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Date : 20040312

Dossier : IMM-3795-03

Référence : 2004 CF 376

Ottawa (Ontario), le 12 mars 2004

EN PRÉSENCE MADAME LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

                                                       SELVAM MASILA MANI

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Trois jours avant l'audition de sa demande d'asile, Selvam Masila Mani a découvert que le consultant en immigration qui, selon lui, devait le représenter lors de l'audience ne comparaîtrait pas. Le demandeur a comparu devant la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour son propre compte, pour ce qu'il croyait être une audience concernant le mérite de sa demande d'asile. Il a mentionné à la Commission que bien qu'il ait cru qu'il serait représenté lors de l'audience, il était prêt à procéder pour son propre compte. Le président de l'audience a alors interrogé M. Mani au sujet de l'historique de sa demande. À l'issue de l'audience, la Commission a conclu qu'il y avait eu désistement de la demande d'asile du demandeur.

[2]                M. Masila Mani vise à obtenir l'annulation de cette décision, parce qu'il prétend que la procédure suivie par la Commission pour en arriver à sa décision au sujet de la question du désistement comportait de graves lacunes, que la Commission a commis une erreur en n'ajournant pas l'audience sur la demande d'asile et que la décision relative au désistement était déraisonnable, compte tenu de l'ensemble des circonstances.

LE CONTEXTE

[3]                M. Masila Mani est un citoyen de Malaisie. Il est entré au Canada le 5 mars 2002 et il a présenté une demande d'asile le même jour. Il connaît bien le processus relatif aux demandes d'asile, puisqu'il avait déjà présenté une revendication du statut de réfugié, sans succès.

[4]                L'aide juridique a renvoyé M. Masila Mani à un avocat pour que celui-ci l'aide concernant sa demande d'asile. Cet avocat, toutefois, n'acceptait pas les mandats d'aide juridique et le demandeur ne pouvait se permettre de payer lui-même l'avocat. En conséquence, il a rempli son formulaire de renseignements personnels sans l'aide d'un avocat et il a présenté le formulaire à la Commission dans le délai stipulé.

[5]                En avril 2002, l'aide juridique a renvoyé M. Masila Mani à un deuxième avocat. Le demandeur s'est marié le 18 mai 2002 et il a commencé à travailler peu de temps après. Il en a résulté la fin à son aide sociale, ce qui, par contre, signifiait qu'il n'était plus admissible à l'aide juridique. Le deuxième avocat de M. Mani l'a avisé qu'il ne pouvait plus le représenter, puisqu'il travaillait exclusivement dans un service d'aide juridique.

[6]                M. Masila Mani travaillait à temps partiel à Montréal, pendant que sa femme vivait et travaillait à Toronto. Par conséquent, il faisait régulièrement la navette entre Montréal et Toronto. Après avoir changé d'adresse à Montréal, le demandeur a avisé la Commission ainsi que Citoyenneté et Immigration Canada de sa nouvelle adresse à Montréal et du fait qu'il voyageait fréquemment entre Montréal et Toronto. M. Mani témoigne qu'on lui a dit que, tant qu'on pouvait le joindre à sa nouvelle adresse à Montréal, il n'avait rien à faire de plus.

[7]                M. Masila Mani témoigne aussi qu'en septembre 2002, il a retenu les services d'un consultant en immigration pour le représenter relativement à sa demande d'asile. Il affirme qu'il a versé au consultant une avance de 200 $ en septembre 2002 et un autre montant de 200 $ en novembre 2002. Le demandeur a signé une autorisation afin de permettre au consultant de le représenter et celui-ci lui a dit qu'il aviserait la Commission de l'immigration et du statut de réfugié en conséquence.

[8]                Bien qu'une lettre de la Commission adressée à M. Masila Mani ait été retournée, avec la mention qu'il avait déménagé, le demandeur témoigne qu'il a reçu l' « Avis d'audience » daté du 28 février 2003. Cet avis l'informait que l'audition de sa demande d'asile aurait lieu le 28 avril 2003. Il s'agissait de la première date fixée pour l'audience et le demandeur fait valoir qu'elle n'a pas été fixée de façon péremptoire.

[9]                Après avoir mentionné la date fixée pour l'audition de la demande d'asile, l'avis d'audience informait M. Masila Mani que :

[traduction]

Si vous faites défaut de comparaître à la date et au lieu fixés, la Section de la protection des réfugiés (SPR) peut, après vous avoir donné la possibilité d'être entendu, déterminer qu'il y a eu désistement de votre demande.

[10]            M. Masila Mani a immédiatement avisé le consultant en immigration de la date de l'audience et lui a envoyé une copie de la lettre par télécopieur. Le consultant a dit au demandeur qu'ils devraient se rencontrer peu de temps avant l'audience dans le but de la préparer. M. Mani a rappelé le consultant quelques temps plus tard et il a convenu avec lui d'une rencontre le 25 avril 2003. Au cours de cette rencontre, le consultant a informé le demandeur qu'il avait commis une erreur en inscrivant sa date d'audience et qu'il ne serait pas en mesure d'être présent à l'audience en raison d'un engagement qu'il avait déjà pris. Le consultant a ensuite donné à M. Mani une enveloppe scellée à présenter au membre de la Commission lors de l'audience.


