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Date : 20220912


Dossier : IMM-4207-21

Référence : 2022 CF 1281

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 septembre 2022

En présence de monsieur le juge James W. O’Reilly

ENTRE :

MARIO ALBERTO GONZALEZ DE LOS SANTOS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] M. Mario Alberto Gonzalez de los Santos est arrivé au Canada en 2019 à la recherche d’un emploi. Il affirme que, dans son pays, il était pris pour cible par le groupe du crime organisé qui avait tué sa sœur, parce qu’il aidait la police dans leur enquête sur le meurtre. Alors qu’il était au Canada depuis plusieurs mois, un voisin du Mexique l’a informé que plusieurs hommes étaient venus à sa recherche. M. Gonzalez de los Santos a décidé de ne pas retourner au Mexique et de demander l’asile au Canada.

[2] M. Gonzalez de los Santos a présenté sa demande d’asile à un tribunal de la Section de la protection des réfugiés [la SPR], qui l’a rejetée. La SPR a conclu qu’il n’était pas crédible, qu’il avait présenté sa demande d’asile tardivement et qu’il pourrait vivre en sécurité au Mexique, soit à Mérida ou à Campeche, au lieu de demander l’asile au Canada.

[3] M. Gonzalez de los Santos a fait appel de la décision de la SPR à la Section d’appel des réfugiés [la SAR]. La question déterminante devant la SAR était celle de savoir s’il avait une possibilité de refuge intérieur [PRI] viable à Mérida ou à Campeche, comme l’avait conclu la SPR. La SAR a conclu qu’il y avait peu d’éléments de preuve qui démontraient que M. Gonzalez de los Santos était poursuivi par les membres d’un cartel, qu’il était fréquemment menacé ou que d’autres membres de sa famille vivant toujours au Mexique étaient exposés à un risque. Elle a également jugé qu’il ne serait pas déraisonnable pour lui de s’installer à Mérida ou à Campeche.

[4] M. Gonzalez de los Santos fait valoir que la décision de la SAR était déraisonnable, parce que la SAR n’a pas tiré de conclusions défavorables claires en matière de crédibilité, n’a pas tenu compte des éléments de preuve à l’appui de sa demande d’asile et a déraisonnablement conclu qu’il avait une PRI au Mexique. Il me demande d’annuler la décision de la SAR et d’ordonner que l’appel soit renvoyé à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.

[5] Je ne vois aucune raison d’annuler la décision de la SAR. La SAR a dûment tenu compte des éléments de preuve dont elle disposait et a raisonnablement conclu que M. Gonzalez de los Santos avait une PRI au Mexique. Je dois donc rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

[6] Il y a trois questions en litige :

  1. La SAR a-t-elle omis de tirer des conclusions claires en matière de crédibilité?

  2. La SAR a-t-elle omis de tenir compte des éléments de preuve pertinents?

  3. La conclusion de la SAR concernant l’existence d’une PRI était-elle déraisonnable?

II. La décision de la SAR

[7] La SAR a appliqué le critère à deux volets concernant la PRI. Premièrement, le demandeur d’asile ne doit pas risquer sérieusement d’être persécuté ou être exposé à la probabilité de subir des mauvais traitements graves à l’endroit proposé comme PRI. Deuxièmement, il doit être raisonnable, compte tenu des circonstances, de s’attendre à ce que le demandeur d’asile s’y installe.

[8] La SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle M. Gonzalez de los Santos n’avait pas prouvé qu’il était pris pour cible par des membres d’un cartel ou d’un groupe du crime organisé. La SPR avait conclu que son témoignage sur cette question était incohérent et fondé sur des hypothèses. En particulier, M. Gonzalez de los Santos avait témoigné qu’il était recherché par deux cartels. Cependant, il n’avait pas mentionné ces groupes dans son formulaire Fondement de la demande d’asile. Il a admis qu’il n’était pas sûr de savoir qui le poursuivait.

[9] La SAR a aussi mis en doute l’allégation de M. Gonzalez de los Santos selon laquelle les meurtriers de sa sœur avaient laissé une note menaçant le reste de la famille. Son père a identifié le corps et, selon M. Gonzalez de los Santos, il a vu la note. Mais la SAR a conclu qu’il n’y avait aucune preuve à l’appui de cette affirmation, et rien n’indiquait que les membres de la famille demeurant au Mexique avaient subi un quelconque préjudice.

