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Date : 20000803


Dossier : IMM-4764-99


OTTAWA (ONTARIO), LE JEUDI 3 AOÛT 2000


EN PRÉSENCE DE : M. LE JUGE TEITELBAUM



ENTRE :


     TUYET MAI et SOI THI DO

    

     demandeurs

     et


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


     défendeur

     ORDONNANCE

     Pour les motifs énoncés dans mes motifs de l'ordonnance, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


Max M. Teitelbaum

J.C.F.C.


Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.




Date : 20000803


Dossier : IMM-4764-99



ENTRE :


     TUYET MAI et SOI THI DO

    

     demandeurs

     et


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


     défendeur

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

[1]      Au moyen de ce contrôle judiciaire, les demandeurs contestent la décision de la Section du statut de réfugié (SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, en date du 8 septembre 1999. Dans cette décision, la SSR concluait que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention, selon la définition du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration1. Le juge Tremblay-Lamer a accordé l'autorisation de demander le contrôle judiciaire le 4 mai 2000.

I. Le contexte

[2]      Les demandeurs, Tuyet Mai et sa conjointe Soi Thi Do2, sont citoyens du Vietnam. Ils sont arrivés au Canada, à Vancouver, le 5 février 1998. Le demandeur a présenté sa revendication de statut de réfugié au sens de la Convention à Calgary le 16 mars 1998. Sa conjointe a présenté sa revendication en septembre 1998. Le demandeur soutient qu'il a une crainte fondée de persécution aux mains du gouvernement au Vietnam, à cause de ses opinions politiques. La conjointe du demandeur fonde sa revendication sur le fait qu'elle est membre d'un groupe social, savoir la famille du demandeur.

[3]      Dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur déclare que de 1968 à 1975 il a travaillé pour un organisme gouvernemental chargé d'encourager la construction de maisons en milieu rural, plus particulièrement dans la section qui s'occupait de la province de Lam Dong. Après la chute du Vietnam aux mains des communistes, il a été envoyé dans un camp de redressement et ensuite mis en liberté conditionnelle. Les conditions imposées au demandeur étaient les suivantes : qu'il présente une évaluation écrite personnelle sur une base hebdomadaire; qu'il se présente lorsque convoqué à des réunions; qu'il soit présent à son domicile et prêt à en donner l'accès aux enquêteurs à tout moment; qu'il obtienne la permission des services de police avant de voyager; qu'il se décharge de toutes les responsabilités qui lui assignait le comité de district. On lui interdisait aussi de travailler dans certains emplois3. À l'audience, le demandeur a déclaré qu'on l'avait autorisé à travailler comme journalier4.

[4]      Dans son FRP, le demandeur a déclaré qu'il n'a pas travaillé depuis 1975.

[5]      Dans son FRP, le demandeur a inscrit « N/A » à côté des questions portant sur le service militaire, savoir s'il était obligatoire, s'il l'avait fait, quelle était sa nature (volontaire ou conscrit), et à quelles dates.

[6]      À l'audience devant la SSR, le demandeur a déclaré qu'il a servi dans l'armée du Vietnam, son travail au sein du programme gouvernemental d'encouragement à la construction de logements tenant lieu de service militaire. Il a aussi témoigné qu'en 1985, il possédait à peu près 800 caféiers et qu'il vendait chaque année une tonne de graines de café à des marchands de café, avec la permission du gouvernement5.

[7]      Le demandeur a témoigné qu'à la fin de la guerre en 1975, il a été capturé par le gouvernement communiste et envoyé dans un camp de rééducation/redressement6. Il a aussi témoigné qu'il avait été torturé pendant trois jours, savoir mis à nu les mains attachées au-dessus de la tête, et lié de façon à ne pouvoir bouger7.

[8]      Le demandeur a présenté une évaluation psychologique à la SSR, qui a été administrée par le Dr Hap Davis le 25 mai 19998. Ce rapport a été préparé aux instances de l'avocat du demandeur, qui a précisé les questions que le médecin devait traiter dans son analyse de la situation du demandeur. Le rapport conclut que le demandeur souffre d'un état de stress post-traumatique (ESPT), ainsi que de symptômes de dépression (toutefois, il n'y a pas eu de diagnostic de dépression). Selon l'évaluation du Dr Davis, le demandeur se situait dans la catégorie 4 (de 5 catégories), ce qui indique un niveau élevé de risque psychologique s'il était renvoyé au Vietnam9.

