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Date : 20221110


Dossier : IMM-6470-21

Référence : 2022 CF 1528

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 novembre 2022

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

REBECCA EGESIRI ASAGBA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 9 septembre 2021 par laquelle un agent des visas de la Section des visas du haut-commissariat du Canada au Kenya, à Nairobi [l’agent], a refusé la demande de permis d’études présentée par la demanderesse [la décision]. L’agent n’était pas convaincu que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de sa période d’études, tel que l’exige l’alinéa 216(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR].

II. Contexte

[2] La demanderesse, Rebecca Egesiri Asagba, est une citoyenne du Nigéria âgée de 45 ans.

[3] La demanderesse a fait des études de premier cycle en informatique à l’Université du Bénin. Elle travaille actuellement au Nigéria comme greffière en chef adjointe de la magistrature de l’État du Delta.

[4] La demanderesse a de la famille au Canada, qu’elle visite fréquemment. En janvier 2021, pendant une visite au Canada, elle a fait une demande d’admission dans le programme d’études collégiales de niveau avancé en administration des affaires du Collège Humber, et cette demande a été acceptée.

[5] La demanderesse a présenté une demande de permis d’études le 14 mai 2021 pour s’inscrire à ce programme, et son époux a présenté une demande pour faire prolonger la durée de validité de son visa de visiteur jusqu’au mois de décembre 2021. La sœur de la demanderesse, Rachel Eta Brown, citoyenne canadienne et avocate en Ontario, devait soutenir la demanderesse financièrement pendant les études de cette dernière et a agi à titre de représentante dans le processus de demande de permis d’études.

[6] La demanderesse a inclus les renseignements pertinents suivants dans sa demande :

  1. Un plan d’études dans lequel elle a expliqué l’intérêt qu’elle portait au programme d’administration des affaires qu’offre le Collège Humber.

  1. Le programme était pertinent pour son travail au Nigéria, et elle trouvait attrayant le volet de travail obligatoire.

  2. Elle était impressionnée par l’éducation que des membres de sa famille ont reçue au Canada, et avait perdu confiance dans le système d’éducation nigérian, car elle avait déjà fait une demande d’admission dans un programme de maîtrise en administration des affaires auprès d’un établissement d’enseignement nigérian qui s’était avéré non accrédité.

  3. Au Nigéria, elle entretenait des liens avec sa famille et des amis, occupait un emploi et possédait une maison; elle avait donc des raisons d’y retourner.

B. Des états financiers indiquant ses revenus et les fonds auxquels sa sœur a accès.

[7] Par la décision du 9 septembre 2021, l’agent a refusé la demande de permis d’études présentée par la demanderesse, car il n’était pas convaincu qu’elle quitterait le Canada à la fin de ses études, tel que l’exige le paragraphe 216(1) du RIPR.

[8] La demanderesse demande à la Cour d’annuler la décision et de renvoyer l’affaire à un autre agent des visas pour nouvel examen.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[9] Lorsqu’il a refusé la demande de permis d’études, l’agent a exposé les observations suivantes dans les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas :

  • i.La demanderesse a un dossier d’immigration positif en tant que visiteuse.

  • ii.La demanderesse a fourni des renseignements au sujet de ses revenus, mais elle n’a pas fourni de renseignements au sujet des autres fonds dont elle dispose. On ne sait pas si la sœur de la demanderesse aurait les moyens d’assumer les dépenses de la demanderesse et de son époux, en plus des dépenses liées aux autres membres de sa famille.

  • iii.La demanderesse occupe un emploi bien rémunéré, mais ses liens familiaux et ses incitations économiques à retourner au Nigéria ne sont pas suffisants, et ses raisons de rester au Canada peuvent l’emporter sur ses raisons de partir.

