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Date : 20210813


Dossier : IMM‑2692‑20

Référence : 2021 CF 840

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Fredericton (Nouveau‑Brunswick), le 13 août 2021

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

Y.A.

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 1er juin 2020 par laquelle sa demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire a été rejetée. Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, car la décision de l’agent est raisonnable.

Ordonnance de confidentialité

[2] Le 5 mai 2021, la protonotaire Molgat a rendu une ordonnance de confidentialité qui prévoyait le réexamen de l’ordonnance lors de l’audience relative au contrôle judiciaire. Après avoir entendu les observations présentées à l’audience, je conviens qu’il est indiqué de maintenir les modalités de cette ordonnance de confidentialité.

Contexte

[3] Le demandeur est citoyen tchadien; il est arrivé au Canada en août 2012 muni d’un visa d’étudiant. Après le rejet de sa demande d’asile, il a présenté, depuis le Canada, une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[4] Le 1er juin 2020, l’agent a rejeté sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

Décision faisant l’objet du contrôle

[5] À l’appui de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, le demandeur a invoqué son établissement, son état de santé, les conditions défavorables dans son pays d’origine et l’intérêt supérieur de ses neveux et nièces qui vivent au Tchad.

[6] En ce qui concerne l’établissement du demandeur, l’agent a tenu compte de l’emploi de ce dernier, de son inscription à des cours d’anglais, de son bénévolat dans une mosquée et de ses amis au Canada. Bien qu’il ait accordé un certain poids à ce facteur, l’agent a conclu que l’établissement du demandeur n’était pas exceptionnel. De plus, en ce qui concerne les relations du demandeur avec ses amis et les membres de sa communauté, l’agent a conclu que [traduction] « le demandeur n’avait pas produit suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que ses liens avec ces personnes au Canada seraient rompus s’il retournait au Tchad ».

[7] En ce qui a trait à l’état de santé du demandeur, l’agent a conclu que [traduction] « [l]e demandeur n’affirme pas qu’il ne serait pas en mesure de recevoir des soins médicaux au Tchad ni que les soins qu’il y recevrait seraient très inadéquats ».

[8] L’agent a analysé les conditions dans le pays et les difficultés auxquelles le demandeur serait exposé s’il retournait au Tchad et a fait remarquer que le demandeur s’appuyait sur les mêmes renseignements que ceux qu’il avait fournis pour étayer sa demande d’asile qui avait été rejetée. L’agent a tiré les conclusions suivantes : [traduction] « Même si des critères juridiques différents s’appliquent à la demande d’asile et à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, les faits invoqués à l’appui de chacune des demandes sont établis selon la prépondérance des probabilités. Les éléments de preuve dont je dispose, tels que les renseignements concernant l’appartenance du demandeur à l’association de soutien aux victimes du Tchad, ne me convainquent pas que les allégations qui avaient auparavant été jugées non crédibles sont, désormais, vraisemblablement crédibles et véridiques ».

[9] L’agent a accordé un certain poids aux conditions défavorables dans le pays qui connotent l’existence de violations des droits de la personne, de violence et de problèmes de sécurité, mais il a conclu que [traduction] « [l]e demandeur n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer en quoi ces conditions lui causeraient personnellement des difficultés au Tchad ».

[10] En ce qui concerne l’intérêt supérieur des neveux et nièces du demandeur qui habitent au Tchad, l’agent a conclu qu’il serait dans leur intérêt de retrouver leur oncle.

[11] Au vu de l’ensemble du dossier, l’agent a tiré les conclusions suivantes :

[traduction]

Bien qu’il puisse être difficile pour le demandeur de retourner au Tchad après avoir passé un certain temps au Canada, je constate que les membres de sa famille immédiate, soit sa mère et ses frères et sœurs, vivent toujours au Tchad. […] Le demandeur a démontré qu’il est débrouillard et ambitieux en se réinstallant au Canada. [...] Si la présente demande est rejetée, le demandeur ne retournerait pas dans un endroit qu’il ne connaît pas, où la langue et la culture lui sont étrangères, ou dans un endroit où il n’a pas de réseau familial et où il serait impossible pour lui de se réintégrer.

