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Date : 20220921


Dossier : T‑2235‑16

Référence : 2022 CF 1313

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 septembre 2022

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

ALBERT JAMES ODDI

demandeur

et

L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Albert James Oddi (M. Oddi), agit pour son propre compte dans la présente instance. Il a intenté contre l’Agence du revenu du Canada (l’ARC ou la défenderesse) une action en dommages‑intérêts en se fondant sur des allégations de négligence, de fraude et de violation des droits qui lui sont garantis par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R‑U), 1982, c 11 (la Charte). Il réclame plus de 10 millions de dollars en dommages‑intérêts à l’ARC pour la vente de sa propriété agricole (la propriété) dans le cadre d’une procédure de pouvoir de vente par un créancier hypothécaire tiers et pour la perte de certains autres biens situés sur la propriété. L’ARC présente maintenant une requête en jugement sommaire, en vertu des articles 213 à 215 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles).

[2] À l’appui de sa requête, la défenderesse soutient qu’elle n’est pas responsable de la perte subie par M. Oddi. Toute perte qu’il pourrait avoir subie est une conséquence de l’entreprise criminelle dans laquelle il a été impliqué, de son défaut de maintenir son prêt hypothécaire en règle et de son omission de fournir à l’ARC des renseignements qui auraient pu atténuer l’une ou l’autre des pertes subies. La défenderesse soutient que M. Oddi présente deux plaintes distinctes, qui sont toutes deux vouées à l’échec. Premièrement, il se plaint [traduction] « [d’]inexactitudes » dans les calculs effectués par l’ARC, qu’il qualifie de fraude. La défenderesse fait valoir que cette question ne constitue rien de plus qu’un différend sur la thèse adoptée par l’ARC pour les besoins de la cotisation et qu’elle doit être examinée conformément au code complet établi dans les lois fiscales. En fait, M. Oddi affirme dans sa déclaration que ces montants font actuellement l’objet d’un appel dans le cadre d’un litige distinct.

[3] Deuxièmement, M. Oddi se plaint du fait que la propriété a été vendue à un prix inférieur à sa juste valeur marchande. Or, la propriété a été vendue dans le cadre d’une procédure de pouvoir de vente par son prêteur hypothécaire, par suite du manquement de M. Oddi à ses engagements hypothécaires. La vente de la propriété n’a pas été effectuée par l’ARC, et M. Oddi n’a pas non plus accepté l’offre de l’ARC de lui fournir une lettre de confort qui aurait été remise à des prêteurs éventuels, dans le cadre d’efforts de refinancement, le cas échéant.

[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’il n’existe aucune véritable question litigieuse en l’espèce. J’accueillerai donc la requête de la défenderesse en jugement sommaire.

II. La question préliminaire

[5] Le matin de l’audience, le 15 juin 2022, la Cour a reçu une lettre datée du 14 juin 2022 dans laquelle Me Dale Barrett (Me Barrett) demandait un ajournement de la requête en jugement sommaire présentable le 15 juin 2022. Suivant cette lettre, Me Barrett avait récemment été retenu par M. Oddi et il n’avait pas eu suffisamment de temps pour examiner l’affaire et les documents s’y rapportant, de sorte qu’il serait incapable de répondre adéquatement à la requête en jugement sommaire. On peut y lire également que, le 13 juin 2022, le bureau de Me Barrett avait envoyé aux avocates de la défenderesse une lettre dans laquelle il était demandé un ajournement informel sur consentement, mais il n’avait reçu aucune réponse.

[6] À l’ouverture de l’audience, les avocates de la défenderesse a affirmé qu’elle avait informé Me Barrett que la défenderesse ne consentait pas à un ajournement et qu’elle était prête à procéder à l’audition de la requête en jugement sommaire. Elle a également déclaré que Me Barrett lui avait envoyé son avis de nomination à titre d’avocat de M. Oddi à 16 h 34 le 14 juin 2022, mais qu’il n’avait pas été déposé à la Cour.

[7] Lorsque la Cour a demandé à M. Oddi pourquoi l’audition de la requête en jugement sommaire devrait être ajournée, il a répondu qu’il avait embauché Me Barrett deux semaines avant pour le représenter dans la présente affaire, mais que Me Barrett n’avait pas encore eu l’occasion d’examiner le dossier. M. Oddi a insisté pour que, par souci d’équité, il lui soit donné la possibilité de [traduction] « se faire entendre par un tribunal ».

[8] La Cour a fait une pause de 10 minutes pour examiner les observations des parties ainsi que le long historique de la présente affaire.

[9] À la reprise de l’audience, la Cour a rejeté la demande d’ajournement de M. Oddi et informé les parties que l’affaire devait aller de l’avant sans plus tarder.

[10] La Cour accepte le fait que d’agir pour son propre compte pose des difficultés, mais M. Oddi a eu amplement l’occasion de trouver un avocat pour le représenter pour l’audition de la présente requête en jugement sommaire. En outre, elle a été patiente, accommodante et généreuse de son temps et de ses ressources. Dans une ordonnance rendue à la suite d’une conférence de gestion de l’instance le 2 février 2022, la protonotaire Tabib avait accordé à M. Oddi un délai d’une semaine pour informer la Cour des disponibilités de son avocat entre le 6 et le 30 juin 2022. En réponse, M. Oddi avait informé la Cour qu’il aurait besoin de sept autres semaines pour obtenir des dates d’un avocat. Cette demande avait été jugée déraisonnable, et la Cour avait fixé une date d’audience le 18 février 2022.

[11] Du 18 février 2022 jusqu’à la date de la présente audience, le 15 juin 2022, M. Oddi avait disposé d’un délai de près de quatre mois pour trouver un avocat qui serait en mesure de le représenter dans le cadre de la requête en jugement sommaire. C’est amplement de temps. Dans la directive qu’elle a donnée de vive voix le 3 juin 2022, la protonotaire Tabib a précisé également en des termes clairs que Me Barrett ne serait considéré comme un avocat inscrit au dossier que lorsqu’il aurait déposé un avis de nomination à titre d’avocat de M. Oddi. Bien que les avocates de la défenderesse aient mentionné qu’elles avaient reçu l’avis de nomination de Me Barrett à titre d’avocat de M. Oddi le 14 juin 2022 et que M. Oddi ait déclaré qu’il avait embauché Me Barrett à titre d’avocat deux semaines avant la présente audience, à la date et à l’heure de celle‑ci, aucun avis de nomination d’un avocat pour M. Oddi n’avait été déposé auprès de la Cour. De plus, le 13 juin 2022, le greffe de la Cour avait laissé au bureau de Me Barrett deux messages selon lesquels aucun avis de nomination n’avait été déposé, et il n’avait reçu aucune réponse. Par conséquent, M. Oddi a agi pour son propre compte à l’audition de la présente requête.

[12] La Cour a expliqué à M. Oddi que le 15 juin 2022 était la date qui avait été fixée pour la tenue de l’audience et pour lui permettre de « se faire entendre par un tribunal ». Pour les motifs mentionnés ci‑dessus, la Cour n’était pas disposée à accorder plus de temps à M. Oddi et à lui accorder l’ajournement demandé. Elle a entendu les observations des parties sur la requête en jugement sommaire.

III. Les faits

A. Le contexte pertinent

(1) La propriété de M. Oddi et les activités liées à la culture de marijuana

[13] Le 4 décembre 2001, M. Oddi et sa conjointe ont acheté au coût de 235 000 $ la propriété située au 7838, chemin Twenty, à Smithville, en Ontario.

[14] De 2002 à 2005, M. Oddi a mené des activités liées à la culture illégale de marijuana sur la propriété (la première série d’activités liées à la culture illégale de marijuana). En 2005, il a été accusé d’avoir mené des activités liées à la culture illégale de marijuana et a été déclaré coupable en 2007. En août 2012, il a été, encore une fois, accusé au criminel d’avoir mené des activités liées à la culture illégale de marijuana sur la propriété (la deuxième série d’activités liées à la culture illégale de marijuana).

[15] Le 11 septembre 2012, M. Oddi et sa conjointe ont refinancé la propriété pour 500 000 $ auprès de Paul Michael Siskind (M. Siskind), un prêteur privé tiers (le contrat hypothécaire). M. Oddi n’a pas effectué les paiements mensuels comme il devait le faire conformément au contrat hypothécaire.

[16] Bien qu’il ait mené la deuxième série d’activités liées à la culture illégale de marijuana sur la propriété en 2012, M. Oddi a déclaré un revenu nul pour l’année d’imposition 2012 et il n’a pas fourni le revenu de son épouse dans sa déclaration de revenus.

[17] Le 15 avril 2013, M. Siskind a entamé une procédure de pouvoir de vente à l’égard de la propriété. À l’époque, la dette hypothécaire de M. Oddi s’élevait à 526 884,94 $. M. Siskind a vendu la propriété 600 000 $ le 22 décembre 2014. Celle‑ci avait été évaluée à 595 000,00 $. M. Oddi a par la suite intenté une poursuite contre M. Siskind devant la Cour supérieure de l’Ontario.

(2) La vérification et la nouvelle cotisation de l’impôt sur le revenu des particuliers par l’ARC

[18] Dans ses déclarations de revenus des particuliers pour les années d’imposition 2002 à 2007, M. Oddi a déclaré un revenu nul ou un revenu de 1 $ et il n’a déclaré aucun revenu d’entreprise pour la première série d’activités liées à la culture illégale de marijuana. Dans une lettre datée du 30 juin 2008, une vérificatrice de l’ARC (la vérificatrice) a écrit à M. Oddi pour l’informer que l’ARC avait entrepris une vérification de ses déclarations de revenus des particuliers pour les années d’imposition 2003 à 2007. La vérificatrice a demandé à M. Oddi de communiquer avec elle dans les sept jours suivant la date de la lettre pour fixer rendez‑vous et lui a demandé de fournir certains renseignements et dossiers liés à ses activités personnelles et commerciales.

[19] Le 14 novembre 2008, la vérificatrice a envoyé à M. Oddi une lettre de proposition (la lettre de proposition de novembre 2008), dans laquelle elle a mentionné que les déclarations d’impôt sur le revenu des particuliers de M. Oddi pour les années d’imposition 2004 à 2007 seraient rajustées pour inclure un revenu non déclaré total de 605 815,00 $ et une taxe sur les produits et services (TPS) de 41 106,00 $ sur ce revenu non déclaré. La défenderesse affirme que M. Oddi n’avait pas de compte de TPS associé à la première série d’activités liées à la culture illégale de marijuana. Afin d’établir les cotisations de TPS, la vérificatrice a créé un compte de TPS et a inscrit le bureau des services fiscaux de St. Catharines comme adresse de M. Oddi à des fins administratives.