  • iv.Le fait d’engager des frais pour étudier au Canada dans le programme choisi n’est pas raisonnable au regard des éventuels avantages professionnels. L’inscription dans un programme d’études pour obtenir un diplôme en administration des affaires n’est pas raisonnable ou pertinente compte tenu des études antérieures de la demanderesse, qui est titulaire d’un diplôme en informatique. De plus, les dépenses liées aux études au Canada sont élevées comparativement aux dépenses liées aux études dans un programme semblable au Nigéria.

[10] L’agent a fondé sa décision de refuser la demande de permis d’études sur le paragraphe 216(1) du RIPR puisque, après avoir tenu compte des éléments suivants, il n’était pas convaincu que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de sa période d’études :

  • i.Les liens familiaux de la demanderesse au Canada et dans son pays de résidence.

  • ii.Le but de la visite de la demanderesse.

  • iii.Les actifs personnels et la situation financière de la demanderesse.

IV. Questions en litige

A. La demanderesse a-t-elle indûment présenté de nouveaux éléments de preuve dans la présente demande de contrôle judiciaire?

B. La décision de l’agent était-elle raisonnable?

C. L’agent a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale?

V. Norme de contrôle

[11] La norme de contrôle sur le fond est celle de la décision raisonnable [Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 25].

[12] La norme de contrôle applicable aux questions liées à l’équité procédurale est celle de la décision correcte ou une norme de même importance [Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 34-35 et 54-55, renvoyant à l’arrêt Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79].

VI. Analyse

A. La demanderesse a-t-elle indûment présenté de nouveaux éléments de preuve dans la présente demande de contrôle judiciaire?

[13] La demanderesse a inclus, dans le dossier de demande, des éléments de preuve dont l’agent ne disposait pas au moment de rendre sa décision. Le défendeur s’oppose à l’admission de ces nouveaux éléments de preuve. La demanderesse soutient que ces derniers ont été dûment présentés afin de mettre en évidence des lacunes procédurales.

[14] Il existe quelques exceptions au principe général selon lequel une cour de révision ne peut admettre de nouveaux éléments de preuve lors d’un contrôle judiciaire [Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 20].

[15] L’une de ces exceptions a trait à la preuve qu’il faut présenter pour mettre en évidence des vices de procédure, mais elle n’est pas applicable en l’espèce. La demanderesse fait principalement valoir l’argument de nature procédurale selon lequel l’agent, en affirmant que la preuve de la demanderesse ne suffisait pas, a tiré une conclusion voilée quant à la crédibilité; par conséquent, avant de rendre la décision, l’agent était tenu de communiquer avec la demanderesse pour lui donner la possibilité de présenter d’autres observations. Il n’y a pas d’autres éléments de preuve, outre ceux dont l’agent a été saisi, qui pourraient aider la Cour à trancher cette question.

[16] Dans la mesure où ils sont étayés dans le dossier certifié du tribunal, les nouveaux éléments de preuve allégués seront pris en considération; s’ils portent précisément sur la demande de nouvel examen présentée par la demanderesse, ils ne seront pas pertinents. Quoi qu’il en soit, la portée de ces nouveaux éléments de preuve ne change pas le résultat de la décision en l’espèce.

B. La décision de l’agent était-elle déraisonnable?

[17] Aux termes de l’alinéa 216(1)b) du RIPR, afin de recevoir un permis d’études, un étranger doit convaincre l’agent qu’il quittera le Canada à la fin de la période d’études. Par conséquent, il incombait à la demanderesse de prouver à l’agent qu’elle quitterait le Canada à la fin de la période d’études [Rahman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 793 au para 16].

[18] La demanderesse affirme que l’agent a écarté la preuve, ce qui rend les conclusions de ce dernier déraisonnables quant à chaque motif de refus :

(1) Les liens familiaux de la demanderesse au Canada et dans le pays de résidence

[19] La demanderesse soutient premièrement que la conclusion de l’agent selon laquelle elle n’avait pas de liens familiaux suffisants au Nigéria était déraisonnable. Elle renvoie à un formulaire inclus dans le dossier de demande, dans lequel il est déclaré que cinq des sept membres de sa fratrie résident actuellement au Nigéria. En outre, elle a affirmé que son époux et sa belle-fille, qui est une adulte, continueraient de résider au Nigéria.

