretien de l’équipement effectué conformément au Code national de prévention des incendies du Canada;

Le Défendeur concluait évidemment que l’appel de la décision de la déléguée ministérielle devrait être rejeté.

(2) La décision du Tribunal

[31] La décision du Tribunal s’articule autour de la notion de « danger » au sens du Code. Le Tribunal constate que le 3 mai 2018, la seule raison du refus collectif de travail était la modification des procédures d’urgence et la dissolution des BI. C’est en raison de cette dissolution qu’il est prétendu qu’en cas d’incendie, les employés pourraient être piégés et incapables de procéder à l’évacuation. Le refus possible d’intervenir de la part du service d’incendie (d’ailleurs prévu aux deux protocoles) si les détenus ne sont pas contrôlés est noté.

[32] Convenant que la menace imminente de la définition de « danger » n’est pas en jeu ici, l’attention doit être portée sur la présence d’une menace sérieuse donnant ouverture à refus de travail. Il faut qu’il soit « vraisemblable que le risque, la situation ou la tâche alléguée cause des blessures ou une maladie grave à un moment donné dans l’avenir » (décision du TSSTC, para 140). Ici, l’exposition à une menace sérieuse viendra de la vraisemblance de faire face à une situation leur causant un préjudice sérieux du fait de l’abolition des BI. Ainsi, s’inspirant de Canada (Service correctionnel) c Ketcheson, 2016 TSSTC 19 [Ketcheson], le Tribunal établit que deux facteurs sont considérés : la menace doit être susceptible de causer des blessures ou maladies graves, et il doit y avoir vraisemblance que la menace se réalise.

[33] Acceptant le témoignage d’un « témoin expert » présenté par les Demandeurs qui concluait que la fumée, lorsqu’on y est exposé, peut causer des problèmes respiratoires sérieux pouvant même mener à la mort, le Tribunal se trouve satisfait du premier volet : la menace est susceptible de causer des blessures ou maladies graves.

[34] C’est au plan du caractère vraisemblable de la menace que la preuve ne satisfait pas le Tribunal. La tentative du Défendeur de considérer l’incident du 26 septembre 2019 comme non pertinent est rejetée. Puisque l’appel est une procédure de novo, des preuves qui n’étaient pas disponibles devant la déléguée ministérielle peuvent être admises devant le Tribunal (l’incident du 26 septembre 2019 est arrivé près de 18 mois après le refus de travail).

[35] Le Tribunal devait éventuellement conclure, au paragraphe 175, que la preuve de cet incident apporte peu aux Demandeurs parce que « tout indique que le retrait du matériel spécialisé utilisé par les membres de l’EIU (équipe d’intervention d’urgence) aurait pu être fait par des AC équipés d’APRIA et que l’évacuation des détenus de la rangée aurait ensuite pu être faite sans l’intervention des anciens membres de la BI ne soit nécessaire… Rien ne permet d’affirmer qu’en l’absence d’une BI (dans ce cas d’espèce, l’ancienne BI et ses équipements) dans l’établissement, les employés auraient été mis en danger lors de cet événement ». Ainsi la preuve relative à l’incident du 26 septembre 2019 est admise, mais elle ne fortifie pas la cause présentée par les Demandeurs parce qu’elle n’ajoute pas à la vraisemblance du risque.

[36] Fondamentalement, là où le bât blesse se trouve dans la nécessité que ce soit au moins une possibilité raisonnable, et non la simple possibilité, qu’un événement ou incident cause un préjudice sérieux. Pour le Tribunal, la preuve disponible révèle au mieux une possibilité éloignée que la menace se réalise (para 167). L’incident du 26 septembre 2019 ne permet pas à lui seul de conclure à un danger au sens du Code. Le Tribunal est satisfait que le service d’incendie interviendra. Qui plus est, aucun élément de preuve n’a été offert d’une situation où des employés seraient restés coincés lors d’un incendie. Le Tribunal écrit :

[165] Selon le tribunal, la preuve établit que, sauf pour un incendie majeur à l’établissement Donnacona il y a plusieurs années, les feux sont généralement mineurs. La preuve démontre que le service d’incendie de Donnacona n’est intervenu qu’une seule fois à l’établissement Donnacona depuis 2008, soit le 26 septembre 2019. Dans ce cas, le feu avait été déjà éteint par les AC lors de cet incident.

