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Date : 20220831


Dossier : T-349-22

Référence : 2022 CF 1247

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 31 août 2022

En présence de madame la juge Furlanetto

ENTRE :

PATRICK GORDON DAVIS

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision rendue le 24 janvier 2022 par un agent responsable de la conformité des prestations [l’agent chargé du deuxième examen] de l’Agence du revenu du Canada [l’ARC] [la décision contestée]. L’agent a conclu que le demandeur n’était pas admissible à la prestation canadienne de la relance économique [la PCRE] établie par la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12, art 2 [la LPCRE].

[2] Le demandeur soutient qu’il devrait être admissible à la PCRE parce que, dans l’attestation qu’il a remplie, il n’était pas expressément indiqué que les revenus visés dans la condition relative aux revenus d’un travail indépendant étaient les revenus [traduction] « nets ». Toutefois, son argument selon lequel l’attestation crée un contrat exécutoire ne peut prévaloir contre le fondement légal de la PCRE et les conditions d’admissibilité à celle-ci prévues par la loi. Comme l’a conclu l’agent chargé du deuxième examen, le demandeur n’était pas admissible à la PCRE, car il ne remplissait pas la condition relative aux revenus, ce qui lui a été expliqué au cours du processus d’examen (et qu’il ne conteste pas).

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée.

I. Le contexte

[4] Le demandeur, M. Davis, travaille à son compte en tant que consultant en développement de marque. Il a présenté une première demande de PCRE le 21 octobre 2020 et a reçu 1 000 $ pour la période de deux semaines entre le 27 septembre 2020 et le 10 octobre 2020. Il a par la suite demandé et reçu cinq autres paiements de PCRE entre octobre 2020 et le 2 janvier 2021.

[5] En janvier 2021, l’ARC a sélectionné le dossier du demandeur en vue de procéder à un examen d’admissibilité.

[6] En février 2021, le demandeur a transmis des renseignements financiers à l’agent chargé du premier examen, dont des factures indiquant que les revenus bruts de son entreprise s’étaient élevés à 6 088 $ (5 375 $ impôts exclus) pour la période du 1er septembre 2019 au 31 août 2020. Toutefois, les documents de M. Davis indiquaient également qu’au cours de la même période, il avait engagé des dépenses d’entreprise de 10 910 $, de sorte que ses revenus de travail indépendant étaient négatifs.

[7] Le 26 mai 2021, l’agent chargé du premier examen a conclu que le demandeur n’était pas admissible à la PCRE du fait qu’il n’avait pas gagné au moins 5 000 $ (avant impôts) provenant de revenus nets d’un travail indépendant au cours de la période de référence. Le demandeur a reçu une lettre de décision [la première lettre de décision] dans laquelle la décision et les motifs étaient exposés. Cette première lettre de décision l’informait également qu’il pouvait demander un deuxième examen.

[8] Le 15 juin 2021, le demandeur a demandé un deuxième examen, et l’ARC a attribué le dossier du demandeur à l’agent chargé du deuxième examen.

[9] Le 20 janvier 2022, l’agent chargé du deuxième examen a informé le demandeur par téléphone que l’admissibilité à la PCRE dépendait des revenus nets d’un travail indépendant. M. Davis a répondu que, si le formulaire de demande avait indiqué que l’admissibilité dépendait des revenus nets, il n’aurait pas présenté de demande, puisque ses revenus nets de travail indépendant étaient négatifs.

[10] Après cet appel, le demandeur a transmis à l’agent chargé du deuxième examen une capture d’écran de l’attestation d’admissibilité à la PCRE qu’il avait remplie; la condition relative aux revenus y est ainsi libellée :

[traduction]

Vous avez gagné au moins 5 000 $ en 2019, en 2020 ou au cours des 12 mois précédant la date de votre demande, provenant de l’une des sources suivantes : revenus d’emploi, revenus d’un travail indépendant, prestations de maternité et parentales de l’assurance-emploi (l’AE) ou prestations du Régime québécois d’assurance parentale (le RQAP).

[11] Après avoir reçu la capture d’écran, l’agent chargé du deuxième examen a de nouveau parlé au demandeur par téléphone. Au cours de ce deuxième appel, le demandeur a de nouveau confirmé que ses [traduction] « revenus nets étaient négatifs » et a mentionné que sa déclaration de revenus en faisait état. À la fin de l’appel, l’agent chargé du deuxième examen a informé le demandeur qu’il n’était pas admissible à la PCRE parce que ses revenus avaient été inférieurs au seuil minimal.

[12] Le 24 janvier 2022, l’agent chargé du deuxième examen a fait parvenir au demandeur la décision contestée qui l’informait qu’il n’était pas admissible du fait qu’il [traduction] « n’avait pas gagné au moins 5 000 $ (avant impôts) provenant de revenus nets d’un travail indépendant » au cours de la période de référence.