[20] À la lumière du dossier, je conclus que la conclusion de l’agent selon laquelle la demanderesse n’avait pas de liens familiaux suffisants au Nigéria, comparativement à ceux qu’elle avait au Canada, était raisonnable. Plusieurs des membres de la fratrie de la demanderesse résidaient effectivement au Nigéria, mais plusieurs des membres de sa famille, dont au moins deux membres de sa fratrie, ainsi que sa mère et son père, vivaient au Canada. En outre, l’époux de la demanderesse avait présenté une demande de prolongation de son statut de visiteur au Canada, l’adresse fournie en ce qui le concerne dans la demande était une adresse au Canada, et il était désigné comme accompagnant la demanderesse.

[21] Même si je ne souscris peut-être pas à la position du défendeur à cet égard, la décision de l’agent n’est pas déraisonnable.

(2) Le but de la visite de la demanderesse

[22] Selon la demanderesse, il était déraisonnable que l’agent n’accepte pas l’explication qu’elle a fournie en ce qui concerne le plan d’études proposé. Elle avait affirmé que l’administration des affaires était pertinente pour sa carrière à titre de greffière. Elle désirait étudier au Canada, car elle avait en très haute estime le système d’éducation canadien et avait vécu une mauvaise expérience relativement à une université du Nigéria. Elle prétend que, bien que l’agent ait reconnu qu’elle avait fourni une explication quant à son choix d’études, il a négligé de tenir compte de cette explication et l’a écartée, ce qui était déraisonnable.

[23] Je suis d’accord avec la demanderesse. Elle a fourni une explication claire et rationnelle des motifs pour lesquels elle souhaitait poursuivre le programme d’études en question au Canada. Elle avait perdu confiance dans le système d’éducation nigérian; elle avait en haute estime le système d’éducation canadien; elle valorisait l’exigence relative au volet de programme coopératif dans le cadre du programme d’études, car cela lui permettrait d’acquérir une précieuse expérience de travail pratique; enfin, l’accent porté sur les affaires dans le programme d’études était pertinent pour son travail en tant que greffière. De plus, il n’y avait aucune raison de minimiser la bonne foi de la demanderesse du fait de ses antécédents de voyage au Canada.

[24] En outre, les motifs invoqués par l’agent pour expliquer qu’il n’était pas convaincu par le plan d’études de la demanderesse sont insensés. Selon lui, le plan d’études de la demanderesse n’était pas logique, en raison, en partie, de son diplôme antérieur en informatique. Or, l’agent n’a pas tenu compte du fait que la demanderesse avait obtenu ce diplôme en l’an 2000 et avait, depuis, poursuivi une carrière qui n’avait absolument aucun lien avec ces études. Il a également omis de prendre en compte les explications de la demanderesse quant à la pertinence du plan d’études pour sa carrière et les autres motifs qu’elle a invoqués.

(3) Les actifs personnels et la situation financière de la demanderesse

[25] La demanderesse soutient que l’agent a écarté son établissement financier au Nigéria, ce qui est déraisonnable. Elle affirme que l’agent a commis une erreur en omettant d’observer qu’elle touchait des revenus au-dessus de la moyenne au Nigéria et qu’elle et son époux possédaient une maison au Nigéria.

[26] De plus, selon la demanderesse, l’agent a tiré une conclusion contradictoire lorsqu’il a fait observer que sa sœur disposait de fonds suffisants puis qu’il a néanmoins conclu que la demanderesse ne bénéficierait pas d’une aide financière suffisante.

[27] Je conclus qu’il était déraisonnable que l’agent ne soit pas convaincu en ce qui concerne le statut financier de la demanderesse.