[166] Le tribunal note que la preuve testimoniale a démontré que l’intervention des pompiers au cours des 14 dernières années à l’établissement Port-Cartier se limitait le plus souvent à ventiler et rechercher des points chauds. De plus, les statistiques incomplètes déposées en preuve montrent que durant la période de 2013 à 2019, les feux qui ont eu lieu dans les établissements à sécurité maximale et à niveaux de sécurité multiples étaient en grande majorité mineurs et éteints par des AC.

[37] Les données statistiques offertes par le Défendeur sont utiles sans être déterminantes. Citant Brink’s Canada Limitée c Dendura, 2017 TSSTC 9 [Brink’s], le Tribunal peut tirer d’une preuve statistique des conclusions factuelles éclairées même si, en bout de ligne, il faut faire une appréciation des faits et porter un jugement sur la probabilité que l’événement future survienne. Le passage cité de Brink’s (au para 143) parle d’ailleurs de la difficulté inhérente de déterminer la « probabilité de la survenue d’un événement futur, en l’occurrence un événement lié à un comportement humain imprévisible ». Cette preuve statistique suggère, selon le Tribunal, qu’il ne s’agit pas d’une possibilité réelle dans le cas qui nous importe.

[38] Le Tribunal note aussi la preuve relative aux mesures en place pour même réduire la possibilité de danger. Ainsi, la survenance du risque ne serait pas vraisemblable mais, en plus, des mesures sont prises pour chercher à minimiser la propagation d’un incendie. Ces mesures sont citées au paragraphe 30 des présentes.

[39] C’est le défaut de preuve de la part des Demandeurs qui fait conclure au Tribunal que l’appel doit être rejeté :

[171] Selon l’ensemble de la preuve entendue, aucun élément technique ne me permet de confirmer que la sécurité des employées des établissements carcéraux à sécurité maximale est directement mise en danger par l’abolition des brigades locales d’incendie. Les procédures en place, incluant l’utilisation des APRIA par les employées ainsi que les PIU préétablis entre les services municipaux de sécurité incendie et les établissements carcéraux, apparaissent suffisantes et adéquates pour assurer la sécurité des employés, incluant les AC.

[172] La preuve au dossier est insuffisante pour établir qu’une personne raisonnable dûment informée, examinant les circonstances objectivement et d’un point de vue pratique, arriverait à conclure qu’un événement ou un incident causant un préjudice sérieux à un employé surviendra probablement suite à l’abolition des BI. Considérant toutes les mesures mises en place par l’employeur, je suis d’avis qu’il s’agit de la seule conclusion possible.

[173] Ainsi, le tribunal n’est pas convaincu qu’il serait vraisemblable que la menace se matérialise étant donné les mesures qui ont été mises en place par l’intimé. Le deuxième élément requis pour établir l’existence d’une menace sérieuse n’a pas été démontré dans le cadre de cette affaire.

III. Arguments et analyse

[40] Étant une demande de contrôle judiciaire, la première question à résoudre est celle de la norme de contrôle à appliquer. En notre espèce, les parties s’accordent pour conclure que c’est la norme de la décision raisonnable qui prévaut. Qu’il suffise de référer à l’arrêt Société canadienne des postes, précité, une affaire concernant le régime de santé et de sécurité au travail, où la Cour suprême n’a vu aucune raison de déroger à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable et elle déclare que la « décision de l’agent d’appel est assujettie au contrôle selon la norme de la décision raisonnable » (au para 27). Il en est évidemment ainsi dans notre cas.

