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Date : 20220929


Dossier : IMM-1979-20

Référence : 2022 CF 1362

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 septembre 2022

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

RAHUL BHARADWAJ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] En décembre 2018, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au Canada à titre de membre de la catégorie de l’expérience canadienne. Selon le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR), un étranger comme le demandeur peut faire partie de la catégorie de l’expérience canadienne s’il a accumulé au Canada au moins une année d’expérience de travail à temps plein dans une profession applicable au cours des trois ans précédant la date à laquelle il a présenté sa demande et si, pendant cette période d’emploi, il a accompli l’ensemble des tâches figurant dans l’énoncé principal établi pour la profession et une partie appréciable des fonctions principales de la profession telles qu’elles sont énoncées dans la Classification nationale des professions : voir le paragraphe 87.1(2) du RIPR.

[2] Pour présenter sa demande à titre de membre de la catégorie de l’expérience canadienne, le demandeur s’est fondé sur l’emploi qu’il a occupé au sein de Rogers entre janvier 2016 et septembre 2017. Il a indiqué que cet emploi correspond au code 6221 de la CNP, qui porte le titre « Spécialistes des ventes techniques – commerce de gros ».

[3] Dans une décision du 6 mars 2020, un analyste principal d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) a rejeté la demande au motif qu’il n’était pas convaincu que l’expérience de travail acquise par le demandeur répondait aux exigences du paragraphe 87.1(2) du RIPR.

[4] Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision sur le fondement du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Il soutient que la décision n’a pas été rendue conformément aux exigences de l’équité procédurale et qu’elle est déraisonnable. Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas de cet avis.

[5] Nul ne conteste les normes de contrôle applicables.

[6] La décision sur le fond est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : voir Saatchi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1037 au para 14. La Cour suprême du Canada a confirmé qu’il s’agit de la norme de contrôle applicable au paragraphe 10 de l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65.

[7] Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). La cour de révision doit faire preuve de retenue à l’égard d’une décision qui possède ces attributs (ibid.). Il incombe au demandeur de démontrer que la décision est déraisonnable. Avant de pouvoir infirmer la décision pour ce motif, la cour de révision doit être convaincue que celle‑ci « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100).

[8] Pour savoir si les exigences de l’équité procédurale ont été respectées, la cour de révision doit procéder à sa propre analyse du processus suivi par le décideur et déterminer s’il était équitable compte tenu de l’ensemble des circonstances pertinentes, y compris celles mentionnées dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux paragraphes 21 à 28 : voir Chemin de fer Canadien Pacifique Ltée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54; et Lipskaia c Canada (Procureur général), 2019 CAF 267 au para 14. En pratique, cet exercice revient à appliquer la norme de contrôle de la décision correcte : voir Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée, aux para 49‑56 et Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35. Il incombe au demandeur de démontrer que les exigences de l’équité procédurale n’ont pas été respectées.

[9] Pour démontrer qu’il répond aux exigences du paragraphe 87.1(2) du RIPR, le demandeur a présenté deux lettres d’emploi de Rogers. La première, datée du 11 septembre 2017, indique que le demandeur [traduction] « est un employé régulier à temps plein de Rogers Communications Inc. et travaille pour le groupe de compagnies Rogers depuis le 25 janvier 2016 ». La lettre indique également que le demandeur occupe « actuellement » le poste de conseiller à la clientèle en ventes internes. Toutefois, la lettre ne précise pas combien de temps le demandeur a occupé ce poste et ne donne aucune description des fonctions et responsabilités qu’il exerçait.

[10] La seconde lettre de Rogers, qui n’est pas datée, est rédigée comme suit :

[traduction]
La présente vise à confirmer que M. Rahul Bharadwaj exerçait les fonctions et responsabilités suivantes :

1) Faire la promotion de nos produits auprès des clients, nouveaux et actuels;

2) Poser des questions pertinentes pour cerner les besoins des clients;

3) Analyser les besoins des clients et offrir des solutions personnalisées;

4) Cerner les possibilités de vente croisée ou de vente incitative;

5) Traiter la transaction de vente par voie électronique et ajouter tout renseignement nécessaire pour traiter la commande;

6) Indiquer le prix du matériel et les frais d’installation au client;

7) Assurer un service après‑vente et aider les clients avec tout problème existant.

[11] Il convient de noter que la seconde lettre ne mentionne ni la période pendant laquelle le demandeur a exercé ces fonctions et responsabilités ni que ces dernières étaient liées au poste de conseiller à la clientèle en ventes internes mentionné dans la première lettre.