[20] Le 6 janvier 2009, la vérificatrice a envoyé une lettre de vérification finale qui comprenait de nouvelles cotisations des déclarations de revenus des particuliers de M. Oddi pour les années d’imposition 2002 et 2003, y compris un revenu non déclaré de 56 000 $ pour 2002 et de 71 000 $ pour 2003.

[21] Le 23 janvier 2009, l’ARC a établi des avis de cotisation de TPS s’élevant à 69 082,66 $ pour les années 2002 à 2007 (les cotisations de TPS). La vérificatrice n’a pas modifié l’adresse figurant sur le compte de TPS de M. Oddi avant d’établir les cotisations de TPS, et M. Oddi n’a pas reçu ces dernières.

[22] Le 30 janvier 2009, l’ARC a établi des avis de nouvelle cotisation pour les années d’imposition 2002 à 2007, ce qui a engendré une dette fiscale de 512 966,39 $, intérêts et pénalités inclus (les nouvelles cotisations de 2009 concernant les déclarations T1). Les nouvelles cotisations de 2009 concernant les déclarations T1 ont été envoyées à l’adresse de la propriété.

[23] Le 14 mars 2009, M. Oddi a déposé des avis d’opposition à l’égard des nouvelles cotisations de 2009 concernant les déclarations T1. Il a retenu les services de Larry Joslin (M. Joslin), un comptable, qui a communiqué avec l’ARC et a aidé M. Oddi dans le cadre du processus d’opposition. Le 1er novembre 2010, l’ARC a accueilli en partie l’opposition de M. Oddi et a établi des avis de nouvelle cotisation, qui ont eu pour effet de ramener la dette au titre de l’impôt sur le revenu des particuliers de M. Oddi à 58 470,23 $ pour les années d’imposition 2002 à 2006 (les nouvelles cotisations de 2010 concernant les déclarations T1). M. Oddi ne s’est pas opposé aux nouvelles cotisations de 2010 concernant les déclarations Tl.

(3) La perception des dettes au titre de l’impôt sur le revenu des particuliers et de la TPS

[24] La Direction générale du recouvrement de l’ARC a assumé la responsabilité du recouvrement des dettes de M. Oddi au titre de l’impôt sur le revenu des particuliers et de la TPS après que des cotisations eurent été établies à leur égard. Pour faire le suivi des mesures prises dans le cadre du recouvrement, la Direction générale du recouvrement de l’ARC utilise une base de données que l’on appelle le journal du Système automatisé pour les recouvrements et les retenues à la source (le journal du SARRS), qui est tenu pour chaque compte de contribuable. Le journal du SARRS sert à créer des « notes du journal » sur les mesures de recouvrement prises, à créer et à envoyer des lettres, à établir certaines cotisations et à générer des documents de correspondance. Dans le cas de M. Oddi, la Direction générale du recouvrement de l’ARC a tenu un journal du SARRS pour sa dette au titre de l’impôt sur le revenu des particuliers et un autre pour sa dette au titre de la TPS. Le journal du SARRS indique que la Direction générale du recouvrement de l’ARC a examiné les comptes de M. Oddi et a communiqué à plusieurs reprises avec lui au sujet du paiement de ses dettes au titre de l’impôt sur le revenu des particuliers et de la TPS, mais qu’il n’a pris aucune mesure de recouvrement avant 2012.

[25] Le 26 janvier 2012, un agent de recouvrement de l’ARC a envoyé des lettres types de mise en garde juridique à M. Oddi pour l’informer des montants dus au titre de l’impôt sur le revenu des particuliers et de la TPS et lui demander de communiquer avec la Direction générale du recouvrement de l’ARC dans un délai de 14 jours. M. Oddi n’a pas donné suite à cette demande de communiquer avec l’agent de recouvrement de l’ARC. La lettre de mise en garde juridique concernant la dette de M. Oddi au titre de la TPS a été envoyée à la mauvaise adresse, tout comme les avis de cotisation en lien avec la TPS. En revanche, la lettre de mise en garde juridique concernant la dette de M. Oddi au titre de l’impôt sur le revenu des particuliers a été envoyée à l’adresse de la propriété.

[26] M. Oddi n’a effectué aucun paiement volontaire au titre de l’une ou l’autre dette. En septembre 2012, la Cour a attesté les dettes de M. Oddi au titre de l’impôt sur le revenu des particuliers et de la TPS. L’ARC a obtenu deux certificats de la Cour : 1) un certificat de 65 088,90 $, daté du 6 septembre 2012, à l’égard de la dette de M. Oddi au titre de l’impôt sur le revenu des particuliers, qui était constituée de l’impôt sur le revenu des particuliers, des intérêts et des pénalités (dossier de la Cour ITA‑8482‑12), et 2) un certificat de 82 771,19 $, daté du 7 septembre 2012, à l’égard de la dette de M. Oddi au titre de la TPS, qui était constituée de la TPS et des intérêts applicables du 23 août 2012 jusqu’au jour du paiement (dossier de la Cour ETA‑6512‑12).

[27] Le 9 octobre 2012, la Direction générale du recouvrement de l’ARC a enregistré deux privilèges sur le titre de la propriété : un privilège de 65 088,90 $ en rapport avec la dette de M. Oddi au titre de l’impôt sur le revenu des particuliers (le privilège lié à l’impôt sur le revenu des particuliers) et un privilège de 82 771,19 $ en rapport avec la dette de M. Oddi au titre de la TPS (le privilège lié à la TPS). Dans une lettre datée du 26 octobre 2012, la Direction générale du recouvrement de l’ARC a informé M. Oddi que le privilège lié à l’impôt sur le revenu des particuliers et celui lié à la TPS avaient été enregistrés sur le titre de la propriété.

[28] Le 2 novembre 2012, M. Oddi a communiqué avec l’ARC au sujet des privilèges. L’inscription du 2 novembre 2012 dans le journal du SARRS indique que M. Oddi et son ami, Adam Stelmaszynski (Adam ou M. Stelmaszynski), ont tous deux parlé à un agent de recouvrement de l’ARC. L’inscription dans le journal du SARRS est ainsi libellée :

[traduction]

[…] Adam a posé de nombreuses questions au sujet des avis de cotisation de M. Oddi. [L’agent de recouvrement] lui a confirmé les dates d’établissement des avis de cotisation en question. Adam a posé des questions au sujet de la dette au titre de la TPS et a demandé s’il pouvait interjeter appel de cette dette. [L’agent de recouvrement] a répondu que le délai d’appel pour ce [compte] était expiré et qu’il ne croyait pas qu’il ait d’autres recours, mais qu’il examinerait la question et l’informerait par la suite. […] Adam a demandé si l’Agence serait disposée à attendre que M. Oddi soit en mesure d’examiner certaines choses et peut‑être d’offrir une solution. [L’agent de recouvrement] a répondu que tant que le [compte] continuait d’aller de l’avant de façon positive et qu’une solution est proposée, il accepterait de coopérer avec lui. Adam a déclaré qu’il rappellerait deux semaines plus tard.

(4) La nouvelle cotisation de TPS

[29] La défenderesse affirme qu’il semble que ni elle ni M. Oddi n’aient eu conscience du fait que M. Oddi n’avait pas reçu les cotisations de TPS. M. Oddi a retenu les services de trois personnes pour le représenter dans ses communications avec l’ARC : M. Stelmaszynski, M. Joslin et John Loukidelis (Me Loukidelis), avocat chez Simpson Wigle LLP.

[30] Le 15 mars 2013, M. Stelmaszynski a écrit à la Direction générale du recouvrement de l’ARC, affirmant que M. Oddi n’avait pas reçu la lettre de proposition de novembre 2008 ni aucun [traduction] « avis de cotisation » original sur le fondement duquel des avis de nouvelle cotisation avaient pu être reformulés le 30 janvier 2009 ni aucune explication concernant le calcul des montants figurant dans les avis de nouvelle cotisation. On peut lire également dans la lettre que, si l’ARC ne radiait pas les privilèges sur le titre de propriété de M. Oddi, ce dernier entamerait des poursuites judiciaires contre l’ARC.

[31] Dans une lettre datée du 12 avril 2013, M. Joslin a écrit à la Direction générale des appels de l’ARC pour demander une prorogation du délai pour déposer un avis d’opposition à l’égard des avis de cotisation de TPS. Le 16 avril 2013, Me Loukidelis a communiqué avec la Direction générale du recouvrement de l’ARC pour demander des renseignements concernant la vérification. Un agent de recouvrement de l’ARC lui a fourni le nom et les coordonnées de la vérificatrice. Cette dernière a accepté de discuter du dossier avec Me Loukidelis.

[32] Le 23 avril 2013, Mme Dakers, une chef d’équipe de la Direction générale de la vérification de l’ARC, a écrit à Me Loukidelis pour confirmer leur conversation téléphonique de la veille, au cours de laquelle ils avaient conclu une entente selon laquelle les cotisations de TPS feraient l’objet de nouvelles cotisations afin de tenir compte des nouvelles cotisations de 2010 concernant les déclarations T1. La lettre mentionne ce qui suit :

[traduction]

Je confirme par la présente lettre les détails de notre conversation téléphonique du 22 avril 2013 et vous fournis ceux qui concernent nos nouvelles cotisations proposées.

Analyse :

Le 23 janvier 2009, l’ARC a établi de nouvelles cotisations à l’égard du compte de TPS de M. Oddi, mais l’avis de cotisation ayant été envoyé à la mauvaise adresse, votre client ne l’a jamais reçu. Le 30 janvier 2009, l’ARC a également établi de nouvelles cotisations à l’égard du compte Tl de M. Oddi. Les redressements au titre de la TPS et de la déclaration Tl étaient tous deux fondés sur un revenu non déclaré calculé à l’aide d’une analyse de la valeur nette. Votre client a déposé un avis d’opposition contestant les nouvelles cotisations concernant les déclarations Tl et a réussi à faire réduire ces dernières. Aucun redressement correspondant n’a été effectué au titre de la TPS.

