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Date : 20010920

Dossier : IMM-1229-00

Référence neutre : 2001 CFPI 1035

Toronto (Ontario), le jeudi 20 septembre 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

ASIF IKRAM KHAN

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEF:

                                                                            


[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), qui vise la décision par laquelle la Section du statut de réfugié (la Commission) a refusé, le 26 janvier 2000, de reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention au demandeur.

Les faits

[2]                 Le demandeur, Asif Ikram Khan, est un citoyen du Pakistan qui est entré au Canada le 7 juillet 1998 pour revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention. Au Pakistan, il était un membre actif du Parti du peuple pakistanais (le PPP) et il a participé à l'organisation de réunions, de manifestations, de campagnes électorales et d'autres activités du Parti. Il a été injurié par des membres de la Ligue musulmane pakistanaise (la LMP) et a été arrêté par la police un certain nombre de fois à cause de ses liens avec le PPP. En juillet 1997, il a été élu secrétaire du PPP pour Sheikhupura. En novembre 1997, il a été arrêté lors d'une manifestation et gardé en détention pendant environ une semaine, au cours de laquelle il a été battu par la police. Il a été remis en liberté seulement après que son frère eut versé un pot-de-vin à la police.


[3]                 Le demandeur a donné son appui à un candidat du PPP en vue des élections locales de Sheikhupura en mai 1998. Sa voiture a été vandalisée peu de temps avant les élections. Une note laissée dans le véhicule indiquait que, si le demandeur ne disparaissait de lui-même, des personnes se chargeraient de le faire disparaître. Le demandeur a pris peur. Il a quitté sa maison et est allé vivre chez l'un de ses amis à Lahore, où il est resté jusqu'à son départ pour le Canada le 6 juillet 1998. C'est un passeur qui s'est occupé des arrangements concernant son voyage. Le demandeur est arrivé au Canada le 7 juillet 1998. Il craint d'être persécuté par la police et par des fonctionnaires de la LMP s'il retourne dans son pays.

[4]                 La revendication du statut de réfugié au sens de la Convention du demandeur a été entendue le 20 octobre 1999. Elle a été rejetée le 26 janvier 2000. En concluant que la persécution alléguée par le demandeur n'avait plus de fondement objectif, la SSR a écrit :

[TRADUCTION] Cependant, au cours de l'un des événements politiques les plus importants dans l'histoire récente du Pakistan survenu après que la présente revendication eut été présentée, le gouvernement de la LMP, dirigé par Nawaz Sharif, a été renversé en octobre 1999 par un coup d'état mené par le général Pervez Musharraf. M. Sharif et d'autres ministres de la LMP ont été détenus et le nouveau gouvernement militaire a entrepris d'établir son gouvernement. Il a aussi commencé à rassembler des politiques, notamment des membres de la LMP. Le fait que le général Musharraf ait pu détenir M. Sharif et d'autres membres importants de la LMP pendant des mois montre clairement que son nouveau gouvernement militaire contrôle réellement le pouvoir étatique, de façon effective et durable, que la LMP n'est plus, et aussi que le changement de la structure du pouvoir durera vraisemblablement. Puisque la LMP a été renversée et que ses dirigeants sont détenus, je doute fort que celle-ci soit désormais en mesure de continuer à persécuter ses opposants. Les membres de l'état-major de la LMP qui seraient en liberté sont très probablement beaucoup trop occupés à sauver leur peau. Je doute donc beaucoup que le revendicateur ait grand chose à craindre de leur part actuellement. Pour ces motifs, je conclus que le revendicateur n'a plus de bonnes raisons de craindre d'être persécuté par la LMP.

En outre, vu la probabilité que la police soit contrôlée maintenant par le gouvernement militaire et non par la LMP et le témoignage du revendicateur selon lequel il n'a absolument rien fait pour se mettre les nouveaux dirigeants militaires du Pakistan à dos, je conclus que le revendicateur n'a plus de bonnes raisons de craindre d'être persécuté par la police.


