Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date : 20221026

Dossier : T-1104-22

Référence : 2022 CF 1466

[TRADUCTION]

Toronto (Ontario), le 26 octobre 2022

En présence de monsieur le juge adjoint Trent Horne

ENTRE :

JOHN MCLAUGHLIN

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le défendeur sollicite par voie de requête la radiation de la demande de contrôle judiciaire présentée en l’espèce.

[2] Le demandeur est un ancien employé du ministère de la Justice. À sa démission, en 2008, il a conclu une entente de règlement. Dans le cadre de ce règlement, il a reçu une somme forfaitaire; la valeur de sa pension lui a aussi été transférée.

[3] Aux fins de l’évaluation de la pension, le versement forfaitaire a été considéré comme un paiement à titre gracieux. Le demandeur affirme que c’est une erreur et que ce paiement aurait pu être inclus dans le calcul de sa pension; s’il l’avait été, la pension aurait été plus élevée. Incapable de s’entendre avec le gouvernement, le demandeur a engagé une poursuite à la Cour supérieure de justice de l’Ontario afin d’obtenir des dommages-intérêts pécuniaires du ministère de la Justice en 2015. Ce litige est toujours en cours.

[4] En avril 2022, le demandeur a communiqué avec la ministre responsable et exigé une réévaluation ainsi qu’un nouveau calcul de ses prestations de retraite.

[5] Dans une lettre transmise le 12 mai 2022 ou autour de cette date, le sous-ministre adjoint par intérim a demandé que la correspondance relative à cette affaire soit acheminée à une avocate du ministère de la Justice. Aucun argument n’a été avancé quant au fond de la demande. Cette lettre fait l’objet de la demande de contrôle judiciaire présentée en l’espèce.

[6] La lettre du 12 mai 2022 ne constitue pas une « décision » ni l’« objet de la demande » au sens de l’article 18.1 de la Loi sur les cours fédérales, LRC 1985, c F-7. Le défendeur s’est acquitté du lourd fardeau qui lui incombait de démontrer que la demande devrait être radiée dans le cadre d’une requête préliminaire.

II. Le contexte

[7] Le demandeur était un employé du ministère de la Justice (le MJ) de 1991 jusqu’à sa démission, le 23 octobre 2008.

[8] En vertu de l’entente de règlement intervenue entre lui et le MJ, le demandeur a reçu une somme forfaitaire de 289 880 $. Il a également choisi de recevoir la valeur de transfert de sa pension conformément à la Loi sur la pension de la fonction publique, LRC 1985, c P-36 (la LPFP). La « valeur de transfert » est définie à l’article 10 de la LPFP comme étant la « [s]omme globale, dont le montant est déterminé conformément aux règlements, représentant la valeur des prestations de pension du contributeur ». La somme correspondant à la valeur de transfert a été versée au demandeur en juillet 2009.

[9] Le demandeur explique qu’il a analysé, en juin 2015, les documents reçus à la suite d’une demande présentée en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P-21, et qu’il a alors constaté que la pension calculée n’avait pas tenu compte de la somme forfaitaire de 289 880 $. Si cette somme avait été incluse dans le calcul, l’évaluation de la pension aurait été plus élevée, ce qui aurait accru également la valeur de transfert.

[10] Le demandeur a écrit à la ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada le 14 juin 2015 pour lui demander d’exercer son pouvoir discrétionnaire de calculer à nouveau la valeur de transfert de sa pension et de lui verser les prestations de retraite supplémentaires, le tout avec intérêts. La lettre exigeait une réponse au plus tard le 25 juin 2015, faute de quoi le demandeur engagerait une action en justice devant [traduction] « l’instance de [son] choix ».

[11] En juillet 2015, le demandeur a déposé une poursuite contre le procureur général du Canada et une employée du MJ. Dans sa déclaration, il réclame entre autres des dommages-intérêts de 2,5 M$ pour déclaration inexacte faite par négligence, négligence, manquement à l’obligation de fiduciaire, fraude par interprétation, enrichissement illégitime et infraction à la loi. Ce litige est toujours en cours.