Nous reconnaissons que, par suite de notre erreur, l’avis de cotisation de TPS n’a pas été remis à votre client. Nous avons discuté avec vous des options pour résoudre la présente affaire et vous avez déclaré que votre client serait disposé à accepter qu’une nouvelle cotisation relativement à son compte de TPS soit établie à ce moment‑ci, afin qu’y soit inscrite la bonne adresse postale et que soient réduites les cotisations, compte tenu de la décision rendue par la Direction générale des appels.

[33] Dans une lettre datée du 14 mai 2013, la Direction générale des appels de l’ARC a répondu qu’il ne pouvait être fait droit à la demande d’appel des cotisations de TPS de M. Oddi, parce que celle‑ci n’avait pas été présentée dans l’année suivant l’expiration du délai accordé pour déposer une opposition. La lettre a été envoyée à M. Joslin et une copie a été envoyée par la poste à l’adresse de la propriété.

[34] Le 17 mai 2013, l’ARC a établi des avis de nouvelle cotisation de TPS, dans lesquels la dette de M. Oddi au titre de la TPS a été ramenée à 17 744,97 $ à cette date (les nouvelles cotisations de TPS). Les nouvelles cotisations de TPS ont été envoyées à l’adresse de la propriété. L’allègement concernant les intérêts a ensuite été traité, pour réduire davantage la dette de M. Oddi au titre de la TPS. L’inscription du 13 août 2013 dans le journal du SARRS indique que la dette s’élevait à 14 493,64 $ à cette date.

(5) La demande de radiation des privilèges

[35] Entre janvier 2013 et juillet 2014, M. Oddi et ses représentants, Me Loukidelis et M. Stelmaszynski, ont communiqué avec la Direction générale du recouvrement de l’ARC au sujet des privilèges. Les inscriptions dans le journal du SARRS pour cette période indiquent que Me Loukidelis et M. Stelmaszynski ont informé à plusieurs reprises la Direction générale du recouvrement de l’ARC que M. Oddi acquitterait ses dettes au titre de l’impôt sur le revenu des particuliers et de la TPS. À d’autres occasions, MM. Oddi et Stelmaszynski ont demandé à l’ARC de radier les privilèges.

[36] L’inscription du 2 avril 2013 dans le journal du SARRS indique qu’un agent de recouvrement de l’ARC a refusé de radier les privilèges jusqu’à ce que les paiements aient été reçus sur les comptes. Toutefois, l’agent de recouvrement a offert de remettre aux prêteurs proposés des lettres de confort, qui confirmeraient les montants impayés sur les privilèges et les paiements requis et qui confirmeraient que les privilèges seraient radiés une fois que les montants dus auraient été entièrement acquittés.

[37] Le 31 juillet 2014, l’agent de recouvrement de l’ARC a fourni à M. Oddi les soldes alors dus au titre de l’impôt sur le revenu des particuliers et de la TPS et a déclaré qu’il lui enverrait un relevé de compte à jour de son compte d’impôt sur le revenu des particuliers pour qu’il puisse le montrer à des prêteurs potentiels.

[38] M. Oddi n’a pas fourni à la Direction générale du recouvrement de l’ARC les coordonnées de prêteurs proposés ni d’avocats s’occupant de la vente de la propriété et n’a pas fourni non plus de correspondance concernant le financement. L’agent de recouvrement de l’ARC n’a pas non plus reçu de correspondance ou de documents à l’appui de la prétention de M. Oddi selon laquelle il ne pouvait pas obtenir de financement en raison des privilèges de l’ARC.

[39] M. Oddi soutient avoir obtenu un refinancement en 2014. Cette prétention est fondée sur deux lettres que Capital Direct Lending Corp. a envoyées à Centum Fundsource Financial, toutes deux datées du 29 août 2014. La première lettre indique que Capital Direct Lending Corp. avait consenti une hypothèque de premier rang de 600 000 $ sur la propriété, laquelle comportait des paiements mensuels de 5 453,00 $. Les frais et autres dépenses du prêteur associés à l’hypothèque de premier rang proposée s’élevaient à environ 38 420,00 $, ce qui donnait un produit net proposé de 561 580,00 $. La deuxième lettre indique que Capital Direct Lending Corp. avait consenti une hypothèque de deuxième rang de 100 000 $ sur la propriété, laquelle comportait des paiements mensuels de 1 438,00 $. Les frais et autres dépenses du prêteur associés à l’hypothèque de deuxième rang proposée s’élevaient à environ 10 250,00 $, ce qui donnait lieu à un produit net proposé de 89 750,00 $. Les deux lettres indiquent que M. Oddi et sa conjointe n’avaient pas fourni tous les documents requis pour les besoins de l’approbation des montants proposés.

[40] M. Oddi s’appuie également sur une lettre, datée du 19 décembre 2019, du courtier principal de Hotline Mortgages Inc. qui avait déjà été en contact avec lui lorsqu’il était agent hypothécaire chez Centum Fundsource Financial (la lettre de décembre 2019). La lettre de décembre 2019 indique que, lorsque le financement a été initialement envisagé, M. Oddi a affirmé que le montant dû à M. Siskind sur l’hypothèque s’élevait à environ 560 000 $ (en date de décembre 2013) et que le montant dû sur le privilège lié à l’impôt sur le revenu des particuliers et celui lié à la TPS était d’environ 85 500 $ (en date de février 2014). Le dernier paragraphe de la lettre de décembre 2019 est ainsi libellé :

[traduction]

Déduction faite des frais du prêteur et du courtier ainsi que des honoraires d’avocat, les nouveaux prêts hypothécaires de premier et de deuxième rang se traduisaient par des fonds disponibles de 651 330,00 $. Toutefois, en août 2014, lorsque je vous ai présenté l’offre hypothécaire, l’hypothèque de premier rang était passée à environ 592 000 $ (probablement plus), plus les privilèges enregistrés de 147 859,00 $, ce qui entraînait un manque à gagner de 88 582,00 $ avant les honoraires d’avocat du client, te nécessitait un avis juridique indépendant. Comme M. Oddi ne disposait pas des fonds requis pour combler le manque à gagner, le refinancement ne pouvait aller de l’avant. Notre prêteur n’ayant pu obtenir un titre libre, parce que les montants dus sur les privilèges de l’ARC ne pouvaient pas être acquittés en totalité et qu’il n’était pas disposé à être créancier de deuxième rang, le refinancement a alors pris fin.

[41] Selon la lettre de décembre 2019, M. Oddi n’a pas fourni l’information à jour au prêteur proposé et n’a pas demandé l’aide d’un avocat pour le refinancement. Ainsi que l’a fait remarquer la défenderesse, même si M. Oddi avait fourni les montants qui étaient alors dus sur les privilèges de l’ARC, d’après la lettre de décembre 2019, après avoir soustrait le montant dû à M. Siskind sur l’hypothèque (592 000,00 $) des 651 330,00 $ dont il disposerait par suite du refinancement proposé, il serait resté 59 330,00 $. Ce montant aurait été insuffisant pour acquitter le montant dû sur le privilège lié à l’impôt sur le revenu des particuliers.

[42] L’inscription du 5 janvier 2015 dans le journal du SARRS indique que M. Stelmaszynski a informé l’ARC que la propriété avait été [traduction] « vendue récemment à un prix inférieur à sa juste valeur marchande et que M. Oddi allait contester cette vente ». L’inscription dans le journal du SARRS indique également que c’était la première fois que l’agent de recouvrement de l’ARC entendait parler de la vente de la propriété.

(6) La tentative de l’ARC de recouvrer les dettes au moyen de la compensation prévue par la loi

[43] Le 18 février 2014, l’ARC a délivré une compensation prévue par la loi aux programmes de la sécurité du revenu de Service Canada relativement à la pension de la Sécurité de la vieillesse de M. Oddi et a affecté les paiements reçus aux dettes de M. Oddi au titre de la TPS. M. Oddi a demandé que la compensation prévue par la loi soit annulée. Les notes du journal du SARRS indiquent qu’un agent de recouvrement de l’ARC a demandé à plusieurs reprises à M. Oddi de lui fournir des renseignements sur sa situation financière. M. Oddi a fourni les renseignements requis le 14 janvier 2016. Le 18 janvier 2016, après avoir examiné les renseignements fournis par M. Oddi, l’ARC a annulé la compensation prévue par la loi.

(7) L’appel à la Cour canadienne de l’impôt

[44] En juillet 2014, M. Oddi a demandé un redressement de ses déclarations de revenus des particuliers pour les années d’imposition 2002 à 2006. Le 15 avril 2015, il a déposé un appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt, dans lequel il contestait de nouvelles cotisations pour certaines années d’imposition.

[45] Le 20 avril 2016, la Cour canadienne de l’impôt a rejeté la requête de l’ARC en radiation de l’avis d’appel au motif qu’il était hors délai (voir : Oddi c La Reine, 2016 CCI 102).

[46] En 2019, les appels en matière fiscale ont été réglés par les parties, ce qui a donné lieu à l’établissement d’avis de nouvelle cotisation, datés du 16 décembre 2019, qui ont eu pour effet d’annuler les dettes de M. Oddi au titre de l’impôt sur le revenu des particuliers pour les années d’imposition 2002 à 2006.

IV. La question en litige et la norme de contrôle

[47] La question en litige en l’espèce est de savoir si l’action de M. Oddi devrait être rejetée par jugement sommaire, et plus particulièrement :

  1. Si les cotisations et les nouvelles cotisations de l’impôt sur le revenu des particuliers et de la TPS de M. Oddi étaient valides et exécutoires.

  2. Si le recouvrement des dettes de M. Oddi par l’ARC était approprié et valide.

  3. Si la cause d’action pour négligence doit être rejetée.

  4. Si la cause d’action pour fraude doit être rejetée.

  5. Si la réclamation en dommages‑intérêts fondée sur une violation alléguée de l’article 7 de la Charte doit être rejetée.