[41] Comme chacun le sait, la norme de la décision raisonnable emporte des conséquences notables. C’est l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653 [Vavilov] qui fournit le cadre d’analyse. Ainsi, c’est à qui attaque la décision administrative qu’incombe le fardeau de démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov, au para 100). La cour de révision est tenue au principe de la retenue judiciaire (au para 13) et adopte une attitude de respect à l’égard de la décision administrative (au para 14). La cour de révision est invitée à comprendre le raisonnement menant à la décision administrative. Si la décision est intrinsèquement rationnelle et cohérente, et qu’elle est justifiée face aux contraintes juridiques et factuelles, la cour de révision fera preuve de déférence (au para 85). Dit autrement, la cour de révision ne se prononce pas sur le mérite : c’est l’affaire du tribunal administratif. D’ailleurs, en principe une décision déraisonnable fait l’objet d’un renvoi pour réexamen (au para 139). Il faudra des lacunes graves pour espérer réussir sur contrôle judiciaire; la « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, [2013] 2 RCS 458 au para 54) ne sera pas d’un grand secours (Vavilov, au para 103). « La cour de justice doit plutôt être convaincue que la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable » (Vavilov, au para 100).

[42] L’attaque contre la décision administrative est fondée sur l’allégation qu’elle est inintelligible en ne respectant pas la preuve soumise et en soumettant des hypothèses non appuyées par la preuve. Les Demandeurs ont aussi soumis que le Tribunal a erré « en écartant la notion de matérialisation du danger, en omettant la notion de l’imprévisibilité du comportement des détenus et la sévérité de la menace » (mémoire des faits et du droit, para 20). À mon avis, aucun de ces griefs n’est fondé.

[43] Il ne suffit pas d’exprimer un désaccord avec les différents éléments d’une décision. Encore faut-il que la décision soit déraisonnable; cela implique de démontrer que les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et que la décision est justifiée face aux contraintes factuelles et juridiques, font défaut de façon grave. Ceci dit avec égards, cette démonstration n’a pas été faite en l’espèce.

[44] En premier lieu, les Demandeurs soumettent que la décision omet « la notion de matérialisation du danger ». Elle ne tiendrait pas compte de l’imprévisibilité du comportement des détenus et de la sévérité de la menace. En fait, il faut plus simplement revenir à Ketcheson (précité) où l’agent d’appel a décortiqué la définition de « danger » au Code. C’est au paragraphe 199 de Ketcheson que l’on retrouve ce passage souvent cité dans la jurisprudence du Tribunal :

[199] Pour simplifier, les questions à poser pour déterminer s'il y a un « danger » sont les suivantes :

1) Quel est le risque allégué, la situation ou la tâche?

2) a) Ce risque, cette situation ou cette tâche pourrait-il vraisemblablement présenter une menace imminente pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée?

ou

b) Ce risque, cette situation ou cette tâche pourrait-il vraisemblablement présenter une menace sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée?

3) La menace pour la vie ou pour la santé existera-t-elle avant que, selon le cas, la situation soit corrigée, la tâche modifiée ou le risque écarté?

[45] On le voit bien, Ketcheson, ne crée pas un « test »; il ne fait que présenter la définition de « danger » sous une forme plus accessible. Ici, deux questions se posaient : y a-t-il une menace sérieuse pour la vie ou la santé, et le risque, la situation ou la tâche pourrait-il vraisemblablement présenter cette menace sérieuse pour la vie ou la santé. On l’a dit plus tôt, tous conviennent que la menace n’est pas imminente et cette partie de la définition de « danger » n’est pas utile à la résolution du contrôle judiciaire.

[46] Les Demandeurs reprochent au Tribunal de ne pas tenir compte de la menace (mémoire des faits et du droit, paras 37 et 38). Ce n’est pas exact. L’agent principal a spécifiquement accepté le témoignage de l’expert présenté par les Demandeurs. On peut difficilement être plus explicite qu’au paragraphe 150 de la décision attaquée. Le décideur administratif, sur la base du témoignage d’expert offert par les Demandeurs, déclare que les risques et menaces sont potentiellement sérieux pour la vie ou la santé. C’est plutôt sur le caractère vraisemblable que la menace se réalise que porte la décision dont contrôle judiciaire est demandé.

