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Date : 20221102


Dossier : T-1164-21

Référence : 2022 CF 1498

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

Ottawa (Ontario), le 2 novembre 2022

En présence de madame la juge Fuhrer

ENTRE :

MICHAELS OF CANADA, ULC

demanderesse
(intimée)

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur
(requérant)

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le procureur général du Canada [le PGC] présente une requête en radiation de l’avis de demande de contrôle judiciaire, déposé par Michaels of Canada, ULC [MoC], du rapport final (défini ci-dessous) produit à la suite d’une vérification de l’observation commerciale des déclarations de la « valeur en douane » que MoC a faites en vertu de la Loi sur les douanes, LRC 1985, c 1 (2e supp) [la Loi].

[2] Le PGC fait valoir que la Cour fédérale n’est pas compétente ou, subsidiairement, si elle est compétente, que la demande de contrôle judiciaire de MoC est prématurée parce que MoC n’a pas encore épuisé les recours à sa disposition prévus par la Loi.

[3] Je suis d’accord avec le PGC pour dire que la Cour n’est pas compétente en l’espèce et que, en outre, MoC n’a pas encore épuisé les recours à sa disposition prévus par la Loi. La requête en radiation du PGC est donc accueillie, pour les motifs exposés plus en détail ci‑dessous.

II. Contexte

(1) Régime de vérification de l’observation commerciale

[4] Les dispositions législatives applicables dont il est question ci‑dessous sont reproduites à l’annexe « A ».

[5] L’article 32 de la Loi oblige les importateurs à déclarer en détail les marchandises qu’ils importent et à acquitter les droits dus sur ces marchandises avant qu’elles ne soient dédouanées. Cette déclaration en détail comprend la déclaration de la « valeur en douane » des marchandises importées au sens du paragraphe 2(1), à savoir la valeur qui est déterminée conformément aux articles 47 à 55.

[6] Le paragraphe 32.2(2) de la Loi exige que les importateurs corrigent eux‑mêmes toute inexactitude dans les 90 jours suivant la date à laquelle ils ont des « motifs de croire » que la déclaration de la valeur en douane des marchandises est inexacte. Selon le paragraphe 32.2(4), cette obligation d’autocorrection prend fin quatre ans après la déclaration en détail initiale des marchandises importées faite par l’importateur.

[7] Quiconque omet de se conformer à une disposition de la Loi ou d’un règlement désigné est passible, en vertu de l’article 109.1, d’une pénalité maximale de vingt-cinq mille dollars fixée par le ministre et, le cas échéant, d’une cotisation établie par un agent conformément à l’article 109.3.

[8] Un importateur peut demander à l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC], qui applique et exécute la Loi, de lui remettre une décision nationale des douanes. Il s’agit d’une déclaration écrite qui explique comment les dispositions de la Loi s’appliqueront aux marchandises importées au Canada en fonction des renseignements fournis par l’importateur au moment de la demande; autrement dit, la décision nationale des douanes peut fournir une orientation à l’importateur sur la façon de s’assurer que ses déclarations de valeur en douane sont exactes. Elle peut également susciter des « motifs de croire ». Une décision nationale des douanes est valide jusqu’à ce qu’elle soit modifiée ou révoquée par l’ASFC; tant que cela ne se produit pas, elle est considérée comme étant contraignante à la fois pour l’ASFC et pour l’importateur.

[9] Une révocation de la part de l’ASFC peut s’appliquer rétroactivement aux marchandises importées avant la révocation s’il y a eu « une fausse déclaration[…] ou [si] des faits importants [ont] été omis » dans la demande de décision nationale des douanes de l’importateur, ou encore s’il y a eu un changement dans les circonstances ou dans les faits importants sur lesquels reposait la décision et l’ASFC n’en a pas été avisée. Dans les deux cas, la décision nationale des douanes peut être révoquée rétroactivement à la date de la fausse déclaration, de l’omission ou du changement. Quoi qu’il en soit, selon l’article 32.2, l’obligation de l’importateur de corriger les déclarations faites après la date de la révocation rétroactive est limitée à quatre ans.