II. Les questions en litige et la norme de contrôle

[13] La présente demande soulève les deux questions suivantes :

  1. Était-il déraisonnable que l’agent chargé du deuxième examen s’appuie sur la LPCRE plutôt que sur le droit des contrats?

  2. La décision était-elle inéquitable sur le plan procédural du fait que l’attestation amenait le demandeur à légitimement s’attendre à ce que les 5 000 $ provenant d’un travail indépendant soient des revenus bruts?

[14] Lorsqu’elle évalue le caractère raisonnable d’une décision, la Cour doit déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » qui est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 85-86; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleuses et travailleurs des postes, 2019 CSC 67 aux para 2, 31. Une décision est raisonnable si, lorsqu’elle est lue dans son ensemble et que le contexte administratif est pris en compte, elle possède les caractéristiques de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité : Vavilov, aux para 91-95, 99‑100.

[15] Les questions d’équité procédurale, à strictement parler, ne font pas l’objet d’une analyse relative à la norme de contrôle. La question à trancher est alors plutôt celle de savoir si la procédure suivie par le décideur était juste et équitable : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54; Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35; Sangha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 95 au para 13.

III. Question préliminaire – l’intitulé de la cause

[16] À titre préliminaire, je souligne que l’intitulé de la cause a été modifié de façon à désigner le bon défendeur, soit le procureur général du Canada.

IV. Analyse

A. Était-il déraisonnable que l’agent chargé du deuxième examen s’appuie sur la LPCRE plutôt que sur le droit des contrats?

[17] Le demandeur a fourni une capture d’écran de l’attestation qu’il avait dû remplir lorsqu’il avait présenté sa dernière demande de PCRE acceptée, le 4 janvier 2021. Il n’y est pas précisé que les revenus visés dans la condition relative aux revenus d’un travail indépendant sont les revenus [traduction] « nets ».

[18] Le demandeur qualifie l’attestation d’entente contractuelle conclue entre lui et l’ARC. Il soutient que la décision contestée devrait être fondée sur le libellé utilisé dans l’attestation et qu’il devrait être admissible parce qu’au cours de la période de référence, ses revenus, c’est-à-dire ses revenus bruts de travail à son compte, s’étaient élevés à plus de 5 000 $.

[19] Le défendeur affirme que la LPCRE, et non le droit des contrats, régit l’admissibilité à la PCRE. Par conséquent, les principes du droit des contrats que cite le demandeur ne s’appliquent pas à la décision contestée. Il ajoute que l’agent chargé du deuxième examen a rendu la décision contestée conformément à la LPCRE.

[20] La PCRE est une prestation qui a été créée par une loi, la LPCRE, le 2 octobre 2020. Tel qu’il est indiqué dans son préambule, la LPCRE est une « [l]oi établissant la prestation canadienne de relance économique […] ».

[21] Le paragraphe 3(1) de la LPCRE indique qui est admissible à la PCRE. La condition relative aux revenus est énoncée à l’alinéa 3(1)d). Aux termes du sous-alinéa 3(1)d)(ii), une personne est admissible à la PCRE si « ses revenus provenant des sources ci-après, pour l’année 2019 ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle elle présente sa demande, s’élevaient à au moins cinq mille dollars : […] un travail qu’elle exécute pour son compte ». Le paragraphe 3(2) de la LPCRE définit le « revenu […] de la personne qui exécute un travail pour son compte » comme son « revenu moins les dépenses engagées pour le gagner ».

[22] Le paragraphe 5(1) de la LPCRE prévoit que « la personne atteste, dans sa demande, qu’elle remplit chacune des conditions d’admissibilité visées aux alinéas 3(1)a) à n) ». Ainsi, l’attestation ne constitue pas un fondement distinct relatif à l’admissibilité. Il s’agit plutôt d’une partie du processus de demande, à savoir le moyen par lequel une personne confirme qu’elle remplit les conditions visées aux alinéas 3(1)a) à n). Pour ce qui est du travail à son compte, suivant la définition, la condition est que les revenus nets de la période de référence totalisent au moins 5 000 $.

[23] Bien que M. Davis estime que le libellé de l’attestation manque de clarté et d’exhaustivité, le libellé de l’attestation ne remplace pas pour autant les conditions établies dans la LPCRE.

[24] Tel qu’il est souligné au paragraphe 23 de la décision Flock c Canada (Procureur général), 2022 CF 305 [Flock], « [l]es critères d’admissibilité établis au paragraphe 3(2) de la LPCRE sont prescrits par la loi et ne sont pas discrétionnaires ».

[25] Suivant la définition donnée au paragraphe 3(2) de la LPCRE, les revenus du demandeur provenant d’un travail qu’il avait exécuté pour son compte au cours de la période de référence étaient négatifs et, de ce fait, le demandeur ne remplissait pas la condition énoncée au sous-alinéa 3(1)d)(ii) de la LPCRE. Il ne conteste pas qu’il ne remplissait pas la condition relative aux revenus prescrite par la loi.