[48] Conformément aux articles 213 à 215 des Règles, un jugement sommaire vise à permettre à la Cour de trancher par voie sommaire des affaires qui ne devraient pas donner lieu à un procès, parce qu’il n’existe aucune véritable question litigieuse. Si, par suite d’une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence (Règles, art 215(1)). Au paragraphe 49 de l’arrêt Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7 (Hryniak), la Cour suprême du Canada a décrit les circonstances dans lesquelles une telle décision peut être rendue :

[49] Il n’existe pas de véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès lorsque le juge est en mesure de statuer justement et équitablement au fond sur une requête en jugement sommaire. Ce sera le cas lorsque la procédure de jugement sommaire (1) permet au juge de tirer les conclusions de fait nécessaires, (2) lui permet d’appliquer les règles de droit aux faits et (3) constitue un moyen proportionné, plus expéditif et moins coûteux d’arriver à un résultat juste.

[49] L’affaire Hryniak portait sur l’interprétation de l’article 20 des Règles de procédure civile de l’Ontario, RRO 1990, Règl 194, qui traite des requêtes en jugement sommaire. Bien que les dispositions des Règles relatives au jugement sommaire soient formulées différemment, les principes énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Hryniak sont d’application générale et nous rappellent que les principaux objectifs d’un jugement sommaire sont de préserver les ressources judiciaires et d’améliorer l’accès à la justice, tout en garantissant une décision appropriée sur l’action (Hryniak, au para 35).

[50] Le critère relatif au jugement sommaire a récemment été énoncé par la Cour dans la décision Lauzon c Canada (Agence du revenu), 2021 CF 431 au para 21 :

Le critère applicable à une requête en jugement sommaire n’est pas de savoir si une partie ne peut éventuellement pas avoir gain de cause au procès. Il s’agit plutôt de savoir si l’affaire est si douteuse qu’elle ne mérite pas d’être examinée par le juge des faits lors d’un futur procès (Milano Pizza, au para 33; Conseil Kaska Dena c Canada, 2018 CF 218 aux para 21 et 23 (Kaska)). Il incombe à la partie qui demande un jugement sommaire d’établir l’absence d’une véritable question litigieuse, et cela s’accompagne d’un fardeau de preuve (Collins c Canada, 2015 CAF 281 au para 71). Toutefois, l’article 214 des Règles exige que la partie intimée énonce des faits précis dans sa réponse à la requête et qu’elle présente des éléments de preuve montrant qu’il y a une véritable question à trancher (Canmar Foods Ltd. c TA Foods Ltd., 2021 CAF 7 au para 27). Autrement dit, les deux parties doivent présenter leurs meilleurs éléments de preuve et la Cour a le droit de supposer qu’aucun nouvel élément de preuve ne serait présenté au procès (Première Nation Samson c Canada, 2015 CF 836 au para 94; confirmé par 2016 CAF 223 aux para 21 et 24; Kaska, au para 23).

V. Analyse

[51] La défenderesse soutient que la présente affaire satisfait au critère relatif au jugement sommaire : l’affaire est si douteuse qu’elle ne mérite pas d’être examinée par un juge des faits lors d’un futur procès. Elle maintient que les faits en l’espèce ne sont pas complexes et que la Cour dispose d’un dossier factuel complet concernant les questions en litige. Le dossier dont la Cour est saisie dans la présente affaire est exhaustif : les parties se sont échangé des affidavits, ont procédé à des contre‑interrogatoires sur les affidavits et ont fourni des réponses à des engagements. De plus, dans une ordonnance datée du 3 mars 2022, la protonotaire Tabib a conclu que la défenderesse avait répondu correctement aux questions de suivi de la demanderesse aux réponses de la défenderesse à d’autres questions sur son affidavit.

A. La question de savoir si les cotisations et les nouvelles cotisations de l’impôt sur le revenu des particuliers et de la TPS de M. Oddi étaient valides et exécutoires

[52] Premièrement, la défenderesse soutient que les cotisations et les nouvelles cotisations de l’impôt sur le revenu des particuliers et de la TPS de M. Oddi étaient valides et exécutoires. La Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e supp) (la LIR), et la Loi sur la taxe d’accise, LRC 1985, c E‑15 (la LTA), établissent une structure complète et complexe pour assurer le traitement d’une multitude de revendications se rapportant au fisc (Canada c Addison et Leyen Ltd, 2007 CSC 33 au para 11). La défenderesse soutient que les nouvelles cotisations de 2009 concernant les déclarations T1 étaient valides et exécutoires sous le régime de LIR jusqu’à ce que des modifications y soient apportées par la Direction générale des appels de l’ARC par la voie de nouvelles cotisations de 2010 concernant les déclarations T1. M. Oddi ne s’est pas opposé aux nouvelles cotisations de 2010 concernant les déclarations T1, et la dette au titre de l’impôt sur le revenu des particuliers était dûment recouvrable le ou vers le 1er février 2011. Les cotisations de TPS étaient également valides et exécutoires au titre de l’article 299 de la LTA. Le contribuable qui ne reçoit pas d’avis de cotisation ou de nouvelle cotisation peut demander une prorogation du délai pour s’opposer à l’ARC ou demander à la Cour de l’impôt de proroger le délai pour interjeter appel de ces cotisations (LTA, art 299, 303, 304). Dans le cas de M. Oddi, l’ARC a accepté d’établir de nouvelles cotisations de TPS dans les huit jours suivant la communication de Me Loukidelis avec l’agent de recouvrement de l’ARC le 16 avril 2013.

[53] Comme l’a souligné la défenderesse, la LIR et la LTA établissent la structure qui assure le traitement des revendications se rapportant au fisc et des cotisations. Le paragraphe 152(8) de la LIR prescrit ce qui suit :

Présomption de validité de la cotisation

152 (8) Sous réserve des modifications qui peuvent y être apportées ou de son annulation lors d’une opposition ou d’un appel fait en vertu de la présente partie et sous réserve d’une nouvelle cotisation, une cotisation est réputée être valide et exécutoire malgré toute erreur, tout vice de forme ou toute omission dans cette cotisation ou dans toute procédure s’y rattachant en vertu de la présente loi.

Assessment deemed valid and binding

152 (8) An assessment shall, subject to being varied or vacated on an objection or appeal under this Part and subject to a reassessment, be deemed to be valid and binding notwithstanding any error, defect or omission in the assessment or in any proceeding under this Act relating thereto.

[54] Ce même libellé figure au paragraphe 299(4) de la LTA. De plus, le paragraphe 299(5) de la LTA prescrit ce qui suit :

Irrégularités

(5) L’appel d’une cotisation ne peut être accueilli pour cause seulement d’irrégularité, de vice de forme, d’omission ou d’erreur de la part d’une personne dans le respect d’une disposition directrice de la présente partie.

Irregularities

(5) An appeal from an assessment shall not be allowed by reasons only of an irregularity, informality, omission or error on the part of any person in the observation of any directory provision of this Part.

[55] Conformément à l’article 165 de la LIR et à l’article 301 de la LTA, le contribuable peut s’opposer à une cotisation ou à une nouvelle cotisation en déposant un avis d’opposition dans les 90 jours suivant le jour où l’avis de cotisation lui est envoyé. Le ministre du Revenu national étudie alors la demande et décide de l’accueillir ou de la rejeter.

[56] En vertu de l’article 169 de la LIR et de l’article 302 de la LTA, le contribuable qui a présenté un avis d’opposition à une cotisation peut interjeter appel devant la Cour canadienne de l’impôt pour faire annuler ou modifier la cotisation : a) après que le ministre a ratifié la cotisation ou procédé à une nouvelle cotisation, ou b) après l’expiration des 90 jours qui suivent la signification de l’avis d’opposition sans que le ministre ait notifié au contribuable le fait qu’il a annulé ou ratifié la cotisation ou procédé à une nouvelle cotisation. Toutefois, aucun appel ne peut être interjeté devant la Cour canadienne de l’impôt après l’expiration des 90 jours qui suivent l’envoi au contribuable de l’avis portant que le ministre a ratifié la cotisation ou procédé à une nouvelle cotisation.

[57] Conformément au paragraphe 12(1) de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, LRC 1985, c T‑2, la Cour canadienne de l’impôt a compétence exclusive pour entendre les renvois et les appels portés devant elle sur les questions découlant de l’application de la LIR et de la LTA. Conformément à l’article 171 de la LIR, la Cour de l’impôt peut statuer sur un appel a) en le rejetant ou b) en l’admettant et en annulant la cotisation, en la modifiant ou en la déférant au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation. Selon la disposition correspondante du paragraphe 309(1) de la LTA, la Cour de l’impôt peut statuer sur un appel concernant une cotisation en la rejetant ou en l’accueillant et, dans ce dernier cas, elle peut annuler la cotisation ou la renvoyer au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation.

[58] Je souscris aux arguments de la défenderesse selon lesquels les cotisations et les nouvelles cotisations de l’impôt sur le revenu des particuliers et de la TPS de M. Oddi étaient valides et exécutoires, conformément à la LIR et à la LTA. Il ressort clairement du dossier que les nouvelles cotisations de 2010 concernant les déclarations T1 étaient valides et exécutoires. Bien que la loi lui donne le droit de s’opposer aux nouvelles cotisations de 2010 concernant les déclarations T1, M. Oddi a choisi de ne pas le faire.

[59] En ce qui concerne les cotisations de TPS, en vertu des articles 303 à 305 de la LTA, les contribuables peuvent demander au ministre de proroger le délai pour déposer un avis d’opposition (LTA, art 303), demander à la Cour de l’impôt de faire droit à la demande (LTA, art 304) ou demander à la Cour de l’impôt de proroger le délai pour interjeter appel des cotisations (LTA, art 305).

[60] Le 12 avril 2013, M. Joslin a écrit à la Direction générale des appels de l’ARC, au nom de M. Oddi, pour demander une prorogation du délai pour déposer un avis d’opposition aux avis de cotisation de TPS. Dans une lettre datée du 23 avril 2013, Mme Dakers, chef d’équipe à la Direction générale de la vérification de l’ARC, a écrit au conseiller juridique de M. Oddi, Me Loukidelis, et a reconnu qu’en raison de l’erreur de l’ARC, l’avis de cotisation de TPS n’avait pas été livré à M. Oddi. Dans sa lettre, Mme Dakers a aussi confirmé la conversation qu’elle a eue avec Me Loukidelis le 22 avril 2013, au cours de laquelle ils avaient convenu que de nouvelles cotisations de TPS seraient établies pour tenir compte des nouvelles cotisations de 2010 concernant les déclarations T1. Le 14 mai 2013, la Direction générale des appels de l’ARC a informé M. Oddi que sa demande d’appel des cotisations de TPS ne pouvait être accueillie, parce qu’elle avait été présentée après la date limite pour déposer une opposition. Toutefois, le 17 mai 2013, à la suite de la lettre de Mme Dakers datée du 23 avril 2013, l’ARC a établi les nouvelles cotisations de TPS, en conformité avec les nouvelles cotisations de 2010 concernant les déclarations T1.