[10] Conformément à l’article 42.01, l’ASFC procède périodiquement à des vérifications pour veiller au respect de la Loi. Dans le cadre de ce processus de vérification de l’observation commerciale, l’ASFC examine les déclarations faites par les importateurs au cours d’une période de vérification donnée. Les vérifications peuvent donner lieu à un rapport provisoire et, à la suite de la présentation d’éventuelles observations additionnelles de l’importateur, à un rapport final, voire à un rapport final révisé, si d’autres observations sont examinées et prises en compte.

[11] Le rapport final peut faire état des corrections à apporter aux déclarations de l’importateur et créer l’obligation d’effectuer des corrections, conformément à l’article 32.2 de la Loi. Autrement dit, tout comme la décision nationale des douanes, le rapport final peut susciter des « motifs de croire ».

[12] En vertu du paragraphe 32.2(3), une correction effectuée par l’importateur est assimilée à la révision de la valeur en douane faite par l’ASFC prévue à l’alinéa 59(1)a) de la Loi; l’ASFC est habilitée, en vertu de cette dernière disposition, à effectuer les corrections si l’importateur ne le fait pas. Cette révision – qu’elle soit effectuée par l’ASFC en vertu de l’alinéa 59(1)a) ou par l’importateur pour respecter son obligation aux termes de l’article 32.2 – donne lieu à la délivrance par l’ASFC d’un avis de révision à l’importateur, appelé « relevé détaillé de rajustement ».

[13] En résumé, à l’issue de la vérification, l’agent chargé de la vérification de l’ASFC (i) détermine si l’importateur a déclaré la valeur en douane exacte des marchandises importées examinées, (ii) peut infliger des sanctions pécuniaires pour toute infraction à la Loi découverte, (iii) peut fournir une orientation à l’importateur, en fonction de sa situation, concernant l’application de la Loi, (iv) peut déterminer la période de nouvelle cotisation précise qui s’applique aux erreurs relevées (c.‑à‑d. il peut modifier le délai légal conformément à la Politique sur l’établissement d’une nouvelle cotisation de l’ASFC), et (v) peut notamment exercer les pouvoirs prévus au paragraphe 59(1) de la Loi et réviser la valeur en douane pour des opérations données (plutôt que, ou en plus, d’obliger l’importateur à effectuer lui-même des corrections).

[14] Le processus d’appel des décisions rendues à la suite d’une révision comporte trois niveaux d’examen, prévus aux articles 60, 67 et 68 de la Loi. La Loi exige qu’à la suite de la délivrance d’un relevé détaillé de rajustement, l’importateur qui souhaite entamer une contestation du relevé détaillé de rajustement paie immédiatement les montants indiqués, ou donne la garantie du versement de ces montants. Le premier niveau de révision ou de réexamen est celui du président de l’ASFC (article 60), suivi de la possibilité d’un appel devant le Tribunal canadien du commerce extérieur [le TCCE] (paragraphe 67(1)). Le dernier niveau est un appel devant la Cour d’appel fédérale (article 68).

[15] Comme l’a fait observer récemment notre Cour, le droit d’appel conféré par l’article 60 de la Loi (qui constitue la première étape du processus de révision prévu par la Loi) s’applique aux décisions prises en vertu de l’article 59 concernant l’origine, le classement tarifaire, la valeur en douane ou le marquage des marchandises : 9209654 Canada Inc. c Canada (Agence des services frontaliers du Canada), 2022 CF 1390 au para 26.

(2) Activités de MoC et importations au Canada

[16] MoC est un détaillant de produits de marque privée et de produits de marque tierce dans le domaine des fournitures artistiques et artisanales et des produits d’encadrement sur mesure [les marchandises] qu’elle vend aux consommateurs par l’entremise de ses magasins de détail à l’échelle du Canada. MoC est une filiale canadienne de Michaels Stores Inc. [MSI], une société des États-Unis d’Amérique [É.-U.] qui est le plus grand détaillant spécialisé en art et artisanat en Amérique du Nord.