[9]      Finalement, il faut noter ici que lorsque le demandeur et sa conjointe se sont présentés devant la SSR, ils étaient accompagnés d'un observateur, Co Nguyen.

II. La décision du tribunal

[10]      L'audience de la SSR s'est tenue le 2 juin 1999 et la décision du tribunal a été délivrée le 8 septembre 199910. Le tribunal a conclu que la crainte du demandeur d'être persécuté au Vietnam n'était pas fondée. Par conséquent, la demande de sa conjointe a aussi été rejetée. Les motifs du tribunal font ressortir que ses réserves portent sur trois parties du témoignage du demandeur : la partie qui traite de son service militaire au Vietnam de 1968 à 1975; la partie qui traite de son emploi, ou du fait qu'il n'en avait pas; et la partie qui traite des événements entourant le départ du demandeur du Vietnam. Le tribunal est aussi arrivé à une conclusion négative au sujet de l'évaluation psychologique du demandeur par le Dr Davis.

[11]      Dans sa décision, le tribunal déclare qu'il a conclu que le demandeur n'avait pas dit la vérité au sujet de ses activités alors qu'il était au Vietnam, notamment au sujet de son service militaire et de la période qui l'a suivi :

         [traduction]

         Le tribunal conclut que le demandeur n'a pas dit la vérité quant à ses activités au Vietnam. Il n'a pas mentionné son service militaire dans son FRP et il a déclaré avoir travaillé pour le programme gouvernemental d'encouragement à la construction de logements de 1968 à 1975, soit la période pendant laquelle il était en service militaire actif. Il a aussi déclaré dans son FRP qu'il était sans travail par la suite, alors qu'il se livrait à l'agriculture - même s'il s'agissait d'une petite exploitation. Ceci vient mettre en doute sa crédibilité. Le tribunal conclut que le fait que le demandeur n'a pas donné ces renseignements essentiels au sujet de son service militaire et de son gagne-pain vient colorer la crédibilité de son témoignage dans les autres domaines, notamment les détails qu'il a fournis sur ses responsabilités lorsqu'il était militaire. Le tribunal n'ajoute pas foi au demandeur lorsqu'il dit ne pas avoir combattu ou avoir fourni des services aux combattants11.

[12]      Le tribunal a aussi eu des difficultés face aux gestes posés par le demandeur au sujet des maisons dont il était propriétaire au Vietnam, ainsi que de la façon utilisée pour en traiter avant de quitter le Vietnam :

         [traduction]

         Des questions ont été posées au demandeur au sujet des trois maisons dont il a déclaré être le propriétaire dans sa demande de visa de visiteur au Canada (VVC). On lui a aussi posé des questions au sujet du temps qui s'est écoulé entre le moment où il a obtenu son visa, le 9 octobre 1997, et celui où il est venu au Canada, le 5 février 1998. Sa réponse indique qu'il a utilisé cette période pour obtenir le transfert des titres de propriété de ses maisons à ses enfants adultes qui résident au Vietnam. Le tribunal conclut que même si le demandeur déclare qu'il a peur de retourner au Vietnam parce qu'il a signé un engagement d'y retourner avant de partir, il n'avait aucunement l'intention d'y retourner. Il a pris les dispositions requises pour transférer les titres de propriété de ses maisons à ses enfants avant de partir. Le tribunal n'accepte pas son explication qu'il aurait pris ces dispositions de peur que ses propriétés soient confisquées s'il ne revenait pas au Vietnam. Rien dans la preuve n'indique au tribunal que les autorités du Vietnam ne pourraient pas confisquer ses propriétés maintenant, si elles avaient des motifs de le faire.
         Le tribunal a examiné les circonstances du départ du Vietnam du demandeur. Le demandeur a sollicité la délivrance d'un VVC, qu'il a reçu le 9 octobre 1997. Il n'a eu aucune difficulté à quitter avec un passeport établi à son nom. Lorsqu'on lui a demandé si le transfert des titres de propriété à ses enfants avait occasionné des soupçons, il a répondu que « Nous avons utilisé le fait que nos enfants sont adultes et que nous sommes vieux » . Le tribunal n'accepte pas que cette explication de ses gestes soit raisonnable. Le geste qu'il a posé était prémédité et le demandeur a pris le temps qu'il fallait pour régler ces transactions sans avoir de difficultés12.