[61] Selon le dossier, les nouvelles cotisations de TPS ont été établies le 17 mai 2013, ce qui a réduit la dette de M. Oddi au titre de la TPS. La dette au titre de la TPS a été réduite davantage en août 2013 après que l’allègement concernant les intérêts a été traité. Lorsqu’elle a pris connaissance de son erreur, l’ARC a agi rapidement pour corriger celle‑ci et a établi de nouvelles cotisations de TPS pour s’assurer qu’elles étaient conformes aux nouvelles cotisations de 2010 concernant les déclarations T1. Je conclus donc que les nouvelles cotisations de TPS sont, elles aussi, valides et exécutoires.

B. La question de savoir si le recouvrement des dettes de M. Oddi par l’ARC était approprié et valide

[62] La défenderesse soutient que le recouvrement des dettes de M. Oddi était approprié et valide. Sous le régime de la LIR et de la LTA, l’ARC a le pouvoir de prendre à sa discrétion des mesures de recouvrement, notamment enregistrer des privilèges et recourir à la compensation prévue par la loi – elle a fait les deux en l’espèce (LIR, art 220‑224; LTA, art 313‑325). La défenderesse fait valoir que le privilège lié à l’impôt sur le revenu des particuliers a été validement enregistré sur le titre de la propriété, bien après l’expiration des restrictions applicables au recouvrement.

[63] La défenderesse fait également remarquer que, bien qu’il n’y ait pas de restrictions applicables au recouvrement sous le régime de la LTA pour les dettes au titre de la TPS, l’ARC a effectivement enregistré le privilège lié à la TPS avant que M. Oddi reçoive les cotisations de TPS et a rejeté les demandes de M. Oddi ainsi que de ses représentants de radier les privilèges sur la propriété. Suivant le paragraphe 315(1) de la LTA, le ministre ne peut, outre exiger des intérêts, prendre des mesures de recouvrement relativement à un montant susceptible de cotisation que si le montant a fait l’objet d’une cotisation. Tout montant ayant fait l’objet d’une cotisation et impayé après l’envoi d’une cotisation à une personne est payable immédiatement par cette dernière au receveur général. La défenderesse maintient que la décision de l’ARC de ne pas radier les privilèges sur la propriété était une décision discrétionnaire. En vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales (LRC 1985, c F‑7), les contribuables peuvent solliciter le contrôle judiciaire des décisions administratives discrétionnaires.

[64] La Cour fédérale a examiné des demandes de contrôle judiciaire de décisions par lesquelles la Direction générale du recouvrement de l’ARC avait refusé de radier des privilèges. Par exemple, dans la décision 893134 Ontario Inc (Mega Distributors) c Canada (Revenu national), 2008 CF 715, la Cour a examiné le refus du ministre du Revenu national de radier un privilège enregistré sur le bien immobilier de la débitrice fiscale en attendant qu’une décision soit rendue sur une cotisation de TPS/TVH contestée. La Cour a conclu que le ministre n’avait aucune obligation d’aller « au‑delà du régime législatif et [d’]envisage[r] de radier ou de reporter le privilège afin [d’aider] la demanderesse » (au para 20). La Cour note également ce qui suit, au paragraphe 41 :

Les mesures de mise en recouvrement de l’impôt paraissent souvent injustes et draconiennes […] Mais la loi applicable donne à penser que le législateur voulait que le ministre dispose des pouvoirs qu’il a exercés et de la sûreté qu’il a prise en l’espèce, quand bien même le contribuable trouverait à redire à la conduite de l’ARC et de ses représentants.

[65] La défenderesse soutient que M. Oddi avait le droit de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’ARC de ne pas radier les privilèges, mais qu’il a choisi de ne pas le faire. M. Oddi était également représenté par un conseiller juridique, Me Loukidelis, à l’époque des efforts de refinancement, lorsqu’il lui était loisible de demander le contrôle judiciaire de la décision de l’ARC.

[66] Je conclus que le recouvrement des dettes de M. Oddi par l’ARC était correct et valide. Je conviens avec la défenderesse que le privilège lié à l’impôt sur le revenu des particuliers a été validement enregistré sur le titre de la propriété après l’expiration des restrictions relatives au recouvrement. Conformément au paragraphe 222(4) de la LIR, le délai de prescription pour le recouvrement d’une dette fiscale d’un contribuable commence à courir le quatre‑vingt‑dixième jour suivant le jour où l’avis de cotisation est envoyé ou signifié. Les nouvelles cotisations de 2010 concernant les déclarations T1 ont été établies le 1er novembre 2010. Le privilège lié à l’impôt sur le revenu des particuliers a été enregistré le 9 octobre 2012, soit bien après le délai de prescription de 90 jours.

[67] En ce qui concerne le privilège lié à la TPS, la défenderesse a concédé que les cotisations de TPS avaient été établies le 23 janvier 2009, mais qu’elles avaient été envoyées à la mauvaise adresse. Toutefois, la Cour a attesté la dette au titre de la TPS le 7 septembre 2012 (LTA, art 316(1)), et l’ARC n’a enregistré le privilège lié à la TPS que le 9 octobre 2012. Ce dernier privilège n’a donc pas été enregistré avant la certification de la dette au titre de la TPS. Tel que le prescrit le paragraphe 316(4) de la LTA :

Charge sur un bien

(4) Un document délivré par la Cour fédérale et faisant preuve du contenu d’un certificat enregistré à l’égard d’un débiteur en application du paragraphe (2), un bref de cette cour délivré au titre du certificat ou toute notification du document ou du bref (ce document ou bref ou cette notification étant appelé « extrait » au présent article) peut être produit, enregistré ou autrement inscrit en vue de grever d’une sûreté, d’une priorité ou d’une autre charge un bien du débiteur situé dans une province, ou un droit sur un tel bien, de la même manière que peut l’être, au titre ou en application de la loi provinciale, un document faisant preuve :

a) soit du contenu d’un jugement rendu par la cour supérieure de la province contre une personne pour une dette de celle‑ci;

b) soit d’un montant payable ou à remettre par une personne dans la province au titre d’une créance de Sa Majesté du chef de la province.

 

Charge on property

(4) A document issued by the Federal Court evidencing a certificate in respect of a debtor registered under subsection (2), a writ of that Court issued pursuant to the certificate or any notification of the document or writ (such document, writ or notification in this section referred to as a “memorial”) may be filed, registered or otherwise recorded for the purpose of creating a charge, lien or priority on, or a binding interest in, property in a province, or any interest in such property, held by the debtor in the same manner as a document evidencing

(a) a judgment of the superior court of the province against a person for a debt owing by the person, or

(b) an amount payable or required to be remitted by a person in the province in respect of a debt owing to Her Majesty in right of the province

may be filed, registered or otherwise recorded in accordance with or pursuant to the law of the province to create a charge, lien or priority on, or a binding interest in, the property or interest

[68] L’inscription du 2 novembre 2012 dans le journal du SARRS indique également que, lors de leurs communications avec un agent de recouvrement de l’ARC, M. Oddi et son représentant, M. Stelmaszynski, étaient au courant de la dette au titre de la TPS, puisqu’ils ont demandé si elle pouvait faire l’objet d’un appel.

[69] De plus, comme l’a souligné la défenderesse, M. Oddi n’a pas présenté de demande de contrôle judiciaire à l’encontre du refus de l’ARC de radier les privilèges, malgré le fait qu’il était représenté par Me Loukidelis à l’époque pertinente. En fait, selon la preuve présentée par la défenderesse, Me Loukidelis et M. Stelmaszynski ont tous deux informé la Direction générale du recouvrement de l’ARC que M. Oddi acquitterait les dettes liées à l’impôt sur le revenu des particuliers et à la TPS. Je conclus donc que l’ARC a exercé son pouvoir discrétionnaire de recouvrer les sommes dues par M. Oddi d’une manière appropriée et valide.

C. La question de savoir si la cause d’action pour négligence doit être rejetée

[70] Pour obtenir gain de cause dans le cadre d’une action pour négligence, le demandeur doit prouver les éléments suivants, que l’on appelle le cadre d’analyse des arrêts Anns et Cooper : i) une obligation de diligence du défendeur envers le demandeur; ii) un manquement à l’obligation de diligence par une conduite qui ne satisfait pas à la norme de diligence; iii) un préjudice subi par le demandeur; iv) un lien de causalité (Cooper c Hobart, 2001 CSC 79 (Cooper); Hill c Commission des services policiers de la municipalité régionale de Hamilton‑Wentworth, 2007 CSC 41 (Hill) aux para 20, 90, 93, 94).

[71] Pour déterminer le premier élément — s’il existe une obligation de diligence envers le demandeur — la Cour commence par déterminer si une obligation de diligence prima facie dans les circonstances particulières a déjà été établie par les tribunaux, ou si elle est analogue aux conclusions tirées dans des affaires antérieures. Dans l’affirmative, il n’est pas nécessaire de procéder à l’analyse complète énoncée dans les arrêts Anns et Cooper. La Cour suprême du Canada a récemment énoncé, dans l’arrêt Nelson (Ville) c Marchi, 2021 CSC 41 (Nelson) aux para 16‑19, le cadre d’analyse de l’obligation de diligence formulée dans les arrêts Anns et Cooper :

[16] Au Canada, l’analyse établie dans les arrêts Anns et Cooper offre un cadre uniforme permettant de déterminer quand naît une obligation de diligence dans le vaste domaine du droit de la négligence, y compris en cas d’allégations de négligence formulées contre les représentants gouvernementaux. Cependant, comme le démontrent clairement l’arrêt Cooper et des décisions subséquentes, le cadre d’analyse s’applique différemment selon que la demande présentée par la partie demanderesse relève d’une obligation de diligence reconnue ou analogue, ou selon que la demande porte sur une obligation nouvelle parce que le lien de proximité n’a pas été reconnu auparavant.

