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Date : 20220718


Dossier : IMM-1784-21

Référence : 2022 CF 1050

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 juillet 2022

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

NERISA MAY CAMPBELL-SERVICE

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 14 mars 2020 par laquelle un agent d’immigration principal d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [l’agent] a rejeté sa demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[2] La demanderesse affirme que l’agent :

  • a fait abstraction d’éléments de preuve contradictoires et a adopté une approche passe‑partout;

  • a commis des erreurs dans son appréciation des difficultés auxquelles la demanderesse se heurterait en Jamaïque;

  • a commis une erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en ne tenant pas compte des motifs d’ordre humanitaire qui sous-tendent le défaut de se conformer de la demanderesse.

II. Contexte

[3] La demanderesse, Nerisa May Campbell-Service, est citoyenne de la Jamaïque. Elle est arrivée au Canada le 5 décembre 2012, munie d’un visa de visiteur valide jusqu’au 31 octobre 2014. Dépourvue de statut depuis cette date, elle est demeurée au pays. Son époux vit en Jamaïque.

[4] Elle a travaillé par intervalles à titre d’aide familiale en Jamaïque de mai 2008 à décembre 2012. Au Canada, elle a été en mesure de décrocher un emploi de ce type à Toronto. Elle prend soin d’un homme de 81 ans (ci-après M. S.) qui souffre de diverses conditions médicales, dont le diabète et la néphropathie. Sa santé s’est améliorée depuis que la demanderesse s’occupe de lui.

[5] Celle-ci allègue que la violence en Jamaïque a gravement altéré le cours de sa vie et a limité sa liberté de mouvement ainsi que sa capacité à subvenir à ses besoins.

[6] En 2018. elle a déposé une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, laquelle a été rejetée en 2020.

III. Question en litige

[7] La question en litige consiste à savoir si la décision de l’agent était raisonnable.

IV. Norme de contrôle applicable

[8] Comme l’a énoncé la Cour suprême du Canada au paragraphe 23 de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], « [l]orsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond […] [l]’analyse a […] comme point de départ une présomption selon laquelle le législateur a voulu que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable ». Je ne vois aucune raison ici de ne pas donner effet à cette présomption générale. Cela étant, la norme de contrôle en l’espèce est celle de la décision raisonnable.

[9] Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la cour doit d’abord respecter le principe de la retenue judiciaire et témoigner d’un respect envers le rôle distinct des décideurs administratifs (Vavilov, au para 13). Qui plus est, lors d’un tel contrôle, la Cour ne se livre pas à une analyse de novo ou ne cherche pas à trancher elle‑même la question en litige (Vavilov, au para 83). Elle se penche plutôt sur les motifs du décideur administratif et apprécie, d’après le raisonnement suivi et le résultat obtenu, le caractère raisonnable de la décision rendue au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci (Vavilov. aux para 81, 83, 87, 99).

[10] Une décision raisonnable est justifiée, transparente et intelligible pour les personnes concernées, et elle témoigne d’« une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » lorsqu’elle est lue dans son ensemble et que le contexte administratif, le dossier dont disposait le décideur et les observations des parties sont pris en compte (Vavilov, aux para 81, 85, 91, 94-96, 99, 127-128).

V. Analyse

[11] La demanderesse soulève des questions qui n’ont aucunement été abordées dans les documents écrits. Je n’exercerai pas mon pouvoir discrétionnaire pour me pencher sur celles-ci vu l’atteinte potentielle au droit à l’équité procédurale du défendeur.

[12] La demanderesse a fait état d’exemples détaillés des éléments que la Cour devrait considérer comme déraisonnables dans la décision. Toutefois, la thèse de la demanderesse se résume ultimement à contester la pondération de la preuve effectuée par l’agent. Bien sûr, il n’appartient pas à la Cour de revoir celle-ci lors d’un contrôle judiciaire (voir Vavilov, au para 125). Dans le cadre d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, l’agent aurait pu soupeser la preuve différemment, mais je ne conclus pas que ses conclusions relativement à l'ensemble des points litigieux étaient déraisonnables, et j’estime qu’elles étaient justifiées, intelligibles et transparentes.

