Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220923


Dossier : T-1302-21

Référence : 2022 CF 1326

Ottawa (Ontario), le 23 septembre 2022

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

JACQUES GENEST

demandeur

et

LE CONSEIL DE LA NATION ATIKAMEKW

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, M. Genest, sollicite le contrôle judiciaire d’une sentence arbitrale qui rejette sa plainte en congédiement injustifié. L’arbitre nommé en vertu du Code canadien du travail, LRC 1985, c L-2, a conclu que M. Genest avait abandonné son poste en ne se présentant pas à son lieu de travail pendant cinq jours consécutifs, contrairement à une politique écrite de son employeur. Je rejette la demande de M. Genest, puisque celui-ci n’a pas démontré que l’arbitre avait commis un manquement à l’équité procédurale ou que sa décision est déraisonnable.

[2] M. Genest était un employé du Conseil de la Nation atikamekw. Il soutient qu’il s’était entendu avec son supérieur immédiat pour travailler en alternance, une semaine au bureau du Conseil à La Tuque, puis une semaine à sa résidence à Chibougamau. Or, le 25 février 2019, son supérieur immédiat l’a informé qu’il devait être présent à La Tuque durant la semaine du 11 au 15 mars 2019.

[3] M. Genest est demeuré à Chibougamau durant la semaine en cause et a effectué son travail à distance. Le jeudi 14 mars, son supérieur immédiat lui a envoyé un courriel qui lui rappelait la politique du Conseil et qui lui demandait de se présenter au bureau de La Tuque le lendemain. Sur réception de ce courriel, M. Genest a téléphoné à son supérieur immédiat. Il soutient que celui-ci ne lui a pas clairement donné l’ordre de se présenter au bureau et qu’il y avait ambiguïté. Il est demeuré à Chibougamau le vendredi 15 mars. Le lundi suivant, le Conseil l’a informé qu’il mettait fin à son emploi, parce qu’il ne s’était pas présenté à son lieu de travail pendant cinq jours consécutifs.

[4] M. Genest a formulé une plainte pour congédiement injustifié selon les articles 240 et suivants du Code canadien du travail, tels qu’ils se lisaient alors, et l’affaire a été déférée à un arbitre.

[5] En parallèle avec l’instance arbitrale, la fin de l’emploi de M. Genest a donné lieu à un différend relativement à son admissibilité à l’assurance-emploi. Bien que la Commission de l’assurance-emploi ait rendu une décision favorable à M. Genest, le Conseil a porté l’affaire en appel au Tribunal de la sécurité sociale. Le 30 avril 2021, le Tribunal a conclu que M. Genest était admissible à l’assurance-emploi, puisqu’il ne s’était pas rendu coupable d’« inconduite ». Selon le Tribunal, M. Genest n’avait pas posé un geste délibéré, puisque le Conseil n’avait pas fait la preuve que M. Genest avait reçu l’ordre formel de se présenter au bureau ou qu’il devait être conscient qu’il enfreignait la politique du Conseil en travaillant à distance. En somme, le Tribunal a adhéré à la thèse du malentendu mise de l’avant par M. Genest.

[6] Devant l’arbitre, le Conseil a présenté une objection préliminaire, au motif que M. Genest avait démissionné et que cela faisait obstacle à une plainte pour congédiement abusif. L’arbitre a accepté d’entendre ce moyen préliminaire en premier lieu. L’audition du moyen préliminaire a duré trois jours en mai 2021, soit peu de temps après la décision du Tribunal de la sécurité sociale. M. Genest a témoigné ou présenté ses observations pendant deux de ces trois jours.

[7] Le 16 juillet 2021, l’arbitre a accueilli le moyen préliminaire du Conseil et rejeté la plainte de M. Genest. Il a conclu que le 25 février 2019, M. Genest avait reçu l’ordre formel de se présenter au bureau durant la semaine du 11 au 15 mars 2019 et que cet ordre écartait toute entente préalable concernant le travail à distance. Il a aussi conclu que le 14 mars 2019, M. Genest avait reçu l’ordre formel de se présenter au bureau le lendemain et qu’on lui a rappelé l’existence de la politique concernant les absences de cinq jours et plus. Il a estimé que les explications de M. Genest étaient « difficilement crédibles » et rejeté la thèse du malentendu.

[8] M. Genest sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre. Dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, mon rôle n’est pas de refaire l’audience tenue devant l’arbitre ou de substituer mon opinion à la sienne. Il s’agit plutôt de vérifier si l’arbitre a rempli la mission que lui confère le Code canadien du travail. En particulier, je dois m’assurer que le processus suivi par l’arbitre était équitable et que sa décision pouvait raisonnablement se fonder sur la preuve qui lui a été présentée.

