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Date : 20220721


Dossier : IMM-6145-21

Référence : 2022 CF 1086

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 juillet 2022

En présence de madame la juge Fuhrer

ENTRE :

Teral Sanjeewaka GAMALATHGE DON

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur est un citoyen du Sri Lanka qui craint d’être persécuté par un opposant politique.

[2] Après une carrière comme chef cuisinier, et comme cuisinier à bord de navires, le demandeur s’est engagé politiquement en rejoignant le Front de libération du peuple [le JVP (Janatha Vimukthi Peramuna)]. À cause de ses activités politiques, le demandeur fut menacé par Nishantha Muthuhettigama [Nishantha], qui était un membre du Parti de la liberté du Sri Lanka et un parlementaire. Le demandeur fut en outre attaqué par des gens qu’il dit être des hommes de main de Nishantha. Après cette mésaventure, en novembre 2014, le demandeur a quitté le Sri Lanka pour travailler à bord d’un navire. Il est retourné au Sri Lanka en mai 2015, après un changement de régime à la suite d’une élection présidentielle. Nishantha a continué sa carrière de parlementaire en réalignant sa position sur celle du nouveau président élu. Le demandeur a reçu des appels de menace après son retour.

[3] À cause des attaques et des menaces, le demandeur a fini par quitter le Sri Lanka pour les États-Unis d’Amérique [les É.-U.], où il a présenté une demande d’asile. Pendant son séjour dans le pays, il a appris que sa femme avait une liaison avec Nishantha, qui avait débuté avant que le demandeur parte pour les É.-U. Le demandeur a informé la femme de Nishantha de l’existence de la liaison, et il a également informé ses camarades politiques que Nishantha faisait du trafic d’alcool.

[4] En conséquence, les hommes de main de Nishantha ont questionné les voisins du demandeur pour savoir où il se trouvait. Nishantha a appelé le demandeur aux É.-U. et l’a menacé de le tuer s’il retournait au Sri Lanka. En outre, les hommes de main de Nishantha ont menacé la mère du demandeur à plusieurs reprises.

[5] À cause des politiques de l’administration Trump, le demandeur a décidé à la place de présenter une demande d’asile au Canada.

[6] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR] a rejeté la demande du demandeur pour manque de crédibilité. La Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la CISR a rejeté l’appel [la décision].

[7] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision. Je ne suis pas persuadée que la SAR a examiné la preuve du demandeur à la loupe et avec un excès de zèle. Pour les motifs qui seront détaillés ci-dessous, je rejette par conséquent la demande du demandeur.

 

II. Les questions en litige et la norme de contrôle

[8] La question principale sur laquelle la Cour doit statuer est le caractère raisonnable de la décision. D’après moi, aucune des situations qui pourraient déroger à la norme de contrôle présumée n’est ici présente : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 17, 25.

[9] Le demandeur met en avant quatre questions subsidiaires :

(1) La SAR a commis une erreur en concluant que le demandeur ne contestait pas les conclusions de la SPR au sujet de certains éléments essentiels de sa demande et en ne faisant pas de nouvelle appréciation complète.
(2) La SAR a commis une erreur en concluant que le retour du demandeur au Sri Lanka en mai 2015 était incompatible avec une crainte bien fondée d’être persécuté.
(3) La SAR a tiré des conclusions déraisonnables concernant les appels de menace et l’implication du demandeur dans le JVP, en les justifiant par des contradictions dans la preuve.
(4) La SAR a déraisonnablement rejeté des éléments de preuve corroborants.

[10] Mon analyse traite de chacune de ces questions à tour de rôle.

III. Analyse

[11] Je commence mon analyse en faisant la remarque générale que les observations du demandeur au sujet des erreurs de la SAR, à mon avis, encouragent la Cour à se lancer dans une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur et à apprécier à nouveau la preuve dont disposait la SAR, bien qu’aucune de ces deux actions ne fasse partie du rôle de la Cour dans un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable : Vavilov, précité, aux para 102, 125. La perfection n’est pas la norme qui lie la Cour dans le contrôle judiciaire de la décision : Vavilov, précité, au para 91.

