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Date : 20221014


Dossier : T‑860‑21

Référence : 2022 CF 1404

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 14 octobre 2022

En présence de madame la juge Furlanetto

ENTRE :

IRIS TECHNOLOGIES INC.

demanderesse

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL ET LE COMMISSARIAT À L’INFORMATION DU CANADA

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La présente décision fait suite à deux requêtes en radiation de la demande d’Iris Technologies Inc. [Iristel], présentées respectivement par chacun des défendeurs.

[2] La demande sous‑jacente concerne une demande de communication présentée par Iristel en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, LRC (1985), c A‑1 [la LAI], en vue d’obtenir de l’Agence du revenu du Canada [l’Agence] tous les dossiers de vérification, de cotisation, de nouvelle cotisation et de recouvrement de la taxe sur les produits et services/taxe de vente harmonisée (TPS/TVH) la concernant, pour la période allant du 1er janvier 2017 au 31 mai 2020, ainsi qu’une allégation selon laquelle le Commissariat à l’information du Canada [le Commissariat ou le Commissaire] n’aurait pas poursuivi ou terminé son enquête sur la plainte qu’elle a déposée à cet égard. La demanderesse sollicite une ordonnance enjoignant au ministre du Revenu national [le ministre] de produire les documents demandés, et au Commissariat d’en ordonner la production.

[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’il est évident et manifeste que la demande est vouée à l’échec, car elle est prématurée, et que la réparation qui est sollicitée ne relève pas de la compétence de la Cour. Par conséquent, les requêtes seront accueillies et la demande sera radiée.

I. Contexte

[4] Le 21 avril 2020, Iristel a déposé des demandes, en vertu de la LAI, afin d’obtenir la communication de ses déclarations de TPS/TVH et de ses dossiers de vérification, de cotisation, de nouvelle cotisation et de recouvrement pour la période de déclaration cumulative allant du 1er janvier 2017 au 31 mars 2020. Quatre demandes ont été déposées, chacune visant une partie différente de la période de déclaration cumulative : 1) (A‑2020‑119232), période de déclaration 2017‑2018; 2) (A‑2020‑119229), période de déclaration du 1er janvier 2019 au 30 novembre 2019; 3) (A‑2020‑119228), période de déclaration du 1er décembre 2019 au 31 décembre 2019; et 4) (A‑2020‑119227), période de déclaration du 1er janvier 2020 au 31 mars 2020.

[5] Le 10 août 2020, Iristel a déposé une plainte auprès du Commissariat, car à cette date, elle n’avait reçu aucune réponse à ses demandes de communication. La plainte a été considérée comme découlant d’une [traduction] « réponse tardive à la demande [de la demanderesse] ». À la question de savoir ce qui permettrait de régler la plainte, la demanderesse a répondu que [traduction] « si [le Commissariat] ne peut obtenir que les documents soient communiqués dans un délai raisonnable, elle présenterait une demande à la Cour fédérale ».

[6] Le 12 avril 2021, Iristel a reçu une réponse du ministre ainsi que des documents concernant la demande de communication A‑2020‑119232 qui portait sur les vérifications effectuées pour les années d’imposition 2017 et 2018.

[7] Le 26 mai 2021, Iristel a déposé la demande sous‑jacente.

[8] Entre août et septembre 2021, Iristel a reçu des réponses du ministre ainsi que des documents concernant les autres demandes de communication.

II. Question préliminaire

[9] À titre préliminaire, la demanderesse et le Commissariat demandent l’autorisation de verser au dossier des requêtes des éléments de preuve se rapportant au contexte factuel et aux échanges qui ont eu lieu entre les parties depuis le dépôt de l’avis de demande et des requêtes.

[10] La preuve d’Iristel est constituée d’un affidavit de M. Samer Bishay, son fondateur et chef de la direction. M. Bishay veut joindre à son affidavit : une copie d’un document qu’il a reçu du ministre et qui concerne la période de déclaration du 1er janvier 2020 au 31 mars 2020; une « note de service sur le formulaire T2020 » que le ministre aurait omis de lui communiquer pour les périodes de déclaration 2017 et 2018; et des copies des quatre demandes de communication d’Iristel, de la plainte du 10 août 2020 et des courriels échangés entre le Commissariat et l’avocat d’Iristel entre mars 2021 et avril 2021.

