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Date : 20051209

Dossier : IMM-2003-05

Référence : 2005 CF 1682

Ottawa (Ontario), le 9 décembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

demandeur

et

AKASH DEEP SINGH MAAN

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visée à l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), concernant la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 8 mars 2005, selon laquelle M. Akash Deep Singh Maan (le défendeur) est un réfugié au sens de la Convention et une personne à protéger au sens, respectivement, des articles 96 et 97 de la Loi.

LES FAITS

[2]                Le défendeur est un citoyen de l'Inde. Le 10 septembre 2000, le Babbar Khalsa (BK), un groupe de militants, lui a demandé de transporter des colis que des sympathisants du groupe lui remettraient et d'apporter ces colis à son école. Le défendeur a témoigné qu'il croyait que les colis contenaient de la drogue.

[3]                Le défendeur a allégué qu'il avait reçu des menaces de mort après avoir d'abord refusé d'obéir à cette demande. À cause de ces menaces, il aurait accepté de transporter les colis à cinq reprises.

[4]                Le défendeur a transporté les colis pour la dernière fois le 10 janvier 2001. Ce jour-là, il aurait été intercepté par la police, arrêté et détenu pendant quatre jours. Pendant sa détention, il aurait été torturé par la police qui voulait lui faire dire le nom des personnes qui avaient obtenu sa collaboration.

[5]                Lorsqu'il a été relâché, le défendeur aurait été soigné pour les blessures causées par la torture infligée par la police.

[6]                La police s'est présentée chez lui le 10 juillet 2001. Il a été emmené au poste de police, où on lui a demandé d'identifier une personne soupçonnée d'être un membre du BK. Il a été détenu et torturé pendant trois jours, avant d'être relâché. Il a de nouveau été soigné pour ses blessures.

[7]                Le défendeur est arrivé au Canada avec un visa d'étudiant le 6 septembre 2002. Il a étudié à Brampton, en Ontario, jusqu'en novembre 2003. Il a alors demandé l'asile.

LA DÉCISION FAISANT L'OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

[8]                La Commission a considéré que le défendeur était crédible et a conclu qu'il est un réfugié au sens de la Convention selon l'article 96 de la Loi et une personne à protéger suivant les alinéas 97(1)a) et b) de la Loi. En outre, elle a décidé que les dispositions d'exclusion contenues à la section 1F de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention) ne s'appliquaient pas au défendeur en l'espèce.

LES PRÉTENTIONS DES PARTIES

[9]                Le demandeur accepte les conclusions de la Commission en matière de crédibilité. Il conteste toutefois la validité de sa conclusion selon laquelle les dispositions d'exclusion de la section 1F de la Convention ne s'appliquent pas au défendeur. Il soutient à cet égard que la Commission a commis une erreur de droit en imposant une norme de preuve plus rigoureuse que l'existence de « raisons sérieuses de penser » pour décider si les dispositions d'exclusion de la section 1F de la Convention s'appliquaient. Il soutient en outre que la conclusion générale de la Commission n'est pas étayée par la preuve ou par des motifs suffisants. Selon lui, la conclusion relative à la non-applicabilité des dispositions d'exclusion contenues aux alinéas 1Fa) et 1Fc) de la Convention est totalement gratuite. Le demandeur prétend également qu'en n'analysant pas la nature du BK, une organisation terroriste, la Commission a conclu à tort que le défendeur n'avait pas été complice d'actes illégaux et a commis une erreur de droit en ne décidant pas si les dispositions d'exclusion de la section 1F de la Convention s'appliquaient au défendeur. En ce qui concerne la disposition d'exclusion contenue à l'alinéa 1Fb), le demandeur soutient que la Commission aurait dû évaluer la gravité des crimes qui auraient été commis par le défendeur. Il soutient en outre que la Commission n'a pas bien appliqué la défense de contrainte en n'affirmant pas clairement que la menace était imminente et inévitable. Finalement, en ce qui concerne les conclusions de la Commission selon lesquelles le défendeur est un réfugié au sens de la Convention et une personne à protéger, le demandeur prétend que la conclusion de la Commission concernant l'absence d'une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable est manifestement déraisonnable.