[28] L’agent a conclu de manière déraisonnable que les revenus de la demanderesse, même en les combinant à l’aide financière fournie par sa sœur, ne suffiraient pas à couvrir les coûts engagés pendant la période d’études. Il y a suffisamment d’éléments de preuve pour conclure raisonnablement que la capacité de payer pour le plan d’études de la demanderesse existe. Il est possible que les documents financiers de la demanderesse indiquent un revenu modeste dans le contexte canadien, mais la sœur de la demanderesse a fourni une preuve abondante de ses revenus, des fonds disponibles et de sa volonté de la soutenir pendant ses études.

C. L’agent a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale?

(1) La possibilité de répondre

[29] La demanderesse soutient que l’agent a manqué à l’obligation d’équité procédurale en tirant une conclusion voilée quant à la crédibilité. Selon elle, l’agent a tiré une telle conclusion, car il n’a pas accepté son explication au sujet du lien entre sa carrière et les cours offerts dans le programme d’administration des affaires.

[30] Le degré de l’obligation d’équité envers une personne qui demande un permis d’études se situe généralement au bas de l’échelle [Opakunbi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 943 [Opakunbi] au para 8]. Il peut y avoir obligation de permettre au demandeur de dissiper les préoccupations de l’agent dans certaines circonstances limitées, comme lorsqu’il existe des doutes au sujet de l’authenticité ou de la fiabilité de renseignements fournis par un demandeur [Opakunbi, au para 8]. Cependant, lorsque ces réserves découlent directement des exigences du RIPR, l’agent n’a pas l’obligation de donner au demandeur la possibilité d’y répondre [Hassani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1283 au para 24].

[31] En l’espèce, l’agent n’était pas tenu de communiquer à la demanderesse les préoccupations selon lesquelles elle ne quitterait pas le Canada à la fin de son séjour, tel qu’il en découle directement de l’alinéa 216(1)b) du RIPR. En outre, dans les demandes de permis d’études, il incombe au demandeur de convaincre l’agent quant au bien-fondé de son plan d’études, et le demandeur ne peut s’attendre à ce que l’agent l’informe des lacunes de son dossier ou lui donne l’occasion de s’expliquer [Charara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1176 au para 27].

[32] La demanderesse connaissait la preuve à réfuter dès le début et a eu amplement la chance de le faire.

(2) Attentes légitimes

[33] Le second argument de nature procédurale mis de l’avant par la demanderesse est celui selon lequel l’agent a omis de se conformer à un communiqué de presse publié par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, dans lequel il était énoncé que les demandes de permis d’études présentées avant le 15 mai 2021 serait traitées avant le 6 août 2021 [« study-permit-fall-2021-fra » (3 juin 2021), en ligne : Gouvernement du Canada <https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/services/reference-inclusion/study-permit-fall-2021-fra.html>]. En l’espèce, l’agent n’a pas rendu la décision avant le 9 septembre 2021.

[34] Même si les directives et les communications d’un tribunal n’ont pas force de loi, dans certaines circonstances, il est possible qu’elles créent des attentes légitimes, et le fait de ne pas y répondre constituerait un manquement à l’obligation d’équité procédurale [Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 aux para 94-95].

[35] En l’espèce aucune attente de la sorte n’a été créée. Le communiqué de presse auquel renvoie la demanderesse énonce clairement que les demandeurs « devr[aient] recevoir une décision d’ici le 6 août 2021 ». [Non souligné dans l’original.] En outre, selon le communiqué de presse, un demandeur doit présenter une demande de permis d’études complète, « y compris [ses] données biométriques et les résultats de [son] examen médical aux fins de l’immigration ». Les documents liés à l’examen médical de la demanderesse indiquent le 19 août 2021 comme date de visite.

[36] Il n’y a eu aucun manquement à l’obligation d’équité procédurale.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6470-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il procède à un nouvel examen.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Michael D. Manson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-6470-21

 

INTITULÉ :

REBECCA EGESIRI ASAGBA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 NovembRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 10 novembRE 2022

 

COMPARUTIONS :

ANNA AAZAM

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

ZOFIA ROGOWSKA

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

PACE LAW FIRM

TORONTO (ONTARIO)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

TORONTO (ONTARIO)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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