[11] Le 30 mars 2022, Iristel a, dans le cadre de la gestion de l’instance, obtenu l’autorisation de verser un deuxième affidavit de M. Bishay au dossier des présentes requêtes. À ce deuxième affidavit étaient jointes des copies des documents reçus de l’Agence en réponse à une autre demande d’accès à l’information et de protection des renseignements personnels [demande d’AIPRP], demande qui visait à obtenir certains documents contenus dans les dossiers de la direction sur les demandes initiales de communication présentées par Iristel. Parmi les documents produits en réponse à cette deuxième demande d’AIPRP se trouvaient des documents produits en réponse aux autres demandes de communication.

[12] Il est évident que les faits énoncés dans l’avis de demande ont évolué depuis que celui‑ci a été déposé, si bien que je ne vois rien de préjudiciable à ce que le premier affidavit de M. Bishay puisse être déposé en preuve pour la même raison que le deuxième affidavit de M. Bishay a pu l’être : pour permettre à la Cour de bénéficier d’un dossier documentaire complet. Plus particulièrement, au moment où les requêtes ont été déposées, le ministre n’avait répondu qu’à l’une des demandes de communication de la demanderesse. Toutefois, lors de l’audition, le ministre avait répondu aux quatre demandes, tel que mentionné précédemment. Les deux affidavits comportent en annexe des documents qui fournissent de nouveaux renseignements sur le contexte factuel dans lequel s’inscrivent les questions soulevées dans les requêtes.

[13] La preuve présentée par le Commissariat est constituée d’un affidavit de Mme Mylène Smith, gestionnaire et cheffe temporaire de l’équipe d’enquêteurs du secteur des enquêtes et de la gouvernance du Commissariat qui est chargée de la plainte de la demanderesse. Cet affidavit vise à fournir des renseignements supplémentaires sur certaines lettres de suivi échangées entre les parties par suite de la communication d’avril 2021. Il vise également à confirmer qu’à part la plainte déposée en août 2020, le Commissariat n’a reçu aucune autre plainte officielle d’Iristel. J’estime que cet affidavit n’ajoute rien au contexte factuel déjà établi. Je l’admettrai néanmoins (admission que ne semble pas contester Iristel), car il fournit des renseignements contextuels au même titre que les affidavits de M. Bishay.

III. Analyse

[14] Le critère juridique s’appliquant à une requête en radiation d’une demande est bien établi. Le seuil à atteindre à cet égard est élevé : la Cour ne radiera un avis de demande de révision que dans le cas exceptionnel où cet avis est « manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli » : David Bull Laboratories (Canada) Inc c Pharmacia Inc, [1995] 1 CF 588 (CA) à la p 600.

[15] Comme le résume l’arrêt JP Morgan Asset Management (Canada) Inc c Canada (Revenu national), 2013 CAF 250 [JP Morgan] au para 47, « [la cour] doit être en présence d’une demande d’une efficacité assez radicale, un vice fondamental et manifeste qui se classe parmi les moyens exceptionnels qui infirmeraient à la base sa capacité à instruire la demande : Rahman c. Commission des relations de travail dans la fonction publique, 2013 CAF 117, au paragraphe 7; Donaldson c. Western Grain Storage By‑Products, 2012 CAF 286, au paragraphe 6; Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959 ». La cour qui applique cette norme doit lire la demande selon une approche globale et réaliste afin d’en dégager la nature essentielle : JP Morgan, au para 50; Canada (Procureur général) c Iris Technologies inc., 2022 CAF 101 au para 2.

[16] En l’espèce, la demande sous‑jacente vise essentiellement à demander au ministre qu’il communique les renseignements demandés par la demanderesse, et à enjoindre au Commissariat qu’il ordonne la communication de ces renseignements.

[17] La question primordiale en l’espèce est de savoir s’il est évident et manifeste que ces demandes sont vouées à l’échec.

[18] Le ministre et le Commissariat font valoir que la demande est prématurée parce qu’elle vise à contourner le processus administratif de la LAI qui régit le traitement des plaintes en matière d’accès à l’information présentées au Commissariat. Le Commissariat soutient que la demanderesse s’est seulement plainte du fait que le ministre n’avait pas répondu à ses demandes d’accès et non du contenu des réponses du ministre, et ce n’est que dans ce dernier cas que le Commissaire peut enquêter sur la divulgation qui a été faite. De même, le ministre soutient que la Cour ne peut lui demander de communiquer des documents qu’après avoir révisé le compte rendu produit par le Commissaire par suite d’une enquête sur une plainte de communication insuffisante ou de refus injustifié de communication. Les défendeurs affirment en outre qu’Iristel ne peut obtenir d’ordonnance de mandamus qui enjoindrait au Commissaire d’exercer son pouvoir discrétionnaire dans un sens donné.