[13]      Finalement, le tribunal a conclu ceci au sujet de l'évaluation psychologique du demandeur :

         [traduction]

         Finalement, le tribunal a examiné le rapport psychologique du Dr Davis. [la note de bas de page n'est pas reproduite] Le tribunal note que le demandeur est arrivé au Canada le 5 février 1998 et qu'il n'a consulté le Dr Davis qu'en mai 1999. Il a passé quatre heures en entrevue avec le médecin. Il n'a pas été référé à un autre médecin pour être traité et il semble qu'aucun suivi n'ait été nécessaire, puisqu'on ne trouve aucune recommandation à ce sujet. Quand on lui a demandé si le Dr Davis lui avait fait des recommandations, le demandeur a déclaré ceci : « Il m'a conseillé de vivre dans un endroit tranquille et d'éviter le stress » . À la page 5 du rapport, on trouve ceci :
             La probabilité qu'il soit déprimé par suite d'un renvoi est d'à peu près 50 p. 100. Il est presque sûr que son ESPT (État de stress post-traumatique) s'aggraverait s'il était renvoyé quelque part au Vietnam.
         Compte tenu du fait que le médecin n'a pas recommandé de traitement, le tribunal conclut qu'on peut raisonnablement supposer qu'il ne considérait pas le risque si élevé13.

III. Les questions en litige

[14]      Voici les questions à trancher :

     1)      Le demandeur a-t-il été privé de son droit à la justice naturelle par suite d'une interprétation déficiente de son témoignage, et peut-il soulever cette objection dans le cadre de ce contrôle judiciaire?
     2 )      La SSR a-t-elle commis une erreur en attaquant la crédibilité du demandeur, se fondant pour ce faire sur des déductions et des conclusions de fait erronées, fondées en partie sur l'interprétation?
     3)      La SSR a-t-elle commis une erreur dans son évaluation du rapport psychologique du Dr Davis?
     4)      La SSR a-t-elle commis une erreur en n'évaluant pas la revendication du demandeur sur la preuve autre que son témoignage?

IV. Le point de vue du demandeur

[15]      Le demandeur soutient que l'interprétation à l'audience devant la SSR était déficiente et qu'elle a mené à une fort mauvaise compréhension de son témoignage, ce qui lui a causé un préjudice ainsi qu'à sa conjointe. Ce faisant, le demandeur s'appuie sur l'affidavit de Co Nguyen, qui était un observateur à l'audience devant la SSR14.

[16]      Le demandeur soutient que la conclusion négative à laquelle le tribunal est arrivé au sujet de sa crédibilité trouve son origine dans une mauvaise compréhension du témoignage du demandeur et dans une interprétation incorrecte de ce témoignage, ainsi que dans certaines conclusions d'ordre spéculatif.

[17]      Le demandeur soutient que la conclusion du tribunal au sujet de l'évaluation psychologique est déraisonnable et qu'elle ne tient pas compte de la plus grande partie des conclusions qu'on trouve au rapport. Le demandeur soutient que l'objectif du rapport était simplement de fournir une évaluation de sa situation, et non de présenter un régime de traitement. La conclusion du tribunal que le médecin n'avait pas jugé que le risque causé par un retour au Vietnam était « si élevé » ne tient pas compte des conclusions du rapport.

[18]      Finalement, le demandeur soutient que le tribunal n'a pas évalué sa revendication au vu du reste de la preuve. Le tribunal ne fait notamment aucune mention dans ses motifs du document intitulé « Ordonnance de détention » 15. Le demandeur soutient que même si on devait rejeter tout son témoignage, il reste une preuve suffisante pour établir l'existence d'une crainte fondée de persécution.

V. Le point de vue du défendeur

[19]      Le défendeur soutient que si le demandeur avait des inquiétudes au sujet de la qualité de l'interprétation fournie à l'audience, il devait en faire état aussitôt que possible. Il s'est écoulé trois mois entre la fin de l'audience et la décision du tribunal, période qui, selon le défendeur, donnait aux demandeurs tout le temps voulu d'informer la SSR de ses inquiétudes. Le défendeur soutient que la conduite du demandeur équivaut à une renonciation implicite de plaider la violation d'un principe de justice naturelle.