[12] De plus, le fait que la SAR aurait pu tirer d’autres conclusions ne veut pas dire, en soi, que ses conclusions étaient déraisonnables : Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 676 au para 21, qui cite Krishnapillai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 563 au para 11.

[13] Tenant compte de ces principes, je m’attaque aux questions subsidiaires.

(1) La SAR a réalisé une appréciation nouvelle et complète.

[14] Je suis convaincue que la SAR a compris et joué son rôle en tant que tribunal d’appel envers l’appel du demandeur contre la décision de la SPR.

[15] D’après les directives de la Cour d’appel fédérale, « […] la SAR doit examiner les décisions de la SPR en appliquant la norme de la décision correcte. […] après examen attentif de la décision de la SPR, la SAR doit effectuer sa propre analyse du dossier afin de décider si la SPR a bel et bien commis l’erreur […] Après cette étape, la SAR peut statuer sur l’affaire de manière définitive, soit en confirmant la décision de la SPR, soit en cassant celle-ci et en y substituant sa propre décision sur le fond de la demande d’asile. » : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 au para 103. La SAR a également la possibilité de renvoyer l’affaire à la SPR pour nouvelle décision, dans des circonstances limitées : paragraphes 111(1) et (2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]; Alvarenga Torres c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 549 aux para 34, 35.

[16] Je ne suis pas en désaccord avec le demandeur sur le fait qu’il incombe à la CISR de déterminer si le demandeur répond à la définition de réfugié au sens de la Convention : LIPR, art 96; Canada (Procureur général) c Ward, 1993 CanLII 105 (CSC), [1993] 2 RCS 689 au para 745. Ainsi, bien qu’il n’incombe pas au demandeur de prouver qu’il répond à cette définition, il lui incombe initialement de fournir une preuve crédible et suffisante pour que le décideur administratif puisse faire l’appréciation nécessaire.

[17] Je ne suis pas persuadée par l’argument du demandeur selon lequel la SAR n’a pas fait sa propre appréciation factuelle complète parce qu’elle estimait que le demandeur ne contestait pas certaines des conclusions clefs de la SPR. Même si la SAR a eu tort de déclarer que le demandeur ne contestait pas certaines des conclusions principales de la SPR, elle a néanmoins examiné ces questions, dont, par exemple, celles de savoir si Nishantha et/ou ses hommes de main avaient attaqué le demandeur le 1er novembre 2014 et si le demandeur était exposé à des menaces ainsi qu’à un préjudice non seulement de la part de Nishantha, mais aussi des gouvernements de Rajapaska et de Sirisena, et de leurs sbires respectifs.

[18] L’exposé circonstancié dans le formulaire Fondement de la demande d’asile du demandeur fait de Nishantha son agent de persécution, tout en mentionnant au passage le gouvernement de Rajapaska. Le demandeur a cependant déclaré en témoignage, lors de l’audience de la SPR, que ses agents de persécution étaient Nishantha, Mahinda et Gotabaya Rajaspaka, Maithripala Sirisena, et leurs sbires respectifs. Je ne partage pas l’avis du demandeur selon lequel l’omission était accessoire.

[19] Je suis d’accord avec le défendeur quand il dit que la SAR a réalisé, comme il est requis, une appréciation indépendante des risques prospectifs du demandeur, et que la SAR avait le droit de se reporter aux conclusions de la SPR relatives à la crédibilité dans le traitement de la question centrale : Huruglica, précité, au para 103; Wahjudi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 279 [Wahjudi] au para 13; Bishop c Canada (Citizenship and Immigration), 2022 FC 569 au para 21.

(2) Il n’y a aucune erreur susceptible de contrôle dans l’appréciation par la SAR du fait que le demandeur s’était réclamé à nouveau de la protection de son pays.

[20] Je ne suis pas convaincue que la SAR ait commis une erreur susceptible de contrôle dans son appréciation du retour du demandeur au Sri Lanka en 2015, à la suite du changement de régime.