[9] M. Genest n’est pas représenté par avocat et ne l’était pas devant l’arbitre. À l’audience, le principal moyen qu’il a fait valoir au soutien de sa demande de contrôle judiciaire a trait à l’équité du processus. Il affirme que lors de l’audience devant l’arbitre, il a été bouleversé par le contenu du témoignage des représentants du Conseil et que cela l’a rendu incapable de les contre-interroger. Il réclame ni plus ni moins une deuxième chance de contre-interroger ces témoins.

[10] Rien ne me permet de conclure que cette situation constitue un manquement à l’équité procédurale. M. Genest ne soutient pas que l’arbitre l’a empêché de contre-interroger les témoins du Conseil. L’audience devant l’arbitre n’a pas été transcrite et il n’y a aucune preuve que M. Genest ait fait part à l’arbitre de son incapacité à contre-interroger ou qu’il ait formulé quelque demande visant à remédier à la situation. Dans une perspective plus globale, tout indique que M. Genest a eu amplement l’occasion de faire état de sa vision des choses devant l’arbitre.

[11] On comprend aisément qu’une partie dont la demande est rejetée souhaite obtenir une deuxième chance. Néanmoins, la finalité est une composante essentielle de la justice. Lorsqu’une décision raisonnable est rendue au terme d’un processus équitable, il serait injuste pour la partie gagnante d’accorder une deuxième chance à la partie perdante. Les deux parties doivent accepter l’issue de la cause, quelle qu’elle soit.

[12] M. Genest s’en prend également à la substance de la décision rendue par l’arbitre. Il affirme que l’arbitre n’a pas retenu ses arguments, qu’il n’a pas vérifié la documentation qu’il lui avait présentée et qu’il n’a pas tenu compte de la décision du Tribunal de la sécurité sociale. Or, en révision judiciaire, il ne suffit pas d’affirmer, sans donner plus de précision, que l’arbitre aurait dû rendre une décision différente. Il est nécessaire d’identifier précisément l’élément de preuve que l’arbitre aurait ignoré et de montrer en quoi celui-ci est incompatible avec la décision au point de la rendre déraisonnable. Le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve présentée à l’arbitre.

[13] L’arbitre a retenu le témoignage des représentants du Conseil et a jugé que les explications de M. Genest étaient peu crédibles. Il ne suffit pas à M. Genest de réitérer les arguments qu’il a fait valoir devant l’arbitre, à savoir que son congédiement découle d’un « conflit d’interprétation de l’horaire de travail » ou d’une ambiguïté dans les conversations avec son supérieur le 25 février et le 14 mars. M. Genest n’a pas démontré en quoi l’arbitre aurait rendu une décision déraisonnable en rejetant ses prétentions. Il n’a pas non plus démontré en quoi l’arbitre se serait fourvoyé dans l’analyse de la preuve documentaire.

[14] Par ailleurs, l’arbitre n’était pas lié par la décision du Tribunal de la sécurité sociale. Il n’y avait pas chose jugée, puisque les deux instances n’étaient pas fondées sur la même cause et ne visaient pas le même objet. Dans les provinces de common law, on considère habituellement qu’une décision concernant l’admissibilité à l’assurance-emploi ne détermine pas l’issue d’une demande de dommages-intérêts fondée sur un congédiement injustifié : Minott c O’Shanter Development Company Ltd (1999), 168 DLR (4th) 270 (CA Ont); City of Saint John c Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 18, 2015 NBCA 35. L’arbitre était visiblement au courant de l’existence de la décision du Tribunal. M. Genest lui reproche toutefois de ne pas avoir considéré celle-ci en détail ou, peut-on comprendre, de ne pas avoir expliqué pourquoi il s’en écartait. À mon avis, l’arbitre n’était pas tenu de le faire. L’arbitre devait trancher l’affaire en fonction de la preuve qui lui était présentée. Il disposait d’une preuve beaucoup plus étoffée que celle qui avait été présentée au Tribunal, ne serait-ce parce que l’audience a duré trois jours. Il a analysé cette preuve et est parvenu à des conclusions qui ne sont pas déraisonnables.

[15] M. Genest a également fait valoir que la fin de son emploi a déclenché une cascade de conséquences malheureuses sur le plan personnel. Il a notamment été dans l’impossibilité de se trouver un emploi équivalent. Je ne doute pas de la sincérité de M. Genest à cet égard. Cependant, le rôle de la Cour saisie d’une demande de révision judiciaire est circonscrit et ne me permet pas d’alléger l’infortune de M. Genest.

[16] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire de M. Genest sera rejetée. Dans les circonstances et étant donné qu’il ne bénéficie pas des conseils d’un avocat, j’estime juste de ne rendre aucune ordonnance concernant les dépens.

 


JUGEMENT dans le dossier T-1302-21

LA COUR STATUE que

1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2. Aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.

 

« Sébastien Grammond »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

T-1302-21

 

INTITULÉ :

JACQUES GENEST c LE CONSEIL DE LA NATION ATIKAMEKW

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VISIOCONFÉRNCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 septembre 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 SEPTEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Jacques Genest

 

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Benoît Denis

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Neashish & Champoux, S.E.N.C.

Wendake (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.