[20]      Le défendeur soutient que de toute façon les erreurs d'interprétation n'étaient pas significatives et qu'elles n'ont pas joué un rôle important dans la décision de la SSR.

[21]      Le défendeur soutient aussi que le tribunal pouvait tout à fait arriver à une conclusion négative sur la question de la crédibilité.

[22]      Quant à l'évaluation psychologique, le défendeur soutient que le tribunal pouvait tout à fait n'accorder aucun poids au rapport pour les motifs suivants : le demandeur a consulté le médecin juste avant l'audience de la SSR; le rapport ne mentionne aucune référence pour un traitement ou suivi; les faits présentés au Dr Davis par le demandeur ne correspondent pas aux faits que ce dernier a présentés à l'audience.

VI. Analyse

1. L'interprétation

[23]      La question d'une interprétation erronée ou inadéquate a été traitée récemment par notre Cour : le juge Pelletier, dans Mohammadian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)16. Dans cette affaire, la Cour s'est penchée sur l'application de l'arrêt de la Cour suprême du Canada R. c. Tran17 aux procédures devant la SSR.

[24]      Dans Tran, un Vietnamien était accusé d'agression sexuelle. À son procès, il était assisté d'un interprète. Ce dernier a dû témoigner au procès lorsqu'une question a été soulevée quant à la preuve d'identification. L'interprète n'a fourni à l'accusé qu'un résumé des questions posées à celui-ci ainsi que de ses réponses. Il n'a pas traduit pour l'accusé un échange entre le juge et l'interprète après son contre-interrogatoire. L'accusé a fait appel de sa condamnation au motif qu'on avait violé ses droits garantis par l'article 14 de la Charte18.

[25]      Dans Tran, le juge en chef Lamer a examiné la façon dont le droit au service d'un interprète a été appliqué sous le régime de la common law et de la législation, et il a précisé le cadre permettant de déterminer s'il y avait une violation de l'article 14. Si la violation de la norme est démontrée (le juge en chef Lamer s'exprimait dans le cadre de procédures criminelles), l'accusé n'a pas à prouver qu'il a subi un préjudice. Le préjudice réside dans le fait de se voir refuser l'exercice d'un droit auquel on a droit.

[26]      Dans Mohammadian, le juge Pelletier a conclu que le cadre d'analyse permettant de déterminer s'il y a eu violation de l'article 14 et les éléments qui constituent la norme appropriée d'interprétation, précisés par le juge en chef Lamer dans Tran, s'appliquent aux procédures devant la SSR19.

[27]      Toutefois, selon le juge Pelletier, il est plus difficile de déterminer s'il y a lieu d'adopter aussi le critère de l'absence d'un préjudice et celui de l'impossibilité d'une renonciation, définis dans Tran :

         Serait-ce dépasser les bornes d'une société civilisée que de s'attendre à ce qu'un revendicateur du statut de réfugié au Canada se plaigne aussitôt que possible lorsqu'il ne peut comprendre l'interprète que lui fournit la SSR? C'est le revendicateur qui doit établir son droit au statut de réfugié, fardeau qui s'étend sûrement à l'identification des vices de procédure dès qu'ils se produisent plutôt que de les garder en réserve comme police d'assurance en cas d'échec.20

[28]      Le juge Pelletier a ensuite examiné la jurisprudence de notre Cour sur la question de savoir s'il est nécessaire que les erreurs d'interprétation aient été soulevées devant la SSR pour obtenir réparation lors d'une demande de contrôle judiciaire et il a conclu ainsi :