[10]            Le défendeur soutient de son côté que la décision de la Commission, selon laquelle il est un réfugié au sens de la Convention en application de l'article 96 de la Loi et une personne à protéger au sens de l'article 97 de la Loi, n'est pas manifestement déraisonnable. Selon lui, la décision de la Commission sur la question de l'exclusion est purement une conclusion de fait. À cet égard, il prétend que la Commission n'a pas omis de tenir compte des éléments de preuve pertinents ni rendu sa décision de manière arbitraire. L'avocate du défendeur soutient que la preuve démontre que ce dernier n'était pas complice du BK. La Commission a pris en considération le témoignage du défendeur selon lequel sa vie était menacée et les membres de sa famille seraient tués s'il refusait de transporter les colis contenant de la drogue. Il y avait donc un danger de mort « imminent » . Le défendeur soutient finalement que la conclusion relative à l'inclusion, notamment l'absence de PRI, est fondée sur la preuve et n'est pas manifestement déraisonnable.

ANALYSE

[11]            L'article 98 de la Loi incorpore la section 1F de la Convention dans le droit canadien. Il prévoit ce qui suit :

98. La personne visée aux sections E ou F de l'article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

1F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

1F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

a)      Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

a)      he has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes;

b)      Qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés;

b)      he has committed a serious non-political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;

c)      Qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

c)      he has been guilty of acts contrary to the purposes and principles of the United Nations.

[12]            Il serait utile, avant d'aller plus loin, de reproduire les passages pertinents du raisonnement de la Commission sur la question de l'exclusion :

Dans l'analyse des faits et dans l'argumentation présentée par le représentant du ministre, il y a peu de doute que le demandeur a vraiment transporté des sacs de drogue (ce qu'on croit être de la drogue) pour des personnes qu'il croit être des militants des BK. Le demandeur a admis qu'il avait accompli cette tâche à cinq différentes reprises. Cette histoire a débuté quand le demandeur avait dix-sept ans, donc mineur. Un groupe de militants, que le présent tribunal connaît bien et dont les intentions sont bien documentées, l'a menacé de mort, lui et les membres de sa famille, s'il n'obéissait pas à ses ordres. Le tribunal examine plusieurs éléments de cet aspect particulier de l'analyse.

a)        La jurisprudence montre que l'infraction commise par le demandeur peut être considérée comme un « crime grave » . Cependant, dans Brzezinski, certains éléments d'un crime grave ont été analysés, mais certainement pas tous les éléments. Le tribunal se demande si le fait d'avoir avoué avoir transporté, ce que le demandeur croit être de la drogue, est un crime grave. S'il n'a été reconnu coupable d'aucun crime, mais soupçonné d'avoir participé à la commission d'un crime, est-il toujours visé par les dispositions des sections F a), b) et c) de l'article premier? La section a) commence ainsi : il a commis un crime [. . .] b) il a commis un crime grave de droit commun [. . .] c) il s'est rendu coupable d'agissements [. . .]; il n'a pas été accusé d'une infraction, ni bien entendu reconnu coupable, et il a coopéré avec la police pour identifier au moins un militant des BK.

b)        Si le crime auquel le représentant du ministre fait référence dans ses arguments est valide, a-t-on tenu compte du fait que le demandeur avait dix-sept ans au moment où ces prétendus crimes ont été commis? Est-ce que ses prétendus crimes seraient visés par la Loi sur les jeunes contrevenants, si ces infractions étaient commises au Canada? Dans l'affirmative, est-ce que ce crime demeure toujours, en vertu de cette Loi, un crime grave?

c)        Quand il est question de contrainte, le tribunal doit tenir compte du témoignage, à la fois oral et écrit, selon lequel la vie du demandeur était menacée. En outre, s'il n'avait pas obéi aux ordres des militants des BK, est-ce que la vie et le bien-être de sa famille auraient été dans un danger imminent. Nous invoquons l'arrêt Ramirez, supra, note 31, p. 327 et 328. [...]

d)        En ce qui concerne une PRI, le demandeur n'avait pas informé sa famille de la situation dans laquelle il s'était involontairement retrouvé. Il a témoigné qu'il espérait n'avoir jamais à le dire à sa famille et ne pas se faire prendre. Il n'était pas payé pour le transport de ce qui aurait pu être de la drogue ni ne retirait aucun avantage quel qu'il soit de cette tâche. Le seul avantage qu'il en retirait, c'était que lui et sa famille ne seraient pas tués si seulement il faisait ce qu'on exigeait de lui sous la menace d'un fusil. Dans un contexte de contrainte, dans Ramirez, à la p. 327 et 328, « la Cour a confirmé la conclusion de contrainte, reconnaissant qu'il existait une menace imminente, réelle et inévitable à la vie du demandeur [...] » . Le tribunal est convaincu que les actions du demandeur étaient le résultat des menaces de mort proférées à son endroit et à l'endroit des membres de sa famille. Il a témoigné d'une manière crédible et digne de foi.

