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Date : 20221108


Dossier : IMM-3879-21

Référence : 2022 CF 1522

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 novembre 2022

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

PARGAT SINGH BRAR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Pargat Singh Brar (M. Brar), a présenté une demande de permis de travail dans le cadre du Programme de mobilité internationale en 2019, dans l’espoir de rejoindre son épouse qui se trouvait au Canada en vertu d’un permis de travail postdiplôme. Un agent des visas du Haut-commissariat du Canada à New Delhi (l’agent) a rejeté la demande de permis de travail de M. Brar et a jugé qu’il était interdit de territoire pour fausses déclarations au titre de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. L’agent a conclu que M. Brar avait fait une fausse déclaration en omettant de révéler que les États-Unis d’Amérique [les États-Unis] avaient refusé de lui délivrer un visa de visiteur. Dans sa demande de contrôle judiciaire, M. Brar conteste la conclusion de l’agent relative à la fausse déclaration.

[2] L’interdiction de territoire pour fausses déclarations a des conséquences sérieuses pour M. Brar. Elle signifie que, pendant cinq ans, il ne peut entrer en sol canadien ni demander la résidence permanente au Canada.

[3] M. Brar soutient que l’agent n’a pas tenu compte de façon raisonnable de l’explication qu’il a donnée, soit que la fausse déclaration découlait d’une erreur de bonne foi de sa part, puisqu’il ne savait pas que le visa de visiteur lui avait été refusé. Il fait valoir également que l’agent a rejeté, déraisonnablement, ses arguments relatifs aux difficultés qui lui seraient causées.

[4] À l’audience relative au contrôle judiciaire, il est apparu clairement que le dossier certifié du tribunal contenait peu de renseignements sur la prétendue fausse déclaration. La seule information au dossier était une remarque consignée dans les notes de l’agent indiquant qu’il y avait eu un [traduction] « refus aux États-Unis ». Aucune précision n’est donnée sur la façon dont l’agent a obtenu l’information, la date exacte du refus ni la manière dont ce refus a été prononcé ou communiqué à M. Brar.

[5] À mon avis, le fait que l’agent a omis de décrire clairement la prétendue fausse déclaration rend la décision déraisonnable, surtout que le demandeur a déclaré ne pas avoir eu connaissance du refus et qu’il continue de n’avoir aucune information à ce sujet. Après avoir examiné les motifs de l’agent, la lettre d’équité procédurale, le dossier certifié du tribunal et les éléments de preuve présentés par M. Brar, je ne suis pas convaincue que l’élément central, c’est-à-dire la fausse déclaration, a été établi. La décision de l’agent manque de transparence et de justification quant à l’existence d’une fausse déclaration, et elle est donc déraisonnable.

[6] Pour les motifs exposés ci-dessous, j’accueillerai la demande de contrôle judiciaire.

II. Les questions en litige et la norme de contrôle

[7] La seule question à trancher dans le présent contrôle judiciaire est celle de savoir s’il était raisonnable pour l’agent de conclure que M. Brar était interdit de territoire pour fausse déclaration parce qu’il avait omis de signaler dans sa demande de permis de travail qu’un visa lui avait été refusé par les États-Unis.

[8] Les deux parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a confirmé que la norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer au contrôle des décisions administratives sur le fond. La présente affaire ne soulève aucune question qui justifierait de s’écarter de cette présomption.

III. Analyse

[9] Afin de conclure qu’une personne est interdite de territoire pour fausses déclarations au titre de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, l’agent doit d’abord déterminer que cette personne a fait une présentation erronée et ensuite que cette présentation portait sur un fait important, ce qui risquait d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR.

[10] Une conclusion d’interdiction de territoire pour fausse déclaration a des conséquences sérieuses pour un demandeur. En effet, l’interdiction de territoire court pour les cinq ans suivant la décision, période pendant laquelle l’intéressé ne peut pas présenter de demande de résidence permanente et doit obtenir l’autorisation du ministre pour entrer au Canada (art 40(2) et 40(3) de la LIPR). Notre Cour a conclu par le passé que, en raison de ces conséquences sérieuses, il ne faut pas tirer de conclusion relative à une fausse déclaration en l’absence d’une preuve claire et convaincante (Xu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 784 au para 16; Chughtai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 416 au para 29), que l’obligation en matière d’équité procédurale est plus stricte (Likhi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 171 au para 27) et aussi que les motifs du décideur doivent refléter les graves conséquences pour l’intéressé (Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 FC 1441 au para 7; Vavilov, au para 133).

[11] La conclusion de l’agent relative à la fausse déclaration se fondait sur l’omission, par M. Brar, de mentionner le refus des États-Unis de lui délivrer un visa. M. Brar affirme qu’il n’a jamais su qu’on lui avait refusé ce visa de visiteur et ne pouvait donner aucune information lui permettant de confirmer le refus en question.

[12] Sur sa demande de visa de travail, M. Brar a répondu « Oui » à la question [traduction] « Vous a‑t‑on déjà refusé un visa ou un permis, interdit l’entrée ou demandé de quitter le Canada ou tout autre pays ou territoire? ».