[12] Par l’intermédiaire de son avocat, le demandeur a envoyé une autre lettre à la ministre de Services publics et Approvisionnement Canada le 28 avril 2022. Dans cette lettre, il soutient que les documents obtenus en 2021 à la suite de demandes d’accès à l’information confirment que les déclarations fausses et trompeuses d’employés du MJ en juillet 2015 ont eu pour effet d’exclure la somme forfaitaire du calcul de son salaire ouvrant droit à pension. Il y est réitéré que cette somme globale a été considérée comme un paiement à titre gracieux fait au demandeur et non pas comme une partie de son salaire ouvrant droit à pension, de sorte que le montant versé dans le cadre du transfert visé à la LPFP a été grandement sous-évalué. Le demandeur a donc exigé dans cette lettre une réévaluation et un nouveau calcul de la valeur de transfert au titre de la LPFP et le versement de la différence entre les deux montants plus les intérêts afférents, le tout dans un délai de 20 jours ouvrables. Il a menacé de saisir la Cour fédérale de l’affaire si ses demandes n’étaient pas respectées.

[13] Une réponse a été transmise le 12 mai 2022 (la lettre). Elle est libellée ainsi :

[traduction]
Maître Hotz,

La présente fait suite à votre lettre du 28 avril 2022 concernant le paiement de la valeur de transfert de la pension de M. John McLaughlin.

D’après mes informations, la Cour supérieure de justice de l’Ontario est saisie en ce moment des préoccupations soulevées par M. McLaughlin dans le cadre d’une poursuite que ce dernier a déposée contre le procureur général du Canada et Marcelle Miller en juillet 2015.

Par conséquent, vous êtes prié d’adresser toute correspondance relative à ce dossier à l’avocate plaidante du ministère de la Justice du Canada, Helen Gray, à l’adresse helen.gray@justice.gc.ca ou par écrit au 50, rue O’Connor, 5e étage, pièce 503, Ottawa (Ontario), K1A 0H8.

J’espère que ces renseignements vous seront utiles.

[14] C’est cette lettre qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

III. Le critère applicable à une requête en radiation

[15] Le critère appliqué pour radier une demande de contrôle judiciaire est très strict. La Cour doit être en présence d’une demande d’une efficacité assez radicale, d’un vice fondamental et manifeste qui infirmerait à la base sa capacité à instruire la demande. C’est ce qu’on appelle aussi la norme du caractère « voué à l’échec » (Rahman c Commission des relations de travail dans la fonction publique, 2013 CAF 117 au para 7; Wenham c Canada (Procureur général), 2018 CAF 199 au para 33).

IV. Analyse

A. La lettre n’est pas l’« objet de la demande »

[16] Selon le demandeur, la lettre constitue l’« objet de la demande ».

[17] Il existe clairement une tendance dans la jurisprudence en faveur d’un élargissement de la portée du contrôle judiciaire pour que ce dernier vise des questions dépassant la notion étroite de « décision » ou d’« ordonnance ». Même s’il est vrai que les demandes de contrôle judiciaire présentées devant la Cour sollicitent habituellement le contrôle de décisions prises par des offices fédéraux, il est bien établi par la jurisprudence que le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les cours fédérales, LRC 1985, c F-7 (la Loi) autorise la présentation d’une demande de contrôle judiciaire « par quiconque est directement touché par l’objet de la demande ». Le terme « objet » inclut plus qu’une simple décision ou ordonnance d’un office fédéral : il s’applique à toute question à l’égard de laquelle il est possible d’obtenir une réparation (Mikail c Canada (Procureur général), 2011 CF 674 au para 35, citant Krause c Canada, [1999] 2 CF 476 à la p 491 (CAF)).

[18] Une ligne de conduite peut être visée par une demande de contrôle judiciaire.