[11]            Ce même jour, une formule « Avis de représentation par un conseil » a été déposée auprès de la Commission. Sous la rubrique « Mon conseil est » apparaissent le nom, le titre, l'adresse, le numéro de téléphone, le numéro de télécopieur et l'adresse de courriel du consultant en immigration. Ces renseignements semblent avoir été inscrits sur la formule au moyen d'un timbre en caoutchouc.

[12]            M. Masila Mani s'est présenté à l'audience du 28 avril et il a remis au membre de la Commission l'enveloppe scellée que le consultant lui avait donnée. Dans l'enveloppe se trouvait une lettre datée du 25 avril 2003, laquelle mentionne :

[traduction]

M. Masila Mani est arrivé de Toronto aujourd'hui. Il s'attendait à ce que je le représente le 28 avril 2003, mais je n'ai pas de mandat pour le faire et, par conséquent, la CISR n'a jamais communiqué avec moi. Il vous demandera une nouvelle date. Si vous acceptez, les dates (rapprochées) suivantes sont disponibles.

La lettre énumère ensuite un certain nombre de dates disponibles au cours des semaines qui suivent.

[13]            M. Masila Mani a informé la Commission que la lettre du consultant était inexacte sur deux aspects : il avait, dans les faits, retenus les services du consultant et il l'avait fait en septembre 2002.


[14]            Le membre de la Commission a alors demandé à M. Masila Mani s'il était prêt à procéder à l'audition de sa demande d'asile. Le demandeur a répondu qu'il était prêt à procéder sans être représenté. La Commission a alors interrogé M. Mani de façon vraiment approfondie, non pas concernant les événements ayant donné lieu à sa demande d'asile, mais plutôt concernant l'historique de sa demande et les mesures qu'il avait prises pour faire avancer le dossier. Après avoir achevé son interrogatoire, le président de l'audience a suspendu l'audience quelques instants et il a ensuite avisé le demandeur que [traduction] « [...] le tribunal commencerait une instance en désistement contre vous » . Le membre de la Commission a alors dit à M. Mani qu'il entendrait ce que celui-ci avait à dire quant aux raisons pour lesquelles on ne devrait pas conclure au désistement de la demande.

[15]            M. Masila Mani a expliqué qu'il avait toujours eu l'intention de poursuivre sa demande d'asile. Il a témoigné qu'il n'avait pas attendu jusqu'à la dernière minute pour retenir les services du consultant en immigration, malgré ce que la lettre du consultant donnait à penser. À vrai dire, M. Mani a affirmé que son épouse, qui n'était pas présente lors de l'audience, avait assisté à une rencontre avec le consultant à l'automne précédent et qu'elle serait en mesure de témoigner à cet effet. De plus, dans son affidavit, M. Mani déclare qu'il aurait pu obtenir les chèques payés de sa banque, lesquels auraient établi que les services du consultant avaient été, de fait, retenus à l'automne précédent.

LA DÉCISION DE LA COMMISSION

[16]            Après avoir entendu M. Mani, la Commission a rendu une décision de vive voix, comme suit :


[traduction]

Maintenant, j'ai tenu compte, monsieur, de la réponse que vous m'avez donnée lorsque je vous ai demandé si vous étiez prêt à procéder sans conseil aujourd'hui et, notamment, de votre empressement à procéder. Lorsque je tiens compte de l'ensemble des explications que vous m'avez fournies aujourd'hui, le tribunal en conclu que vous avez négligé vos affaires et il n'y a pas du tout de preuve déposée en votre nom jusqu'à ce jour, à l'exception du FRP. Et vous avez également changé de conseil de temps à autre depuis mars 2002. Et le dernier mandat qui n'est pas clair et qui est ambigu à bien des égards d'après [le consultant en immigration]. Tout cela m'indique qu'il y a eu désistement de votre demande.

[17]            M. Masila Mani a par la suite reçu un « Avis de décision » écrit, lequel mentionne :

[traduction]

Votre conseil (sic) et vous avez comparu à cette audience mais n'avez pas expliqué pourquoi la SPR ne devrait pas conclure au désistement de votre demande.

PAR CONSÉQUENT, LA SECTION DE LA PROTECTION DES RÉFUGIÉS DÉCLARE QU'IL Y A EU DÉSISTEMENT DE VOTRE DEMANDE.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[18]            M. Masila Mani soulève trois questions dans le cadre du contrôle judiciaire :

A.         La procédure suivie par la Commission relativement à la question du désistement comportait-elle des lacunes, entraînant un manquement à la justice naturelle?

B.         La Commission a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu'elle a nié le droit du demandeur à une audience équitable en rejetant une demande d'ajournement raisonnable?

C.         La Commission a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu'elle a déclaré, de manière déraisonnable, qu'il y avait désistement de la demande?