[10] La SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle M. Gonzalez de los Santos avait exagéré sa preuve au sujet des menaces reçues. Il a écrit dans son formulaire Fondement de la demande d’asile qu’il avait reçu un appel téléphonique menaçant le jour où il s’était adressé aux autorités pour se renseigner sur le dossier de sa sœur. Il a ensuite modifié son exposé circonstancié pour dire qu’il recevait deux ou trois menaces par semaine. À l’audience devant la SPR, lorsqu’il a été invité à expliquer cette divergence, M. Gonzalez de los Santos a parlé d’un problème d’interprétation. La SAR n’a pas accepté son explication et a conclu qu’il n’avait pas reçu autant d’appels téléphoniques menaçants qu’il le prétendait.

[11] La SAR a rejeté l’affirmation de M. Gonzalez de los Santos selon laquelle la SPR n’avait pas tenu compte des éléments de preuve à l’appui de son allégation de menaces persistantes. M. Gonzalez de los Santos s’est appuyé sur des lettres de son avocat et d’un voisin. La SAR a conclu que ni la lettre de son avocat ni celle de son voisin ne corroboraient son allégation de menaces persistantes.

[12] La SAR a aussi conclu qu’il n’y avait pas d’éléments de preuve qui démontraient que les meurtriers de la sœur M. Gonzalez de los Santos avaient l’intention de le poursuivre. Les autorités ont abandonné leur enquête concernant le meurtre, donc il n’y a aucune raison pour les auteurs du crime de rechercher M. Gonzalez de los Santos. De plus, l’affirmation de M. Gonzalez de los Santos selon laquelle il pourrait identifier les auteurs possibles du crime n’était que fondée sur des hypothèses. En outre, la SAR doutait que les membres du cartel poursuivent M. Gonzalez de los Santos dans le but de retrouver son beau-frère, qui aurait été impliqué dans la traite de personnes. Aucun élément de preuve ne laisse entendre que M. Gonzalez de los Santos savait où se trouvait son beau-frère.

[13] La SAR a souligné que le taux de criminalité dans les villes proposées comme PRI est généralement faible. En outre, rien ne démontrait que M. Gonzalez de los Santos et sa famille auraient de la difficulté à y vivre ou à y travailler.

III. Première question – La SAR a-t-elle omis de tirer des conclusions claires en matière de crédibilité?

[14] M. Gonzalez de los Santos affirme que, bien que la SAR ait mis en doute la preuve selon laquelle il était la cible de criminels au Mexique, elle a omis de tirer des conclusions défavorables claires quant à sa crédibilité. La question de la crédibilité n’a même pas été soulevée, selon M. Gonzalez de los Santos.

[15] Je ne peux souscrire à cet argument.

[16] La SAR a tiré de nombreuses conclusions en matière de crédibilité dans son analyse de la PRI, qui constituait selon elle la question centrale de l’affaire. Voici quelques exemples des propos qu’elle a tenus à l’égard de la crédibilité de la preuve présentée par M. Gonzalez de los Santos : « une série de préoccupations relatives à la crédibilité », « [l]a crédibilité de l’appelant est entachée », « l’appelant a nui à la crédibilité de son allégation », « il a exagéré sa preuve », « pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles », « cette allégation repose sur des hypothèses et […] n’est pas cohérente avec [...] ».

[17] Il n’était pas nécessaire que la SAR mentionne explicitement que la crédibilité était remise en question. Elle a tiré des conclusions claires et bien expliquées en matière de crédibilité dans son analyse de la question de savoir si M. Gonzalez de los Santos était exposé à un risque de persécution ou de mauvais traitements graves dans les villes proposées comme PRI. Je ne vois rien d’irrégulier dans l’approche de la SAR. M. Gonzalez de los Santos ne peut avoir aucun doute sur les motifs des conclusions de la SAR.

IV. Deuxième question – La SAR a-t-elle omis de tenir compte des éléments de preuve pertinents?

[18] M. Gonzalez de los Santos soutient que la SAR a omis de tenir compte des éléments de preuve à l’appui de sa demande, notamment les lettres de son avocat et de son voisin au Mexique. Il soutient que ces lettres contredisent les conclusions de la SAR selon lesquelles il n’est pas la cible de membres de cartels.