[19] Je commencerai mon analyse à cet égard avec l’avis de demande, qui n’emploie pas le terme « objet de la demande » ni ne décrit expressément les gestes du défendeur comme une « ligne de conduite ». Selon l’alinéa 1a) de cet avis, le demandeur sollicite [traduction] « le contrôle judiciaire de la décision du 12 mai 2022 par laquelle la ministre de Services publics et Approvisionnement Canada (la ministre) a tacitement refusé la demande du 28 avril 2022 présentée par le demandeur afin d’obtenir un nouveau calcul et le paiement de la pleine valeur de transfert de la pension à laquelle le demandeur avait droit en vertu des dispositions administratives de la LPFP mais qu’il n’a pas reçue ».

[20] Lorsque la Cour est saisie d’une requête en radiation, elle doit tout d’abord faire une appréciation réaliste de la nature essentielle de la demande en s’employant à en faire une lecture globale et pratique, sans s’attacher aux questions de forme (Canada (Revenu national) c JP Morgan Asset Management (Canada) Inc, 2013 CAF 250 au para 50 (JP Morgan). Même si l’avis en l’espèce est interprété largement, on ne peut conclure qu’il conteste une ligne de conduite.

[21] L’avis de demande porte essentiellement sur quatre moments importants. Le premier correspond à la période située entre le 23 octobre 2008 (date de la démission du demandeur du MJ) et le 20 juillet 2009 (date du versement de la valeur de transfert de la pension). C’est durant cette période que la ministre a qualifié la somme forfaitaire de paiement à titre gracieux, non pas lors du calcul de la pension du demandeur. C’est là que réside le cœur du litige. Le deuxième moment important tombe l’année 2015, lorsqu’il y a eu communication entre le demandeur et la ministre et que le MJ a refusé de rajuster ou de modifier ses calculs. Le troisième moment important est survenu en mars 2021, date à laquelle le demandeur prétend avoir reçu d’autres documents et avoir alors [traduction] « constaté l’ampleur de la tromperie du MJ » (avis de demande, al 2o), les guillemets figuraient dans l’original). L’alinéa 2p) de l’avis de demande mentionne que le MJ a refusé alors de rajuster ou de modifier la qualification de paiement à titre gracieux. Le quatrième moment important arrive au printemps 2022, lorsque le demandeur a transmis une mise en demeure (22 avril 2022) et a reçu la lettre de réponse (12 mai 2022).

[22] Quand je fais une lecture élargie de l’avis de demande, il m’est impossible de conclure qu’il vise à contester « l’objet de la demande » ou une ligne de conduite. Le MJ a rendu une décision relativement au calcul de la pension du demandeur en 2008-2009 (y compris le paiement à titre gracieux convenu dans le cadre du règlement) et n’a pas changé sa position à cet égard depuis. Même si le demandeur a écrit au MJ plus d’une fois pour obtenir une décision différente, la correspondance qui démontre simplement les tentatives répétées qui ont été faites pour infirmer une décision négative et la volonté du défendeur de s’en tenir à la première décision ne constituent pas une nouvelle décision ni une ligne de conduite (Francoeur c Canada (Conseil du Trésor), 2010 CF 121 au para 13).

[23] Dans la décision Société Radio-Canada (Canadian Broadcasting Corporation) c Canada (Procureur général), 2016 CF 933, la Société Radio-Canada (la SRC) contestait le refus continu de l’administrateur des cours martiales (l’ACM) de fournir des copies non caviardées de décisions de la cour martiale. Une des questions en litige était celle de savoir si la demande était hors délai et si la SRC sollicitait le contrôle judiciaire d’une décision ou d’une ordonnance ou bien de l’objet d’une demande. La Cour a conclu que c’était une série d’actes qui était en cause, du fait plus particulièrement que la SRC contestait le refus persistant de l’ACM de fournir des copies non caviardées des décisions de la cour martiale qui font l’objet d’une interdiction de publication. La demande de contrôle judiciaire ne découlait pas d’une seule décision de l’ACM. La SRC a plutôt voulu obtenir, à différents moments, un certain nombre de décisions visées par une interdiction de publication et, à chaque occasion, l’ACM a informé la SRC qu’il devait, conformément à l’interdiction de publication, supprimer tout renseignement qui pourrait divulguer l’identité du plaignant ou d’un témoin dans l’affaire (para 26). De plus, il était clair que le recours demandé dans l’avis de demande concernait une série d’actes (para 27).