[17] Depuis 2004, MoC achète de Michaels Stores Procurement Company, Inc. [MSPC], une autre filiale de MSI, la quasi-totalité des marchandises qu’elle vend. MoC achète le reste, des produits de marque tierce, auprès de fournisseurs tiers.

[18] MoC est également censée détenir sous licence certains droits de propriété intellectuelle de MSPC à l’égard (i) des marques de commerce, des noms commerciaux, etc. [les marques] et (ii) des concepts de vente au détail tels que les systèmes commerciaux, l’aménagement des magasins, le placement des produits, les campagnes saisonnières, etc. [le concept] qui établissent une cohérence entre les magasins de MoC au Canada et aux É.-U. Le modèle commercial de MoC prévoit la poursuite d’une stratégie de vente au détail élaborée et soutenue par MSI et MSPC, en particulier par l’utilisation du concept.

[19] De 2003 à février 2018, MoC a payé MSPC pour utiliser sous licence les marques et le concept, aux termes d’un contrat de licence unique qui prévoyait une formule comportant une composante fixe et une composante résiduelle ou « variable ».

[20] Selon l’avis de demande, MoC et MSPC ont modifié leur entente en 2018. Elles ont conclu deux contrats de licence, l’un pour les marques et l’autre pour le concept, avec des paiements distincts correspondants. Les droits de licence pour le concept consistent en une composante fixe, comprenant un pourcentage fixe des ventes mensuelles nettes, et une composante variable ou résiduelle, fondée sur le rendement ou, plus précisément, sur la marge d’exploitation de MoC. La modification n’avait toutefois pas pour but de toucher les biens incorporels couverts.

(3) Historique procédural et décision en cause

[21] Selon une décision nationale des douanes rendue en 2006, MoC avait le droit d’utiliser la méthode de la valeur transactionnelle (décrite à la partie III de la Loi), et les droits de licence que MoC devait payer à MSPC au titre du contrat de licence n’étaient pas passibles de droits de douane [décision nationale des douanes de 2006]. MoC affirme dans son avis de demande que l’agent chargé de rendre la décision a considéré qu’aucun des paiements effectués aux termes du contrat de licence de 2003 n’était passible de droits de douane. MoC a évalué la valeur en douane de ses importations conformément à la décision nationale des douanes de 2006 jusqu’à ce que celle-ci soit révoquée et remplacée par le rapport final (défini ci-dessous).

[22] L’ASFC a procédé à une vérification de l’observation des déclarations de MoC concernant la « valeur en douane » des marchandises qu’elle avait importées entre le 3 février 2018 et le 2 février 2019, et elle a présenté un rapport provisoire en novembre 2020 et un rapport final en avril 2021.

[23] L’ASFC a déterminé que les droits de licence prévus par les contrats de licence de 2018 devaient être inclus dans le calcul de la valeur en douane effectué par MoC, ces montants constituant un « produit ultérieur » visé au sous-alinéa 48(5)a)(v) de la Loi, et a exigé de MoC qu’elle apporte des corrections à des déclarations remontant aux contrats de 2018. L’ASFC n’avait toutefois pas tenu compte de la décision nationale des douanes de 2006. Lorsque MoC a porté la décision nationale des douanes de 2006 à l’attention de l’ASFC, cette dernière a présenté le rapport final révisé le 25 juin 2021, sous la forme d’un courriel explicatif [ensemble, le rapport final].

[24] Le rapport final fait état de deux questions. La question n° 1 concerne la composante variable (ou résiduelle) des droits de licence pour le concept, tandis que la question n° 2 concerne la composante fixe des droits de licence pour le concept. Les droits de licence pour les marques ne sont pas en cause.

[25] En ce qui concerne la question n° 1, l’agent chargé de la vérification a constaté que le contrat de licence de 2018 relatif au concept modifiait le mode de fonctionnement de la composante variable ou résiduelle. Aux termes du contrat de licence de 2003, MoC ne devait payer à MSPC qu’un montant à négocier. Aux termes du contrat de licence de 2018 relatif au concept, il était possible, selon l’agent, que MSPC paie MoC pour qu’elle utilise le concept si la marge d’exploitation de MoC tombait sous d’un certain niveau, ce qui est illogique comme paiement pour des biens incorporels. (L’agent a également conclu que les éléments visant les droits exclusifs relatifs au concept n’étaient pas des [traduction] « biens en droit, des marques de commerce déposées ou un procédé de fabrication exclusif secret ».) L’agent a conclu que cela représentait un changement des faits importants sur lesquels reposait la décision nationale des douanes de 2006, ce qui justifiait sa révocation avec effet rétroactif.