A. L'absence de statut

[13] Dans ses observations écrites, la demanderesse a plaidé que la Cour possède le pouvoir discrétionnaire d’accueillir une demande sur le fond même si son auteur n’est pas sans reproche. Durant sa plaidoirie, elle a présenté l’argument voulant que l’agent ait accordé trop de poids à la façon dont elle avait atteint un certain degré d’établissement en vivant sans statut au Canada. La demanderesse a alors soutenu que l’agent avait statué que ce facteur avait scellé le sort de la demande, ce qui n’est pas raisonnable. Plus particulièrement, elle fait valoir que le paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) vise les cas d’interdiction, lesquels peuvent souvent mettre en cause des personnes qui ne sont pas sans reproche. En fait, le paragraphe 25(1) [traduction] « pose comme prémisse qu’un demandeur ne s’est pas conformé à une ou plusieurs dispositions de la LIPR ». Par conséquent, selon la demanderesse, l’agent était tenu d’apprécier la nature de son défaut ainsi que sa pertinence et son poids au regard des autres facteurs d’ordre humanitaire, et ne pouvait pas se contenter de l’invoquer comme un obstacle à l’octroi de la dispense.

[14] La demanderesse affirme que la véritable raison d’être de l’article 25 est de composer avec les cas d’interdiction, lesquels peuvent mettre en cause des personnes qui ne sont pas sans reproche. La demanderesse invoque des décisions qui font ressortir que l’objet de l’article 25 de la LIPR est de traiter des gens qui n’ont pas de statut, pour une raison ou une autre (Benyk c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 950 au para 14); Mitchell c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 190 au para 23). Cependant, la raison qui justifie le défaut de se conformer aux lois en immigration est importante.

[15] Le fait que l’article 25 dispose que des personnes seront dépourvues de statut ne rend pas cette considération non pertinente. Il existe une multitude de circonstances pour lesquelles des personnes peuvent passer plus de temps au Canada — par exemple, en tant que demandeurs d’asile, titulaires de permis de travail temporaire ou lorsqu’une suspension temporaire des renvois vise leur pays natal. Ce n’était pas le cas pour la demanderesse, qui est arrivée au Canada en tant que visiteuse et est restée de son plein gré, sans poser de gestes entre 2014 et 2018 en vue de régulariser son statut.

[16] De plus, la demanderesse a vécu sans statut au Canada durant plus de sept ans. Comme l’énonce la Cour au paragraphe 3 de la décision Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 316, « la demanderesse a l’obligation de régulariser son statut si elle souhaite demeurer au Canada […] ». Par conséquent, l’agent pouvait raisonnablement examiner ce facteur et lui accorder un poids défavorable, car la demanderesse n’a pas démontré qu’elle est en tout temps incapable de retourner dans son pays et d’y présenter une demande de résidence permanente, et n’a déployé aucun effort en vue de régulariser son statut. Puisqu’elle a choisi d’agir en ce sens, je ne décèle aucune erreur dans l’analyse de l’agent (Shallow c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2012 CF 749 aux para 8-9).

[17] De surcroît, je ne suis pas du même avis que la demanderesse pour dire que l’accent mis par l’agent sur son [traduction] « défaut délibéré de se conformer aux lois de l’immigration » jette une ombre sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire de celui-ci, et l’aurait empêché de procéder à une analyse adéquate des facteurs d’ordre humanitaire soulevés. L’agent s’est ensuite penché sur d’autres facteurs et éléments de preuve, dont les amis de la demanderesse au Canada, ses liens avec sa famille et sa collectivité en Jamaïque et les conditions dans ce pays. Rien dans les motifs ne donne à penser que l’agent a entravé son pouvoir discrétionnaire en donnant un caractère décisif au séjour indûment prolongé de la demanderesse ainsi qu’à son travail illégal. Il lui était loisible de tenir compte de l’absence de statut de la demanderesse et de le soupeser au regard des autres facteurs. Cet élément n’était qu’un facteur parmi d’autres dans le cadre de l’analyse.

[18] Je juge raisonnable pour l’agent de prendre en considération le temps passé par la demanderesse au Canada sans autorisation et de pondérer ce facteur au regard de son degré d’établissement, surtout parce qu’elle n’a posé aucun geste pour régulariser son statut entre 2014 et 2018. Il était loisible à l’agent de tenir compte de l’établissement délibérément accumulé par la demanderesse durant son séjour au Canada alors qu’elle était dépourvue de statut. Contrairement aux observations de la demanderesse, je conclus que l’agent n’a pas commis d’erreur en retenant le défaut de celle-ci de se conformer aux lois canadiennes en matière d’immigration. Puisqu'il a tenu compte du degré d’établissement et de la situation personnelle de la demanderesse, sa décision est raisonnable et est le produit d’une pondération des facteurs. Il n’appartient pas à la Cour de les soupeser à nouveau (Vavilov , au para 125).