[19] La demanderesse soutient que le ministre est tenu de communiquer les renseignements demandés dans les délais prévus par la loi. Si le ministre ne le fait pas, le demandeur peut déposer une plainte auprès du Commissariat afin qu’il y ait enquête et qu’il puisse obtenir les renseignements demandés. La demanderesse fait valoir que le Commissariat n’a pas enquêté sur sa plainte et que la Cour peut donc, à l’issue d’une révision, obliger celui‑ci à s’acquitter de son obligation et à enjoindre au ministre de communiquer tous les documents demandés. Elle soutient en outre que, puisqu’une partie importante des documents demandés n’a pas été produite, il n’y a pas véritablement eu de communication.

[20] Les arguments soulevés par les parties se résument aux sous‑questions suivantes : a) la demande est‑elle prématurée? b) la réparation demandée échappe‑t‑elle à la compétence de la Cour?

A. La demande d’Iristel est‑elle prématurée?

[21] Le paragraphe 4(1) de la LAI dispose que les Canadiens ont droit à l’accès aux documents relevant d’une institution fédérale et peuvent se les faire communiquer sur demande, sous réserve des exceptions énoncées aux articles 13 à 26.

[22] Selon l’article 7 de la LAI, le responsable de l’institution fédérale à qui est faite une demande de communication de documents gouvernementaux est tenu, dans les trente jours suivant sa réception, et sous réserve des conditions auxquelles la demande peut être transmise à une autre institution ou le délai prorogé : a) d’aviser par écrit la personne qui a fait la demande de ce qu’il sera donné ou non communication totale ou partielle du document; b) le cas échéant, de donner communication totale ou partielle du document.

[23] Le défaut de communication d’un document dans les délais prévus vaut décision de refus de communication (art 10(3) de la LAI).

[24] La personne qui s’est vue ou qui est présumée s’être vue refuser la communication peut déposer une plainte auprès du Commissariat (art 30 de la LAI).

[25] En l’espèce, Iristel a déposé une plainte parce qu’elle n’avait obtenu aucune réponse à ses demandes de communication. Comme le délai prévu à l’article 7 de la LAI était expiré, il y avait présomption de refus au titre du paragraphe 10(3).

[26] Iristel soutient que la plainte qu’elle a déposée le 10 août 2020 reposait autant sur la présomption de refus de communication que sur l’insuffisance de la communication.

[27] Or, le jour où la plainte a été déposée, le ministre n’avait communiqué aucun document. Je suis d’accord avec le défendeur : la plainte aurait pu simplement reposer sur la présomption de refus de communication, car le ministre n’avait pas vraiment refusé de communiquer les documents demandés. C’est d’ailleurs la seule raison invoquée dans la plainte.

[28] Ce n’est qu’après avoir reçu des réponses à ses demandes de communication que la demanderesse aurait pu se plaindre de l’insuffisance de la production.

[29] Comme l’a fait remarquer le Commissariat, lorsqu’il est saisi d’une plainte fondée sur une présomption de refus, il doit enquêter sur la raison pour laquelle aucune réponse n’a été donnée. Le Commissaire ne peut pas enquêter sur la nécessité de communiquer les documents demandés ou d’en ordonner la communication parce que l’institution n’a pas encore fait connaître sa réponse à la demande de communication : Canada (Le Commissaire à l’information) c Canada (Ministre de la défense nationale), (1999) 166 FTR 277 (CAF) aux para 24‑28.