[13] Le Haut-commissariat du Canada a envoyé une lettre d’équité procédurale à M. Brar indiquant ce qui suit : [TRADUCTION] « Vous avez omis de donner des réponses complètes aux questions obligatoires; plus précisément, vous n’avez pas mentionné qu’on vous avait déjà refusé un visa, interdit l’entrée ou demandé de quitter un autre pays. Veuillez expliquer pourquoi cette information n’a pas été communiquée et fournir des copies de documents corroborant votre réponse, notamment des lettres de refus ou toute autre correspondance. »

[14] La lettre d’équité procédurale ne mentionnait pas la fausse déclaration spécifiquement reprochée à M. Brar. Notre Cour a expliqué dans plusieurs décisions que la teneur des fausses déclarations doit être précisée pour que le demandeur sache à quoi il doit répondre (Bayramov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 256 au para 15). M. Brar a présumé que l’agent faisait référence à la demande de visa de visiteur qu’il a présentée aux États-Unis en 2016. Le seul autre visa demandé par M. Brar est celui qui est l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[15] En réponse à la lettre d’équité procédurale, M. Brar a présenté une lettre de son consultant en immigration et une lettre de son épouse. Le consultant en immigration a indiqué que M. Brar avait demandé un visa de visiteur aux États-Unis en 2016 et a fourni l’avis de convocation à l’entrevue à ce sujet, laquelle s’est déroulée en juin 2016. Il a précisé que M. Brar n’avait pas été avisé d’un refus lors de son entrevue et qu’il n’a pas été informé par la suite du rejet de sa demande de visa de visiteur. Après avoir reçu la lettre d’équité procédurale, M. Brar et son épouse ont aussi communiqué avec leur ancien agent de voyages, dont ils avaient reçu l’aide pour demander le visa de visiteur aux États-Unis, et ont appris que l’agence de voyages n’avait pas reçu de refus relatif à ce visa.

[16] Le consultant de M. Brar a fait savoir également que, après l’entrevue relative à la demande de visa de visiteur aux États-Unis, [traduction] « les plans de voyage de M. Brar ont été annulés ». Le mémoire du demandeur précise que M. Brar [traduction] « a communiqué sa décision de ne pas se rendre aux États-Unis à son agent de voyages, qui a alors annulé la demande de visa ». Comme je l’ai souligné à l’audience, cette information figure dans l’affidavit de M. Brar déposé aux fins du présent contrôle judiciaire. Cependant, la preuve dont disposait l’agent n’est pas claire; on peut y lire seulement que [traduction] « les plans de voyage de M. Brar ont été annulés », sans qu’il soit précisé que M. Brar avait demandé à son agent de voyages d’annuler sa demande de visa. Comme je l’ai expliqué à l’avocate du demandeur à l’audience, les renseignements contenus dans l’affidavit ne peuvent être présentés à notre Cour, car ils n’entrent pas dans une des exceptions permettant d’admettre de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 20). Je souligne que je ne me suis pas fondée sur les renseignements contenus dans l’affidavit pour parvenir à ma décision.

[17] En réponse à la lettre d’équité procédurale, M. Brar fait donc valoir essentiellement qu’il n’était pas au courant du rejet de sa demande de visa de visiteur : il n’a jamais reçu de lettre de refus, ne savait pas que sa demande avait été rejetée et continue de n’avoir aucune information à ce sujet. M. Brar présume qu’il est possible que son ancien agent de voyages ait pu l’induire en erreur et avoir omis de lui transmettre la lettre de refus, mais il n’y a aucune admission de la part de l’agent de voyages en ce sens.

[18] À l’audience, j’ai demandé à l’avocat du défendeur de m’indiquer quelle pièce au dossier montre que la demande de visa de visiteur de M. Brar a été rejetée. L’avocat a pu trouver une seule mention, soit le commentaire suivant dans les notes de l’agent, rédigé avant l’envoi de la lettre d’équité procédurale : [TRADUCTION] « Le demandeur principal n’a pas déclaré le refus des États-Unis de lui délivrer un visa de visiteur. » Comme je l’ai précisé, la lettre d’équité procédurale ne donne aucun détail relativement à la prétendue fausse déclaration. Ni M. Brar ni son ancien agent de voyages n’ont admis avoir reçu de lettre indiquant un refus de délivrer le visa de visiteur. Dans ses motifs, l’agent décrit la fausse déclaration comme suit : [TRADUCTION] « Le demandeur n’a pas déclaré que les États-Unis avaient refusé de lui délivrer un visa en 2016 et a clairement répondu sur son formulaire de demande qu’il ne s’était jamais fait refuser de visa dans aucun pays. » L’année 2016 est mentionnée, mais sans date précise. Je souligne que M. Brar lui-même a fourni sa lettre de convocation à une entrevue, lettre qui était datée du 21 janvier 2016.

[19] En raison des conséquences sérieuses d’une conclusion de fausse déclaration, que je mentionne plus haut, je suis d’avis que l’agent a négligé de fournir suffisamment de détails sur la fausse déclaration alléguée, compte tenu surtout du fait que M. Brar a présenté des éléments de preuve démontrant qu’il n’avait jamais reçu de lettre de refus. Cette omission de l’agent a non seulement des conséquences sur la capacité du demandeur de répondre pleinement à l’allégation, mais elle amène la Cour, qui révise la décision et examine le dossier, à douter du bien-fondé de la décision de l’agent. Cette décision n’était pas transparente ni justifiée pour ce qui est d’établir qu’il y avait eu fausse déclaration.

[20] La demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3879-21

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La décision de l’agent datée du 21 avril 2021 est annulée.

  2. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

  3. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Lobat Sadrehashemi »

Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Corbeil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3879-21

 

INTITULÉ :

PARGAT SINGH BRAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 OCTOBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 8 NOVEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Veena C Gupta

 

POUR LE DEMANDEUR

Nick Continelli

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nanda & Associate Lawyers Professional Corporation

Mississauga (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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