[47] À cet effet, les Demandeurs parlent de la matérialisation du danger. On comprendra que l’argument est que la menace s’est réalisée; selon les Demandeurs, l’incident du 26 septembre 2019 est la « matérialisation » du danger qui établissait la vraisemblance requise par la loi. Ils se contentent de référer au paragraphe 163 de la décision où on y lit que « (a)près avoir analysé la totalité de la preuve au dossier, j’estime qu’il serait contraire à la jurisprudence applicable de conclure à un danger au sens du Code simplement sur la base d’un seul incident, soit celui du 26 septembre 2019 ». Ce seul passage pourrait peut-être laisser sous-entendre qu’un seul événement ne saurait suffire. Mais il y a bien plus. Les motifs du Tribunal sur la matérialisation du risque le 26 septembre 2019 vont bien plus loin. En fait, la décision est plutôt que l’incident du 26 septembre 2019 ne constitue pas la « matérialisation » du risque. Le Tribunal a conclu au paragraphe 175 que l’incident du 26 septembre 2019 aurait pu être maîtrisé sans intervention d’une BI. Il s’agit là de l’application de la preuve par le décideur administratif dont c’est le mandat. La nature de l’incident n’est pas telle que l’absence d’une BI aurait mis en danger les employés. J’ai reproduit la presque totalité de ce paragraphe 175 au paragraphe 35 des présents motifs. Je n’ai rien trouvé à redire de ce constat fait par le Tribunal. Le Tribunal a conclu que le danger ne s’est pas réalisé le 26 septembre 2019 et cela n’a pas fait l’objet de contestation spécifique comme étant déraisonnable. Au mieux, les Demandeurs sont d’avis que la « menace s’est matérialisée » (mémoire des faits et du droit, para 29), mais cet avis n’est pas partagé par le décideur administratif. Le fardeau était de démontrer que cette constatation n’était pas raisonnable. La tentative n’a même pas été faite.

[48] Les Demandeurs ont aussi indiqué l’absence de mention de l’imprévisibilité des détenus. Cela leur semble annihiler le droit d’être entendu. Cette assertion pèche par voie d’exagération. L’imprévisibilité d’une population carcérale est évoquée à plusieurs reprises dans la décision (paras 8, 27-28, 61-76, 146). Cette préoccupation a à l’évidence été bien notée. Ainsi, le Tribunal a rejeté la prétention qu’il y a eu matérialisation du danger le 26 septembre 2019 et a reconnu l’imprévisibilité de la population carcérale. La menace est évidemment sérieuse. Mais là n’est pas la question. C’est la vraisemblance de la menace sérieuse qui fait défaut, selon le Tribunal.

[49] C’est que le Tribunal a retrouvé dans la preuve statistique offerte qu’il n’y avait pas de vraisemblance de la menace sérieuse. Le Tribunal a accepté deux paragraphes tirés de Nolan et autres c Western Stevedoring, 2017 TSSCT 11 [Nolan], où on peut lire :

[61] Étant donné que la définition du mot « danger » dans le Code est fondée sur le concept de ce qui pourrait vraisemblablement se présenter, la simple possibilité qu’un événement ou un incident cause un préjudice sérieux ne suffit pas pour conclure à l’existence d’une menace sérieuse. La preuve doit être suffisante pour permettre d’établir que des employés pourraient vraisemblablement être assujettis à un préjudice sérieux en raison de leur exposition au risque, à la situation ou à la tâche en question.

[62] Il n’est pas toujours facile de déterminer si une menace pourrait vraisemblablement se matérialiser ou s’il s’agit plutôt d’une menace indirecte ou hypothétique. Dans chaque cas, c’est une question de fait qui dépend de la nature de la tâche et du contexte dans lequel elle est examinée. Sa détermination exige une appréciation des faits et une décision sur la probabilité de survenance éventuelle d’un événement. Selon moi, l’un des moyens acceptables de procéder à cette détermination est de se poser la question suivante : une personne raisonnable, dûment informée, examinant les circonstances objectivement et d’un point de vue pratique, conclurait-elle qu’un événement ou un incident causant un préjudice sérieux à un employé surviendra probablement?

[Je souligne.]

Il faut donc rechercher plus qu’une simple possibilité pour arriver à la vraisemblance de la définition de « danger ». C’est dans cette foulée que l’agent d’appel cite Brink’s où on constate que les données statistiques sont utiles pour déterminer cette vraisemblance, comme l’occurrence d’un événement lié à l’imprévisibilité. Je reproduis le paragraphe 143 de Brink’s qui est un proche parent du paragraphe 62 de Nolan :

[143] Il n’est pas toujours facile de déterminer s’il existe une possibilité réelle ou s’il s’agit plutôt d’une possibilité éloignée ou hypothétique. Dans chaque cas, c’est une question de fait qui dépend de la nature de la tâche et du contexte dans lequel elle est exercée. Les données statistiques sont pertinentes pour tirer une conclusion factuelle éclairée sur cette question, bien qu’en dernière analyse, il s’agisse d’une appréciation des faits et d’un jugement sur la probabilité de la survenue d’un événement futur, en l’occurrence un événement lié à un comportement humain imprévisible.