[17] Dans les affaires portant sur une nouvelle obligation de diligence, les deux étapes du cadre d’analyse établi dans les arrêts Anns et Cooper s’appliquent. Suivant la première étape, le tribunal se demande s’il existe une obligation de diligence prima facie entre les parties. À cette étape, la question consiste à décider si le préjudice était une conséquence raisonnablement prévisible de la conduite de la partie défenderesse et s’il existe « un lien de proximité dans le cadre duquel l’omission de faire preuve de diligence raisonnable peut, de façon prévisible, causer une perte ou un préjudice au demandeur » (Rankin’s Garage, par. 18). Il y a un lien de proximité lorsqu’il existe entre les parties un lien à ce point « étroit et direct », qu’il serait « juste et équitable en droit d’imposer une obligation de diligence au défendeur » (Cooper, par. 32 et 34).

[18] S’il existe une proximité suffisante permettant de fonder une obligation de diligence prima facie, il est nécessaire de passer à la deuxième étape de l’analyse établie dans les arrêts Anns et Cooper, qui consiste à se demander s’il existe des considérations de politique résiduelles étrangères au lien existant entre les parties qui devraient écarter l’obligation de diligence prima facie (Cooper, par 30). Comme il est énoncé au par. 37 de l’arrêt Cooper, l’étape des considérations de politique résiduelles du cadre d’analyse établi dans les arrêts Anns et Cooper soulève des questions liées à « l’effet que la reconnaissance d’une obligation de diligence aurait sur les autres obligations légales, sur le système juridique et sur la société en général », par exemple :

La loi prévoit‑elle déjà une réparation? Faudrait‑il craindre le risque que la reconnaissance de l’obligation de diligence crée une responsabilité illimitée pour un nombre illimité de personnes? D’autres raisons de politique générale indiquent‑elles que l’obligation de diligence ne devrait pas être reconnue?

[19] Lorsque l’obligation de diligence en cause n’est pas nouvelle, il n’est généralement pas nécessaire de procéder aux deux étapes du cadre d’analyse établi dans les arrêts Anns et Cooper. Au fil des ans, les tribunaux canadiens ont élaboré un corpus du droit de la négligence qui reconnaît des catégories de cas dans lesquelles une obligation de diligence a déjà été reconnue (Cooper, par. 41; Childs c. Desormeaux, 2006 CSC 18, [2006] 1 R.C.S. 643, par. 15; Mustapha c. Culligan du Canada Ltée, 2008 CSC 27, [2008] 2 R.C.S. 114, par. 5). Dans de tels cas, « l’existence du lien étroit et direct requis est établie » et il est alors satisfait à la première étape du cadre d’analyse des arrêts Anns et Cooper, pour autant que le risque de préjudice était raisonnablement prévisible (Deloitte & Touche c. Livent Inc. (Séquestre de), 2017 CSC 63, [2017] 2 R.C.S. 855, par. 26). La deuxième étape de l’analyse des arrêts Anns et Cooper sera rarement nécessaire, étant donné que les considérations de politique résiduelles auront déjà été prises en compte lorsque l’obligation de diligence a été reconnue auparavant (Cooper, par. 36 et 39; Livent, par. 26 et 28; voir aussi Edwards c. Barreau du Haut‑Canada, 2001 CSC 80, [2001] 3 R.C.S. 562, par. 9‑10).

[72] La défenderesse soutient que les fonctionnaires de l’ARC n’ont pas d’obligation de diligence envers les contribuables et qu’il n’est donc pas nécessaire d’appliquer le critère énoncé dans les arrêts Anns et Cooper. Elle note que les tribunaux canadiens ont systématiquement refusé d’accepter la proposition selon laquelle les fonctionnaires de l’ARC exerçant des fonctions administratives en matière fiscale, y compris les vérifications, les cotisations et les recouvrements, avaient une obligation de diligence de droit privé envers les contribuables. Par exemple, dans la décision Canus v Canada Customs, 2005 NSSC 283, la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse a conclu qu’il n’y avait aucune source faisant autorité qui permettait d’établir qu’un employé de l’ARC avait une obligation de diligence, et que cela n’était analogue à aucune catégorie existante (aux para 61, 63, 64). La défenderesse cite plusieurs autres décisions à l’appui de cette thèse.

[73] La jurisprudence invoquée par la défenderesse démontre que l’ARC n’a pas d’obligation de diligence envers les contribuables et qu’il n’existe pas d’affaire analogue permettant d’établir l’existence d’une telle obligation (voir l’analyse dans la décision Softcom Solutions Inc v Canada (Attorney General), 2020 ONSC 3290 (Softcom) au para 191, et l’arrêt Grenon v Canada Revenue Agency, 2017 ABCA 96 (Grenon) aux para 8‑15). La jurisprudence établit qu’il n’existe pas de lien de proximité suffisant, en raison du [traduction] « lien intrinsèquement antagonique » entre les fonctionnaires de l’ARC qui exercent une fonction prévue par la loi et les contribuables (Grenon, au para 25; voir aussi : Humby c Canada, 2013 CF 1136 (Humby) aux para 118‑123, conf par Humby c Canada, 2015 CAF 266; Leighton v Canada (Attorney General), 2012 BCSC 961 (Leighton) aux para 48, 54, 57; Canada c Scheuer, 2016 CAF 7 aux para 30, 31).

[74] En outre, l’obligation primordiale d’un fonctionnaire de l’ARC envers son employeur (le gouvernement et, par extension, la population canadienne), et non envers le contribuable, est incompatible avec la création d’une obligation de diligence (voir l’analyse dans les jugements 783783 Alberta Ltd. v Canada (Attorney General), 2010 ABCA 226 (783783 Alberta) aux para 45‑47; Foote v Canada (Attorney General), 2011 BCSC 1062 aux para 40‑ 43; Deluca v Canada, 2016 ONSC 3865 (Deluca) aux para 42‑44; Piett v Global Learning Group Inc, 2021 SKQB 232 aux para 113‑120; Signal Hill Manufacturing Inc v Canada Revenue Agency, 2021 ABQB 460 aux para 65‑75). Une grande partie de la jurisprudence explique les positions opposées qu’occupent l’ARC et le contribuable; la nature de leur relation — débiteur‑créancier — est intrinsèquement antagonique. La Cour a souligné ce qui suit, au paragraphe 122 de la décision Humby : « La relation entre le débiteur et le ministre est régie en l’espèce par la loi. Sauf abus de ses pouvoirs légaux, le ministre n’est tenu à l’égard du débiteur que d’agir conformément à la loi et aux fins qu’elle prévoit. » Comme il a été mentionné précédemment, la Cour canadienne de l’impôt est également la tribune appropriée à laquelle M. Oddi peut s’adresser pour obtenir réparation.

[75] Dans une décision, Leroux v Canada Revenue Agency, 2014 BCSC 720 (Leroux), la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a conclu qu’il existait une obligation de diligence prima facie pour le compte des vérificateurs de l’ARC envers le demandeur (au para 305). Cette conclusion était fondée sur les [traduction] « énormes pénalités » qui étaient en jeu. La décision Leroux est considérée comme étant unique et reconnue comme étant une [traduction] « aberration » (Jayco, Inc v Her Majesty the Queen in Right of Canada, 2021 ONSC 2120 (Jayco (ONSC)) au para 29). Bien que la décision Leroux ait été mentionnée favorablement par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt McCreight v Canada (Attorney General), 2013 ONCA 483 (McCreight), il y a été conclu qu’une action pour négligence est possible lorsque l’ARC mène une enquête sur des infractions criminelles. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

[76] En outre, dans l’arrêt Grenon, la Cour d’appel de l’Alberta a noté que le juge en son cabinet avait raison d’établir une distinction d’avec la décision Leroux : [TRADUCTION] « À notre avis, la création d’une obligation fondée sur l’importance d’une sanction pécuniaire offre un fondement insuffisant – et une mauvaise politique – sur lequel fonder une obligation de diligence de droit privé ». Je conclus que l’arrêt Grenon est convaincant, surtout compte tenu de la volumineuse jurisprudence qui conclut que l’ARC n’a pas d’obligation de diligence envers les contribuables. Les opinions exprimées dans l’arrêt Grenon ont également été confirmées récemment dans l’arrêt Jayco, Inc v Canada (Revenue Agency), 2022 ONCA 277 (Jayco (ONCA)), dans lequel la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé la décision rendue par la Cour supérieure de l’Ontario dans l’affaire Jayco (ONSC) de rejeter la prétention de Jayco relative à l’obligation de diligence (au para 19; voir aussi les para 25‑35). Au paragraphe 30 de l’arrêt Jayco (ONCA), la Cour d’appel de l’Ontario déclare ce qui suit :

[traduction]

L’approbation par la Cour de l’arrêt Leroux v Canada Revenue Agency, 2012 BCCA 63, 347 DLR (4th) 122, comme fondement pour permettre que l’action aille de l’avant lorsque des accusations ont été portées au criminel ne signifie pas qu’il existe également une obligation de diligence lorsque l’ARC établit des cotisations et effectue des vérifications à des fins administratives.

[77] Étant donné qu’elle a jugé que la jurisprudence appuyait la conclusion selon laquelle l’ARC n’avait aucune obligation de diligence envers les contribuables, la Cour n’est pas tenue d’appliquer le critère énoncé dans les arrêts Anns et Cooper. Toutefois, par souci de clarté, j’appliquerai le cadre d’analyse à l’affaire dont la Cour est saisie pour démontrer que l’application du critère énoncé dans les arrêts Anns et Cooper n’établit pas l’existence d’une obligation de diligence en l’espèce.

(1) La première étape du critère énoncé dans les arrêts Anns et Cooper

[78] La première étape du critère énoncé dans les arrêts Anns et Cooper tient en une analyse de la proximité qui consiste à examiner le lien en cause (Cooper, aux para 30, 32). En ce qui concerne les acteurs gouvernementaux, la proximité peut découler du régime législatif ou des rapports entre le demandeur et le défendeur, à moins que le régime législatif ne l’exclue (R c Imperial Tobacco Canada Ltd, 2011 CSC 42 au para 43).