[...]

f)         Le demandeur a coopéré avec la police en identifiant au moins une personne des trois qu'on croit être des militants des BK. Sa coopération avec les autorités lui a valu des menaces additionnelles à sa vie et à son bien-être, même de la part de l'officier responsable du poste de police. Il est toujours recherché par la police pour identifier d'autres individus qui prennent part à des activités criminelles pour le compte des BK. D'après son témoignage, même à ce jour, les autorités policières harcèlent encore son père pour qu'il fasse en sorte que son fils se présente à elles et continue d'identifier des membres des BK. Le tribunal croit qu'il n'est pas justifié que le demandeur espère obtenir la protection de la police, qui l'a torturé à deux reprises pour obtenir sa coopération. Dans la pièce M-13, aux pages un et deux, dans un rapport d'une mission d'enquête effectuée au Pendjab par le service d'immigration danois, du 21 mars au 5 avril 2000, on indique que bien que les opinions des sources diffèrent quant à l'existence de groupes de militants au Pendjab, il semble que, d'après une opinion largement répandue, dans la mesure où de tels groupes existent effectivement, leurs activités au Pendjab aujourd'hui sont très limitées, voire presque imperceptibles (sec. 6.2). Les principaux groupes identifiés par les diverses sources comme étant toujours en activité au Pendjab sont la force de commando du Khalistan des BABBAR KHALSA. Le tribunal est donc convaincu qu'il est vraisemblable que les BK existent effectivement et soient actifs au Pendjab, là où la famille du demandeur réside actuellement. La crainte qu'il a exprimée est crédible.

[13]            La Commission semble avoir examiné l'absence de PRI et de protection de l'État en même temps que la question de l'exclusion, alors qu'il aurait été préférable d'aborder celle-ci ailleurs dans sa décision. Il ne fait aucun doute cependant qu'il y a d'autres défauts graves dans le raisonnement qui l'a amenée à conclure que la section 1F de la Convention ne s'applique pas au défendeur.

[14]            Premièrement, la Commission n'a jamais énoncé clairement, dans son analyse, la norme de preuve applicable, quoiqu'elle ait insisté sur le fait que le défendeur « n'a pas été accusé d'une infraction, ni [...] reconnu coupable » . Il faut souligner que la norme de preuve qui s'applique à la question de savoir si un individu a commis des crimes ou des actes mentionnés à la section 1F de la Convention, ou a été complice de tels actes, est l'existence de « raisons sérieuses de penser » . Il a été décidé que cette norme de preuve exige plus qu'un simple soupçon, mais moins que la norme de prépondérance de la preuve qui s'applique en matière civile (voir Moreno c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.F.), 107 D.L.R. (4th) 424). Pour l'application des « raisons sérieuses de penser » comme norme, il importe de distinguer entre la preuve d'une question de fait et la résolution d'une question de droit. En effet, cette norme de preuve ne s'applique qu'aux questions de fait. En l'espèce, le défendeur a reconnu qu'il a transporté à plusieurs reprises ce qu'il croit être de la drogue. La question de savoir si ces faits constituent les éléments d'un crime ou un agissement contraire aux buts et aux principes des Nations Unies, comme il est mentionné à la section 1F de la Convention, est une question de droit (voir Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CSC 40, au paragraphe 116, 254 D.L.R. (4th) 200).

[15]            Deuxièmement, la Commission n'a pas tiré de conclusion claire sur la nature du BK. L'avocate du défendeur prétend que la Commission a parfaitement clarifié la nature du BK. Il ne suffisait pas cependant de mentionner, comme la Commission l'a fait, que le BK est « [u]n groupe de militants, que le présent tribunal connaît bien et dont les intentions sont bien documentées » , et qui est actif au Pendjab, pour déterminer les fins de l'organisation. Cette erreur de droit est suffisante pour que la Cour annule la décision contestée et qu'elle renvoie l'affaire à la Commission pour qu'elle rende une nouvelle décision (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Hajialikhani, [1999] 1 C.F. 181, au paragraphe 36, [1998] A.C.F. no 1464 (C.F. 1re inst.) (QL); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Muto, 2002 CFPI 256, au paragraphe 13, [2002] A.C.F. no 318 (QL)).