B. Les autres arguments soulevés par la demanderesse

[19] La demanderesse soutient que l’agent a laissé de côté des éléments de preuve contradictoires. Par exemple, l’agent aurait fait fi d’éléments de preuve relatifs à la possibilité de solliciter l’aide de la police et se serait fondé sur des rapports dépassés, même s’il pouvait consulter une version à jour du document. La demanderesse a fait valoir que la preuve objective démontrait que la justice ne peut pas être rendue vu le caractère dysfonctionnel du système judiciaire et que la violence envers les femmes continue de constituer un grave problème. De plus, elle soutient que l’agent a laissé de côté des éléments de preuve liés à son affidavit ainsi qu’à l’incapacité de M. S d’obtenir l’aide et les soins dont il a besoin. Elle avance que l’agent a également fait abstraction des lettres d’appui qui soulignent l’importance et la nécessité des soins qu’elle prodigue. Selon elle, la conclusion de l’agent selon laquelle il existe au Canada beaucoup d’aides familiales compétentes et aptes à prendre soin de M. S. est déraisonnable.

[20] La demanderesse soutient également que l’agent a commis une erreur dans son appréciation des difficultés auxquelles elle serait confrontée en Jamaïque. Plus précisément, elle affirme que l’agent a appliqué le mauvais critère juridique lorsqu’il a apprécié le [traduction] « risque lié à un retour en Jamaïque », lequel relève plutôt de l’article 97 de la LIPR que de l’article 25 de la LIPR. La demanderesse soutient que l’agent n’a pas tenu compte de la discrimination fondée sur le genre ni des conditions défavorables dans le pays qui ont des répercussions délétères sur elle. À son avis, la décision est déraisonnable car l’agent a fait défaut de tenir valablement compte d’éléments de preuve ainsi que des facteurs d’ordre humanitaire soulevés.

C. Analyse

[21] Je suis d’avis que l’agent a prononcé sa décision, étayée par la preuve, à la lumière des observations de la demanderesse.

[22] Dans ses observations, la demanderesse a soutenu qu’elle redoutait la violence et la criminalité en général. Tout d’abord, la demanderesse avance dans son mémoire que les difficultés auxquelles elle serait confrontée comme femme en Jamaïque sont au cœur de sa demande, et elle reproche à l’agent d’avoir négligé des éléments de preuve qui confirment cette allégation. Comme l’a affirmé le défendeur, la demanderesse n’a pas soulevé cette question dans ses observations relatives à sa demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Par conséquent, l’agent n’avait pas à se prononcer sur cet argument. De façon similaire, la demanderesse n’a pas prétendu dans ses observations qu’elle était exposée au risque de faire l’objet d’une arrestation arbitraire ou d’être détenue par la police. L’extrait cité au paragraphe 31 de son mémoire ne corrobore pas les préoccupations mentionnées dans ses observations. Elle n’a pas indiqué qu’elle avait déjà été soupçonnée d’avoir commis un crime. Par conséquent, cet extrait ne la vise pas. Elle n’a également pas prouvé que la police ne lui porterait pas secours en cas de besoin ni qu’elle s’était déjà réclamée en vain de la protection de l’État.

[23] Par conséquent, je suis d’avis que l’agent n’a pas fait abstraction de la preuve qui s’inscrit en faux contre sa conclusion. Il ne peut lui être reproché d’avoir négligé certains risques qui n’ont pas été soulevés par la demanderesse, comme la discrimination fondée sur le genre. Ainsi, je considère que l’agent a raisonnablement examiné la preuve qui étaye les allégations de la demanderesse dans son observation, et a raisonnablement conclu qu’elle serait en mesure de se réclamer de la protection de l’État au besoin. En outre, il convient de souligner que l’agent s’est non seulement fondé sur un rapport de 2015, mais qu’il a également invoqué un rapport de 2018 daté du 13 mars 2019.

[24] De surcroît, la demanderesse invoque les paragraphes 14-20 de la décision Pamal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1064 [Pamal] pour soutenir qu’il est erroné en droit de tenir compte du fait que sa famille immédiate vit en Jamaïque et pouvait lui venir en aide pour se réinstaller. Comme le défendeur l’a souligné à juste titre, l’agent dans l’affaire Pamal avait écarté des éléments de preuve portant que la demanderesse n’entretenait pas de liens solides avec sa famille et qu’elle ne pouvait plus se fier à ses amis. Ce n’est pas le cas en l’espèce, puisque la demanderesse n’a produit aucune preuve selon laquelle serait en froid avec les membres de sa famille ou que ceux-ci ne seraient pas en mesure de lui venir en aide. En fait, il est raisonnable pour l’agent de tenir compte de la présence de sa famille immédiate dans son pays natal.

