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Date : 20221021


Dossier : IMM-1877-21

Référence : 2022 CF 1441

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 octobre 2022

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

FAHAD BASHIR

VANESSA GARCIA VALENZUELA

MAJDA BASHIR GARCIA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs Fahad Bashir et Vanessa Garcia Valenzuela sont mariés. Majda Bashir Garcia est leur fille. Ils sont tous les trois des citoyens du Mexique.

[2] Monsieur Bashir est né au Pakistan et il est musulman. Madame Garcia Valenzuela est née au Mexique et elle a été élevée dans la religion catholique. Ils ont entamé une relation amoureuse au Mexique en 2011. Madame Garcia Valenzuela s’est finalement convertie à la foi chiite. Le couple s’est marié en janvier 2017. Leur fille Majda est née en avril 2017.

[3] Les demandeurs vivaient à Puebla, au Mexique. Des membres de la famille de Mme Garcia Valenzuela y vivaient également, tout comme quelques membres de la famille de M. Bashir.

[4] La famille de Mme Garcia Valenzuela n’approuvait ni sa conversion religieuse ni son mariage avec M. Bashir. Selon les demandeurs, la famille de Mme Garcia Valenzuela a sollicité l’aide d’un policier local à Puebla – un ami de la famille – pour les harceler et les menacer. Le policier a menacé M. Bashir de le faire mettre derrière les barreaux relativement à de fausses accusations liées à la drogue s’il ne quittait pas le pays. Le demandeur a également reçu des appels téléphoniques de la part d’inconnus qui ont réitéré cette menace. En janvier 2019, des membres de la famille de Mme Garcia Valenzuela sont venus lui rendre visite à son domicile, puis ont menacé de la renier et de tuer M. Bashir si elle ne rompait pas le mariage.

[5] Les demandeurs ont fui le Mexique pour se rendre au Pakistan peu après cet incident. En mars 2019, ils sont entrés au Canada et ont présenté une demande d’asile au motif qu’ils craignaient d’être persécutés par la famille de Mme Garcia Valenzuela.

[6] Dans une décision du 30 juillet 2020, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) a rejeté leur demande d’asile. Pour la SPR, la question déterminante portait sur l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Mexico, au Mexique.

[7] Les demandeurs ont interjeté appel de cette décision devant la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la CISR. Ils n’ont pas cherché à déposer de nouveaux éléments de preuve à l’appui de leur appel et, en conséquence, ils n’ont pas demandé la tenue d’une audience devant la SAR.

[8] Dans une décision du 24 février 2021, la SAR a souscrit à la conclusion de la SPR portant que les demandeurs disposaient d’une PRI valable à Mexico, et qu’il s’agissait d’un facteur déterminant quant à l’issue des demandes d’asile. En conséquence, la SAR a rejeté l’appel et a confirmé la décision de la SPR selon laquelle les demandeurs n’avaient ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[9] Les demandeurs sollicitent à présent le contrôle judiciaire de la décision de la SAR sur le fondement du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Ils affirment que la SPR a déraisonnablement conclu qu’ils disposaient d’une PRI valable à Mexico. Pour les motifs exposés ci-après, je ne suis pas de cet avis. Par conséquent, la présente demande doit être rejetée.

[10] Les parties reconnaissent, tout comme moi, que la décision de la SAR doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 au para 35; et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CF 96 au para 29). Sont également visées les conclusions de la SAR quant à l’existence d’une PRI (voir Tariq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1017 au para 14, et Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 727 au para 7). La Cour suprême du Canada a confirmé, au paragraphe 10 de l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, qu’il s’agit de la norme de contrôle applicable.

[11] Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et [être] justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). La cour de révision doit faire preuve de retenue à l’égard d’une décision qui possède ces attributs (ibid.). Il n’appartient pas à la cour de révision qui applique la norme de la décision raisonnable d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur ou de modifier les conclusions de fait de ce dernier, à moins de circonstances exceptionnelles (voir Vavilov, au para 125). Par ailleurs, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas une simple formalité; ce type de contrôle demeure rigoureux (voir Vavilov, au para 13).

[12] Il incombe aux demandeurs de démontrer que la décision de la SAR est déraisonnable. Avant de pouvoir infirmer une décision pour ce motif, la cour de révision doit être convaincue « qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100).

[13] Comme je l’ai mentionné précédemment, la SPR et la SAR ont toutes deux conclu que l’existence d’une PRI valable était déterminante quant à l’issue des demandes d’asile des demandeurs. En d’autres termes, une PRI est un lieu dans le pays dont le demandeur d’asile a la nationalité, où il n’est pas exposé à un risque ou à une menace (au sens pertinent et selon la norme applicable, selon que la demande d’asile est présentée au titre de l’article 96 ou 97 de la LIPR) et où il n’est pas déraisonnable pour lui de se réinstaller. Lorsqu’il existe une PRI valable, le demandeur d’asile n’a pas droit à la protection d’un autre pays. Pour réfuter la conclusion selon laquelle il dispose d’une PRI valable, le demandeur d’asile a le fardeau de démontrer qu’il serait exposé à un risque dans la PRI proposée ou, même s’il ne l’était pas, qu’il serait déraisonnable en toutes les circonstances qu’il s’y réinstalle (voir Aigbe c Canada, 2020 CF 895, au para 9; pour le critère applicable à la PRI en général, voir mon analyse dans la décision Sadiq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 430 aux para 38-45, ainsi que les jugements qui y sont cités).