Je ne trouve rien à redire de ces descriptions de ce en quoi consiste la vraisemblance qu’un risque sérieux se réalise.

[50] Les Demandeurs s’en prennent par ailleurs à ce qu’ils disent être une évaluation déraisonnable de la preuve. Cela concerne l’utilisation de statistiques tendant à démontrer le caractère mineur des incidents comprenant des incendies. Les Demandeurs allèguent que le rapport de l’expert présenté par eux donne de nombreux cas d’intervention de la BI. Selon les Demandeurs, cette preuve tendrait à démontrer que la BI intervenait régulièrement pour maîtriser des incendies. Outre que cette preuve est courte en ce que ne sont fournis ni les détails des incidents ou même les dates où ils se sont produits, la preuve fournie ne peut faire douter des statistiques offertes en preuve. De fait, la seule intervention de la BI dans le passé n’établit pas la gravité de la situation, ou que ces situations nécessitaient des interventions autres que celles des agents correctionnels. Dit autrement, l’intervention de la BI dans le passé n’établit pas la gravité des incidents.

[51] Il est loin d’être clair qu’il y a lacune de la part du Tribunal. L’information fournie par l’expert n’établit pas la nécessité de la BI. Elle tend plutôt à établir qu’elle s’est rendue utile dans certaines circonstances. Mais cela ne contredit en rien, selon la preuve, que les incendies au cours de la période de 2008 à 2018 étaient de nature mineure. Comme le notait le Défendeur, personne ne met en doute que des incendies se sont produits dans des pénitenciers; cela fait croire qu’il y en aura d’autres. Mais là n’est pas la question. La question que devait résoudre le Tribunal était relative à la vraisemblance de menace sérieuse. Il était loisible au Tribunal de recevoir la preuve statistique, d’en évaluer la valeur probante et d’en tirer des inférences. Je ne puis voir en quoi les incidents répertoriés par l’expert pouvaient changer quoi que ce soit.

[52] La proverbiale chasse aux trésors à la recherche d’une erreur aura été faite lorsque les Demandeurs se rabattent sur un rapport d’observation daté du 14 octobre 2017 pour argumenter que les statistiques sont incomplètes et que, de toute façon, le Tribunal n’a pas tenu compte de ce rapport. Or, il s’agit d’un rapport non signé par son auteur présumé et il ne portait pas la signature d’un réviseur. Il appert que le rapport d’observation n’a jamais été reçu par celui qui a complété les statistiques. À l’affidavit de Karim Bahou, on observe que le Tribunal a indiqué que les statistiques seraient ainsi incomplètes puisque cet incident n’est pas répertorié dans les statistiques offertes en preuve devant le Tribunal. Par ailleurs, le Défendeur a raison de faire remarquer que ce rapport d’observation n’a pas de pertinence quant à la situation ayant donné lieu au refus de travail étant donné qu’il ne porte pas sur la vraisemblance. Il peut au mieux porter sur la qualité de la preuve statistique qui serait ainsi incomplète. J’ai lu ledit rapport d’observation. Il s’agissait d’un détenu qui allumait un feu dans sa cellule en début de nuit. Le feu a été éteint à l’aide d’un extincteur. Le détenu dans la cellule voisine aurait été incommodé mais on indique que les autres détenus ne l’ont pas été puisque la ventilation fonctionnait bien. Il m’apparaît clair que cet élément d’information constitue au mieux une lacune ou insuffisance superficielle et accessoire à la preuve statistique et ne porte pas atteinte au fond de la décision (Vavilov, au para 100).