[16]            Troisièmement, il n'est pas contesté que le BK est une organisation terroriste qui se livre au trafic de drogue pour acheter des armes et des munitions dans la poursuite de son objectif. Je souligne que les trois clauses d'exclusion sont en cause. Quoique le type de drogue transportée par le défendeur soit inconnu, les pièces M-6 ( « Babbar Khalsa International, Terrorist Outfit, Punjab » , à la page 3) et M-5 (à la page 6) indiquent que les profits tirés du commerce de l'héroïne sont utilisés pour financer les activités des sikhs et d'autres militants extrémistes en Inde et que le BK est impliqué dans le trafic de l'héroïne. En ne traitant pas explicitement des alinéas 1Fa) et 1Fc), la Commission a commis une erreur de droit. Le défendeur a admis, bien qu'à contrecoeur, avoir, dans les faits, donné son appui au BK en transportant de la drogue à cinq reprises au cours d'une période de quatre mois. Il était au courant des actes violents commis par le BK. Il ne s'est pas dissocié de cette organisation dès qu'il en a eu la possibilité. Comme les terroristes partaient après lui avoir remis la drogue, il aurait pu s'enfuir. Si la Commission avait observé les règles tirées de la jurisprudence, elle aurait soulevé les questions suivantes : les actes du défendeur - le transport de drogue dans le contexte du trafic de drogue servant à financer l'achat d'armes et de munitions - ont-ils contribué aux actes de violence commis par le BK qui constituent des crimes de droit international (attentats à la bombe, enlèvements, etc.)? Le défendeur aurait-il pu se dissocier de ces crimes? Peut-on considérer qu'il se trouvait devant un danger imminent ou inévitable?

[17]            L'individu qui appartient à une organisation visant principalement des fins limitées et brutales peut être visé par les clauses d'exclusion de la section 1F de la Convention. De toute évidence, la Commission a considéré que le défendeur n'avait pas participé personnellement et sciemment à des activités illégales du BK, parce qu'il était peut-être mineur. La Commission souligne que « [c]ette histoire a débuté quand le demandeur avait dix-sept ans, donc mineur » , mais ce dernier facteur n'a aucune importance, et un tel raisonnement constitue clairement une erreur de droit. Ce qui importe ici, ce n'est pas l'âge du défendeur, mais le degré de sa « participation personnelle et consciente » aux activités d'un groupe soupçonné de crimes de droit international (Bazargan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 205 N.R. 282 (C.A.F.); Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CAF 39, 302 N.R. 178 (C.A.F.)).

[18]            Quatrièmement, en ce qui concerne l'application de l'alinéa 1Fb) de la Convention, la Commission « se demande si le fait d'avoir avoué avoir transporté, ce que [le défendeur] croit être de la drogue, est un crime grave » au sens de la section 1F, étant donné que le défendeur « n'a pas été accusé d'une infraction, ni bien entendu reconnu coupable, et il a coopéré avec la police pour identifier au moins un militant des BK » . Il s'agit clairement d'une erreur de droit. En l'espèce, le défendeur a, dans les faits, admis avoir transporté à plusieurs reprises ce qu'il croit être de la drogue. Dans ce contexte, le fait qu'il n'a pas été accusé ou déclaré coupable et qu'il a coopéré avec les autorités indiennes après avoir été intercepté par la police n'est absolument pas pertinent lorsqu'il faut déterminer s'il existe des « raisons sérieuses de penser » qu'il a commis un « crime grave » .

[19]            Dans Zrig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CAF 178, [2003] A.C.F. no 565 (QL), la Cour d'appel fédérale a répondu par l'affirmative à la question suivante, au paragraphe 3 :

Les principes énoncés par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Sivakumar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1994] 1 C.F. 433 quant à la complicité par association pour les fins de l'application de l'alinéa 1Fa) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés sont-ils applicables aux fins d'une exclusion en vertu de l'alinéa 1Fb) de cette même Convention?

