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Date : 20220727


Dossier : IMM-4700-20

Référence : 2022 CF 1117

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 juillet 2022

En présence de madame la juge Rochester

ENTRE :

SLIWA NAMROOD

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] Le demandeur, Sliwa Namrood, est citoyen de l’Iraq. Il s’est enfui en Syrie avec sa famille en 2003. En 2009, il a présenté une demande d’asile aux États-Unis, qu’il a obtenu, et il y est devenu résident permanent au cours de la même année.

[2] Le demandeur est entré au Canada en mai 2015 et a ensuite présenté une demande d’asile, à laquelle il a toutefois été réputé inadmissible. Le demandeur a ensuite présenté une demande de résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire aux termes du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], qui a été refusée le 8 septembre 2020 [la décision].

[3] Cette décision de l’agent principal d’immigration [l’agent] fait l’objet du présent contrôle judiciaire. Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur : a) en s’appuyant sur des éléments de preuve non pertinents concernant l’accessibilité à des services sociaux pour le demandeur aux États-Unis; b) en appliquant le mauvais critère en matière de difficultés; c) en omettant de tenir compte des problèmes de santé mentale du demandeur dans son évaluation de son établissement au Canada.

[4] La demande de contrôle judiciaire est accueillie pour les motifs qui suivent.

II. Discussion

[5] L’octroi d’une dispense aux termes du paragraphe 25(1) de la LIPR est une mesure exceptionnelle et discrétionnaire (Kok c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 741 au para 7; Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 265 aux para 19-20). Le paragraphe 25(1) de la LIPR accorde au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le ministre] le pouvoir discrétionnaire de dispenser certains étrangers des exigences habituelles de la loi et d’accorder à un demandeur le statut de résident permanent au Canada s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire le justifient. Le pouvoir discrétionnaire relatif aux considérations d’ordre humanitaire représente une exception sensible et flexible permettant une mesure de redressement équitable et visant à mitiger la rigidité de la loi dans les cas appropriés (Rainholz c Canada Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 121 (Rainholz), aux para 13-14).

[6] Les considérations d’ordre humanitaire s’entendent des faits établis par la preuve, de nature à inciter toute personne raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne – dans la mesure où ses malheurs justifient l’octroi d’un redressement spécial aux fins des dispositions de la LIPR (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 (Kanthasamy), aux para 13 et 21). Comme mon collègue, le juge Andrew D. Little, l’a souligné, « [s]elon l’interprétation retenue du paragraphe 25(1), l’agent doit évaluer les difficultés auxquelles le ou les demandeurs se heurteront lorsqu’ils quitteront le Canada. Bien qu’ils ne soient pas employés dans la loi elle‑même, la jurisprudence d’appel a confirmé que les adjectifs « inhabituelles », « injustifiées » et « excessives » décrivaient les difficultés susceptibles de justifier une dispense au titre de cette disposition » (Rainholz, au para 15).

[7] Selon l’interprétation retenue du paragraphe 25(1), l’agent doit évaluer les difficultés que subirait un demandeur s’il devait quitter le Canada. Les demandeurs peuvent soulever une large variété de facteurs pour établir des difficultés dans le cadre d’une demande de dispense pour des motifs d’ordre humanitaire. Les facteurs couramment invoqués comprennent notamment l’établissement au Canada, les attaches au Canada, les conséquences découlant d’une séparation d’avec des parents, l’intérêt supérieur des enfants et des considérations liées à la santé (Rainholz, au para 16).

[8] Les parties soutiennent que la norme de contrôle applicable aux décisions en matière de dispense pour des motifs d’ordre humanitaire est la norme de la décision raisonnable, ce à quoi je souscris (Kanthasamy au para 44; (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]). Une décision raisonnable est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). Il incombe au demandeur de démontrer le caractère déraisonnable de la décision de l’agent (Vavilov, au para 100).

[9] Je conclus que le demandeur s’est acquitté de son fardeau et a démontré le caractère déraisonnable de la décision, car l’agent s’est appuyé sur des éléments de preuve relatifs à des programmes offerts aux États-Unis auxquels le demandeur n’est pas admissible. Dans son examen des antécédents de problèmes de santé mentale du demandeur et de son accès aux soins de santé, l’agent a cité largement la réponse à la demande d’information de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié concernant les services et l’aide offerts aux réfugiés installés aux États-Unis et il s’est appuyé sur cette réponse pour parvenir à sa conclusion. Un grand nombre de programmes dont il est question dans l’extrait sont offerts pendant une période limitée, certains d’entre eux étant accessibles pendant les 90 premiers jours et d’autres l’étant pour une période allant jusqu’à cinq ans.

[10] Le demandeur allègue qu’il n’a plus accès à ces programmes. Par conséquent, l’agent a commis une erreur en se fondant sur des éléments de preuve documentaire objectifs n’étant pas pertinents, car ils relèvent de programmes auxquels le demandeur n’est pas admissible.

[11] Le défendeur soutient que l’agent a tenu compte de tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés afin de tenter de comprendre les systèmes et les programmes disponibles. Il ajoute que même si le renvoi à certains programmes était une erreur, cette erreur n’est pas susceptible de révision puisqu’il s’agit d’un élément de peu d’importance n’étant pas suffisamment capital à la décision.

[12] Je suis d’accord avec le demandeur que la question de l’accès aux services de soins de santé et à l’aide financière dans ce contexte n’est pas un élément de peu d’importance. Il ressort de la décision que l’agent s’est fondé sur des éléments de preuve documentaire concernant des programmes auxquels le demandeur n’est pas admissible. Suivant un extrait de sept paragraphes portant sur les programmes offerts par le Bureau de réinstallation des réfugiés, l’agent déclare ce qui suit : [traduction] « [m]ême si je sympathise avec le demandeur et ses difficultés de santé mentale, je conclus qu’il existe des ressources en matière de santé mentale et des services de soutien social auxquels il peut avoir droit aux États-Unis pour l’aider à surmonter son problème ». Plus loin dans la décision, alors qu’il examine la question de l’établissement Canada et de la réinstallation aux États-Unis, l’agent déclare : [traduction] « [c]omme il a été mentionné précédemment, le demandeur peut également avoir accès à divers services de soin de santé et de soutien social pour l’aider avec sa santé mentale et sa réintégration aux États-Unis ».

[13] Le fait que l’agent s’est appuyé sur des éléments de preuve objectifs relatifs à des programmes auxquels le demandeur n’est pas admissible rend la décision déraisonnable. Je conclus que l’analyse de l’agent relative à l’accès du demandeur aux programmes d’aide et de soins de santé est injustifiable dans les circonstances et justifie l’intervention de notre Cour. Puisque j’ai conclu que la décision est déraisonnable à cet égard, il n’est pas nécessaire d’examiner les deux autres questions en litige soulevées par le demandeur.

III. Conclusion

[14] Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision est par conséquent annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen. Les parties n’ont soumis aucune question importante de portée générale pour certification et je conviens qu’il n’en existe aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4700-20

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est accueillie.

  2. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Vanessa Rochester »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4700-20

INTITULÉ :

SLIWA NAMROOD c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 MAI 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROCHESTER

DATE DES MOTIFS :

LE 27 JUILLET 2022

COMPARUTIONS :

Laura MacLean

Pour le demandeur

Emma Gozdzik

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Laura MacLean

Avocate

Ottawa (Ontario)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

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