[26] De plus, il a été conclu qu’à la date du contrat de 2018 relatif au concept, MoC disposait de [traduction] « renseignements précis » (en l’occurrence le sous-alinéa 48(5)a)(v) de la Loi exige que le produit des ventes ultérieures des marchandises soit inclus dans la valeur en douane) lui donnant des « motifs de croire », conformément à l’article 32.2, que ses déclarations étaient inexactes, de sorte que des corrections devaient être apportées, dans un délai de 90 jours, à toutes les déclarations remontant à la date du contrat de licence de 2018, [traduction] « pour une période maximale de quatre ans après la déclaration en détail des marchandises comme le prévoit la Loi sur les douanes ».

[27] En ce qui concerne la question no 2, l’agent chargé de la vérification a constaté qu’il n’y avait pas eu de changement important dans le fonctionnement de la composante fixe des droits de licence pour le concept entre le contrat de licence de 2003 et le contrat de licence de 2018 relatif au concept. La décision nationale des douanes de 2006 a donc continué à s’appliquer à cette composante, de sorte qu’il était approprié que cette composante soit exclue du calcul de la valeur en douane dans les déclarations faites au cours de la période de vérification. MoC n’avait aucun « motif de croire » que ses déclarations étaient inexactes. Selon la politique de l’ASFC, MoC ne devait tenir compte de ces droits que dans les déclarations futures, c’est-à-dire à partir de la date du rapport final, conformément à la révocation de la décision nationale des douanes de 2006.

[28] Enfin, l’agent chargé de la vérification a informé MoC de ses droits d’appel en vertu de la Loi, droits qui sont déclenchés une fois que MoC présente les corrections requises et que l’ASFC délivre un relevé détaillé de rajustement.

(4) Avis de demande

[29] Dans son avis de demande ultérieur dans lequel elle conteste le rapport final, MoC soutient que l’agent chargé de la vérification a déraisonnablement interprété de façon étroite la portée de la décision nationale des douanes de 2006 et a déterminé à tort qu’il y avait eu un changement dans les faits importants au cours de la période qui a suivi la délivrance de la décision nationale des douanes de 2006. En outre, MoC soutient que l’agent chargé de la vérification a conclu à l’existence de « motifs de croire » visés à l’article 32.2 de la Loi de façon déraisonnable, inéquitable sur le plan de la procédure et préjudiciable à MoC.

[30] Plus précisément, MoC soutient au regard de la présente requête que l’agent chargé de la vérification a commis une erreur dans (i) l’interprétation de la décision nationale des douanes de 2006, (ii) la détermination de la [traduction] « date des renseignements précis » qui ont donné à l’importateur des « motifs de croire » que ses déclarations étaient inexactes, et (iii) la portée temporelle des nouvelles cotisations ordonnées, dans la mesure où ces questions interdépendantes concernent le traitement différentiel de la question no 1 et de la question no 2 dans le contexte des corrections rétrospectives. En outre, MoC fait valoir que la date des renseignements précis pertinente pour la question n° 1 était la date de la déclaration détaillée (c.‑à‑d. la date du contrat de licence de 2018 relatif au concept, date à laquelle MoC savait ou aurait dû savoir que ses déclarations de valeur en douane concernant la composante résiduelle étaient inexactes), tandis que la date des renseignements précis pertinente pour la question n° 2 était la date du rapport final. Aucune correction rétrospective n’était toutefois requise en ce qui concerne la composante fixe des droits de licence pour le concept; ainsi, moins de quatre ans de corrections étaient nécessaires dans les deux cas, contrairement au paragraphe 32.2(4) de la Loi. Je prends note que le rapport final exige qu’il soit apporté des corrections, peu importe qu’il y ait ou non des répercussions financières.