[19] M. Gonzalez de los Santos a avancé un argument similaire devant la SAR : il a fait valoir que la SPR avait omis de tenir compte de ces mêmes éléments de preuve. En réponse à cet argument, la SAR a explicitement pris en compte les deux lettres.

[20] La SAR a souligné que la lettre de l’avocat mentionnait que M. Gonzalez de los Santos s’était retiré de l’enquête concernant le meurtre de sa sœur parce que c’était devenu dangereux pour lui. Or, les autorités ont maintenant abandonné l’enquête. Par conséquent, la SAR a conclu qu’il n’existait plus de menace contre M. Gonzalez de los Santos et sa famille et que la lettre de l’avocat ne permettait pas de tirer une conclusion différente.

[21] Au sujet de la lettre du voisin, la SAR a tenu compte de l’allégation de l’auteur de la lettre selon laquelle il avait été approché en 2019 par des personnes qui voulaient savoir où se trouvaient M. Gonzalez de los Santos et sa famille et qui lui ont proposé de l’argent en échange de cette information. La SAR a toutefois souligné que ces personnes n’avaient pas trouvé M. Gonzalez de los Santos ni sa famille même lorsque M. Gonzalez de los Santos vivait à proximité, dans le même État. Il était donc improbable que ces prétendus poursuivants le cherchent aux endroits proposés comme PRI.

[22] La SAR a tenu compte des éléments de preuve cités par M. Gonzalez de los Santos et a conclu qu’ils ne démontraient pas une menace persistante envers lui ou sa famille, surtout dans les villes proposées comme PRI. Je ne vois rien de déraisonnable dans le traitement de ces éléments de preuve.

V. Troisième question – La conclusion de la SAR concernant l’existence d’une PRI était-elle déraisonnable?

[23] M. Gonzalez de los Santos soutient que la SAR a omis de tenir compte du fait que les membres de cartels sont en mesure de trouver leurs cibles partout au Mexique, y compris dans les villes proposées comme PRI. Selon M. Gonzalez de los Santos, le fait que la SAR n’a pas tenu compte du risque auquel sa famille et lui étaient exposés rend déraisonnable la conclusion selon laquelle il pourrait vivre en sécurité à Mérida ou à Campeche.

[24] Je ne suis pas d’accord. La SAR a expressément tenu compte de l’allégation de M. Gonzalez de los Santos selon laquelle il était exposé à des risques partout au Mexique. Elle a convenu avec lui que « les membres de cartels sont en mesure de retrouver des gens lorsqu’ils sont motivés à le faire ». Toutefois, elle a conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve établissant que des membres de cartels continuaient d’avoir intérêt à trouver M. Gonzalez de los Santos ou sa famille. Ils ne l’avaient pas trouvé même lorsqu’il vivait à proximité; sa famille n’a subi aucun préjudice depuis qu’il a quitté le Mexique. Comme l’a indiqué la SAR dans sa décision, « rien ne permet de conclure qu’ils l’ont trouvé avant qu’il quitte le Mexique, alors qu’il continuait de vivre dans une région dont la population compte à peine plus de 1 000 personnes et dans laquelle il a vécu pendant près de 18 ans ».

[25] Je ne vois rien de déraisonnable dans la conclusion de la SAR concernant la question de la PRI.

VI. Conclusion et dispositif

[26] La SAR a dûment tenu compte de la preuve dont elle disposait et sa conclusion concernant la question de la PRI n’était pas déraisonnable. Je dois donc rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale à certifier, et aucune n’est énoncée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4207-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est énoncée.

« James W. O’Reilly »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


ANNEXE

Loi sur l’immigration et la

protection des réfugiés (LC 2001, c 27)

Immigration and Refugee Protection Act (SC 2001, c 27)

Définition de réfugié

Convention refugee

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité,

de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries;

Or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle

n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.



COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4207-21

INTITULÉ :

MARIO ALBERTO GONZALEZ DE LOS SANTOS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 AVRIL 2022

JUGEMENT ET MOTIFS

LE JUGE O’REILLY

DATE DES MOTIFS :

LE 12 SEPTEMBRE 2022

COMPARUTIONS :

Marcia Pritzker Schmitt

POUR LE DEMANDEUR

Leila Jawando

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wayforth LLP

Kitchener (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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