[24] En l’espèce, les faits sont différents. Le défendeur maintient, au sujet de l’évaluation de la pension du demandeur, la même position qu’il a adoptée dès 2008-2009 (soit que le paiement était fait à titre gracieux et ne devait pas être inclus dans les gains ouvrant droit à pension du demandeur).

[25] Je souligne également la réparation subsidiaire demandée à l’alinéa 1g) :

[traduction]
g) Subsidiairement, une ordonnance infirmant ou annulant la décision de la ministre d’exclure la somme forfaitaire de 289 880 $ de l’évaluation de la pension du demandeur et renvoyant l’affaire à la ministre pour qu’elle effectue un nouveau calcul de la pension du demandeur conformément aux procédures, politiques et lignes directrices énoncées dans la LPFP au sujet des sommes qui font partie, sur le plan administratif, du « traitement » au sens de l’article 3 de la LPFP – et ce pour tous les participants aux régimes visés par la LPFP;

[26] La décision dont il est question à l’alinéa 1g) aurait été prise en 2008-2009, ce qui confirme mon opinion quant à la nature fondamentale de la réparation réellement demandée dans l’avis – le contrôle judiciaire de la décision relative à l’évaluation de la pension qui a été prise en 2008-2009 et n’a pas changé depuis.

[27] Dans la décision Save Halkett Bay Marine Park Society c Canada (Environnement), 2015 CF 302, la Cour fédérale devait également trancher la question de savoir si la demande de contrôle judiciaire avait été présentée hors délai et si, comme l’affirmait la demanderesse, la contestation visait une ligne de conduite et non pas une décision en particulier. Le juge en chef s’est reporté aux décisions Krause c Canada, [1999] 2 CF 476 (Krause) et Airth c Canada (Revenu national), 2006 CF 1442 (Airth), où a été établie une distinction entre une « décision » ou une « ordonnance », auxquelles le délai de 30 jours visé au paragraphe 18.1(2) est applicable, et « l’objet de la demande », plus vaste (dont il est question au paragraphe 18.1(1)), auquel ce délai ne s’applique pas. Il a conclu qu’il était possible de distinguer ces précédents de l’affaire dont il était saisi, parce que chacun concernait une ligne de conduite de la part du ministre défendeur qui s’était étalée sur une période plus longue que celle de la formulation d’une décision ou d’une ordonnance (para 75-76). Dans l’affaire Krause, les appelants contestaient « une suite de décisions annuelles qui traduis[ai]ent la politique ou pratique continue dans le temps de l’intimée » (para 11 et 23). De même, dans la décision Airth, il était évident que la demande de contrôle judiciaire ne visait pas uniquement une décision, mais plutôt une ligne de conduite qui « soulève une multiplicité de questions relatives à l’Agence du revenu du Canada, à la GRC et à la police de Vancouver, à l’usage prévu des renseignements exigés, aux buts du ministre, à des infractions supposées aux dispositions de confidentialité de la Loi de l’impôt sur le revenu, aux projets et aux actions des fonctionnaires fédéraux et aux atteintes aux droits garantis par la Charte qui découleraient de leur conduite » (para 8‑9). S’appuyant sur les principes énoncés dans les décisions Krause et Airth, le juge en chef a conclu que l’objet de l’avis de demande était uniquement la décision du ministre de délivrer le permis, qu’il ne s’agissait pas de la contestation d’une ligne de conduite et que le délai de 30 jours s’appliquait (para 78-81).

[28] J’arrive à la même conclusion en l’espèce. Je répète que l’avis de demande dont il est question ici ne constitue pas une contestation, que ce soit directement ou selon une interprétation élargie, d’une ligne de conduite.