[31] Selon MoC, les conclusions relatives à la « valeur en douane » que l’ASFC a tirées dans le rapport final ne sont pas en cause dans l’avis de demande, ces conclusions étant les suivantes : a) la méthode de la valeur transactionnelle utilisée pour calculer la valeur en douane est la bonne méthode; b) la composante variable des droits de licence pour le concept est un « produit ultérieur » visé au sous‑alinéa 48(5)a)(v) de la Loi parce que la méthodologie utilisée pour les calculer ressemblait à la méthode employée pour ajuster le prix de vente intersociétés des marchandises; c) le concept de vente au détail n’est pas un bien incorporel pour lequel un importateur peut payer des droits de licence (non passible de droits de douane).

[32] Pour sa part, le PGC soutient que le rapport final n’a pas d’incidence sur MoC et ne lui impose pas non plus d’obligations légales (en d’autres termes, il ne s’agit pas d’une « décision » en tant que telle), mais qu’il avise plutôt MoC de la manière dont l’ASFC exercera son pouvoir légal (c.-à-d. en délivrant un relevé détaillé de rajustement en vertu de l’article 59) une fois que MoC aura déposé ou se sera abstenue de déposer les corrections que l’ASFC a jugées nécessaires en vertu de la Loi.

III. Questions en litige

[33] Après avoir examiné les documents écrits et les observations orales des parties, je conclus que les questions que la Cour doit trancher relativement à la présente requête sont de deux ordres :

IV. Analyse

[34] Je suis convaincue que le PGC a satisfait au critère requis pour la radiation d’une demande. Plus précisément, le PGC a établi que la demande de contrôle judiciaire de MoC n’a aucune chance de succès ou qu’elle est « vouée à l’échec » : McLaughlin c Canada (Procureur général), 2022 CF 1466 au para 15 (citant Rahman c Commission des relations de travail dans la fonction publique, 2013 CAF 117 [Rahman] au para 7; Wenham c Canada (Procureur général), 2018 CAF 199 au para 33.

[35] Notre Cour a reconnu qu’une requête en radiation d’une demande impose un lourd fardeau au requérant : David Bull Laboratories (Canada) Inc. c Pharmacia Inc., 1994 CanLII 3529 (CAF), [1995] 1 CF 588, [1994] ACF no 1629 (QL). Le PGC doit établir que l’avis de demande est « manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli », que la demande est entachée d’un vice si fondamental qu’il porterait atteinte à la capacité de la Cour d’instruire la demande : Canada (Revenu national) c JP Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250 [JP Morgan] au para 47; Murphy c Canada (Procureur général), 2022 CF 146 [Murphy] au para 9, citant la décision Rahman, précitée, au para 8.

[36] Pour reprendre les mots de la juge adjointe (anciennement appelée protonotaire) Tabib, le défaut, de la part d’une partie, d’avoir épuisé tous les recours administratifs efficaces qui sont à sa disposition est un exemple d’un vice fondamental qui justifie le rejet de la demande au stade préliminaire en l’absence de circonstances exceptionnelles : décision Murphy, précitée, au para 10, citant Canada (Agence des services frontaliers) c C.B. Powell Limited), 2010 CAF 61 au para 31). Conformément au principe selon lequel un vice fondamental doit être évident, un avis de demande ne peut toutefois pas être annulé au motif qu’il est prématuré, à moins que la Cour ne soit certaine qu’un recours est possible ailleurs, maintenant ou plus tard, et que ce recours est approprié et efficace : arrêt JP Morgan, précité, au para 91; décision Murphy, précitée, au para 11.

A. La Cour fédérale a-t-elle compétence?

[37] Je ne suis pas convaincue que, dans les circonstances de l’espèce, la Cour a la compétence que MoC l’exhorte d’exercer.