[79] Comme l’a souligné la défenderesse, le cadre législatif établi dans la LIR et la LTA n’impose pas d’obligation de diligence. En outre, les tribunaux canadiens ont maintes fois statué qu’il n’existait pas de lien de proximité suffisant pour fonder une obligation de diligence entre les fonctionnaires de l’ARC exerçant leurs fonctions administratives et les contribuables (Leighton, au para 57; Humby, aux para 119‑122; 783783 Alberta, aux para 44, 45; Deluca, aux para 50‑58; Softcom, au para 191). Comme l’a souligné la Cour dans la décision Humby, la relation entre l’ARC et un contribuable dans le contexte du recouvrement d’une dette fiscale exigible est oppositionnel et « [s]auf quelques rares exceptions, le ministre n’a aucune obligation de diligence lorsqu’il cherche à recouvrer des dettes » (au para 121).

[80] La défenderesse fait également remarquer, et je suis d’accord avec elle, qu’il ne découle aucune obligation de diligence non plus de [traduction] « rapports particuliers » en l’espèce. La proximité requiert l’existence d’un lien « étroit et direct » ou « spécial » (Humby, au para 42; Cooper, au para 32). Il ressort clairement du dossier de preuve relatif aux communications qui ont eu lieu entre l’ARC et M. Oddi que les fonctionnaires de l’ARC qui ont communiqué avec ce dernier et ses représentants n’entretenaient pas un « lien étroit, direct ou spécial » avec eux, mais qu’ils ont plutôt agi conformément à l’obligation qui leur incombait d’appliquer et d’exécuter la LIR et la LTA (LTA, art 275(1)). Aucune promesse ou déclaration particulière n’a été faite en dehors du travail ordinaire de l’ARC. Les fonctionnaires de l’ARC étaient prêts à fournir des lettres de confort à M. Oddi pour aider ce dernier à obtenir un refinancement auprès de prêteurs potentiels, mais leur travail consistait à recouvrer les dettes de M. Oddi, notamment en recourant à des privilèges et à des compensations prévues par la loi.

[81] Comme l’ont expliqué les avocates de la défenderesse pendant l’audience, bien que les fonctionnaires de l’ARC aient eu plusieurs interactions avec M. Oddi et ses représentants, l’ARC avait notamment pour pratique de fournir des lettres de confort. L’ARC offrirait des lettres de confort à toute personne se trouvant dans la situation de M. Oddi; ce n’était pas unique au cas de M. Oddi. Par exemple, l’inscription du 23 septembre 2013 dans le journal du SARRS mentionne ce qui suit :

[traduction]

[…] [M. Stelmaszynski] a rappelé et affirmé que [M. Oddi] tentait d’obtenir un financement pour la ferme, mais qu’il avait de la difficulté […], par conséquent, il aimerait savoir si [l’ARC] accepterait un paiement partiel et reporterait ensuite le reste jusqu’à ce que M. Oddi puisse se remettre sur pied. […] [L’agent de recouvrement] a répondu que c’était malheureux, mais que [l’ARC] n’était pas une prêteuse et que, puisque la valeur nette était plus que suffisante, nous nous attendions à recevoir [le paiement intégral avant] de radier nos privilèges […]

[82] Je suis convaincu qu’il n’y avait pas de lien « spécial » entre les fonctionnaires de l’ARC et M. Oddi ou ses représentants. Comme l’ont souligné les avocates de la défenderesse, toutes les interactions qui ont eu lieu entre les fonctionnaires de l’ARC et M. Oddi ou ses représentants étaient de nature professionnelle, et on peut dire de celles‑ci qu’elles témoignaient du fait que les fonctionnaires de l’ARC s’étaient acquittés de leur mandat de recouvrer les dettes de M. Oddi et avaient tenté, ce faisant, de trouver un moyen de l’aider.

(2) La deuxième étape du critère énoncé dans les arrêts Anns et Cooper

[83] À la deuxième étape du critère énoncé dans les arrêts Anns et Cooper, il faut déterminer s’il existe des considérations de politique en dehors du lien existant entre les parties qui sont susceptibles d’écarter une obligation de diligence prima facie. Les considérations de politique pertinentes sont notamment la question de savoir si la loi prévoit déjà une réparation et si la reconnaissance d’une obligation de diligence fait naître « le risque [qu’elle] crée une responsabilité illimitée pour un nombre illimité de personnes » (Cooper au para 37).

[84] Je souscris à la position de la défenderesse selon laquelle, même s’il existait une obligation de diligence prima facie, les raisons de politique résiduelles de la deuxième étape l’écarteraient. Premièrement, la reconnaissance d’une obligation de diligence dans le contexte de l’application de la LIR et de la LTA empêcherait l’ARC de s’acquitter de l’obligation que lui imposent ces lois, celle de récolter des revenus pour le gouvernement. Comme l’a souligné la défenderesse, les vérificateurs ne peuvent pas hésiter à adopter des positions non éprouvées, et les agents de recouvrement de l’ARC ne peuvent craindre d’assurer le respect de la LIR et de la LTA. Comme l’explique la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c McKinlay Transport Ltd, [1990] 1 RCS 627, le succès du régime canadien d’autodéclaration et d’autocotisation « repose sur l’honnêteté et l’intégrité des contribuables » (aux p 636 et 637). L’ARC a des obligations générales de veiller à ce que tous les impôts soient dus légalement ainsi que correctement établis et perçus (Leighton au para 58). L’imposition à l’ARC d’une obligation de diligence de droit privé à l’égard des contribuables risque d’avoir un effet paralysant sur ses vérificateurs et ses agents de recouvrement. Comme l’ont souligné à juste titre les avocates de la défenderesse pendant l’audience, les inscriptions dans le journal du SARRS révèlent que M. Oddi a menacé d’intenter des poursuites contre des fonctionnaires de l’ARC à un certain nombre d’occasions.

[85] En outre, dans les cas de pertes purement financières, la Cour suprême du Canada a averti qu’il fallait prendre soin de ne reconnaître une obligation que dans la mesure où l’on pouvait déterminer la catégorie des demandeurs, la période et les montants en cause (Design Services Ltd c Canada, 2008 CSC 22 au para 62). L’imposition d’une obligation de diligence à l’ARC ouvre la porte à une action pour négligence par tout contribuable. Comme l’a souligné la défenderesse, il en découle des coûts accrus pour le gouvernement du Canada et davantage d’outils procéduraux à la disposition des contribuables pour reporter le paiement de l’impôt.

[86] Enfin, il convient de souligner que d’autres recours sont offerts aux contribuables : la LIR et la LTA établissent toutes deux un code complet pour contester des cotisations inexactes au moyen d’oppositions et d’appels devant la Cour canadienne de l’impôt, et pour demander une prorogation du délai pour s’opposer aux cotisations ou interjeter appel de celles‑ci. Les décisions discrétionnaires ministérielles, comme l’imposition d’une compensation prévue par la loi ou le refus de radier un privilège, peuvent également faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Si un fonctionnaire de l’ARC adopte un comportement véritablement inacceptable visant à porter préjudice à un contribuable, celui‑ci peut également invoquer le recours qu’est le délit intentionnel, comme la faute dans l’exercice d’une charge publique (Jayco (ONCA), au para 36).

(3) La norme de diligence

[87] La défenderesse soutient que, si la Cour conclut à l’existence d’un lien juridique suffisant, la présente demande doit être rejetée, parce que les fonctionnaires de l’ARC ont agi promptement et raisonnablement, en corrigeant les erreurs lorsque celles‑ci ont été découvertes et en annulant la compensation prévue par la loi après avoir obtenu tous les renseignements requis. La défenderesse fait valoir que l’ARC n’a pas fait défaut de satisfaire à la norme de diligence raisonnable. Je suis d’accord.

[88] Le caractère raisonnable d’une conduite s’applique lors de l’appréciation de la norme de diligence : une personne doit agir de façon aussi diligente que le ferait une personne ordinaire, raisonnable et prudente placée dans la même situation (Nelson au para 91, citant Ryan c Victoria (Ville), [1999] 1 RCS 201 au para 28). La norme de la décision raisonnable s’applique, que le défendeur soit un gouvernement ou un acteur privé. Lorsqu’il apprécie la norme de diligence, le tribunal doit tenir compte de la conduite dans le contexte de la période pertinente (Hill, aux para 77, 78). Je souscris aux observations de la défenderesse selon lesquelles ni l’erreur de la vérificatrice concernant l’adresse postale ni le refus de la Direction générale du recouvrement de l’ARC de radier les privilèges dans les circonstances de l’espèce ne constitue un manquement à une norme de diligence raisonnable. Lorsque l’on a découvert l’erreur de la vérificatrice dans l’envoi des cotisations de TPS à la mauvaise adresse, on l’a corrigée rapidement par la voie de nouvelles cotisations de TPS, avec l’approbation de Me Loukidelis, représentant autorisé de M. Oddi. Un allègement concernant les intérêts a également été accordé par la suite. Comme le souligne la défenderesse, le refus de l’ARC de radier les privilèges à la demande de M. Oddi était une décision discrétionnaire qui aurait pu faire l’objet d’un contrôle judiciaire, voie que M. Oddi a choisi de ne pas poursuivre.

(4) Les dommages et le lien de causalité

[89] Le fait que la propriété a été vendue dans le cadre d’une procédure de pouvoir de vente par le créancier hypothécaire tiers n’est pas contesté. M. Siskind a entamé les procédures relatives au pouvoir de vente environ sept mois après l’enregistrement de l’hypothèque sur le titre de propriété, après que M. Oddi eut omis d’effectuer des paiements prévus au contrat hypothécaire. En contre‑interrogatoire, M. Oddi a admis qu’il n’avait pas effectué tous les paiements hypothécaires requis, parce qu’il était incarcéré à l’époque.

[90] Selon le dossier, le contrat hypothécaire a été enregistré le 11 septembre 2012; M. Siskind a entrepris les procédures relatives au pouvoir de vente le 15 avril 2013; il a vendu la propriété 600 000 $ le 22 décembre 2014. À la suite de la vente de la propriété, M. Oddi a intenté une action contre M. Siskind devant la Cour supérieure de l’Ontario. Je souscris à la position de la défenderesse selon laquelle le défaut de M. Oddi d’effectuer tous les paiements hypothécaires requis n’était pas attribuable à une action quelconque de l’ARC ni aux dettes fiscales impayées. La perte de la propriété est tout simplement attribuable à la mauvaise gestion de fonds par M. Oddi et à son défaut d’effectuer ses paiements hypothécaires. Je ne conclus donc pas que M. Oddi a prouvé que les actes de l’ARC ont causé des dommages.