Question en litige et norme de contrôle applicable

[12] La seule question en litige est de savoir si la décision de l’agent est raisonnable. Il n’est pas controversé entre les parties que la norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision raisonnable. Ainsi qu’il est observé dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, au paragraphe 99, « [l]a cour de révision doit [...] se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » [renvois omis].

Analyse

[13] Le demandeur affirme que l’agent n’a pas examiné les facteurs d’ordre humanitaire de façon raisonnable, et ce, pour plusieurs raisons : (i) il n’a pas appliqué le bon critère relatif à l’établissement; (ii) il n’a pas dûment tenu compte de son état de santé; (iii) il n’a pas analysé correctement les difficultés; (iv) il n’a pas raisonnablement pris en compte les difficultés que causerait sa réinstallation au Tchad.

Principes généraux

[14] Aux termes du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), le ministre peut accorder une dispense à l’étranger qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire, soit ne répond pas aux exigences de la Loi. Il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables prévus par la LIPR.

[15] Dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy], la Cour suprême a fait remarquer que les considérations d’ordre humanitaire s’entendent « des faits établis par la preuve, de nature à inciter tout homme raisonnable [sic] d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne — dans la mesure où ses malheurs “justifient l’octroi d’un redressement spécial” » (au para 13).

Établissement

[16] Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur en exigeant un établissement [traduction] « exceptionnel » au lieu de procéder à un examen exhaustif de tous les facteurs pertinents, comme le prévoit l’arrêt Kanthasamy (au para 25). Le demandeur fait observer qu’il vit au Canada depuis 2012. Il fait en outre remarquer qu’il a attendu, bien malgré lui, plus de six ans pour qu’une décision soit rendue à l’égard de sa demande d’asile. Il souligne que, durant cette période, il a poursuivi ses études et a tissé des liens étroits au Canada en occupant un emploi, en s’impliquant dans les communautés tchadiennes de sa région et en faisant du bénévolat.

[17] Le demandeur s’appuie sur la décision Sebbe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 813, où il est indiqué au paragraphe 21 que « [l]’agent ne doit pas simplement faire abstraction des mesures prises par les demandeurs et en attribuer le mérite au régime canadien de l’immigration et de la protection des réfugiés pour leur avoir donné le temps de prendre ces mesures; il doit reconnaître l’initiative dont les demandeurs ont fait preuve à cet égard. Il doit également se demander si l’interruption de cet établissement milite en faveur de l’octroi de la dispense. »

[18] Il ressort de la décision que l’agent n’a pas fait abstraction des efforts qu’a déployés le demandeur pour s’établir et qu’il a en fait tenu compte des facteurs que ce dernier avait soulevés. Bien que l’agent parle d’un établissement [traduction] « exceptionnel », la décision révèle qu’il n’a pas appliqué un critère d’établissement exceptionnel à la situation du demandeur. Il a plutôt pris en considération tous les facteurs liés à l’établissement, dont l’emploi du demandeur, ses amis, ainsi que le fait qu’il utilisait les médias sociaux pour dénoncer la situation qui règne au Tchad.

[19] Le demandeur n’a pas démontré que l’agent a fait fi de l’un ou l’autre des facteurs relatifs à l’établissement ou qu’il a écarté des éléments de preuve. Dans l’ensemble, la conclusion de l’agent quant à l’établissement est raisonnable.

Facteurs d’ordre médical

[20] Le demandeur a l’hépatite B et est suivi par un spécialiste. Il signale que, selon ses rapports médicaux, il doit faire l’objet d’un suivi médical régulier. Il affirme que l’agent n’a pas tenu dûment compte de la preuve selon laquelle l’accès à des soins médicaux au Tchad serait très inadéquat.

[21] Cependant, l’agent a fait remarquer que la preuve médicale révèle que le demandeur a constamment besoin de passer des échographies et de faire des prises de sang. Le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve à l’agent pour démontrer qu’il ne pourrait pas avoir accès à ce type de soins au Tchad.