[5]                   La SSR a conclu de manière subsidiaire que, même si certains membres de l'état-major de la LMP et de la police étaient en mesure de persécuter le demandeur, ce dernier n'avait pas démontré par une preuve claire et convaincante que l'État ne ferait pas d'efforts sérieux pour le protéger. La SSR a aussi indiqué de manière subsidiaire que le demandeur avait une possibilité de refuge intérieur à Lahore :[TRADUCTION] Il est peu probable que le revendicateur, qui n'a aucune expérience de la vie politique de Lahore, puisse causer beaucoup de tort aux intérêts de la LMP dans cette ville et, à la lumière des documents qui ont été cités précédemment, la LMP à Sheikhupura et à Lahore est fort probablement beaucoup trop occupée à se défendre contre les descentes effectuées par le nouveau gouvernement militaire ou à les éviter pour se préoccuper de la présence du revendicateur à Lahore, même si cette ville n'est située qu'à une heure de Sheikhupura. Je conclus donc que le revendicateur n'a pas de bonnes raisons de craindre d'être persécuté à Lahore. Le revendicateur a déjà vécu avec des membres de sa famille dans cette ville, et rien dans la preuve dont je dispose ne me permet de croire qu'il devra surmonter un obstacle concernant la langue à cet endroit.

[6]                 Questions en litige

1. La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que le changement de circonstances survenu au Pakistan était concret, effectif et durable, de sorte que le revendicateur n'avait plus de bonnes raisons de craindre d'être persécuté par la LMP?

2. La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que le demandeur pouvait obtenir la protection de l'État?

3. La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que le demandeur avait une possibilité de refuge intérieur?


[7]                 Disposition législative pertinente

La disposition pertinente de la Loi prévoit ce qui suit :


« réfugié au sens de la Convention » Toute personne :

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;

b) qui n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2).

Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi.

"Convention refugee" means any person who

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country, or

(ii) not having a country of nationality, is outside the country of the person's former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to return to that country, and

(b) has not ceased to be a Convention refugee by virtue of subsection (2),

but does not include any person to whom the Convention does not apply pursuant to section E or F of Article 1 thereof, which sections are set out in the schedule to this Act;


[8]                 Question no 1

La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que le changement de circonstances survenu au Pakistan était concret, effectif et durable, de sorte que le revendicateur n'avait plus de bonnes raisons de craindre d'être persécuté par la LMP?


La Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Section du statut de réfugié) a entendu la revendication du statut de réfugié le 20 octobre 1999 et a rendu sa décision le 26 janvier 2000. Le 12 octobre précédent, l'armée avait renversé le premier ministre Sharif et avait pris le pouvoir des mains de la LMP. Dans sa décision, la Commission a conclu que, comme le gouvernement de la LMP avait été renversé et remplacé par un gouvernement militaire, la crainte de persécution du demandeur n'avait plus de fondement objectif et la situation existant au Pakistan avait subi un changement concret, effectif et durable. Le dossier du tribunal renferme les extraits suivants d'articles écrits après le coup d'État :

Lycos News, 14 octobre 1999 :

[TRADUCTION] Mais l'armée a dit qu'elle ne ferait pas de déclaration jeudi, contrairement à ce qu'avait promis le responsable du coup d'État, le général Pervez Musharraf, pour exposer ses projets pour le pays dans la foulée du coup d'État de mardi, lequel a alarmé les leaders, les prêteurs et les investisseurs mondiaux.

M. Qureshi a dit que l'armée n'annoncerait pas précipitamment ses projets. « Les décisions importantes prennent du temps » , a-t-il dit.

New York Times, 2 novembre 1999 :[TRADUCTION] ISLAMABAD, Pakistan, 1er nov. - Le nouveau dirigeant militaire du Pakistan, le général Pervez Musharraf, a refusé aujourd'hui de fixer la date du retour de la démocratie lors de sa première rencontre avec les journalistes, qui a duré plus d'une heure, depuis le coup d'État survenu il y a trois semaines. Même s'il a répondu aux questions avec l'aisance et la finesse d'un vieux pro de la politique, il n'a laissé aucun doute quant au fait que c'est lui qui dirige le Pakistan, une puissance nucléaire de 150 millions d'habitants, et qu'il décidera seul du moment où la population pourra de nouveau élire elle-même ses dirigeants. À la question de savoir si le retour de la démocratie se ferait par des élections ou la restauration du Parlement, il a répondu qu'il n'avait encore rien décidé. Permettra-t-il aux électeurs de manifester leur soutien ou leur désapprobation quant au coup d'État dans le cadre d'un référendum? « J'en discuterai avec mes conseillers » , a-t-il répondu.