[25] L’agent a procédé à une appréciation raisonnable des conditions en Jamaïque en examinant la preuve et les observations. La demanderesse n’a pas contesté cette conclusion en produisant de la preuve objective qu’elle serait en mesure de décrocher un emploi en Jamaïque. Il était donc raisonnable de conclure que la demanderesse serait en mesure de dénicher un emploi, compte tenu de ses antécédents de travail dans ce pays et de son expérience acquise durant son séjour au Canada. De plus, il n’est pas déraisonnable de tenir compte de l’aide qu’elle recevrait de sa famille si elle retournait en Jamaïque. L’agent a pris acte de la capacité de la demanderesse à subvenir à ses besoins au cours des années où elle a séjourné en Jamaïque et au Canada. Il a qualifié celle-ci de louable. Je considère qu’il s’agit d’une appréciation raisonnable et d’une conclusion logique.

[26] De plus, je ne suis pas d’accord avec la demanderesse pour dire que l’agent a appliqué le mauvais critère juridique en évaluant le « risque ». Je conviens avec le défendeur que bien que la demanderesse conteste l’emploi par l’agent du langage associé au « risque » dans son appréciation des conditions en Jamaïque, ce langage est à l’image des observations produites par la demanderesse elle-même, et était raisonnable.

[27] Contrairement à ce que prétend la demanderesse dans ses observations, l’agent n’a pas commis d’erreur et n’a pas apprécié le risque auquel elle serait exposée aux termes de l’article 97 de la LIPR. L’agent renvoyait aux motifs d’ordre humanitaire soulevés par la demanderesse dans ses observations, lesquels englobaient le risque potentiel lié au retour en Jamaïque (le chômage et la criminalité) et les emplois de femme de ménage.

[28] Le défendeur a fait valoir que la demanderesse avait cité des extraits d’un rapport sur la Jamaïque produit par le département d’État des États-Unis (USDOS) qui a peu, sinon aucun lien avec les préoccupations soulevées par elle. Ainsi, dans ses observations relatives à sa demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, celle-ci n’a pas prétendu être exposée au risque de subir de la violence conjugale ou de la violence fondée sur le genre. Il incombait à la demanderesse non seulement de démontrer l’existence de conditions générales défavorables en Jamaïque, mais également de relier ces conditions à sa situation personnelle. À la lecture de l’ensemble des motifs, il est manifeste que l’agent a expressément analysé la crainte de la demanderesse d’être victime d’un crime ou d’être au chômage, et qu’il n’a pas appliqué le mauvais critère.

[29] La demanderesse a soulevé plusieurs facteurs qui, à son avis, « [inciterait] tout homme raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne ». La demanderesse a soutenu que la décision était dépourvue de compassion et était donc déraisonnable. Elle affirme que la conclusion de l’agent selon laquelle sa famille l’appuierait était déraisonnable compte tenu de l’argent qu’elle lui envoie et du fait que sa belle-mère et sa sœur sont maintenant décédées.

[30] Elle avance que la décision de l’agent, selon elle dénuée de compassion dans son appréciation de la demande, est erronée puisque nul ne peut y déceler la présence d’éléments inhérents à l’approche Chirwa, instaurée dans la décision Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1970), 4 AIA 351. Selon la demanderesse, l’agent a négligé d’appliquer un élément essentiel au critère relatif aux motifs d’ordre humanitaire, et, ce faisant, a commis une erreur susceptible de contrôle.

[31] La demanderesse souligne qu’elle adore le Canada et que si l’agent avait fait preuve de compassion, elle serait en mesure de rester et de continuer à exercer un emploi qu’elle adore. De plus, selon elle, son patient pourrait continuer d’être soigné avec des soins d’une qualité qu’elle qualifie de supérieure à ceux reçus antérieurement. Elle fait observer que l’agent a pu avoir démontré de la compassion ou montré de l’empathie à l’égard de son patient, mais pas à son endroit. Elle soutient que l’agent n’a pas eu recours aux facteurs énoncés dans la décision Chirwa, mais s’est contenté d’émettre des hypothèses sur ce qui allait se produire.

[32] Le fait que l’agent doit faire preuve de compassion, au titre de l’approche prévue dans la décision Chirwa et dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, ne signifie pas nécessairement que ces facteurs seraient pondérés en faveur de la demanderesse.