[30] Dans l’arrêt Statham c Société Radio‑Canada, 2010 CAF 315 [Statham], la Cour d’appel fédérale s’est penchée sur l’obligation qu’a le Commissaire d’enquêter dans le cas d’une présomption de refus de communication. Elle a statué que le Commissaire pouvait exercer son pouvoir discrétionnaire de restreindre la portée de son enquête sur une présomption de refus et se borner à recommander un délai dans lequel l’institution fédérale devrait répondre à la demande de communication. Comme il est mentionné aux paragraphes 39 à 41 de cette décision :

[39] À mon avis, c’est à bon droit que le juge s’est dit d’avis que le commissaire avait toute latitude pour restreindre ainsi la portée de son enquête. L’article 34 de la Loi confère au commissaire le pouvoir d’« établir la procédure à suivre dans l’exercice de ses pouvoirs et fonctions ». Bien que l’article 34 précise que ce pouvoir est conféré « [s]ous réserve des autres dispositions de la présente loi », il n’y a rien dans la Loi qui permette de penser que le commissaire a l’obligation, dans chaque cas, d’examiner et d’apprécier les dérogations et les exceptions invoquées par l’institution fédérale avant de pouvoir déclarer qu’à son avis, l’institution fédérale est présumée avoir refusé de communiquer les documents demandés. Ainsi que le commissaire le souligne, une telle obligation aurait de graves répercussions sur les ressources du Commissariat.

[40] On trouve un appui en faveur du pouvoir de la commissaire de restreindre la portée de son enquête dans les motifs de notre Cour dans l’arrêt Ministre de la Défense nationale. Dans cette affaire, le commissaire, qui était saisi d’une plainte portant sur un refus présumé de communication, avait décidé d’enquêter sur la plainte de la même manière qu’en l’espèce. Au paragraphe 16 de ses motifs, la Cour écrit :

En l’espèce, le Commissaire aurait pu, dès le défaut de l’institution de respecter le délai, entreprendre son enquête comme s’il y avait eu refus réel. Il dispose, en effet, de pouvoirs d’enquête tels qu’il peut, en début d’enquête, contraindre l’institution à exposer les raisons de son refus. Le Commissaire, qui est maître de sa procédure aux termes de l’article 34 de la Loi, a choisi une autre voie. Il a voulu, à l’amiable, amener l’institution à donner l’avis requis par les articles 7 et 10. Il a, en quelque sorte, cherché à transformer en refus réel un refus qui n’était alors que présumé. Il a, à toutes fins utiles, scindé son enquête en deux volets, cherchant dans un premier temps à obtenir la réponse de l’institution, pour se pencher ensuite, dans un deuxième temps, sur le bien‑fondé de la réponse éventuellement donnée. [Non souligné dans l’original.]

[41] On trouve dans ce passage, ainsi que dans l’ensemble des motifs de la Cour, une confirmation implicite du droit de la commissaire de restreindre la portée de son enquête à l’examen du refus présumé. Le commissaire peut, au terme de son enquête, se borner à recommander un délai dans lequel l’institution fédérale devra répondre à la demande de communication. Une telle méthode aboutira, en fin de compte, à la transmission, par l’institution fédérale, de l’avis exigé aux articles 7 et 10 de la Loi. Si la communication est alors refusée, la réponse de l’institution permettra à l’auteur de la demande d’accès d’examiner l’opportunité de porter de nouveau plainte au commissaire.

[31] En l’espèce, le Commissariat n’a pas répondu officiellement à la plainte d’Iristel. Toutefois, le ministre a répondu aux demandes de la demanderesse après que la plainte eut été déposée. Cela étant, j’estime que la plainte de la demanderesse, qui reposait sur l’absence de réponse du ministre, est devenue théorique : Sheldon c Canada (Santé), 2015 CF 1385 [Sheldon] au para 20.

[32] Dans la lettre qui accompagnait chacune de ses quatre réponses, le ministre mentionnait que certains renseignements avaient été supprimés ou caviardés au titre d’un ou de plusieurs des paragraphes 16(2), 19(1) et 24(1) et de l’alinéa 16(1)c) de la LAI. Il mentionnait également que si Iristel n’était pas satisfaite de l’une ou l’autre des réponses, elle pouvait déposer une plainte auprès du Commissariat dans les 60 jours, et il lui donnait des renseignements sur la façon de présenter cette plainte. Le Commissariat a reçu une copie des réponses.

[33] Aucune autre plainte n’a été déposée par la demanderesse quant au contenu des réponses du ministre.

[34] En règle générale, à défaut de circonstances exceptionnelles, un tribunal doit refuser d’entendre une demande de contrôle judiciaire avant que tous les processus administratifs n’aient été épuisés : Conseil de bande de la Première Nation de Peters c Peters, 2019 CAF 197 [Peters] au para 37.