[14] En appel devant la SAR, les demandeurs ont contesté le bien-fondé des conclusions que la SPR avait tirées relativement aux deux volets du critère applicable à la PRI. Même si la SAR a convenu avec les demandeurs que la SPR avait commis une erreur de fait (quant au nombre de musulmans vivant à Mexico), elle a estimé que la SPR avait été justifiée de conclure que les demandeurs disposaient d’une PRI valable à Mexico.

[15] Les demandeurs soutiennent que la conclusion tirée par la SAR relativement au premier volet du critère applicable à la PRI – soit, qu’ils n’avaient pas établi qu’ils seraient exposés à un danger à Mexico – est déraisonnable. Je ne suis pas de leur avis.

[16] Dans les circonstances de la présente affaire, la question déterminante est celle de savoir si les agents de persécution des demandeurs – à savoir, la famille de Mme Garcia Valenzuela et le policier local (sur l’ordre de la famille de la demanderesse ou pour des raisons personnelles) – avaient la motivation et les moyens de retrouver les demandeurs à Mexico. À mon avis, la SAR a raisonnablement conclu que l’affirmation des demandeurs selon laquelle leurs agents de persécution avaient à la fois la motivation et les moyens de les chercher à Mexico n’était rien de plus qu’une simple hypothèse.

[17] S’agissant du policier, la SAR a raisonnablement conclu qu’une simple tentative de la part des demandeurs de déposer une plainte contre lui en décembre 2018 (la police a refusé de retenir la plainte, selon l’exposé circonstancié des demandeurs) n’était pas un motif suffisant pour conclure que le policier était pour cette raison personnellement motivé à les retrouver.

[18] De plus, la SAR a raisonnablement conclu que, même si la famille de Mme Garcia Valenzuela pouvait faire appel au policier pour tenter de retrouver les demandeurs, la preuve ne permettait pas d’établir qu’il avait les moyens de les repérer à Mexico. Le seul élément de preuve fourni à cet effet provenait des témoignages des demandeurs. Par conséquent, comme l’a souligné la SAR, la preuve qu’ils ont présentée sur ce point était très mince. Leurs témoignages en révélaient peu sur le policier ou sur sa capacité d’obtenir les renseignements qui pourraient lui permettre de les retrouver à Mexico. Ils ne connaissaient pas son nom et n’étaient pas certains de son titre et de son grade exacts. Rien dans la preuve ne permettait d’établir son influence ou ses liens avec les services de police locaux ou nationaux. La SAR n’a pas mis en doute la crédibilité des témoignages des demandeurs; elle a plutôt conclu que leurs témoignages ne permettaient pas de réfuter la conclusion selon laquelle ils ne seraient pas exposés à un risque à Mexico. Cette décision était tout à fait raisonnable au vu de la preuve au dossier (voir Jimenez c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 1225 aux para 14-22).

[19] Les demandeurs affirment que la SAR a commis une erreur parce qu’elle n’a pas tenu compte du fait que le policier pouvait déposer une fausse accusation criminelle contre l’un d’eux et, en conséquence, mobiliser des ressources policières nationales pour les retrouver à Mexico. Les demandeurs n’ont pas soulevé cette possibilité dans leur appel, de sorte qu’on ne peut reprocher à la SAR de ne pas l’avoir prise en considération. Quoi qu’il en soit, il ne s’agit que d’une simple conjecture de la part des demandeurs, qui ne leur permet pas raisonnablement de s’acquitter de leur fardeau en ce qui concerne le premier volet du critère applicable à la PRI.

[20] Tout comme le défendeur, je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que la SAR a mal interprété la preuve parce qu’elle a dit que Mme Garcia Valenzuela n’avait pas allégué qu’elle craignait que les membres de sa famille lui fassent du mal. Contrairement à ce qu’a dit la SAR, Mme Garcia Valenzuela avait, dans son témoignage devant la SPR, déclaré expressément qu’elle craignait que sa famille la tue en raison de sa conversion religieuse. Néanmoins, à mon avis, cette erreur de la SAR est sans importance. La SAR a compris le rôle central que les membres de la famille pouvaient jouer en tant qu’agents de persécution. Elle a compris qu’ils avaient menacé de tuer M. Bashir en raison de son mariage avec Mme Garcia Valenzuela, et elle a pleinement examiné cette allégation. Plus important encore, la SAR a raisonnablement conclu, au demeurant, que les demandeurs n’avaient pas établi que la famille avait les moyens de les retrouver à Mexico. Par conséquent, bien que la SAR n’ait pas bien compris la nature de la crainte de Mme Garcia Valenzuela à l’égard de sa famille, cette erreur ne pouvait raisonnablement avoir une incidence sur l’issue de l’appel.

[21] Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[22] Les parties n’ont soulevé aucune question grave de portée générale à certifier au titre de l’alinéa 74 d) de la LIPR. Je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.

[23] Enfin, selon l’intitulé initial, c’est le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté qui est constitué défendeur. Même si c’est ainsi que le défendeur est couramment désigné, le nom du ministère – le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration – n’a pas été modifié dans les textes législatifs (voir le paragraphe 5(2) des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, et le paragraphe 4(1) de la LIPR). Par conséquent, j’ajoute à mon jugement un article modifiant l’intitulé de manière à ce que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration soit constitué défendeur.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER NO IMM-1877-21

LA COUR STATUE :

  1. L’intitulé est modifié, de manière à ce que le ministre de la Citoyenneté et l’Immigration soit constitué défendeur.

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  3. Aucune question de portée générale n’est énoncée.

« John Norris »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1877-21

 

INTITULÉ :

FAHAD BASHIR ET AUTRES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 mars 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 21 octobre 2022

 

COMPARUTIONS :

Raisa Sharipova

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Idorenyin Udoh-Orok

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raisa Sharipova

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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