[33] Je ne partage pas l’avis de la demanderesse et je conclus que l’agent a fait preuve de compassion. L’agent a pris acte des difficultés auxquelles la demanderesse pourrait être confrontée à son retour, mais a conclu qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que sa famille immédiate (y compris son époux) la soutienne, puisqu’aucun élément de preuve n’allait dans le sens contraire. L’agent a exprimé de la sympathie au regard des difficultés antérieures éprouvées par l’employeur de la demanderesse pour trouver une personne qui pourrait lui prodiguer des soins appropriés, mais n’était pas convaincu que la preuve permettait de conclure qu’il ne serait pas en mesure de dénicher une aide familiale compétente au Canada.

[34] L’agent a montré de la compassion en reconnaissant les efforts déployés par la demanderesse dans le cadre de son emploi, ainsi que les difficultés auxquelles elle et son employeur pourraient se heurter. La demanderesse a affirmé que ce travail était ce qu’elle adorait faire et souligne encore les tribulations vécues par son employeur pour trouver une autre aide familiale compétente. La preuve dont le décideur disposait, y compris l’évaluation faite d’elle‑même par la demanderesse et son amour de son travail, ne rendait pas la décision de l’agent déraisonnable au vu de l’ensemble des circonstances et de la preuve objective.

[35] Je conviens avec la demanderesse que l’agent ne s’est pas penché sur certains éléments de preuve comme les lettres d’appui et son affidavit, mais il est de droit constant que le décideur n’a pas à renvoyer à chaque élément de preuve, puisqu’il est présumé avoir examiné et soupesé l’ensemble de la preuve versée au dossier (Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 943 au para 34; Jama c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 1459 au para 17.

[36] Il ressort clairement d’un examen de la preuve que la demanderesse joue un rôle important et prodigue à son patient des soins d’une qualité que les six aides familiales embauchées avant elle par la famille de M. S. n’avaient pas su fournir. Or, l’agent n’était pas persuadé que la preuve permettait de démontrer que M. S. ne serait pas en mesure de trouver au Canada une aide familiale compétente et compatissante qui pourrait prendre soin de lui. Comme l’a fait valoir le défendeur, bien qu’il puisse être ardu pour celui-ci de trouver une aide familiale qui corresponde exactement à ses exigences, rien dans la preuve versée au dossier ne permettait de montrer que seule la demanderesse possédait les aptitudes ou la formation particulières pour lui donner des soins. L’agent pouvait raisonnablement conclure que d’autres arrangements pouvaient être pris, au vu de l’accessibilité universelle aux soins dans le pays.

[37] Par conséquent, bien que je convienne que l’agent n’a pas expressément évalué la difficulté associée à cette question en particulier et que la décision est laconique à cet égard, je suis d’opinion que cette erreur ne rend pas l’ensemble de la décision déraisonnable. Je ne partage pas l’avis de la demanderesse voulant que la preuve contredise directement la conclusion de l’agent selon laquelle il serait possible de trouver une personne compétente et compatissante pour prodiguer des soins. Comme le souligne l’agent, malgré les difficultés inhérentes à la recherche d’une bonne aide familiale, plusieurs d’entre elles sont compétentes, vivent au Canada et sont en mesure de prodiguer des soins à M. S. Il n’est pas raisonnable de penser que parce que quelques aides familiales étaient médiocres, le Canada n’en compte aucune sur son sol qui soit compétente, ou que le pays serait dépourvu de centre médical disposé à venir en aide à M. S. Par conséquent, les difficultés associées à la recherche d’une bonne aide familiale n’éliminent pas la possibilité d’en trouver ultimement une qui soit apte, ou alors de mettre en place d’autres options en matière de soins.

VI. Conclusion

[38] Pour les motifs qui précèdent, la décision prise par l’agent de rejeter la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de la demanderesse constituait une issue raisonnable fondée sur la loi et étayée par la preuve. Selon la norme de la décision raisonnable, il suffit que la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Je suis d’avis que c’est le cas en l’espèce. À mon sens, l’agent a fait preuve de compassion durant l’examen de chacun des facteurs, mais la preuve objective versée au dossier ne permettait pas de le convaincre d’octroyer une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. L’article 25 prévoit un moyen de réparation exceptionnel, et l’agent a raisonnablement conclu que la demanderesse n’avait pas été en mesure de démontrer qu’une dispense devrait lui être accordée au titre de cette disposition.

[39] Par conséquent, je rejette la demande de contrôle judiciaire.

[40] Aucune question à certifier n’a été soulevée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1784-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1784-21

 

INTITULÉ :

NERISA MAY CAMPBELL-SERVICE c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 juillet 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 18 juillet 2022

 

COMPARUTIONS :

Christian Julien

 

POUR LA DEMANDERESSE

Rachel Hepburn Craig

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MAMANN, SANDALUK & KINGWELL LLP

Immigration Law Chambers

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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