[35] La Cour peut refuser d’entendre une demande de contrôle judiciaire si elle conclut que le processus administratif offre une solution de rechange adéquate : Strickland c Canada (PG), 2015 CSC 37 [Strickland] au para 40. Pour décider s’il existe un autre recours ou tribunal adéquat, certaines considérations sont pertinentes, notamment (Strickland, au para 42) :

[…] la commodité de l’autre recours, la nature de l’erreur alléguée, la nature de l’autre tribunal qui pourrait statuer sur la question et sa faculté d’accorder une réparation, l’existence d’un recours adéquat et efficace devant le tribunal déjà saisi du litige, la célérité, l’expertise relative de l’autre décideur, l’utilisation économique des ressources judiciaires et les coûts […]

[36] Il n’est pas nécessaire que le processus ou le recours en question soit identique pour être adéquat. Il suffit qu’il « permet[te] […] en toutes circonstances de trancher le grief du demandeur » : Strickland, au para 42.

[37] En l’espèce, la LAI prévoit un processus qui permet de déposer une plainte au sujet des documents qui ont été communiqués jusqu’à maintenant. Toutefois, s’agissant de la plainte qu’elle fait maintenant valoir, Iristel n’a pas dûment suivi ce processus.

[38] Le paragraphe 41(1) de la LAI accorde au demandeur le droit de demander la révision judiciaire du compte rendu fait par le Commissariat si trois conditions sont réunies : 1) le demandeur s’est vu refuser la communication d’un document demandé; 2) il a déposé une plainte auprès du Commissariat au sujet de ce refus; et 3) il a reçu du Commissariat le compte rendu prévu au paragraphe 37(2) de la LAI. La demande de révision judiciaire ne peut être présentée qu’après que le Commissariat a réalisé une enquête et rendu compte de ses conclusions au sujet de la plainte en question : Whitty c Canada (Procureur général), 2014 CAF 30 au para 8. La LAI ne confère aucun droit à une révision judiciaire lorsqu’il n’y a pas eu d’enquête sur la plainte, car dans un tel cas, il n’y aurait pas de décision ou de compte rendu à réviser : voir Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Gregory, 2021 CAF 33 au para 8, qui porte sur la disposition correspondante de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P‑21.

[39] Comme la Cour l’a dit au paragraphe 22 de la décision Sheldon :

[…] Dans le cadre d’une demande de révision présentée en vertu de l’article 41 de la Loi sur le fondement d’une plainte portant sur un refus présumé de communication, la Cour ne peut statuer sur l’application de toute dérogation ou exception invoquée en vertu de la Loi tant que le commissaire n’a pas enquêté et rendu compte de ses conclusions au sujet de la dérogation ou de l’exception revendiquée (Statham, précité, au paragraphe 55; Whitty, précité, aux paragraphes 8 et 9, Lukács c Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, 2015 CF 267, au paragraphe 31).

[40] Le rôle de la Cour en est un de dernier ressort (Peters, au para 37); il ne lui appartient pas de se prononcer au fond sur la véracité des renseignements communiqués, et elle ne possède pas non plus l’expertise du Commissariat pour le faire.

[41] Iristel soutient que le délai de réponse à ses demandes initiales a été long. Elle fait valoir que sa première plainte n’est toujours pas réglée, et que ce délai excessif crée une situation exceptionnelle qui justifie sa demande de révision judiciaire.

[42] Toutefois, comme l’a souligné le ministre, il lui a été plus difficile de répondre aux premières demandes d’Iristel dans le délai requis à cause de la vérification menée par l’ARC à l’égard de cette dernière. La preuve qui m’a été présentée est insuffisante pour que je puisse tirer des conclusions sur le temps qu’il faudrait pour enquêter sur une autre plainte concernant les documents communiqués, car le processus applicable à ce type de plainte n’a pas été suivi.

[43] Comme l’a rappelé la Cour dans la décision Fortin c Canada (Procureur général), 2021 CF 1061, il est prématuré de présumer qu’une réparation ne pourrait pas être accordée à la faveur des procédures administratives alors que le demandeur a omis de s’en prévaloir (au para 45).

[44] À mon avis, la présente demande est prématurée en ce qu’elle vise à court‑circuiter le processus administratif. Les réparations sollicitées par la demanderesse sont prévues par la LAI et la demanderesse doit s’en prévaloir.