         Bien qu'il ne soit pas du tout exhaustif, cet examen de la jurisprudence démontre que dans certaines affaires les demandeurs ont été autorisés à soulever la question de la mauvaise qualité de la traduction comme motif justifiant le contrôle judiciaire alors qu'il n'y avait peut-être pas eu d'objection devant la SSR. Il est clair que les avocats n'ont pas été autorisés à ignorer de façon manifeste une interprétation de mauvaise qualité pour ensuite la soulever comme motif justifiant le contrôle judiciaire. Voir Aquino c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, précité. Les avocats ont l'obligation de porter ces questions à l'attention du tribunal pour qu'on puisse les corriger immédiatement. Les avocats et leurs clients ne peuvent prendre une police d'assurance en ignorant la question, pour ensuite la soulever en cas d'échec.
         En général, la jurisprudence examinée paraît suggérer que si les problèmes d'interprétation pouvaient raisonnablement être soulevés lors de l'audience, il existe une obligation de le faire plutôt que de réserver la question pour une procédure de contrôle judiciaire. Tant le tribunal (voir Ming c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 2 C.F. 336 (C.A.)) que les avocats (voir Aquino) ont l'obligation de s'assurer que la question de l'interprétation est traitée de façon adéquate. Lorsqu'une erreur ne pouvait être détectée avant la fin de l'audience (Mosa), on n'a pas retenu contre le demandeur le fait qu'il n'y avait pas eu de plainte auparavant.
         Rien dans les affaires susmentionnées ne semble empêcher qu'on exige qu'une plainte au sujet de la qualité de l'interprétation soit faite à la première occasion, lorsqu'il est raisonnable de s'y attendre.
         L'économie des ressources judiciaires est un argument important à l'appui d'une telle exigence. Si les demandeurs peuvent obtenir le contrôle judiciaire des décisions qui leur donnent tort simplement en ne soulevant pas les problèmes patents d'interprétation, c'est ce qu'ils feront. Ceci mènera à une duplication des audiences. Il serait de meilleure politique d'encourager la tenue de l'audience la plus équitable possible et ainsi éviter des procédures à répétition. Les demandeurs devraient être tenus de se plaindre à la première occasion, lorsqu'il est raisonnable de s'y attendre.
         L'élément clé est donc l'expectative raisonnable que le demandeur se plaigne à la première occasion. Dans plusieurs cas, le demandeur se rend compte qu'il peut difficilement communiquer avec l'interprète. Les motifs peuvent varier, mais le demandeur se rend compte de la difficulté. Dans ces circonstances, il est raisonnable de s'attendre à ce que le demandeur en fasse état. Il y a d'autres cas où les erreurs d'interprétation ne sont pas détectées par le demandeur, puisqu'elles se produisent dans la langue du tribunal et qu'il ne la connaît pas. De telles erreurs ne peuvent être découvertes qu'après le fait. Il n'est alors pas raisonnable de s'attendre à ce que le demandeur se plaigne au moment même de l'audience.21

[29]      La question de savoir s'il était raisonnable de s'attendre à ce qu'une plainte soit présentée au sujet des lacunes de l'interprétation, et à quel moment, est une question de fait à déterminer dans chaque cas.

[30]      En l'instance, les problèmes d'interprétation invoqués semblent s'être produits lorsque l'interprète traduisait le témoignage du demandeur du vietnamien en anglais. Il ne semble pas que le demandeur ait été conscient de ces problèmes et il est clair qu'il ne comprenait pas l'anglais. L'avocat du demandeur n'a énoncé aucune objection quant à la qualité de l'interprétation au moment de l'audience. On doit aussi souligner ici qu'il y a eu une pose de 15 minutes au cours de l'audience suite à la plupart des questions posées par l'avocat du demandeur durant son interrogatoire.

[31]      En l'instance, la première occasion à laquelle il était raisonnable de s'attendre à ce que le demandeur fasse état des lacunes dans l'interprétation était soit à l'audience elle-même (à l'occasion de la pause durant les procédures), ou peu de temps après alors que le tribunal avait réservé sa décision. Il ne l'a pas fait. Dans les circonstances de la présente affaire, il n'est pas raisonnable de soulever cette question comme un motif de contrôle judiciaire après que la SSR a rendu sa décision.

2. La crédibilité du demandeur

[32]      La jurisprudence établit clairement qu'il y a lieu d'observer une grande retenue judiciaire lorsqu'une conclusion de la SSR quant à la crédibilité est soumise au contrôle judiciaire. Lors de ce contrôle, la Cour ne doit pas intervenir dans cette conclusion à moins qu'elle la considère abusive, arbitraire, ou tirée sans tenir compte des éléments à la disposition du tribunal.

[33]      Dans ses motifs, le tribunal déclare clairement qu'il est arrivé à une conclusion négative quant à la crédibilité du demandeur. Cette conclusion est fondée sur le fait que le tribunal croyait que le demandeur n'avait pas dit la vérité au sujet de son passé au Vietnam : il n'a rien déclaré dans son FRP au sujet de son service militaire, non plus qu'au sujet de son gagne-pain, l'entreprise de culture du café.