[29] En règle générale, les affidavits ne sont pas recevables pour appuyer une requête en radiation d’une demande de contrôle judiciaire (JP Morgan, au para 51). Cette règle générale se fonde sur le principe que, dans pareille requête, les faits allégués dans l’avis de demande sont tenus pour avérés, ce qui élimine la nécessité de déposer un affidavit (JP Morgan, au para 52, citant Chrysler Canada Inc c Canada, 2008 CF 727 au para 20; conf. par 2008 CAF 1049). La Cour d’appel fédérale a souligné que le demandeur « doit présenter un énoncé “précis” de la mesure demandée et un énoncé “complet et concis” des motifs qu’il entend invoquer » dans son avis de demande (JP Morgan, au para 38; art 301d) et 301e) des Règles des Cours fédérales).

[30] Il y a toutefois des exceptions à la règle générale d’irrecevabilité des affidavits dans les requêtes en radiation, notamment « le fait pour un document d’être mentionné et incorporé par renvoi à l’avis de demande » (JP Morgan, au para 54; voir également Ghazi c Canada (Revenu national), 2019 CF 860 aux paras 11–12). De plus, notre Cour reconnaît qu’un affidavit peut être recevable dans une requête en radiation quand la partie requérante invoque l’abus de procédure comme motif supplémentaire. Rien n’empêche alors la partie requérante de déposer des documents pour prouver l’abus de procédure allégué et, de son côté, le demandeur peut réfuter ces allégations (Turp c Canada (Affaires étrangères), 2018 CF 12 au para 21). Dans la présente affaire, les motifs invoqués par le défendeur dans sa requête comprennent l’abus de procédure.

[31] Dans son affidavit supplémentaire, M. McLaughlin accuse le défendeur de recourir à des faux-fuyants. Il souligne qu’il a demandé, dans sa lettre du 14 juin 2015 à la ministre, l’annulation de l’option qu’il avait exercée relativement à sa pension (possibilité prévue à l’art 19 du Règlement sur la pension de la fonction publique, CRC, c 1358 (le RPFP)) et qu’il a sollicité un nouveau calcul dans plusieurs courriels, en mars 2021, ce qui n’est pas envisagé dans le RPFP.

[32] L’affidavit supplémentaire présente des arguments, tout comme le premier affidavit. Un affidavit « a pour but d’énoncer des faits pertinents quant au litige sans commentaires ni explications » (Canada (Procureur général) c Quadrini, 2010 CAF 47 au para 18). J’ai écarté les parties des affidavits de M. McLaughlin qui énoncent clairement des arguments, plus particulièrement le contenu de la rubrique du premier affidavit intitulée [traduction] « Fortes probabilités de succès de la demande de contrôle judiciaire ».

[33] L’avis de demande mentionne l’annulation d’une option choisie relativement à la pension dans un paragraphe (2(l)), qui se rapporte à des événements datant de 2015. La mise en demeure du 28 avril 2022 est désignée comme étant une [traduction] « demande de nouveau calcul ». L’avis de demande ne fait toutefois pas expressément la distinction entre les demandes d’annulation et de nouveau calcul, d’une part, et les décisions relatives à l’annulation et au nouveau calcul, d’autre part. S’il est vrai que le demandeur soutient maintenant qu’un type de décision a été rendue en 2008-2009 ou en 2015 (annulation) et qu’une décision d’un type différent a été demandée en 2021 et en 2022 (nouveau calcul), ce n’est pas formulé de façon claire ni manifeste dans l’avis de demande.

[34] Cet argument n’est pas non plus corroboré par les documents de requête, plus particulièrement la demande faite par le demandeur dans sa lettre du 14 juin 2015 à la ministre :

[traduction]
Par conséquent, je vous demande formellement d’exercer votre pouvoir discrétionnaire, que soit en application du Règlement sur la pension de la fonction publique ou des règles de droit, afin que la valeur de transfert soit calculée de nouveau, à la date d’évaluation choisie, compte tenu de l’incidence des paiements susmentionnés sur a) la durée du service ouvrant droit à pension et/ou b) la moyenne des gains ou du salaire ouvrant droit à pension. Les prestations de pension de retraite supplémentaires qui en résultent, avec les intérêts courus, seront importantes. (Non souligné dans l’original.)