[38] Les deux parties cherchent à tracer une ligne de démarcation nette, pour des raisons différentes toutefois, entre le rapport final et le relevé détaillé de rajustement, une ligne qui, à mon avis, est impossible de tracer ou, au mieux, est floue. D’une part, le PGC fait valoir que MoC n’est pas directement touchée par les conclusions du rapport final et qu’elle n’est pas légalement tenue d’y répondre ou de répondre au rapport final. Or, le relevé détaillé de rajustement concrétise le rapport final; la remise de ce relevé entraîne une décision administrative qui [traduction] « touche directement » MoC en l’obligeant à verser immédiatement le montant des droits impayés et les intérêts, s’ils n’ont pas été payés à la suite de toute correction effectuée en vertu de l’article 32.2.

[39] En réponse, MoC soutient que le rapport final suscite des « motifs de croire », au sens du paragraphe 32.2(1) de la Loi, et, par conséquent, une obligation (« doit ») d’effectuer une correction et de payer tout montant dû au titre des droits. Le PGC a reconnu lors de l’audience que la Cour (mais pas nécessairement la Cour fédérale, à mon avis) devra un jour trancher les nouvelles questions soulevées par MoC. En outre, je note que lorsque l’importateur effectue une correction en vertu du paragraphe 32.2(1), cette correction est assimilée, selon le paragraphe 32.2(3), à la révision prévue à l’alinéa 59(1)a), qui peut à son tour faire l’objet d’une demande de réexamen adressée au président de l’ASFC en vertu de l’article 60, comme première étape du processus d’appel ou de révision envisagé par la Loi.

[40] Bien que je sois sensible à l’argument de MoC, je ne suis pas convaincue qu’il existe, entre le rapport final et le relevé détaillé de rajustement, la ligne de démarcation nette que l’une ou l’autre des parties cherche à tracer. En particulier, MoC soutient que les questions qu’elle soulève dans la demande de contrôle judiciaire ne seront pas examinées par d’autres voies parce que le TCCE a conclu que la question des « motifs de croire » n’est pas pertinente pour ce qui est de déterminer si la « valeur en douane » a été correctement établie. Je ne suis toutefois pas d’accord pour dire que la décision du TCCE Jockey Canada Company c Président de l’Agence des services frontaliers du Canada, 2012 CanLII 85177 (CA TCCE), 2012 TCCE, appel no AP‑2011-008 [Jockey TCCE], appuie réellement cette affirmation.

[41] La décision Jockey TCCE découlait d’une décision antérieure de la Cour fédérale dans laquelle Jockey Canada Company Limited [JCC], de façon analogue à MoC, avait tenté de contester une décision de l’ASFC selon laquelle JCC avait « des motifs de croire », en vertu de l’article 32.2 de la Loi, que sa méthode d’évaluation des marchandises importées était inexacte : Jockey Canada Company Limited c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 396 [Jockey CF] au para 2. À la suite de la décision de l’ASFC, JCC a été tenue d’effectuer des corrections sur une période de quatre ans, de 2009 –année où l’ASFC a rendu la décision – à 2005.

[42] Après avoir examiné la jurisprudence applicable, le juge Mandamin (qui ne siège plus) a conclu que le système de révision prévu par la Loi écartait un contrôle judiciaire exercé par la Cour fédérale aux termes de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7. Autrement dit, en ce qui concerne les affaires qui relevaient du président de l’ASFC puis du TCCE, l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales s’applique, en raison de l’alinéa 28(1)e), aux appels subséquents des décisions du TCCE devant la Cour d’appel fédérale : décision Jockey CF, précitée, aux para 21-26, 30.

[43] À la suite de la décision Jockey CF, le TCCE a été saisi de l’affaire. MoC souligne la conclusion suivante du TCCE à l’appui de son argument selon lequel le TCCE a statué que la question des « motifs de croire n’est pas pertinente pour déterminer la « valeur en douane » (Jockey TCCE, au para 262) :

Le Tribunal convient avec l’ASFC que la question de savoir si c’est en 2009 ou en 2005 que JCC a eu des « motifs de croire » n’a aucune incidence sur la question de savoir si l’ASFC a correctement révisé la valeur en douane des marchandises en cause, laquelle représente la question juridique de fond sur laquelle le Tribunal doit se prononcer dans le cadre du présent appel aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi.