[20]            En fait, selon son exposé circonstancié et son témoignage, le défendeur a transporté à cinq reprises un sac rempli de drogue dans son sac à dos pour le compte du BK. S'il avait fait la même chose au Canada, il aurait pu être poursuivi pour une infraction comme le trafic de drogue qui peut entraîner l'emprisonnement à vie (voir le paragraphe 2(1) et l'article 5 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19). Il n'est pas nécessaire que les dispositions du droit pénal indien et du droit pénal canadien soient parfaitement équivalentes, compte tenu des arrêts Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 4 C.F. 390 (C.A.F.), et Xie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1023, [2004] 2 R.C.F. 372, conf. par 2004 CAF 250, [2005] 1 R.C.F. 304, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2004] C.S.C.R. no 418 (QL), mais on peut se servir des dispositions canadiennes pertinentes pour évaluer la gravité de l'infraction. De plus, selon la pièce M-23 (la loi indienne sur les stupéfiants et les substances psychotropes, aux pages 10, 11 et 13 à 15), si le défendeur avait été accusé de la même infraction en Inde, il aurait pu être déclaré coupable d'une infraction punissable d'un emprisonnement minimal de 10 ans. En fait, les tribunaux ont statué que le trafic de drogue peut constituer un crime grave de droit commun visé à l'alinéa 1Fb) de la Convention : Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 547 (C.F. 1re inst.) (QL), inf. pour d'autres motifs par [2000] 4 C.F. 390 (C.A.F.); Malouf c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 537, conf. pour d'autres motifs par [1995] A.C.F. no 1506 (C.A.F.) (QL); Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, au paragraphe 73, 160 D.L.R. (4th) 193. En l'espèce cependant, la Commission se demande simplement, à deux reprises (à la page 4 de ses motifs), si les actes que le défendeur a admis avoir commis peuvent être considérés comme un crime grave de droit commun, sans jamais répondre précisément à la question. Il s'agit d'une erreur de droit.

[21]            En conclusion, la Commission n'a effectué qu'une analyse superficielle relativement à l'application de la section 1F de la Convention et cette analyse ne peut être maintenue. Compte tenu des graves lacunes relevées dans l'analyse de la Commission qui est exposée ci-dessus, il n'est pas nécessaire que j'examine les autres questions soulevées par le demandeur, soit celles de savoir si la Commission a appliqué incorrectement la défense de contrainte et, en ce qui a trait à ses conclusions générales, si sa conclusion selon laquelle il n'existe pas de PRI viable en l'espèce est manifestement déraisonnable dans les circonstances. J'ajouterai cependant que la défense de contrainte n'est pas facile à faire valoir. La personne qui l'invoque doit établir qu'elle a agi sous la menace d'un réel danger dans le but d'éviter un péril grave et imminent (Ramirez, précité, aux pages 327 et 328; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Hussain, 2002 CFPI 209, au paragraphe 3, [2002] A.C.F. no 274 (C.F. 1re inst.) (QL)).

INSTRUCTIONS

[22]            L'alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, permet au juge saisi d'une demande de contrôle judiciaire de renvoyer l'affaire pour jugement conformément aux instructions qu'il donne. La Cour d'appel a dit ce qui suit dans Turanksaya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 145 D.L.R. (4th) 259, [1997] A.C.F. no 254 (QL) (C.A.F.) au paragraphe 6 :

Les « instructions » que l'alinéa 18.1(3)b) habilite la Section de première instance à donner varieront selon les circonstances de la cause. Si, par exemple, il subsiste des questions de fait à trancher, il conviendrait qu'elle renvoie l'affaire pour nouvelle instruction par le même tribunal ou par un tribunal de composition différente, selon les circonstances de la cause. Tel n'est cependant pas le cas en l'espèce. La seule question à trancher par la Section de première instance était de savoir si la section du statut avait commis une erreur de droit en concluant que l'intimée n'était pas une réfugiée au sens de la Convention parce qu'elle avait une résidence habituelle antérieure en Ukraine. La décision de Mme le juge Simpson indique implicitement que l'affaire était renvoyée pour instruction au vu du dossier. L'appelant n'attaquait devant elle aucune conclusion sur les faits par voie de contrôle judiciaire. Il s'ensuit qu'il n'y a aucune question de fait à résoudre. Nous en concluons que Mme le juge Simpson a exercé son pouvoir discrétionnaire dans les limites de l'alinéa 18.1(3)b) en laissant à la section du statut le soin de se prononcer au fond, étant entendu que l'erreur de droit ayant été rectifiée, elle déclarerait l'intimée réfugiée au sens de la Convention.

