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Date : 20220705


Dossier : IMM-6492-20

Référence : 2022 FC 990

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 juillet 2022

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

DADI TESFAYE BEYENE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, citoyen de l’Éthiopie, sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 30 novembre 2020 de la Section d’appel des réfugiés (la SAR), par laquelle celle‑ci a rejeté sa demande d’asile. Le demandeur prétend que la SAR a commis une erreur dans son analyse de la crédibilité et n’a pas pris en considération l’ensemble de la preuve.

[2] Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que la décision de la SAR était raisonnable, et, par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

I. Le contexte

[3] Le demandeur est un Oromo, de citoyenneté éthiopienne, et un ancien athlète professionnel. Il déclare qu’en 2016, la terre de sa famille a été saisie et donnée à l’un des dirigeants du Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien. Il n’a été laissé à sa famille qu’une petite parcelle de la terre.

[4] Le demandeur dit qu’en 2017, des forces de sécurité sont venues chez son père et lui ont ordonné de quitter les lieux. Quand il a refusé, sa famille a été mise en détention. Lorsque le demandeur est allé au poste de police, il a également été mis en détention. Il a été accusé d’être contre le gouvernement et a été battu. Il a aussi été accusé d’avoir des liens avec la diaspora oromo, et un autre athlète éthiopien, Ebisa Mergawho, a demandé l’asile au Canada.

[5] Le demandeur est arrivé au Canada le 21 novembre 2017 et a déposé une demande d’asile. Le 4 décembre 2017, sa femme, qui est toujours en Éthiopie, l’a informé qu’une sommation lui avait été remise, laquelle enjoignait au demandeur de se présenter à un bureau du service de sécurité.

A. La décision de la SAR faisant l’objet du contrôle

[6] Après que la Section de la protection des réfugiés (la SPR) eut rejeté sa demande, le demandeur a interjeté appel à la SAR. La question déterminante pour la SAR était la crédibilité.

[7] La SAR a jugé que la SPR s’était trompée dans certaines de ses conclusions relatives à la crédibilité, mais elle a souscrit à son appréciation générale de la crédibilité. Les conclusions défavorables en matière de crédibilité que la SAR a confirmées étaient les suivantes :

  • Le demandeur a fourni trois lettres à l’appui rédigées par des témoins, lesquelles contenaient la même erreur dans les dates de la détention du demandeur, soit qu’il avait été détenu du 3 ou 6 octobre au 11 octobre. En revanche, le demandeur a déclaré qu’il avait été détenu du 31 octobre au 7 novembre. La SAR a déclaré qu’il était « très improbable qu’ils aient tous fait la même erreur quant au moment où ils croyaient que la détention était survenue. […] Par conséquent, la SAR tire une importante conclusion défavorable quant à la crédibilité de l’appelant en tant que témoin et à ses allégations centrales et elle rejette l’ensemble des trois lettres en tant que preuve fiable des allégations centrales ».

  • L’exposé circonstancié du formulaire Fondement de la demande d’asile du demandeur et son témoignage de vive voix indiquaient qu’il avait sept frères et sœurs, mais sa demande de visa de résident temporaire (VRT) indiquait qu’il n’en avait que deux — un frère et une sœur. La SAR a remarqué que le demandeur avait beaucoup voyagé, donc que ce n’était pas une personne non avertie, et a rejeté l’explication selon laquelle c’était une erreur faite par son agent.

[8] La SAR a ensuite conclu que « l’appelant n’[était] pas un témoin crédible ou digne de foi ».

[9] Bien que la SAR ait conclu que la SPR avait commis une erreur en ne tenant pas compte de la sommation et qu’elle ait accordé « un poids favorable à la sommation en tant que preuve des allégations centrales », elle a jugé que cela n’avait pas surmonté les réserves concernant la crédibilité.

[10] Par conséquent, la SAR a rejeté l’appel.

II. Les questions en litige

[11] Le demandeur soulève les questions suivantes dans sa demande :

  1. La SAR a‑t-elle commis une erreur en rejetant l’appel, après avoir infirmé la plupart des conclusions de la SPR relatives à la crédibilité?

  2. La SAR a-t-elle omis de tenir compte de l’ensemble de la preuve?

III. La norme de contrôle

[12] Les parties sont d’accord sur le fait que la norme de contrôle applicable à ces questions est le caractère raisonnable de la décision.

[13] Lors du contrôle d’une décision en fonction de la norme du caractère raisonnable, la Cour doit déterminer si la décision est justifiée, transparente et intelligible (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 99). De plus, « [l]e caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte »; cependant, ce n’est pas le rôle des cours de révision d’apprécier à nouveau la preuve dont disposait le décideur (Vavilov, aux paras 125, 126).

IV. Analyse

A. La SAR a‑t-elle commis une erreur en rejetant l’appel, après avoir infirmé la plupart des conclusions de la SPR relatives à la crédibilité?

[14] La SAR a infirmé nombre de conclusions de la SPR relatives à la crédibilité, et le demandeur prétend que les deux conclusions défavorables restantes de la SAR en cette matière ne suffisent pas pour appuyer une conclusion d’un manque général de crédibilité.