[44] Pour en arriver à cette conclusion, le TCCE a toutefois reconnu l’argument suivant de l’ASFC (Jockey TCCE, au para 256) :

[…] la question des « motifs de croire » entre en jeu uniquement après qu’elle a déterminé qu’une déclaration donnée est inexacte. Cette question peut, dans certaines circonstances, être pertinente pour établir la date jusqu’à laquelle les corrections doivent remonter, mais en l’espèce, bien que les décisions qui font l’objet du présent appel mentionnent que JCC avait des « motifs de croire » dès 2005 que ses déclarations de la valeur en douane étaient inexactes, ce fait n’a pas servi en l’espèce à déterminer la durée de la période de nouvelle cotisation des droits de douane puisque, aux termes du paragraphe 32.2(2) de la Loi, l’obligation des importateurs de corriger leurs déclarations concernant le classement tarifaire, la valeur en douane ou l’origine des marchandises importées prend fin quatre ans après que ces marchandises ont fait l’objet d’une déclaration en détail.

[Non souligné dans l’original.]

[45] Le TCCE a par ailleurs ajouté que « les droits additionnels dus par JCC et perçus à la suite des révisions de la valeur en douane des marchandises en cause découlent des résultats de la vérification de l’ASFC et n’ont pas été imposés pour le motif que JCC avait des “motifs de croire”, en 2005, que ses déclarations de la valeur en douane étaient inexactes » : décision Jockey TCCE, précitée, au para 284.

[46] Contrairement à ce que soutient MoC, je ne suis donc pas convaincue que le TCCE refuserait catégoriquement d’examiner la question des « motifs de croire » dans le contexte de la « valeur en douane » (c.‑à‑d. l’un des quatre points précis que le président de l’ASFC peut aborder en vertu du paragraphe 60(1) de la Loi) en raison des conclusions qu’il a tirées dans la décision Jockey TCCE. Dans l’affaire qui m’occupe, le délai de prescription de quatre ans qui est prévu au paragraphe 32.2(4) n’est pas invoqué, contrairement à la situation dans les affaires Jockey CF et Jockey TCCE, parce qu’en l’espèce, le temps écoulé entre le contrat de licence de 2018 relatif au concept et le rapport final est de moins de quatre ans.

[47] Il appartiendra au TCCE de déterminer si, dans les circonstances propres à MoC, la question des « motifs de croire » est pertinente pour établir la date jusqu’à laquelle les corrections doivent remonter (Jockey TCCE, au para 256), si MoC demande au président de l’ASFC de statuer à nouveau sur la question et interjette ensuite appel des conclusions du président devant ce tribunal. Comme l’a fait remarquer la juge Sharlow (qui ne siège maintenant plus), « le TCCE […] est […] investi du mandat de statuer sur la validité et le bien‑fondé des relevés détaillés de rajustement » [non souligné dans l’original] : Canada c Fritz Marketing Inc., 2009 CAF 62 au para 36.

[48] En résumé, bien que je ne sois pas convaincue que MoC ne soit pas directement touchée par le rapport final, la jurisprudence des cours fédérales souligne à plusieurs reprises le déplacement de la compétence de la Cour fédérale au profit des « recours administratifs, quasi judiciaires et judiciaires [prévus par la Loi] à l’exclusion de toute autre voie de révision ou d’appel », même sur les questions de compétence : Abbott Laboratories Ltd. c Canada (Ministre du Revenu national)), 2004 CF 140 au para 39; Canada (Agence des services frontaliers) c C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61 [C.B. Powell] au para 4.

[49] De plus, je ne suis pas convaincue que les circonstances de l’espèce soient exceptionnelles et justifient le recours à la Cour fédérale : arrêt C.B. Powell, précité, au para 51.

[50] Je conclus donc que la Cour fédérale n’a pas la compétence requise pour entendre la demande de MoC. Toutefois, si j’ai tort, je conclus à titre subsidiaire que la demande est à mon avis prématurée, comme je l’expliquerai brièvement ci-dessous.