B. La réparation demandée échappe‑t‑elle à la compétence de la Cour?

[45] De plus, je conviens avec les défendeurs que la Cour ne saurait accorder la réparation demandée, car on ne peut demander une ordonnance de mandamus en vue d’obliger un décideur à exercer son pouvoir discrétionnaire dans un sens donné : Canada (Directeur général des élections) c Callaghan, 2011 CAF 74 au para 126. Comme l’a résumé mon collègue le juge Grammond dans la décision Doshi c Canada (Procureur général), 2018 CF 710 aux paragraphes 92 et 93 :

[92] Une ordonnance de mandamus n’est délivrée que dans des circonstances précises. En général, une ordonnance de mandamus est accordée seulement si le défendeur a une obligation non discrétionnaire d’agir (Apotex Inc c. Canada (Procureur général), 1993 CanLII 3004 (CAF), [1994] 1 C.F. 742 (C.A.), aux pages 766 à 769 [Apotex], confirmé par 1994 CanLII 47 (CSC) [1994] 3 R.C.S. 1100). Lorsqu’il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire, le respect de l’autonomie du pouvoir exécutif exige habituellement que la cour de révision se limite à annuler la décision contestée. Comme l’a déclaré le juge Yves de Montigny de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Yansane, 2017 CAF 48, au paragraphe :

De manière générale, le rôle d’une cour d’instance supérieure siégeant en contrôle judiciaire d’une décision administrative n’est pas de substituer sa décision à celle du décideur administratif; son rôle se limite plutôt à vérifier la légalité et la raisonnabilité de la décision rendue, et de retourner le dossier au même décideur ou à un autre décideur du même organisme si elle estime qu’une erreur a été commise et que la décision s’en trouve entachée d’illégalité ou ne fait pas partie des issues acceptables eu égard aux faits et au droit […]

[93] L’ordonnance de mandamus ne peut donc pas être utilisée pour exiger qu’un pouvoir discrétionnaire soit exercé dans un sens déterminé (Apotex, à la page 768; Canada (Santé) c The Winning Combination Inc., 2017 CAF 101 [Winning Combination]). Il est arrivé toutefois que des cours délivrent des ordonnances de mandamus lorsqu’il n’existe qu’une seule issue raisonnable (voir, par exemple, l’arrêt Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, [2011] 3 R.C.S. 134, aux paragraphes 150 et 151; voir aussi, a contrario, l’arrêt Winning Combination, au paragraphe 75).

[46] Les paragraphes 36.1(1) et (3) de la LAI énoncent le pouvoir discrétionnaire du Commissaire de rendre toute ordonnance, assortie des conditions qu’il juge indiquées, à l’égard d’une plainte relative à la production de documents lorsqu’il conclut au bien‑fondé de la plainte :

Pouvoir de rendre des ordonnances

Power to make order

36.1 (1) À l’issue d’une enquête sur une plainte visée à l’un des alinéas 30(1)a) à e), le Commissaire à l’information peut, s’il conclut au bien‑fondé de la plainte, rendre toute ordonnance qu’il juge indiquée à l’égard d’un document auquel la présente partie s’applique, notamment ordonner au responsable de l’institution fédérale dont relève le document :

36.1 (1) If, after investigating a complaint described in any of paragraphs 30(1)(a) to (e), the Commissioner finds that the complaint is well‑founded, he or she may make any order in respect of a record to which this Part applies that he or she considers appropriate, including requiring the head of the government institution that has control of the record in respect of which the complaint is made

a) d’en donner communication totale ou partielle;

(a) to disclose the record or a part of the record; and

b) de revoir sa décision de refuser la communication totale ou partielle du document.

(b) to reconsider their decision to refuse access to the record or a part of the record.

[…]

[…]

Conditions

Condition

(3) L’ordonnance peut être assortie des conditions que le Commissaire à l’information juge indiquées.

(3) The order may include any condition that the Information Commissioner considers appropriate

[47] Iristel affirme que, malgré le libellé des paragraphes 36.1(1) et (3), il n’y a qu’une seule façon raisonnable pour le Commissaire d’exercer son pouvoir discrétionnaire en l’espèce. Elle affirme en outre qu’une ordonnance de mandamus peut être délivrée si le Commissaire refuse d’enquêter sur une plainte ou tarde de façon déraisonnable à le faire. Elle renvoie à la décision Coderre c Canada (Commissaire à l’information), 2015 CF 776 [Coderre] pour étayer son argument. Toutefois, j’estime que la décision Coderre n’est pas utile à cet égard.