[35] Même si l’article 19 du RPFP figure sous la rubrique intitulée « Annulation d’option – renseignements erronés ou trompeurs », la lettre du 14 juin 2015 ne se limitait pas aux recours fondés sur le RPFP, car la réparation était demandée [traduction] « en application du Règlement sur la pension de la fonction publique ou des règles de droit » et visait expressément l’obtention d’un nouveau calcul, moyen qui, selon le demandeur maintenant, ne figure pas dans le RPFP.

[36] Le demandeur se reporte à un courriel d’une employée du MJ daté du 24 septembre 2015, selon lequel, [traduction] « à ce jour, aucune décision n’a été prise relativement à votre demande d’annuler l’option concernant la valeur de transfert de votre pension ». Ce courriel n’a pas pour effet de restreindre la demande du 14 juin 2015 du demandeur, qui sollicitait de façon générale un nouveau calcul en application [traduction] « des règles de droit » et ne se limitait pas aux moyens énoncés dans le RPFP.

[37] Le demandeur se fonde également sur un courriel qu’il a envoyé à la Ministre le 28 août 2015, où il précise qu’il [traduction] « demande maintenant le consentement de la Ministre à l’“annulation” conformément à l’article 19 du RPFP ».

[38] Au fond, la décision de considérer le paiement de règlement comme un paiement à titre gracieux a été prise en 2008-2009. Le demandeur aurait pu demander l’annulation de son choix et/ou un nouveau calcul au moins dès 2015. Dans sa lettre du 14 juin 2015, il réclamait expressément un nouveau calcul. Même s’il affirme maintenant que l’annulation et le nouveau calcul constituent des réparations différentes dont doivent être saisies des instances différentes aux fins d’une décision, cet état de fait était connu ou aurait dû être connu (et être invoqué) en 2015.

[39] Le demandeur s’appuie aussi sur des courriels qu’il a envoyés à la Ministre en mars 2021 afin de demander un nouveau calcul. Une simple lecture de la lettre du 14 juin 2015 m’amène à conclure que je ne peux souscrire à la thèse qu’un nouveau calcul de la pension a été demandé pour la première fois en 2021 ou 2022 ou encore que le maintien de la décision initiale de la ministre ou du MJ quant à l’évaluation de la pension constitue une ligne de conduite.

[40] Assimiler la lettre à une ligne de conduite ou à l’« objet de la demande » serait aussi incompatible avec la jurisprudence, citée plus bas, suivant laquelle une réponse donnée par courtoisie n’est pas une « décision ». Toute autre conclusion aurait pour effet d’inciter les parties à transmettre de la correspondance à répétition au décideur dans l’espoir d’obtenir une forme de réponse quelconque puis d’utiliser cette réponse comme fondement d’une nouvelle demande de contrôle judiciaire visant à contester une ligne de conduite. Une partie ne peut faire indirectement ce qui lui est interdit de faire directement.

[41] Le paragraphe 18.1(2) de la Loi dispose que les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les 30 jours qui suivent la première communication, par l’office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance.

[42] Le délai de 30 jours imposé pour le dépôt d’une demande de contrôle judiciaire n’est pas arbitraire : il existe dans l’intérêt public, afin que les décisions administratives acquièrent leur caractère définitif et puissent aussi être exécutées sans délai, apportant la tranquillité d’esprit à ceux qui observent la décision ou qui veillent à ce qu’elle soit observée, souvent à grands frais (Canada c Berhad, 2005 CAF 267 au para 60). Notre Cour affaiblirait considérablement cet important principe si elle permettait aux parties de transformer des réponses données par courtoisie en lignes de conduite. En l’espèce, le demandeur connaissait et a contesté le fait que le défendeur considérait le paiement de règlement comme un paiement à titre gracieux depuis au moins 2015 et était informé (ou aurait dû l’être) de sa capacité de demander l’annulation de l’option qu’il avait exercée relativement à sa pension et/ou un nouveau calcul depuis aussi longtemps.