[12] Selon l’analyste principal, ces documents ne démontraient pas que le demandeur répondait aux exigences du paragraphe 87.1(2) du RIPR. Dans la lettre datée du 11 septembre 2017, le poste occupé par le demandeur était mentionné, mais pas ses fonctions et responsabilités. À l’inverse, la lettre non datée mentionne les fonctions et responsabilités du demandeur, mais ne les lie pas au poste de conseiller à la clientèle en ventes internes. Et, quoi qu’il en soit, aucune des deux lettres ne dit combien de temps le demandeur a occupé ce poste, un facteur essentiel puisqu’il doit avoir accumulé au moins une année d’expérience de travail admissible au cours des trois ans qui précèdent sa demande.

[13] Le demandeur fait valoir que la décision est déraisonnable au motif que l’analyste principal n’a pas lu les deux lettres l’une par rapport à l’autre. Je ne suis pas du même avis. Il ressort clairement de la décision et des notes consignées par l’analyste principal dans le Système mondial de gestion des cas que les lettres ont été examinées individuellement et conjointement. L’analyste principal a raisonnablement conclu que la lecture conjointe des deux lettres ne permet pas de combler les lacunes importantes concernant l’expérience de travail du demandeur et, par conséquent, celui-ci n’a pas démontré qu’il répond aux critères d’admissibilité de la catégorie de l’expérience canadienne. Il incombait au demandeur de démontrer qu’il faisait partie de la catégorie de l’expérience canadienne du fait de son expérience de travail : voir Saatchi, au para 30. L’analyste principal a raisonnablement conclu que les documents présentés par le demandeur à l’appui de sa demande ne lui permettaient pas de s’acquitter de ce fardeau.

[14] Le demandeur soutient également qu’en ne l’avisant pas des lacunes que pouvaient présenter ses lettres d’emploi, l’analyste principal a manqué à son obligation d’équité procédurale. Je ne suis pas de cet avis. Les réserves de l’analyste principal se limitaient à la question de savoir si les lettres d’emploi suffisaient à établir que le demandeur répondait aux exigences du RIPR. Rien ne permet de penser qu’il doutait de l’authenticité des documents, ou de la crédibilité ou de l’exactitude des renseignements qu’ils contenaient. C’est plutôt le caractère incomplet des renseignements qui a mené au rejet de la demande. Ainsi, l’analyste principal n’avait pas l’obligation d’informer le demandeur des lacunes dans sa demande avant de rendre sa décision défavorable : voir Lazar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 16 aux para 20‑21.

[15] Enfin, le demandeur soutient qu’il y a eu manquement aux exigences de l’équité procédurale, car IRCC a pris plus de temps qu’il n’aurait dû pour rendre sa décision. Il ne fait aucun doute que le délai de 15 mois qu’IRCC a pris pour rendre sa décision excède le délai de six mois prescrit dans sa directive sur son site Web. Toutefois, même si l’on présume pour les besoins de la discussion qu’IRCC n’aurait pas dû prendre autant de temps pour rendre sa décision, le demandeur n’a invoqué aucune décision – et je n’en connais aucune – pour appuyer son argument selon lequel ce long délai lui permet désormais de demander le réexamen de sa demande. Bien que le demandeur s’appuie sur la décision Conille c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 CF 33, le critère énoncé dans cette décision (dans le contexte d’une demande de bref de mandamus) consistait à savoir s’il est possible de conclure à un délai déraisonnable lorsqu’aucune décision n’a été rendue par le décideur. Ce critère ne s’applique pas en l’espèce, puisqu’une décision a été rendue. L’argument du demandeur selon lequel la décision devrait être annulée parce qu’IRCC a trop tardé à la rendre n’a aucun fondement.

[16] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera annulée.

[17] Les parties n’ont soulevé aucune question grave de portée générale à certifier au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.

[18] Dans l’intitulé initial, le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté était désigné comme défendeur. Même s’il est ainsi couramment désigné, le nom du défendeur au titre de la loi demeure le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration : Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, art 5(2) et LIPR, art 4(1). Par conséquent, dans le cadre du présent jugement, l’intitulé est modifié afin que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration soit désigné comme défendeur.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1979-20

LA COUR STATUE :

  1. L’intitulé est modifié, de manière à ce que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration soit désigné comme défendeur.

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« John Norris »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1979-20

 

INTITULÉ :

RAHUL BHARADWAJ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1er mars 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 septembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Gina You

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Meva Motwani

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Matkowsky Immigration Law PC

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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