[48] Dans l’affaire Coderre, les demandeurs sollicitaient un bref de mandamus enjoignant au Commissaire de leur communiquer les comptes rendus de ses conclusions d’enquête sur les plaintes qu’ils avaient déposées en vertu de la LAI après qu’ils se soient vus refuser la communication de certains documents demandés à l’Agence du revenu du Canada. La demande mettait en jeu l’article 37 de la LAI et l’obligation de rendre compte du Commissaire. Les demandeurs ne cherchaient pas, contrairement au cas présent, à contraindre le Commissaire à rendre à l’égard de leur plainte une ordonnance précise en vertu de l’article 36 de la LAI. Ainsi, la décision Coderre ne porte pas sur une ordonnance de mandamus enjoignant à un décideur d’exercer son pouvoir discrétionnaire.

[49] De plus, bien que dans la décision Coderre, la Cour ait examiné la question du retard, elle l’a fait dans le contexte de la mesure de redressement recherchée, soit la communication du compte rendu des enquêtes initiées par le Commissaire sur les plaintes déposées par les demandeurs à l’égard des documents communiqués par le ministre, et en fonction de la preuve produite par les parties quant au temps mis par le Commissaire pour répondre. Aucune preuve en ce sens n’a été présentée à la Cour en l’espèce.

[50] De plus, les faits allégués n’appuient pas l’argument de la demanderesse, car l’ordonnance de mandamus que celle‑ci demande a une portée plus large que celle de la plainte qu’elle a déposée.

[51] Comme je l’ai mentionné, la plainte de la demanderesse porte sur le défaut du ministre de répondre à ses demandes de communication. Cette plainte est en fait devenue théorique en raison des réponses que le ministre a plus tard envoyées. Comme la nature des documents communiqués n’a jamais fait l’objet d’une plainte officielle, il ne peut pas y avoir d’enquête en cours sur une telle plainte.

[52] Même si la plainte pouvait être considérée comme étant de portée plus large, les circonstances de l’affaire ne permettent pas de conclure qu’il n’y a qu’une seule façon raisonnable pour le Commissaire d’exercer son pouvoir discrétionnaire.

[53] Les dossiers en cause comprennent des dizaines de milliers de documents. Il est impossible de conclure que le Commissariat jugerait la plainte bien fondée ou qu’il rendrait, par conséquent, une ordonnance générale de communication.

[54] En effet, il est inconcevable que la Cour puisse accorder la réparation demandée sans rien savoir des documents demandés et sans bénéficier de l’expertise du ministre et, partant, de l’examen du Commissariat, quant à la portée et au contenu des documents disponibles.

[55] Comme rien ne justifie la réparation demandée, il est évident et manifeste que la demande est vouée à l’échec.

[56] Pour tous ces motifs, les requêtes sont accueillies et la demande est radiée dans son intégralité.

IV. Dépens

[57] Iristel a affirmé que si elle n’obtenait pas gain de cause dans les requêtes, aucuns dépens ne devraient être adjugés.

[58] Les défendeurs ont affirmé que les dépens devraient être adjugés selon la pratique habituelle, c.‑à‑d. selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne III du Tarif B. Ils font valoir que, puisque chacun d’eux a déposé sa propre requête, cela équivaut à 2 500 $ chacun.

[60] Je reconnais que la demande des défendeurs est appropriée dans les circonstances, et les dépens demandés seront par conséquent accordés.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T‑860‑21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. Les requêtes sont accueillies et l’avis de demande est radié dans son intégralité.

  2. Chacun des défendeurs a droit à des dépens de 2 500 $.

« Angela Furlanetto »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑860‑21

 

INTITULÉ :

IRIS TECHNOLOGIES INC. c MINISTRE DU REVENU NATIONAL ET LE COMMISSARIAT À L’INFORMATION DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 SEPTEMBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FURLANETTO

 

DATE DES MOTIFS :

Le 14 OCTOBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Leigh Somerville Taylor

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Mirielle Dahab

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Andrea Jackett

Elizabeth Chasson

Angela Slater

Christopher Ware

 

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

Aditya Ramachandran

Rachelle Nadeau

 

POUR LE DÉFENDEUR

LE COMMISSARIAT À L’INFORMATION DU CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Leigh Somerville Taylor Professional Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Dahab Law

Avocats

Markham (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

Commissariat à l’information du Canada

Services juridiques

Gatineau (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

LE COMMISSARIAT À L’INFORMATION DU CANADA

 

 

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