[43] Dans ses plaidoiries écrites, le demandeur se reporte à un courriel du MJ indiquant que [traduction] « l’objet de la demande semble être lié au fait que le paiement à titre gracieux devrait ouvrir droit à pension […] » [non souligné dans l’original]. Je n’accorde aucun poids à cet énoncé. Les termes « objet de la demande » utilisés dans le courriel s’inscrivent dans un contexte tout autre et n’expriment aucune forme d’admission quant au fait que la demande de contrôle judiciaire concernerait une ligne de conduite.

[44] Le demandeur soutient que cette série d’événements est un [traduction] « exemple parfait » d’un processus administratif et d’un résultat qui sont erronés et déraisonnables, que la demande doit être entendue sur le fond, à défaut de quoi l’arrêt Canada c Vavilov, 2019 CSC 65, n’a pas d’incidence en pratique, et qu’il n’y aura aucune conséquence incitant la Ministre à se conformer ou à changer son comportement. Je ne suis pas d’accord. Le demandeur a eu la possibilité de contester l’évaluation de sa pension par voie de contrôle judiciaire lorsque la décision a été rendue à cet égard, ce qu’il n’a pas fait. Même s’il a eu la conviction que le calcul de sa pension était erroné une fois qu’il a reçu les documents plus tard, en 2015 ou en 2021, il n’a pas sollicité de contrôle judiciaire pour demander à ce moment-là un nouveau calcul ou une prorogation rétroactive du délai. Il a bien saisi la Cour supérieure de justice de l’Ontario de sa réclamation, et cette action se poursuit. Les actes ou les omissions du MJ seront examinés par ce tribunal. Même s’il y a des différences quant aux causes d’action et aux recours pouvant être portés devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario et ceux pouvant l’être devant la Cour fédérale, il ne s’ensuit pas que la nature de l’instance se transforme pour qu’elle vise l’« objet de la demande » ou une ligne de conduite.

B. La lettre n’est pas une « décision »

[45] La jurisprudence reconnaît qu’il y a de nombreuses situations où, en raison de sa nature ou de son caractère, la conduite d’un organisme administratif ne fait pas naître le droit de présenter une demande de contrôle judiciaire. Une de ces situations est celle où la conduite attaquée dans une demande de contrôle judiciaire n’a pas pour effet de porter atteinte à des droits, d’imposer des obligations juridiques ni d’entraîner des effets préjudiciables (Air Canada c Administration portuaire de Toronto, 2011 CAF 347 aux paras 28-29).

[46] Il est clair, d’après son libellé, que la lettre ne contenait aucune forme de décision. Elle ne reflétait pas une conclusion tirée après un examen. L’auteur de la lettre fait simplement référence au litige en cours en Ontario et demande que la correspondance à ce sujet soit acheminée à une avocate plaidante du ministère de la Justice du Canada. Comme il est mentionné plus en détail ci-dessus, la lettre ne modifie pas l’état du litige entre le demandeur et le MJ, surtout en ce qui a trait à la nature du paiement de règlement, qualifié de paiement à titre gracieux, et à la demande de nouveau calcul présentée par le demandeur en 2015. La lettre ne porte aucunement atteinte aux droits du demandeur (ces droits ont subi les effets d’une décision prise des années auparavant), n’impose pas d’obligations juridiques et n’entraîne pas non plus d’effets préjudiciables. Le demandeur fait valoir qu’il a subi un préjudice en raison du calcul de sa pension, mais ce préjudice existait bien avant que la lettre soit rédigée. La lettre ne déterminait aucun des droits du demandeur, qu’ils soient procéduraux ou de fond (Prince c Canada (Revenu national), 2020 CAF 32 au para 21). Au mieux, la lettre peut être décrite comme une réponse donnée par courtoisie afin d’enjoindre au demandeur d’adresser ses demandes de renseignements à une autre personne.

[47] Il existe une jurisprudence constante suivant laquelle une réponse donnée par courtoisie ne crée pas de décision qui peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Un avocat ne peut repousser la date d’une décision en rédigeant une lettre dans l’intention de provoquer une réponse. Avant qu’il y ait une nouvelle décision susceptible d’être visée par un contrôle judiciaire, il doit y avoir un nouvel exercice du pouvoir discrétionnaire, tel que le réexamen d’une décision antérieure à la lumière de faits nouveaux (Landriault c Canada (Procureur général), 2016 CF 664 aux para 21-23; 9027-4218 Québec Inc c Canada (Revenu national), 2019 CF 785 au para 40).