[23]            Compte tenu de la conclusion générale tirée précédemment, la décision contestée doit être annulée et l'affaire, renvoyée à la Commission pour qu'elle rende une nouvelle décision. Toutefois, en dépit des erreurs de droit commises par la Commission, la Cour doit s'abstenir de décider si le défendeur est un réfugié au sens de la Convention ou une personne visée à la section 1F de la Convention. La réponse finale à cette question dépend de la nouvelle appréciation des faits que la Commission fera à la lumière des principes juridiques applicables.

[24]            En l'espèce, le demandeur n'a pas contesté les conclusions de la Commission sur la crédibilité du défendeur. En fait, les seules questions importantes qui ont été soulevées devant la Cour avaient trait à des erreurs de droit. Aussi, il serait injuste et inutile dans les circonstances de tenir une nouvelle audience complète devant un autre commissaire, au cours de laquelle le défendeur serait obligé d'exposer à nouveau sa thèse. Par conséquent, je renverrai l'affaire au même commissaire pour que celui-ci réexamine, en se fondant uniquement sur le dossier, les questions à l'égard desquelles la Cour a relevé des erreurs de droit. Cet examen devra être effectué conformément aux principes généraux relatifs au degré de complicité et à l'application des dispositions d'exclusion de la section 1F de la Convention (voir Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306, 89 D.L.R. (4th) 173; Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (C.A.), [1994] 1 C.F. 433, [1993] A.C.F. no 1145 (QL)).

[25]            Par conséquent, en conformité avec le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par l'alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour donne les instructions suivantes à la Commission :

a)       appliquer le critère approprié qui est énoncé dans la jurisprudence mentionnée dans les présents motifs de l'ordonnance pour déterminer s'il existe des « raisons sérieuses de penser » que le défendeur a commis les actes visés par les dispositions d'exclusion de la section 1F de la Convention;

b)       effectuer une analyse suffisante concernant la nature du BK afin de déterminer le degré de participation du défendeur aux activités de cette organisation ou son degré de complicité à l'égard de ces activités. Les facteurs suivants, qui ont été établis par la Cour dans le passé, devront être adaptés à la présente situation : (1) la nature de l'organisation; (2) le mode de recrutement; (3) le poste ou le grade de l'individu au sein de l'organisation; (4) la connaissance qu'avait l'individu des atrocités commises par l'organisation; (5) la durée du temps passé par l'individu au sein de l'organisation; (6) la possibilité que l'individu a eue de quitter l'organisation (voir Ali c. Solliciteur général, 2005 CF 1306, [2005] A.C.F. no 1590, et la jurisprudence mentionnée dans les présents motifs);

c)       traiter en particulier des alinéas 1Fa) et 1Fc) de la Convention;

d)       déterminer si les actes que le défendeur a admis avoir commis peuvent être considérés comme un crime grave de droit commun au sens de l'alinéa 1Fb) de la Convention;

e)       procéder au réexamen de la présente affaire sans porter atteinte au droit du demandeur de démontrer que la défense de contrainte ne s'applique pas ou qu'il existe une PRI viable;

f)         fournir par écrit des motifs supplémentaires justifiant sa décision de reconnaître que le défendeur est un réfugié au sens de la Convention, ou encore de l'exclure en vertu de la section 1F de la Convention et/ou de conclure qu'il a une PRI viable, selon le cas.

[26]            Aucune question de portée générale n'a été proposée à des fins de certification et aucune ne sera certifiée par la Cour en l'espèce.

« Luc Martineau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-2003-05

INTITULÉ :                                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L'IMMIGRATION

                                                                        c.

                                                                        AKASH DEEP SINGH MAAN

LIEU DE L'AUDIENCE :                              MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 29 NOVEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                                   LE 9 DÉCEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Annie Van Der Meerschen                                 POUR LE DEMANDEUR

Odette Desjardins                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John H Sims, c.r.                                               POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Odette Desjardins                                              POUR LE DÉFENDEUR

Montréal (Québec)


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