B. La doctrine de l’épuisement des recours s’applique-t-elle?

[51] Je ne suis pas convaincue que le système de révision prévu par la Loi ne constitue pas une autre voie de recours adéquate. Compte tenu de ce qui précède, tant que MoC n’a pas exercé les recours administratifs qui sont à sa disposition sous la forme d’appels auprès du président de l’ASFC, puis du TCCE, il est prématuré, à mon avis, d’affirmer que le TCCE n’examinera pas les nouvelles questions soulevées par MoC, argument fondé sur un précédent du TCCE (à savoir Jockey TCCE) qui se distingue de la présente affaire. Le simple fait que le TCCE a refusé d’examiner la question des « motifs de croire » dans le contexte de la « valeur en douane » dans une instance antérieure ne signifie pas que le TCCE exclut désormais l’examen de questions telles que celles soulevées en l’espèce par MoC.

[52] Comme la Cour d’appel fédérale l’a déjà fait remarquer, « [l]e fait que le TCCE soit à la fois appelé à arbitrer des différends et qu’il contribue à élaborer des politiques en matière de commerce et d’importation permet de penser que le législateur fédéral voulait que le TCCE tienne compte, même dans le cas des appels prévus à l’article 68 de la Loi sur les douanes, de questions de principes dont les tribunaux judiciaires ordinaires ne peuvent traiter dans le cadre d’un appel » : Canada (Ministre du Revenu national) c Yves Ponroy Canada, 2000 CanLII 15801 (CAF) au para 33.

[53] Pour paraphraser la juge adjointe (anciennement appelée protonotaire) Milczynski, MoC semble se trouver à un stade précoce du processus juridictionnel prévu par la Loi. Lorsque MoC a déposé son avis de demande, un relevé détaillé de rajustement n’avait pas été délivré et MoC n’avait pas encore demandé de révision ou de réexamen. MoC peut faire valoir auprès du président de l’ASFC, du TCCE, puis de la Cour d’appel fédérale, si elle le souhaite, ses arguments concernant l’interprétation faite par l’ASFC de la décision nationale des douanes de 2006, la détermination de la [traduction] « date des renseignements précis » qui ont donné à MoC des « motifs de croire » que ses déclarations étaient incorrectes, ainsi que la portée temporelle des nouvelles cotisations ordonnées : Skechers USA Canada, Inc. c Canada (Agence des services frontaliers), 2021 CF 879. (Au moment de la publication des présents motifs et ordonnance, je constate qu’un appel de cette dernière décision interjeté devant notre Cour en vertu de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, est en délibéré.)

V. Conclusion

[54] Pour les motifs qui précèdent, la requête du PGC est accueillie et la Cour ordonne la radiation de l’avis de demande de MoC. La Cour n’a pas la compétence requise en l’espèce, et l’avis de demande est prématuré, car MoC n’a pas épuisé le système d’appel ou de révision prévu dans la Loi.

VI. Dépens

[55] Lors de l’audition de la présente requête, le PGC a fait valoir que ses dépens s’élevaient à environ 3 000 $, tandis que MoC a fait valoir que les dépens devraient être calculés [traduction] « au taux normal ». J’estime que le montant de 3 000 $ est approprié et, par conséquent, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire pour condamner aux dépens MoC, qui devra payer à PGC cette somme forfaitaire globale.


ORDONNANCE dans le dossier T-1164-21

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête du procureur général du Canada en radiation de l’avis de demande déposé le 23 juillet 2021 par Michaels of Canada, ULC est accueillie. L’avis de demande est radié.

  2. Michaels of Canada, ULC est condamnée aux dépens et devra à ce titre payer au procureur général du Canada la somme forfaitaire globale de 3 000 $.

« Janet M. Fuhrer »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


Annexe « A » – Dispositions applicables

 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1164-21

 

INTITULÉ :

MICHAELS OF CANADA, ULC c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

audience TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 avril 2022

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

La juge FUHRER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 2 novembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Darrel H. Pearson

Sabrina A. Bandali

Mitchell Dorbyk

Andrei Mesesan

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Roger Flaim

Adam Grotsky

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Darrel H. Pearson

Sabrina A. Bandali

Bennet Jones

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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