[26] Comme la PCRE est, et n’a cessé d’être, administrée conformément au régime législatif de la PCRE, il n’était pas déraisonnable de la part de l’agent chargé du deuxième examen de s’appuyer uniquement sur cette condition pour décider de l’admissibilité à la PCRE. Il n’était pas non plus déraisonnable de la part de l’agent chargé du deuxième examen de conclure que le demandeur n’était pas admissible à la PCRE, car il ne remplissait pas la condition relative aux revenus.

[27] Le demandeur n’a relevé aucune erreur susceptible de contrôle dans la décision.

B. La décision était-elle inéquitable sur le plan procédural du fait que l’attestation amenait le demandeur à légitimement s’attendre à ce que les 5 000 $ provenant d’un travail indépendant soient des revenus bruts?

[28] Le demandeur soutient qu’en raison du libellé de l’attestation, il s’attendait à ce que la conclusion relative à son admissibilité soit fondée sur ses revenus bruts de travail indépendant. Le fait qu’elle ne le soit pas rend le processus d’examen inéquitable.

[29] Toutefois, comme le souligne le défendeur, le principe des attentes légitimes se limite à une réparation procédurale et ne garantit pas de résultat concret particulier : Flock, au para 23. La condition d’admissibilité établie par la LPCRE étant prescrite par la loi et non discrétionnaire, l’agent chargé du deuxième examen n’avait d’autre choix que de l’appliquer : Flock, au para 23. Même si, à la lumière de l’attestation, M. Davis croyait raisonnablement qu’il serait admissible à la PCRE, il ne pouvait pas légitimement s’attendre à être admissible alors qu’il ne remplissait pas les conditions visées au sous-alinéa 3(1)d)(ii) de la LPCRE (et que l’attestation n’avait pas été remplie conformément à l’article 5 de la LPCRE).

[30] De plus, le demandeur aurait dû être parfaitement au courant que le montant des revenus nets de travail indépendant était la donnée utilisée.

[31] Au cours du premier examen, l’agent qui en était chargé a informé le demandeur qu’il devrait fournir des documents relatifs à ses dépenses d’entreprise et à ses revenus. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que, dès lors, le demandeur savait, ou aurait dû savoir que les revenus visés dans la condition relative aux revenus étaient les revenus nets.

[32] Même si le demandeur n’a pas compris au cours du premier examen que l’admissibilité dépendait de ses revenus nets de travail indépendant, il a par la suite été expressément informé que les revenus visés dans la condition étaient les revenus nets de travail indépendant, et ce, plusieurs fois, dont :

  • a)dans la première lettre de décision, qui indiquait explicitement qu’il n’était pas admissible du fait qu’il n’avait pas gagné 5 000 $ provenant de [traduction] « revenus nets d’un travail indépendant » au cours de la période de référence;

  • b)au cours de chacun des deux appels téléphoniques avec l’agent chargé du deuxième examen, qui l’a alors informé que l’examen portait sur les revenus nets d’un travail indépendant.

[33] Tel qu’il est indiqué au paragraphe 26 de la décision Flock, l’examen et les discussions qui ont suivi la décision initiale ont remédié à toute lacune procédurale qui pourrait avoir précédé celle-ci. La décision de l’agent chargé du deuxième examen était équitable sur le plan procédural, et la première décision et le deuxième processus d’examen ont remédié à toute lacune procédurale découlant de l’attestation.

[34] De plus, M. Davis a pleinement et équitablement eu l’occasion de présenter des observations à l’ARC et de poser des questions pour obtenir des précisions au sujet des documents à soumettre. Rien ne permet de douter que l’agent chargé du deuxième examen a tenu compte des commentaires de M. Davis lorsqu’il a rendu la décision contestée.

[35] Le demandeur renvoie à la Loi de 2000 sur le commerce électronique, LO 2000, c 17, et à la Loi de 2002 sur la protection du consommateur, LO 2002, c 30, annexe A, et semble soutenir que l’ARC aurait dû lui fournir sa demande de PCRE, ou en faire une copie, telle qu’elle avait été remplie en ligne. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que ces lois n’ont aucun rapport avec la question de savoir si le demandeur était admissible à la PCRE et qu’elles ne s’appliquent pas à l’analyse de la Cour.

[36] Le demandeur n’a pas démontré qu’il y avait eu manquement à l’équité procédurale.

V. Conclusion

[37] La demande sera donc rejetée.

[38] Comme le défendeur a confirmé dans sa plaidoirie qu’il ne sollicitait pas les dépens, aucuns dépens ne seront adjugés.


JUGEMENT dans le dossier T-349-22

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Angela Furlanetto »

Juge

Traduction certifiée conforme

N. Belhumeur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-349-22

 

INTITULÉ :

PATRICK GORDON DAVIS c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 AOÛT 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FURLANETTO

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 31 AOÛT 2022

 

COMPARUTIONS :

Patrick Gordon Davis

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Ian Moffatt

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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