[34]      Bien que ces conclusions du tribunal peuvent être mises en question au vu du témoignage du demandeur et du fait qu'il n'a pas cherché à cacher son passé, elle se situe tout à fait dans le contexte de la compétence du tribunal comme juge des faits.

[35]      De plus, la conclusion du tribunal quant à la signification de la période de quatre mois qui a précédé le départ du demandeur du Vietnam, qui va du moment où il a reçu son visa de visiteur au Canada, le 9 octobre 1997, jusqu'au moment où il a effectivement quitté, le 5 février 1998, est raisonnable. Le tribunal n'a tout simplement pas considéré que ce délai était vraisemblable si le demandeur avait eu une crainte subjective de persécution. Est-il raisonnable qu'une personne qui a une crainte de persécution reste dans un pays plus de quatre mois après le moment où elle possède le moyen de le quitter sans problème? Le tribunal a conclu que ce n'était pas raisonnable et la Cour ne voit pas pour quel motif elle interviendrait face à cette conclusion.

3. Le rapport psychologique

[36]      Au sujet de l'évaluation psychologique du demandeur, il semble que le tribunal ne lui a pas accordé un grand poids. Il s'est fondé pour ce faire principalement sur le fait que le rapport ne prescrit aucun traitement ou suivi. Le tribunal en déduit que le médecin n'a pas considéré que le risque d'un impact sur la santé mentale du demandeur en cas de renvoi au Vietnam était si élevé.

[37]      Le rapport a été préparé suite à une demande de l'avocat du demandeur (et c'est peut-être pourquoi il précède de peu l'audience de la SSR, ce qui est un autre facteur sur lequel le tribunal s'appuie pour rejeter le rapport). Les premiers paragraphes du rapport sont éclairants :

         [traduction]

         Merci de m'avoir demandé d'assurer l'évaluation psychologique de la personne susmentionnée, dans le cadre de sa demande pour obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention. Je l'ai rencontré avec sa conjointe le 21 mai 1999, afin d'être en mesure de répondre aux questions que vous m'avez posées. Avant de préparer mon rapport, j'ai pris connaissance du Formulaire de renseignements personnels. Il était accompagné par son beau-frère, M. Throng-Do, qui a servi d'interprète.
         Je ne trouve aucun motif psychologique, que ce soit dans son expression ou dans sa crédibilité, qui m'amènerait à remettre en cause son histoire. M. Mai m'a autorisé à vous présenter mes conclusions à son sujet. Vous m'avez demandé précisément s'il y avait des facteurs psychologiques qui devraient être pris en compte en cas de renvoi de cet homme et de sa famille. Par conséquent, j'ai évalué :
         a) la crédibilité de M. Mai;
         b) la valeur de sa crainte subjective;
         c) les implications de ses problèmes psychologiques.22

[38]      Par conséquent, il n'est pas nécessaire de s'arrêter sur le fond même du rapport pour constater que le Dr Davis avait reçu un mandat très précis de l'avocat du demandeur. Il n'y était pas question de recommandations portant sur un traitement, des références ou un suivi. En fait, le Dr Davis conclut dans son rapport :

         [traduction]

         À mon avis, qui est fondé sur mes lectures des publications de recherche en psychologie, une personne qui souffre d'un ESPT chronique attribuable à la guerre du Vietnam a subi des changements permanents dans la chimie de son cerveau et on ne peut s'attendre à ce qu'il guérisse23.

[39]      Le Dr Davis termine son rapport en plaçant le demandeur dans la catégorie 4 sur l'échelle des risques à sa santé mentale s'il était renvoyé au Vietnam. La catégorie 4 indique un risque important de dommage psychologique, alors que la catégorie 5 indique un risque très important24.

[40]      Étant donné cette déclaration expresse du médecin, ainsi que l'objectif visé par le rapport, le rejet du rapport par le tribunal semble constituer une erreur, du fait du peu de poids qui lui a été accordé.

4. Le défaut d'évaluer la réclamation

[41]      Les motifs du tribunal ne font aucune mention du document intitulé « Ordonnance de détention » . La traduction de ce document semble confirmer que le demandeur a été interné dans un camp de redressement.