(1) Les lettres à l’appui

[15] En ce qui concerne les lettres à l’appui, le demandeur affirme qu’il était déraisonnable, de la part de la SAR, de conclure que le demandeur n’était pas crédible en se fondant sur le fait qu’il a été jugé que les lettres à l’appui écrites par des tiers n’étaient pas fiables. Le demandeur s’appuie sur l’arrêt Tung c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 292 (CAF) [Tung], et la décision Levtchenko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1260 (CF) [Levtchenko].

[16] Dans l’arrêt Tung, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit : « Je ne vois rien dans ce qu’a dit la Commission en rendant sa décision qui indique qu’elle ait nié expressément ou implicitement la crédibilité de l’appelant en tant que témoin dans sa propre cause. » Cependant, ce n’est pas le cas en l’espèce, où la SAR a fourni une explication détaillée des motifs pour juger le demandeur non crédible. En d’autres termes, la SAR n’a pas fondé sa conclusion quant à la crédibilité uniquement sur les lettres à l’appui.

[17] De même, la décision Levtchenko n’est d’aucune aide au demandeur. Dans cette affaire, le tribunal avait déclaré qu’il croyait que les demandeurs s’étaient « inventé une histoire où il [était] question de persécution », sans expliquer pourquoi il avait préféré la preuve documentaire aux témoignages des demandeurs (au para 2). Dans le cas présent, cependant, la SAR a expliqué ses conclusions défavorables quant à la crédibilité du demandeur et a expliqué les motifs du rejet des lettres à l’appui, ainsi que ses motifs pour rejeter les explications du demandeur sur les incohérences.

[18] La SAR a soupesé la preuve fournie par le demandeur et a remarqué des incohérences notables. La SAR a conclu que les lettres à l’appui n’allaient pas dans le sens du demandeur. Elle a conclu de manière raisonnable que les lettres à l’appui fournies par le demandeur même n’étaient pas cohérentes sur les dates de la détention.

[19] Dans l’ensemble, la SAR a fourni une explication raisonnable à son rejet des lettres à l’appui.

(2) Le VRT

[20] Le demandeur avance également que l’erreur dans sa demande de VRT n’est pas centrale à sa demande, et donc ne peut servir à étayer une conclusion selon laquelle il n’est pas crédible; il cite à cet effet l’arrêt MM c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 1110 (CAF) [MM].

[21] Dans l’arrêt MM, la Cour d’appel fédérale a remarqué que le tribunal avait tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité à cause d’incohérences qui n’étaient pas centrales à la demande. Dans cette affaire, le tribunal avait accepté le fait que l’appelante avait été détenue, maltraitée par des soldats, qu’elle avait une peur subjective d’être persécutée et que l’armée indienne avait visité sa maison régulièrement. Compte tenu de cela et du fait que le tribunal n’avait pas conclu à une absence totale de crédibilité, mais n’avait pas tenu compte de points importants de sa cause, la Cour d’appel a déclaré que l’appelante était une réfugiée au sens de la Convention. La présente affaire est distincte sur le plan factuel.

[22] En l’espèce, le demandeur a déclaré, lors de son témoignage à l’audience de la SPR, que son père, sa belle-mère et deux de ses frères avaient été arrêtés. Cependant, sur sa demande de VRT, le demandeur a seulement indiqué qu’il avait un frère et une sœur. Étant donné que l’arrestation du demandeur et des membres de sa famille était la raison principale de la demande d’asile du demandeur, il fut raisonnable pour la SAR de s’appuyer sur les incohérences dans la demande de VRT du demandeur pour tirer une conclusion sur la crédibilité. Ce facteur ne peut être qualifié d’aspect accessoire ou non important de la demande du demandeur.

B. La SAR a-t-elle omis de tenir compte de l’ensemble de la preuve?

[23] Le demandeur prétend que la SAR n’a pas fait son travail d’appréciation de sa demande, parce qu’elle n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve et, en particulier, parce qu’elle n’a pas pris en considération les liens du demandeur avec Ebisa Merga ni l’émission d’une sommation par la police. Le demandeur s’appuie sur la décision Ahangaran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 8128, pour prétendre que le fait de ne pas prendre en compte la totalité de la preuve constitue une erreur de droit.

[24] Bien que le demandeur se réfère à un « affidavit » d’Ebisa Merga, le document n’en est pas un, mais plutôt une lettre manuscrite. La lettre se borne à énoncer que le demandeur a dit à Ebisa Merga qu’il avait été détenu. Une note manuscrite qui répète ce que le demandeur a dit à l’auteur n’est pas d’une importance telle que la SAR doive la mentionner spécifiquement (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 au para 17).

[25] La sommation de la police indique que le demandeur est accusé de diffamation; cependant, une allégation de diffamation ne peut appuyer la prétention du demandeur selon laquelle il court le risque d’être persécuté. Dans tous les cas, la SAR a explicitement pris la sommation en considération, mais a conclu que la sommation seule n’était pas suffisante pour remettre en cause les conclusions relatives à la crédibilité.

V. Conclusion

[26] La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée, parce que la décision de la SAR est raisonnable. Il n’y a pas de question en vue de la certification.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-6492-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B., juriste‑traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

 

IMM-6492-20

INTITULÉ :

DADI TESFAYE BEYENE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 JUIN 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 5 JUILLET 2022

 

COMPARUTIONS :

Daniel Tilahun Kebede

Pour le demandeur

 

Lorne McClenaghan

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Daniel Tilahun Kebede

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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