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Date : 20220713


Dossier : IMM-1079-21

Référence : 2022 CF 1034

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 juillet 2022

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

TAMANA WAHEDI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Si un agent chargé de l’examen des risques avant renvoi [ERAR] évalue les risques auxquels un demandeur serait exposé en faisant référence au mauvais pays, sa décision sera déraisonnable. C’est ce qui est arrivé en l’espèce. Par conséquent, la demande sera accueillie. Il n’est pas nécessaire d’examiner les nombreux autres motifs soulevés en l’espèce.

[2] La demanderesse, Tamana Wahedi, est une citoyenne afghane. Elle a fui l’Afghanistan avec son père pour demander l’asile en Allemagne. Leurs demandes ont été accueillies de façon temporaire. Le statut de la demanderesse devait faire l’objet d’un examen chaque trois ans alors que celui de son père devait l’être annuellement.

[3] En janvier 2019, le père de la demanderesse l’a amenée au Canada sous prétexte de rendre visite à sa sœur. Des visas de visiteur ont été délivrés à la demanderesse et à son père.

[4] Après un séjour de six mois au Canada, le père de la demanderesse lui a annoncé qu’ils allaient demander l’asile au pays. Ils ont demandé l’asile en novembre 2019. On leur a demandé de présenter des éléments de preuve montrant qu’ils n’avaient pas de statut en Allemagne. Le consulat de l’Allemagne les a avisés que le statut du père était expiré, mais que la demanderesse avait encore un statut temporaire au pays jusqu’au 14 novembre 2020. Elle n’a pas été en mesure de demander l’asile au Canada parce qu’elle avait déjà été reconnue à titre de réfugiée en Allemagne.

[5] La demanderesse a présenté une demande d’ERAR en janvier 2020. Le 29 décembre 2020, l’agent a rendu une décision défavorable.

[6] Dans la décision relative à l’ERAR, l’agent a commencé par indiquer que la demanderesse est [traduction] « citoyenne de l’Afghanistan et [qu’]elle a le statut de réfugié au sens de la Convention en Allemagne ». Après avoir précisé les antécédents de la demanderesse en matière d’immigration au Canada, l’agent a écrit ce qui suit :

[traduction]
Comme la demanderesse a été acceptée à titre de réfugiée au sens de la Convention en Allemagne, le principe de non-refoulement s’applique. Elle pense qu’elle a peut-être perdu son statut en Allemagne. L’Allemagne constitue néanmoins l’unique pays de référence.

[7] La demanderesse a présenté des observations relatives au risque auquel elle serait exposée si elle retournait en Allemagne. L’agent a examiné ces observations. Il a conclu que la demanderesse n’avait pas établi [traduction] « qu’il existait davantage qu’une simple possibilité qu’elle soit persécutée » ou « qu’elle serait personnellement exposée au risque d’être soumise à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou de peines cruels et inusités » en Allemagne.

[8] Bien que la décision aurait peut-être été inattaquable si elle avait été rendue avant l’échéance du statut de la demanderesse en Allemagne, selon le dossier dont l’agent disposait, la décision faisant l’objet du contrôle a été rendue plus de six semaines après l’expiration de son statut.

[9] Le dossier comprend un courriel envoyé à l’ancien avocat de la demanderesse par un employé de la section juridique et consulaire du consulat général de la République fédérale d’Allemagne daté du 11 novembre 2019 et dont l’objet est le suivant : [traduction] « Validation du statut temporaire de M. et Mme Wahedi en Allemagne ». En voici les passages pertinents :

[traduction]
Tamana Wahedi :

Conformément à l’article 51 de la loi allemande relative au séjour des étrangers, le titre de résidence de Mme Tamana Wahedi est encore valide. Elle est toujours en possession d’un titre de voyage pour réfugiés valide délivré par les autorités allemandes, lequel vient à échéance le 14 novembre 2020.