[22] Par conséquent, la conclusion de l’agent concernant les facteurs d’ordre médical soulevés par le demandeur est raisonnable.

Difficultés

[23] Le demandeur soutient que l’agent a analysé les difficultés de manière rigide et étroite et qu’il n’a pas effectué une appréciation globale de tous les facteurs pertinents. Il s’appuie sur la décision Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 848, au paragraphe 34, pour faire valoir que l’agent avait l’obligation d’analyser globalement toutes les considérations d’ordre humanitaire pertinentes.

[24] Après avoir examiné l’ensemble de la décision et la preuve présentée par le demandeur, je conclus que l’agent a pris en compte tous les facteurs d’ordre humanitaire pertinents soulevés par le demandeur, mais qu’il n’a pas conclu qu’il y avait lieu d’accorder une dispense pour considérations d’ordre humanitaire. De plus, l’agent a fait remarquer que la réunification du demandeur avec les membres de sa famille qui habitent au Tchad était un facteur favorable.

[25] Il est généralement reconnu que l’obligation de quitter le Canada comporte inévitablement son lot de difficultés, mais « cette seule réalité ne saurait généralement justifier une dispense pour considérations d’ordre humanitaire suivant le par. 25(1) » [renvois omis] (Kanthasamy, au para 23).

Réinstallation au Tchad

[26] Le demandeur fait valoir que l’agent a commis une erreur lorsqu’il a apprécié sa capacité de réintégration dans la communauté et la société tchadiennes en présumant à tort que sa famille serait en mesure de l’aider. Il soutient que sa famille ne sera pas en mesure de l’aider à se réintégrer dans la communauté. Il affirme également que l’agent a commis une erreur en soulignant qu’il ne vivait plus au Tchad depuis 8 ans, alors que son départ remontait à il y a 14 ans.

[27] En ce qui concerne la capacité de sa famille à l’aider à se réinstaller, le demandeur semble mettre l’accent sur le soutien [traduction] « financier » et sur le fait que son emploi au Canada lui permet d’aider financièrement sa famille. Toutefois, rien dans les motifs de l’agent ne donne à penser que ce dernier n’a tenu compte que de l’aide financière que fournit le demandeur à sa famille lorsqu’il a examiné la question du soutien familial.

[28] Je reconnais que, lorsqu’il a apprécié la capacité de réintégration du demandeur au Tchad, l’agent aurait dû tenir compte du fait que le départ du demandeur remontait à il y a 14 ans et non à il y a 8 ans. Cependant, je suis d’avis que cette seule erreur n’a pas d’incidence sur le caractère raisonnable de la décision de l’agent dans son ensemble. L’agent a bel et bien apprécié la preuve concernant l’intérêt de la famille du demandeur, dont l’intérêt supérieur de ses neveux et nièces, ainsi que ses perspectives d’emploi et son accès à des soins de santé.

[29] Dans l’ensemble, l’agent a traité et examiné la preuve de manière raisonnable, et il n’appartient pas à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve.

Conclusion

[30] La dispense pour considérations d’ordre humanitaire est une mesure d’exception, de nature hautement discrétionnaire (Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration) c Legault, 2002 CAF 125 au para 15, [2002] 4 CF 358). L’agent a soupesé tous les facteurs et a apprécié la preuve qui lui avait été présentée. Au final, il incombe au demandeur de présenter des éléments de preuve suffisants pour donner ouverture au pouvoir discrétionnaire de l’agent d’accorder une telle dispense (Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38 au para 5, [2004] 2 RCF 635).

[31] La Cour n’a aucune raison de modifier la décision de l’agent. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2692‑20

LA COUR DÉCIDE :

  1. Les modalités de l’ordonnance de confidentialité sont maintenues.

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  3. Aucune question de portée générale n’a été proposée par les parties, et la présente affaire n’en soulève aucune.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme.

François Brunet, jurilinguiste


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2692‑20

 

INTITULÉ :

Y.A. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 MAI 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 AOÛT 2021

 

COMPARUTIONS :

Arghavan Gerami

POUR LE DEMANDEUR

Yusuf Khan

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gerami Law Professional Corporation

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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