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Date : 20220725


Dossier : IMM-7983-21

Référence : 2022 CF 1095

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 juillet 2022

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

NOUR ALI NABOULSI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Nour Ali Naboulsi, est une citoyenne du Liban. Elle est âgée de 27 ans.

[2] En 2003, alors qu’elle était âgée de 8 ans, la demanderesse est devenue une résidente permanente du Canada, tout comme ses parents et son frère. Ce dernier est autiste et dépend entièrement de leurs parents.

[3] En 2008, le père de la demanderesse a obtenu la citoyenneté canadienne, puis a quitté le Canada, avec sa famille, pour s’établir aux Émirats arabes unis [ÉAU], en vue d’y poursuivre sa carrière et de profiter d’occasions d’affaires. La demanderesse n’est pas revenue au pays depuis cette année-là.

[4] Le 28 juillet 2020, la demanderesse, son frère et leur mère ont présenté une demande de titres de voyage à l’ambassade du Canada à Abu Dhabi.

[5] Le 25 février 2021, un agent des visas [l’agent] a délivré les titres de voyage à la mère et au frère de la demanderesse, mais pas à elle. Il a statué que, durant la période quinquennale pertinente qui avait précédé sa demande (soit du 28 juillet 2015 au 28 juillet 2020), la demanderesse n’avait pas respecté l’obligation de résidence énoncée à l’article 28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Cet article exige habituellement que le résident permanent soit effectivement présent au Canada pour au moins 730 jours pendant chaque période quinquennale.

[6] La demanderesse a interjeté appel de la décision de l’agent devant la Section d’appel de l’immigration [la SAI].

[7] À l’issue de l’audience, la SAI a rejeté l’appel de la demanderesse dans une décision datée du 14 septembre 2021 [la décision]. À l’instar de l’agent, la SAI était d’accord pour dire que la demanderesse n’avait pas respecté l’obligation de résidence énoncée à l’article 28 de la LIPR. Elle a aussi conclu que la situation personnelle de la demanderesse ne soulevait pas suffisamment de considérations d’ordre humanitaire pour excuser le manquement à son obligation de résidence.

[8] La SAI a tiré les grandes conclusions suivantes :

  • a) La demanderesse n’a pas présenté une preuve claire et convaincante concernant l’illégalité alléguée de la décision de l’agent, de sorte que la légalité de cette dernière n’était pas en cause;

  • b) Les considérations d’ordre humanitaire invoquées par la demanderesse, notamment la condition médicale de son frère, ne sont pas suffisantes pour justifier le manquement à son obligation de résidence;

  • c) Les raisons invoquées par la demanderesse pour expliquer son absence du Canada s’apparentent davantage à des décisions personnelles basées sur des considérations familiales et économiques qu’à des circonstances exceptionnelles ou urgentes, indépendantes de sa volonté;

  • d) La demanderesse a accumulé zéro jour de présence au Canada, ce qui constitue « un manquement total à l’obligation de résidence »;

  • e) La demanderesse a fait le choix personnel de ne pas revenir au Canada à la première occasion;

  • f) L’établissement de la demanderesse au Canada est nul et son établissement initial était trop faible pour compenser son absence totale d’intégration au Canada entre 2015 et 2020;

  • g) La demanderesse n’avait pas de famille au Canada et personne ne pouvait la parrainer;

  • h) La demanderesse n’a pas démontré comment le rejet de l’appel lui serait préjudiciable ou comment les membres de sa famille seraient affectés par la perte de son statut de résidente permanente au Canada;

  • i) Aucun enfant n’était susceptible d’être touché par la décision;

  • j) Aucune circonstance particulière ne justifiait la prise de mesures spéciales.

[9] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la SAI. Bien qu’elle ne conteste pas la conclusion de la SAI selon laquelle elle n’a pas respecté son obligation de résidence, elle critique la conclusion tirée à l’égard des considérations d’ordre humanitaire.

[10] Comme je l’explique plus loin, la demanderesse n’a pas établi que la décision était déraisonnable quant aux considérations d’ordre humanitaire.

II. La norme de contrôle

[11] La norme de contrôle applicable est la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 23; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 58). La décision raisonnable doit être « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : (Vavilov, au para 85). La « cour de révision doit être en mesure de suivre le raisonnement du décideur sans buter sur une faille décisive dans la logique globale; elle doit être convaincue qu’“[un] mode d’analyse, dans les motifs avancés, […] pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait” » (au para 102).

III. Analyse

[12] La demanderesse soutient que la SAI a commis, dans son analyse des considérations d’ordre humanitaire, trois erreurs susceptibles de contrôle qui justifient l’intervention de la Cour.

[13] Premièrement, la demanderesse prétend que la SAI a commis une erreur dans son appréciation de l’étendue du manquement à l’obligation de résidence. Le fondement de son argument est que la SAI n’a pas inclus, dans le calcul effectué, le temps qu’elle avait passé hors du Canada pour accompagner son père, en conformité avec le sous-alinéa 28(2)a)(ii) de la LIPR. Selon la demanderesse, la seule information dont la SAI ne disposait pas était le nombre de jours de non-conformité, et ce calcul [TRADUCTION] « n’est pas un élément de preuve, mais plutôt un exercice que doit exécuter le tribunal dans son analyse de la preuve ».