Article 51

Résiliation de la résidence autorisée; validité continue des restrictions

(7) Lorsqu’une personne ayant droit à l’asile ou un étranger auquel l’Office fédéral des migrations et des réfugiés a, de façon incontestable, accordé le statut de réfugié quitte le territoire fédéral, le titre de résidence sera valide tant que la personne se trouve en possession d’un titre de voyage valide pour les réfugiés délivré par une autorité allemande. L’étranger n’aura aucun droit à l’égard du renouvellement d’un titre de résidence sur la foi de sa reconnaissance en tant que personne ayant droit à l’asile ou parce qu’il s’est vu accorder, de façon incontestable, le statut de réfugié par l’Office fédéral des migrations et des réfugiés s’il a quitté le territoire fédéral et que la compétence pour délivrer un titre de voyage est passée à un autre État.

[Non souligné dans l’original.]

[10] La demanderesse avait quitté l’Allemagne et se trouvait au Canada. Son statut temporaire en Allemagne ne venait pas à échéance pour autant qu’elle détienne un titre de voyage valide. Comme il est indiqué dans le courriel, son titre de voyage est venu à échéance le 14 novembre 2020. Le statut temporaire de la demanderesse en Allemagne a expiré le 14 novembre 2020, alors qu’elle se trouvait au Canada.

[11] Le défendeur soutient que le statut d’immigrant de la demanderesse constitue une nouvelle question n’ayant pas été dûment soulevée devant l’agent, et que celle-ci ne peut donc pas être soulevée devant la Cour. Il fait valoir qu’il incombait à la demanderesse d’indiquer son statut d’immigrant à l’agent.

[12] De manière quelque peu abusive, le défendeur attire aussi l’attention sur la nouvelle preuve présentée par la demanderesse, laquelle n’avait pas été portée à l’attention de l’agent, et dont le défendeur a contesté l’admissibilité. Je conviens que cette nouvelle preuve n’est pas admissible. Selon le défendeur, celle-ci laisse croire que le statut de la demanderesse pourrait ne pas avoir pris fin puisqu’elle est restée au Canada, en partie, afin de s’occuper de son père, ce qui constitue un motif de prorogation du statut. L’agent n’était pas saisi de cette question et la Cour n’en est pas dûment saisie (voir Henri c Canada (Procureur général), 2016 CAF 38 aux para 39-41).

[13] Je n’accepte pas l’observation du défendeur selon laquelle il s’agit d’une nouvelle question en litige.

[14] La preuve dont disposait l’agent indiquait que le statut de la demanderesse en Allemagne prendrait fin le 14 novembre 2020. Contrairement à ce que le défendeur a affirmé dans ses observations, cette information figurait clairement dans les observations de la demanderesse à l’appui de sa demande d’ERAR. Même si la demanderesse n’a pas traité longuement de cette question dans ses observations, elle a mentionné en termes clairs qu’il s’agissait de la date où son statut viendrait à échéance. Au moment où elle a présenté ses observations, la question de son statut en Allemagne avait peu d’importance, car celui-ci n’était pas encore échu. Cependant, les observations de la demanderesse à l’appui de sa demande d’ERAR contiennent de nombreux documents sur la situation en Afghanistan, qui laissent croire qu’elle s’attendait à ce que ces observations entrent en ligne de compte et soient examinées par l’agent si la décision n’était pas rendue au 14 novembre 2020. Dans la mesure où le statut de la demanderesse constitue une [traduction] « nouvelle » question, c’est uniquement le cas en raison du retard dans le prononcé de la décision.

[15] La demande est accueillie. Compte tenu du passage du temps et du changement dans sa situation, la demanderesse aura le droit de déposer d’autres observations avant que sa demande d’ERAR soit réexaminée.

[16] Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1079-21

LA COUR STATUE que la présente demande est accueillie, que la décision relative à l’ERAR est annulée, que la demande d’ERAR de la demanderesse sera tranchée par un autre agent, que la demanderesse est libre de présenter d’autres observations avant que sa demande soit tranchée, et qu’aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean-François Malo


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1079-21

INTITULÉ :

TAMANA WAHEDI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 AVRIL 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

DATE DES MOTIFS :

LE 13 juillet 2022

COMPARUTIONS :

Subuhi Siddiqui

POUR LA DEMANDERESSE

Stephen Jarvis

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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