Bien que je sois quelque peu préoccupée quant au caractère raisonnable de la décision de la Commission relativement au désistement, je suis convaincue que la présente demande peut être tranchée à la lumière de la première question et qu'il n'est pas nécessaire de traiter des deux autres.


ANALYSE

[19]            La première question en litige proposée par M. Masila Mani se rapporte à une question de justice naturelle ou d'équité procédurale. Les questions d'équité procédurale sont examinées selon la norme de la décision correcte : Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] F.C.J. no 174.

[20]            Le paragraphe 58(2) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228, permet à la Commission d'examiner les questions relatives au désistement lors d'une audience convoquée spécialement à cette fin ou « [...] sur-le-champ, dans le cas où [le demandeur] est présent à l'audience et où la Section juge qu'il est équitable de le faire » . [Non souligné dans l'original]

[21]            En l'espèce, M. Masila Mani n'avait aucune raison de croire que la question du désistement serait soulevée lors de l'audience du 28 avril 2003. À vrai dire, l'avis qu'il a reçu de la part de la Commission l'informait qu'une instance en désistement pourrait être intentée contre lui s'il faisait défaut de comparaître à la date fixée pour son audience. M. Mani a fait ce qu'on lui avait demandé de faire : il a comparu à la date fixée pour l'audition de sa demande d'asile et il était prêt à procéder à cette date, malgré le fait qu'il n'était pas représenté.

[22]            Il est clair qu'il y a un désaccord entre M. Masila Mani et le consultant en immigration quant à savoir à quel moment ou, en fait, si les services du consultant ont été retenus pour représenter M. Mani dans le cadre de sa demande d'asile. Pour en arriver à sa conclusion selon laquelle M. Mani n'avait pas poursuivi sa demande d'asile avec diligence, la Commission a préféré le témoignage non assermenté contenu dans la lettre du consultant, lequel donnait à penser que le demandeur n'avait tenté de retenir les services du consultant qu'à la dernière minute, à celui assermenté de M. Mani selon lequel il avait retenu les services du consultant à l'automne précédent.

[23]            Je remarque certaines incohérences entre la déclaration du consultant, selon laquelle il n'avait [traduction] « pas de mandat » , et le fait que son timbre apparaisse sur la formule de comparution déposée auprès de la Commission trois jours avant la date fixée pour l'audition de la demande d'asile du demandeur. Il s'agit néanmoins d'une question d'appréciation de la preuve et cela relève de la Commission.


[24]            Fait plus important encore, toutefois, il ressort clairement, tant du témoignage de M. Masila Mani que de son affidavit, qu'il avait accès aux éléments de preuve, notamment le témoignage de son épouse et la preuve documentaire sous la forme de chèques payés, qui pouvaient démontrer que les services du consultant en immigration avaient vraiment été retenus plusieurs mois avant la date d'audience. Or, lors de l'audience, il n'avait pas avec lui ni son épouse ni les chèques payés, et il n'y avait aucune raison pour laquelle il aurait dû les avoir, puisqu'il n'avait eu aucune indication de la part de la Commission avant l'audience que la question du désistement pourrait être soulevée. Bien que M. Mani n'ait pas expressément demandé que l'audience soit ajournée dans le but de lui permettre de produire ces éléments de preuve, il a avisé le membre de la Commission qu'il était prêt à prendre les mesures nécessaires pour que son épouse témoigne, le cas échéant.

[25]            Comme l'a fait remarquer le juge O'Reilly dans la décision Nemeth c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 776, l'obligation imposée à la Commission de garantir une audience équitable peut être plus rigoureuse dans les situations où les demandeurs comparaissent sans conseil.

[26]            Compte tenu de toutes les circonstances de l'espèce, la Commission a manqué à l'équité procédurale en concluant au désistement de la demande d'asile de M. Masila Mani, avec toutes les conséquences négatives qu'une telle conclusion entraîne, sans l'avoir d'abord avisé dans un délai raisonnable que la question du désistement était « sur la table » ni lui avoir donné une occasion valable de produire tous les éléments de preuve qu'il pourrait avoir pour démontrer qu'il avait poursuivi sa demande avec diligence.

[27]            Pour ces motifs, la décision de la Commission devrait être annulée et l'affaire renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci statue à nouveau sur l'affaire.


CERTIFICATION

[28]            M. Masila Mani propose une question pour la certification relativement à l'interprétation du paragraphe 58(2) des Règles de la Section de la protection des réfugiés. Vu les motifs que j'ai donnés pour accueillir la présente demande, je ne suis pas convaincue que la question proposée permettrait de trancher l'affaire de M. Mani et je refuse donc de certifier la question.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          Pour les motifs énoncés ci-dessus, la présente demande est accueillie et la demande d'asile de M. Masila Mani est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci statue à nouveau sur l'affaire.

2.          Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

« A. Mactavish »                                

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 IMM-3795-03

INTITULÉ :                                      

ENTRE :                                                                     SELVAM MASILA MANI

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 26 FÉVRIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                                              LE 12 MARS 2004

COMPARUTIONS :

Jackie Esmonde                                                            POUR LE DEMANDEUR

Marcel Larouche                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Roach, Schwartz & Associates                                      POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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