National Post, 30 octobre 1999 :[TRADUCTION] ISLAMABAD, PAKISTAN - Les représentants du Commonwealth ont quitté le Pakistan hier sans avoir eu beaucoup de succès, semble-t-il. Le groupe - dirigé par le ministre des Affaires étrangères, Lloyd Axworthy - n'a pas rencontré le premier ministre destitué, Nawaz Sharif. Il n'a pas non plus obtenu du nouveau leader, le général Pervais Musharraf, une date possible du retour à la démocratie.

The Toronto Star, 2 novembre 1999 :[TRADUCTION] En dépit des pressions exercées par la communauté internationale pour le retour de la démocratie, le régime militaire ne subit pas de fortes pressions de la part du public pour la tenue d'élections. M. Musharraf, qui a suspendu le Parlement et la Constitution, a dit qu'il voulait décentraliser certains pouvoirs dans ce pays pauvre de 140 millions d'habitants de l'Asie du Sud, afin de faire de la population « le maître de sa destinée » en remettant une partie du pouvoir aux districts.

[9]                   La Commission a elle-même reconnu que des changements étaient seulement en voie d'être réalisés lorsqu'elle a indiqué, à la page 1 de sa décision :[TRADUCTION] ... et le nouveau gouvernement militaire a entrepris d'établir son gouvernement.


[10]            Je suis d'avis, à la lumière des renseignements dont la Commission disposait, que la situation au Pakistan n'a pas changé de manière concrète et effective. (Voir Magana c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 70 F.T.R. 136 (C.F. 1re inst.), et Vodopianov c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 964 (20 juin 1995), dossier : A-1539-92 (C.F. 1re inst.). La preuve documentaire parle de changements qui se produiront dans l'avenir, ce qui est compréhensible puisque le coup d'État était survenu seulement quelques jours plus tôt. J'estime qu'il fallait plus d'éléments de preuve concernant les changements survenus dans la situation du pays pour démontrer que ces changements sont suffisamment concrets et effectifs ou suffisamment importants, durables et effectifs pour rendre la crainte du demandeur déraisonnable et, partant, sans fondement. Le demandeur a indiqué qu'il craignait les travailleurs de la LMP et la police. Le dossier ne contient aucune preuve de l'étendue du contrôle exercé par l'armée sur les travailleurs de la LMP ou la police. Je conclus donc que la Commission a commis une erreur de droit.

[11]            Question no 2

La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que le demandeur pouvait obtenir la protection de l'État?

Pour la même raison, soit l'absence de preuve démontrant que la situation a changé de manière effective, concrète et durable au Pakistan, je considère que la Commission a commis une erreur en concluant que l'État est maintenant en mesure de protéger le demandeur contre la persécution.

[12]            Question no 3

La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que le demandeur avait une possibilité de refuge intérieur?


Les deux premières phrases du troisième paragraphe de la première page de la décision semblent indiquer que la crainte de persécution du demandeur était bien fondée jusqu'à ce que survienne le coup d'État. Le dossier devrait étayer une telle conclusion. Dans son témoignage, le demandeur a déclaré qu'il ne serait en sécurité nulle part au Pakistan à cause de ses opinions politiques. Compte tenu de ce qui précède, je suis d'avis qu'il n'existe pas de possibilité de refuge intérieur pour le demandeur. La Commission a commis une erreur en concluant le contraire.

[13]            La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission afin qu'elle fasse l'objet d'un nouvel examen.

[14]            Aucune partie n'a souhaité certifier une question grave de portée générale.

                                           ORDONNANCE

1.         LA COUR ORDONNE QUE la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission.

     « John A. O'Keefe »     

Juge

Toronto (Ontario)

Le 20 septembre 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-1229-00

INTITULÉ :                                                     ASIF IKRAM KHAN

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le mercredi 15 août 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                                    Le jeudi 20 septembre 2001

COMPARUTIONS :

John Savaglio                                                                                  POUR LE DEMANDEUR

Matthew Oommen                                                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

John Savaglio                                                                                  POUR LE DEMANDEUR

Avocat

1919, square Brookshire

Pickering (Ontario)

L1V 6L2

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Date : 20010920

                                                             Dossier : IMM-1229-00

Entre :

ASIF IKRAM KHAN

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


défendeur

                                     

                                                            

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                            

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