[14] L’avocat de la demanderesse a cherché à établir, à l’audience, que sa cliente aurait dû être créditée de 556 jours de résidence au Canada. Il a fait mention d’éléments de preuve présentés à la SAI, à savoir que la date de naissance de la demanderesse est le 8 février 1995, que son père est un citoyen canadien et que, aux fins du calcul de l’étendue du manquement à l’obligation de résidence, elle était une enfant durant la période quinquennale visée, jusqu’à ses 22 ans, le 8 février 2017.

[15] L’avocat de la demanderesse concède néanmoins qu’aucun nombre de jours exact de présumée résidence n’a été communiqué à la SAI. En effet, comme l’explique la SAI, l’avocat a vaguement fait valoir que la demanderesse avait accompagné son père aux ÉAU entre 2015 et 2017.

[16] La demanderesse affirme que le calcul à faire pour déterminer le nombre de jours de résidence manquant était simple. C’est peut-être vrai, mais il lui incombait de présenter des éléments de preuve clairs et convaincants à l’appui de ses allégations devant la SAI. La demanderesse a eu amplement l’occasion de présenter des éléments de preuve qui auraient milité en sa faveur. La SAI ne peut être blâmée pour n’avoir pas examiné une preuve dont elle ne disposait pas.

[17] Il est de jurisprudence constante que, pour rendre une décision portant sur des considérations d’ordre humanitaire, la SAI dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire qui lui permet d’examiner et de soupeser les facteurs selon les nécessités des circonstances particulières de l’espèce. La SAI a ainsi conclu que la demanderesse avait accumulé zéro jour de présence physique au Canada. Cette conclusion n’est en aucun cas déraisonnable. Elle n’est pas seulement correcte sur le plan factuel, mais elle aide aussi à déterminer si des mesures spéciales devraient être prises.

[18] Deuxièmement, la demanderesse soutient que la SAI a complètement négligé ou écarté la lettre d’un médecin spécialiste précisant que son frère entrait dans l’âge adulte et que, durant cette période, son [TRADUCTION] « développement dépend[ait] du contact continu avec les membres de sa famille immédiate [dont la demanderesse] et des soins de ceux-ci ». Je ne suis pas d’accord.

[19] La SAI est présumée avoir examiné l’ensemble de la preuve à sa disposition et n’est pas tenue de faire mention de chaque élément de preuve. Ses motifs démontrent qu’elle a tenu compte des besoins et de l’intérêt supérieur du frère de la demanderesse. Cette dernière a déclaré devant la SAI que la perte de son statut remettrait en question le soutien qu’elle pourrait apporter à son frère au Canada advenant le déménagement de la famille. La SAI a cependant accordé peu de poids à cet argument, faisant remarquer que la demanderesse avait vécu à l’extérieur de la cellule familiale pendant plusieurs années durant ses études et qu’elle avait ainsi laissé au reste de sa famille le soin de répondre aux besoins de son frère. La SAI a également indiqué que la mère de la demanderesse ne travaillait pas et restait au foyer pour s’occuper de son frère à temps plein. Dans les circonstances, la SAI a conclu que la demanderesse n’apportait pas une aide cruciale à son frère aux ÉAU, et le tribunal ne voyait pas pourquoi il en serait autrement au Canada.

[20] La demanderesse prétend que la SAI a manqué d’empathie et qu’elle avait imposé un critère plus rigoureux, soit celui de l’« aide cruciale » apportée à son frère, comme condition pour prendre des mesures spéciales. Ce n’est pas ce que je comprends des mots employés par la SAI. Sa déclaration illustre simplement que le frère de la demanderesse ne dépend pas d’elle pour ce qui est de répondre à ses besoins spéciaux.

[21] Enfin, la demanderesse affirme que la SAI lui a imposé le fardeau plus lourd de démontrer l’existence de « circonstances […] échappant au contrôle de sa volonté » pour justifier la prise de mesures spéciales. Je suis encore une fois d’un avis différent.

[22] La SAI a conclu que les raisons invoquées par la demanderesse pour expliquer son absence du Canada s’apparentaient davantage à des décisions personnelles basées sur des considérations familiales et économiques qu’à « des circonstances exceptionnelles ou urgentes échappant au contrôle de sa volonté ». Ce n’est pas là un fardeau de la preuve plus strict, et la conclusion est conforme à la jurisprudence de la Cour (Ouedraogo c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2021 CF 310 au para 30; Behl c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1255 aux para 12, 25).

[23] Comme l’explique la SAI, la demanderesse a perdu son statut de résidente permanente en raison de circonstances dont elle était responsable, notamment le manquement à son obligation de résidence. Il était raisonnable pour la SAI de tenir compte, dans son analyse des intentions de la demanderesse concernant son obligation de résidence et ses liens avec le Canada, de ses années d’études et de ses séjours à l’étranger quand elle est devenue adulte.

[24] La demanderesse désapprouve l’appréciation que la SAI a faite de la preuve. Or, elle ne précise pas quelle circonstance particulière dont la SAI aurait négligé de tenir compte, et, ayant examiné la décision dans son ensemble, je ne suis pas convaincu que l’analyse qu’a faite la SAI des facteurs d’ordre humanitaire était déraisonnable. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-7983-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  1. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

vide

« Roger R. Lafrenière »

vide

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B., juriste‑traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7983-21

 

INTITULÉ :

NOUR ALI NABOULSI c LE MINISTRE

DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 juillet 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

Le 25 juillet 2022

 

COMPARUTIONS :

Mark J. Gruszczynski

 

Pour le demandeur

 

Evan Liosis

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Canada Immigration Team

Avocats

Westmount (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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