[48] La correspondance du 28 avril 2022 envoyée par le demandeur à la ministre mentionne des [traduction] « documents obtenus en 2021 à la suite de demandes d’accès à l’information » qui [traduction] « confirment » que des employés du MJ ont déclaré, à tort, qu’un paiement à titre gracieux avait été versé au demandeur en 2009. Cette correspondance réitère la position énoncée à maintes reprises par le demandeur, soit que le paiement qui lui a été fait en 2009 par le MJ ne constituait pas un paiement à titre gracieux, mais elle ne formule aucune demande que la ministre ou le MJ n’ont pas déjà entendue, examinée et tranchée. En réponse, la lettre n’équivaut pas à un nouvel exercice du pouvoir discrétionnaire, car elle renvoie tout simplement les demandes de renseignements à un tiers. Le dossier ne contient aucune information me permettant de savoir si la demande de renseignements du demandeur a bien été transmise à l’avocate plaidante du ministère de la Justice du Canada.

[49] Je rejette l’argument du demandeur suivant lequel la lettre constitue un rejet tacite de sa demande et est donc susceptible de contrôle judiciaire. Il y a un refus tacite de la destinataire de communiquer directement avec l’avocat du demandeur, mais il n’en découle aucun droit au contrôle judiciaire, puisque la décision a été prise bien longtemps auparavant et que des affirmations et des menaces passées ont simplement été répétées.

[50] Je conclus que la lettre ne constituait pas un nouvel exercice du pouvoir discrétionnaire et qu’il ne s’agit donc pas d’une « décision » au sens entendu au paragraphe 18.1(2) de la Loi.

[51] Par conséquent, je suis convaincu que le défendeur s’est acquitté du lourd fardeau lui permettant d’obtenir la radiation de l’avis de demande à une étape préliminaire. L’avis de demande sera radié.

[52] Le pouvoir de radier un acte de procédure sans autorisation de modification doit être exercé avec prudence. Tant qu’un acte de procédure fait état d’un semblant de cause d’action, il ne sera pas radié s’il peut être corrigé par une modification (Al Omani c Canada, 2017 CF 786 aux para 32‑35).

[53] Je ne suis pas convaincu qu’une rédaction pourrait corriger les lacunes de l’avis de demande. Il est clair et manifeste que la lettre n’est ni une « décision » ni l’« objet de la demande ». Elle n’est pas susceptible de contrôle judiciaire. L’avis de demande sera donc radié sans autorisation de modification.

V. Les autres questions

[54] Ayant conclu que la lettre n’est ni une « décision » ni l’« objet de la demande », il ne m’est pas nécessaire d’examiner l’argument du défendeur suivant lequel la demande constitue un abus de procédure parce que le demandeur tente de remettre en litige ou de dédoubler l’action engagée en Ontario.

VI. Les dépens

[55] La Cour fédérale a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens et de les répartir (art 400(1) des Règles).

[56] En tant que partie ayant eu gain de cause, le défendeur a droit aux dépens.

[57] Des dépens de 800 $ lui seront donc adjugés. Cette somme représente le recouvrement des dépens correspondant au milieu de la colonne III pour la préparation et le dépôt d’une requête contestée.

JUGEMENT dans le dossier T-1104-22

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. L’avis de requête est radié, sans autorisation de modification.

  2. Des dépens de 800 $, payables sans délai, sont adjugés au défendeur.

En blanc

« Trent Horne »

En blanc

Juge adjoint

 

Traduction certifiée conforme

Martine Corbeil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

T-1104-22

INTITULÉ :

JOHN MCLAUGHLIN c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

JUGEMENT ET MOTIFS

MONSIEUR LE JUGE ADJOINT TRENT HORNE

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 26 OCTOBRE 2022

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Glyn Hotz

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Aman Owais

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

HOTZ LAWYERS

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.