[42]      On peut présumer qu'en arrivant à sa décision, le tribunal a tenu compte de toute la preuve qui lui était présentée. Dans ses motifs, le tribunal ne met pas en cause l'histoire du demandeur quant à sa détention et au traitement auquel il aurait été soumis. Par conséquent, le fait que le tribunal n'a fait aucune mention de l'ordonnance de détention ne suffit pas à justifier l'intervention de la Cour. Si le tribunal avait déclaré ne pas croire que le demandeur ait été détenu, une telle omission aurait été sérieuse. Toutefois, en l'instance elle n'a aucun impact sur la décision définitive du tribunal.

VII. Dispositif

[43]      Une des conclusions de fond qui a amené la SSR à rejeter la revendication de statut de réfugié du demandeur s'appuie sur la preuve qui porte sur le comportement de ce dernier juste avant son départ du Vietnam et sur ce qu'on peut déduire des faits en preuve. Le demandeur avait obtenu un visa et il était libre de quitter le Vietnam, le pays où il dit craindre d'être persécuté. Or, il y est resté encore quatre mois. Durant cette période, il a transféré le titre de ses propriétés à ses enfants adultes. Et puis il est resté encore un certain temps. Même si le tribunal a commis une erreur en évaluant le rapport psychologique du Dr Davis, sa décision est raisonnable au vu de cette conclusion et de ce qu'on peut en déduire. Le demandeur doit établir qu'il a une crainte subjective de persécution et, en l'instance, il n'a pas démontré qu'il a une réelle crainte subjective.

[44]      Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune des parties n'a recommandé que je certifie une question. Il n'y aura donc pas de question certifiée.


                             Max M. Teitelbaum

                        

                                 J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 3 août 2000



Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



No DU GREFFE :              IMM-4764-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :          TUYET MAI et SOI THI DO c. MCI


LIEU DE L'AUDIENCE :          Calgary (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :          le 27 juillet 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE TEITELBAUM

EN DATE DU :              3 août 2000



ONT COMPARU


M. Charles Darwent                      POUR LE DEMANDEUR

M. Brad Hardstaff                      POUR LE DÉFENDEUR



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


M. Charles Darwent                      POUR LE DEMANDEUR

Darwent Law Office


M. Morris Rosenberg                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada             

__________________

1      Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 [ci-après la Loi].

2      J'appellerai Tuyet Mai le demandeur, ou le demandeur principal. Quant à Soi Thi Do, je la désignerai soit par son nom, ou comme la conjointe du demandeur, étant donné que sa revendication de réfugiée au sens de la Convention dépend de celle de son mari.

3      Dossier de demande, p. 12.

4      Dossier du tribunal, p. 352.

5      Dossier du tribunal, p. 343, 352, 357 et 358.

6      Dossier du tribunal, p. 336 et 337, 351.

7      Il faut souligner ici que cet incident n'est pas mentionné dans le FRP du demandeur.

8      Dossier de demande, p. 18 à 27.

9      Dossier de demande, p. 22.

10      Dossier du tribunal, p. 3 à 9.

11      Dossier du tribunal, p. 6.

12      Dossier du tribunal, p. 6 et 7.

13      Dossier du tribunal, p. 7.

14      Dossier de demande, p. 53 à 56.

15      Dossier du tribunal, p. 294 et 295 (traduit du vietnamien).

16      Non publié, IMM-6500-98 (10 mars 2000) (C.F. 1re Inst.), [2000] J.C.F. no 309 (Q.L.) [ci-après Mohammadian].

17      [1994] 2 R.C.S. 951; 32 C.R. (4th) 34, 92 C.C.C. (3d) 281 (C.S.C.) [ci-après Tran].

18      Art. 14. La partie ou le témoin qui ne peuvent suivre les procédures, soit parce qu'ils ne comprennent pas ou ne parlent pas la langue employée, soit parce qu'ils sont atteints de surdité, ont droit à l'assistance d'un interprète.

19      Précité, note 12, au par. 12.

20      Précité, note 12, au par. 14.

21      Précité, note 12, aux par. 22 à 26.

22      Dossier de demande, p. 18.

23      Dossier de demande, p. 21.

24      Dossier de demande, p. 22 et 27.

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