[21] À mon avis, la logique suivie par la SAR pour rejeter l’explication donnée par le demandeur – que le changement de régime n’impliquerait pas de problèmes à venir pour lui au Sri Lanka – ne dépendait pas de l’erreur qu’aurait, aux dires du demandeur, commise la SPR. Concrètement, le demandeur affirme que la SPR s’est trompée sur l’appartenance politique de Nishantha au moment du changement de régime qui l’a incité à retourner au Sri Lanka. Je trouve, en revanche, que la SAR ne s’est pas méprise quand elle a considéré que Nishantha avait d’abord été lié au régime de Rajapaska, puis à celui de Sirisena à la suite de la victoire de ce dernier à l’élection présidentielle. C’est plutôt parce qu’il n’a pas été prouvé que le demandeur s’était enquis de la position politique de Nishantha avant son retour au Sri Lanka que la SAR avait trouvé sa demande incompatible avec le fait d’alléguer la crainte d’être persécuté par un tel individu.

[22] Je conclus que le raisonnement de la SAR sur la question « se tient » : Vavilov, précité, au para 104.

(3) Il n’y a aucune erreur susceptible de contrôle dans l’appréciation par la SAR des appels de menace et de l’implication du demandeur au sein du JVP.

[23] Après avoir lu la transcription de l’audience de la SPR, je ne suis pas persuadée que l’appréciation par la SAR de la preuve du demandeur concernant les appels de menaces par téléphone et de la lettre du secrétaire du JVP sur le travail du demandeur au sein de l’organisation [la lettre du JVP] soit déraisonnable.

[24] Le fait que le demandeur répondait aux questions posées par le membre de la SPR n’appuie pas, à mon avis, l’affirmation selon laquelle la SPR s’est servie de son interrogatoire du demandeur pour trouver des contradictions. L’argument est circulaire, mais c’est surtout les conclusions de la SPR que celui-ci conteste, plutôt que celles de la SAR, sans expliquer comment cette dernière a commis une erreur.

[25] Je conclus que l’examen attentif par la SAR des appels téléphoniques, de la lettre du JVP, ainsi que du témoignage incohérent du demandeur, et les conclusions relatives à la crédibilité qui en résultent étaient justifiés, transparents et intelligibles.

(4) Il n’y a pas d’erreur susceptible de contrôle dans l’appréciation par la SAR des éléments de preuve corroborants.

[26] Je suis convaincue que l’appréciation par la SAR des photographies, des affidavits de son ami et des articles de journaux n’est pas déraisonnable. Je conclus plutôt que le demandeur est en désaccord avec la SAR sur le poids à leur attribuer et qu’il demande à la Cour de les soupeser à nouveau. Comme je l’ai mentionné plus tôt, il n’incombe pas à la Cour de le faire dans un contrôle judiciaire. Les motifs de la SAR ont permis à la Cour de comprendre la logique qu’elle avait suivie, qui, à mon avis, est intrinsèquement cohérente : Vavilov, au para 85.

IV. Conclusion

[27] Je conclus que, regardée dans son ensemble comme un tout organique, la décision est raisonnable, dans le sens qu’elle est justifiée, transparente et intelligible au regard de l’ensemble du droit et des faits pertinents : Vavilov, précité, au para 103; Wahjudi, précitée, au para 19. Pour les motifs qui précèdent, je rejetterai par conséquent la demande de contrôle judiciaire du demandeur.

[28] Aucune des deux parties n’a proposé de question grave de portée générale en vue de la certification, et je conclus que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6145-21

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.

« Janet M. Fuhrer »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B., juriste‑traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6145-21

 

INTITULÉ :

Teral Sanjeewaka GAMALATHGE DON c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 JuILLET 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FUHRER

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 21 JUILLET 2022

 

COMPARUTIONS :

Barbara Jackman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Kevin Doyle

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Barbara Jackman/Farah Saleem

Jackman & Associates

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

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