[91] En outre, je ne crois pas que les allégations de M. Oddi selon lesquelles la perte de la propriété et de certains biens personnels était attribuable à son incapacité d’obtenir un refinancement satisfont au critère relatif au lien de causalité à l’encontre de l’ARC. Dans le cadre des actions pour négligence, le critère principal de l’analyse quant au lien de causalité est le critère du « facteur déterminant ». Suivant ce critère, le demandeur doit démontrer que le préjudice ne serait pas survenu n’eût été la négligence du défendeur (Resurfice Corp c Hanke, 2007 CSC 7 aux para 21, 22, citant Athey c Leonati, [1996] 3 RCS 458 au para 14).

[92] Je souscris à l’argument de la défenderesse selon lequel il n’existe aucun lien factuel ou de causalité entre les actions de l’ARC et la perte de la propriété de M. Oddi. Je conclus que l’ARC n’est pas responsable de la vente prétendument irréfléchie de la propriété ni de la perte alléguée d’autres biens personnels dont M. Oddi a fait mention dans sa déclaration. M. Oddi a conclu le contrat hypothécaire peu de temps après avoir été accusé au criminel d’avoir mené la deuxième série d’activités liées à la culture illégale de marijuana en 2012, année au cours de laquelle il a déclaré un revenu nul dans sa déclaration de revenus et a fait défaut d’effectuer les paiements hypothécaires mensuels requis. M. Siskind a vendu la propriété dans le cadre d’une procédure de pouvoir de vente en raison du défaut de M. Oddi de rembourser le prêt hypothécaire. Il s’agissait d’un arrangement privé intervenu entre M. Siskind et M. Oddi.

[93] Comme l’a souligné à juste titre la défenderesse, M. Oddi est l’auteur de son propre malheur du fait de ses activités criminelles, de ses décisions financières, de son défaut de déclarer son revenu d’entreprise provenant des activités liées à la culture de marijuana dans ses déclarations de revenus et de son défaut poursuivre des recours juridiques aux moments et de la manière qui convenaient.

D. La question de savoir si la cause d’action pour fraude doit être rejetée

[94] Dans l’arrêt Bruno Appliance and Furniture, Inc. c Hryniak, 2014 CSC 8, la Cour suprême du Canada expose, au paragraphe 21, les quatre éléments du délit de fraude civile :

Sur la base de cet historique jurisprudentiel, je résume ainsi les quatre éléments du délit de fraude civile : (1) le défendeur a fait une fausse déclaration; (2) le défendeur savait, jusqu’à un certain point, que sa déclaration était fausse (sciemment ou par insouciance); (3) la fausse déclaration a incité le demandeur à agir; (4) les actes du demandeur ont entraîné une perte.

[95] La défenderesse fait remarquer que l’allégation de fraude engendre une norme plus rigoureuse pour ce qui est des précisions à fournir (Règles, art 181(1)a)). Or, M. Oddi n’a pas fourni de précisions ni présenté de preuve d’une fausseté ou d’une intention à l’appui des allégations de fraude qu’il a formulées contre l’ARC. En ce qui concerne le premier élément du critère, aucune fausse déclaration n’a été relevée. La défenderesse affirme que, si M. Oddi allègue que les fausses déclarations se rapportent à une erreur commise dans les nouvelles cotisations de 2009 concernant les déclarations T1 et/ou les cotisations de TPS, il s’agit d’une plainte relative à la cotisation établie par l’ARC, et cette plainte est assujettie au code établi dans la LIR et la LTA, qui relèvent de la compétence exclusive de la Cour canadienne de l’impôt. Elle ne peut être qualifiée de plainte pour fraude.

[96] Je conviens avec la défenderesse qu’une allégation concernant une cotisation erronée ne peut fonder une allégation de fraude. Aux termes du paragraphe 152(8) de la LIR, sous réserve des modifications qui peuvent y être apportées ou de son annulation lors d’une opposition ou d’un appel et sous réserve d’une nouvelle cotisation, une cotisation est réputée être valide et exécutoire malgré toute erreur, tout vice de forme ou toute omission dans cette cotisation. Un libellé semblable est employé au paragraphe 299(4) de la LTA. Ainsi qu’il a été mentionné, M. Oddi s’est opposé aux nouvelles cotisations de 2009 concernant les déclarations T1. Le 1er novembre 2010, l’ARC a accueilli en partie l’opposition de M. Oddi et a modifié les nouvelles cotisations de 2009 concernant les déclarations T1, en établissant les nouvelles cotisations de 2010 concernant les déclarations T1, auxquelles M. Oddi ne s’est pas opposé.

[97] En ce qui concerne les cotisations de TPS, en raison d’une erreur de l’ARC, M. Oddi n’a pas reçu l’original de l’avis de cotisation de TPS par la poste. Toutefois, dans la lettre datée du 23 avril 2013, Mme Dakers reconnaît l’erreur de l’ARC et ajoute que Me Loukidelis a accepté, au nom de M. Oddi, de faire établir une nouvelle cotisation relativement au compte de TPS [traduction] « afin qu’y soit inscrite la bonne adresse postale et que soient réduites les cotisations, compte tenu de la décision rendue par la Direction générale des appels », dans les nouvelles cotisations de 2010 concernant les déclarations T1. Les nouvelles cotisations de TPS ont eu pour effet de réduire la dette de M. Oddi au titre de la TPS et l’allègement concernant les intérêts a ensuite été traité pour réduire davantage la dette au titre de la TPS. Je conclus donc que l’erreur commise par l’ARC a été corrigée lorsque cette dernière a établi les nouvelles cotisations de TPS, pour tenir compte des nouvelles cotisations de 2010 concernant les déclarations T1, et que les éléments du critère en matière de fraude n’ont pas été établis.

E. La question de savoir si la réclamation en dommages‑intérêts fondée sur une violation alléguée de l’article 7 de la Charte doit être rejetée.

[98] Enfin, je souscris à la thèse de la défenderesse selon laquelle M. Oddi n’a pas démontré qu’il y avait eu violation de l’article 7 de la Charte, et il n’a pas été établi de réclamation en dommages‑intérêts découlant d’une telle violation. L’article 7 de la Charte est ainsi libellé :

Vie, liberté et sécurité

7 Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

Life, liberty and security of person

7 Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

[99] Comme le souligne la défenderesse, l’atteinte portée au droit à la sécurité d’une personne n’est établie que si l’acte allégué de l’État a des répercussions graves et profondes sur l’intégrité physique ou psychologique d’une personne (Gosselin c Québec (Procureur général), 2002 CSC 84, citant R c Morgentaler, [1988] 1 RCS 30, et Nouveau‑Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c G (J), [1999] 3 RCS 46). À mon avis, la preuve n’est pas suffisante pour démontrer que les actes de l’ARC sont tels qu’ils ont privé M. Oddi du droit à la sécurité de sa personne qui lui est garanti par la Charte.

VI. Les dépens

[100] La défenderesse demande les dépens dans la présente affaire. Comme l’ont souligné à juste titre les avocates de la défenderesse au cours de l’audience, la présente affaire a accaparé pendant des années du temps et des ressources de la Cour. M. Oddi a déposé sa première déclaration le 22 décembre 2016 et, depuis le 1er février 2018, l’affaire s’est déroulée en tant qu’instance faisant l’objet d’une gestion spéciale et a donné lieu notamment à de nombreuses conférences de gestion de l’instance avec la protonotaire Aylen (tel était alors son titre), la protonotaire Furlanetto (tel était alors son titre) et la protonotaire Tabib, ainsi qu’à une médiation infructueuse menée par la protonotaire Aylen. Les avocates de la défenderesse ont également consacré beaucoup de temps et de ressources à la défense de l’action qui est dénuée de fondement.

[101] Compte tenu du vaste historique de la présente affaire et des pressions qu’elle a exercées sur les ressources de la Cour, il convient d’accorder des dépens en faveur de la défenderesse en l’espèce. Conformément aux facteurs énoncés au paragraphe 400(3) des Règles, les dépens sont fixés à 10 000 $, que M. Oddi devra payer à la défenderesse.

VII. Conclusion

[102] Je note que M. Oddi a agi pour son propre compte dans le cadre de la présente requête en jugement sommaire. J’accepte le fait que les observations qu’il a formulées ne correspondaient peut‑être pas au type d’analyse juridique normalement présentée par des avocats, et j’ai fait de mon mieux pour l’accommoder à cet égard. Je remercie également les avocates de la défenderesse d’avoir fait preuve de patience, de respect et de professionnalisme pendant les plaidoiries.

[103] En conclusion, je suis convaincu que la Cour a reçu suffisamment de documents concernant les questions en litige en l’espèce. Les parties ont eu amplement l’occasion de déposer leurs documents, elles se sont échangé des affidavits et ont eu l’occasion de mener des contre‑interrogatoires sur les affidavits de la partie opposée. Comme je l’ai mentionné précédemment, je conclus que les cotisations et les nouvelles cotisations établies par l’ARC à l’égard de l’impôt sur le revenu des particuliers et de la TPS de M. Oddi étaient valides et exécutoires, et que le recouvrement des dettes de M. Oddi par l’ARC était approprié et valide. En outre, je ne conclus pas qu’une obligation de diligence a été établie, en l’espèce, à l’appui de la cause d’action pour négligence, et M. Oddi n’a pas non plus démontré que les actes de l’ARC avaient mené à une fraude ou à une violation de l’article 7 de la Charte. Dans l’ensemble, je conclus que la présente affaire satisfait au critère pour prononcer un jugement sommaire. J’accueillerai donc la requête de la défenderesse en jugement sommaire et j’ordonnerai que l’action soit rejetée avec dépens.


JUGEMENT dans le dossier T‑2235‑16

LA COUR STATUE que :

  1. La requête en jugement sommaire est accueillie.

  2. L’action du demandeur est rejetée dans son intégralité.

  3. Des dépens de 10 000 $ sont adjugés, taxes et débours compris, et sont payables à la défenderesse par le demandeur.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T‑2235‑16

 

INTITULÉ :

ALBERT JAMES ODDI C. AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 juin 2022

 

JUGEMENT et motifs :

LE JUGE AHMED

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

Le 21 septembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Dale Barrett

(Non inscrit au dossier)

 

Pour le demandeur

 

Maria Vujnovic

Sarah Mackenzie

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Barrett Tax Law

Avocats

Vaughan (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour la défenderesse

 

 

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