[53] Continuant sur le même thème, les Demandeurs disent que malgré des statistiques incomplètes (parce que le rapport d’observation du 14 octobre 2017 n’y avait pas été inclus), le Tribunal les a tout de même trouvées déterminantes. Or, le paragraphe de la décision parle plutôt que « la preuve statistique soumise soutient la conclusion qu’il s’agit en l’espèce d’une possibilité hypothétique ou éloignée plutôt qu’une possibilité réelle » (para 169). C’est dire qu’elles ne sont pas déclarées déterminantes, mais plutôt qu’elles soutiennent la conclusion du Tribunal. Il n’a tout simplement pas été démontré en quoi le Tribunal ne pouvait voir dans ces statistiques des éléments qui pouvaient mener à la conclusion que les incendies sont mineurs. De fait, le rapport d’observation, qui n’aurait pas été reçu par celui qui a complété lesdites statistiques, décrivait un incident mineur lui-même.

[54] En fin de compte, le fardeau sur les épaules des Demandeurs de démontrer que la décision ne possède pas les caractéristiques d’une décision raisonnable n’a pas été déchargé. La Cour doit conclure que ces caractéristiques, qui sont la justification, la transparence et l’intelligibilité, sont bel et bien présentes, et que cette décision est justifiée face aux contraintes factuelles et juridiques pertinentes.

[55] En l’espèce, la décision sous étude porte d’abord et avant tout sur la vraisemblance qu’une menace sérieuse pour la vie ou la santé pourrait se présenter en l’absence d’une brigade-incendie aux pénitenciers de Donnacona et Port-Cartier. Les Demandeurs ont bien tenté de l’établir avec l’incident du 26 septembre 2019. Cette preuve aura été admise mais le Tribunal décide que la présence d’anciens membres de la BI n’était tout simplement pas nécessaire pour traiter de l’incident. La preuve statistique tendait à confirmer le caractère mineur des incidents du passé. Le Tribunal a examiné la preuve et a conclu, comme c’est son mandat, que la vraisemblance du risque n’était pas établie. Le fardeau dont était chargé les Demandeurs n’a pas été déchargé.

IV. Conclusion

[56] Les juges majoritaires de la Cour suprême dans l’arrêt Société canadienne des postes qualifiaient la décision de l’agent d’appel du Tribunal de santé et sécurité au travail d’exemplaire (au para 30). La Cour suprême rappelle toutefois que la cour de révision ne doit pas rechercher la perfection. On doit chercher à voir si l’explication est adéquate quant au fondement de la décision. À mon avis, sans être exemplaires les motifs du Tribunal en notre espèce sont mieux qu’adéquats.

[57] On peut à mon sens suivre sans difficulté le fil du raisonnement du décideur. La Cour n’y a pas trouvé une lacune ou déficience assez capitale ou importante pour rendre la décision déraisonnable. Contrairement à la prétention des Demandeurs, la décision est intelligible et elle respecte les contraintes factuelles et juridiques. Il n’a pas été démontré que cette décision n’a pas les caractéristiques d’une décision raisonnable.

[58] Plusieurs des griefs faits aux motifs du Tribunal portent sur l’appréciation de la preuve. Comme il a été souvent dit, « la déférence envers un décideur inclut une déférence à l’égard de ses conclusions et de son appréciation de la preuve. Les cours de révision devraient éviter ‘de soupeser et d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur’ » (autorités omises, Société canadienne des postes, au para 61). Ici, le Tribunal aura tenu compte de la preuve devant lui et a répondu aux arguments présentés. Ce n’est pas le rôle de cette Cour de tenter de soupeser cette preuve.

[59] La demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée avec dépens. Les parties ont convenu que des dépens à hauteur de 3 000 $, y inclus déboursés et taxes, seraient appropriés. Je ne vois aucune raison d’en disconvenir. Des dépens de 3 000 $ en faveur du Défendeur sont donc ordonnés. Cela inclut déboursés et taxes.

 


JUGEMENT au dossier T-948-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Des dépens de 3 000 $, incluant déboursés et taxes, sont accordés au Défendeur.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-948-21

 

INTITULÉ :

JEAN-FRANÇOIS BERGERON ET AL c SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 OCTOBRE 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 NOVEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Yanick Vézina

 

Pour LES DEMANDEURS

 

Kétia Calix

 

Pour LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Laroche Martin

Service juridique de la CSN

Montréal (Québec)

 

Pour LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour LE DÉFENDEUR

 

 

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