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Date : 20220622


Dossier : IMM-4877-20

Référence : 2022 CF 941

Ottawa (Ontario), le 22 juin 2022

En présence de l'honorable madame la juge Rochester

ENTRE :

TONFACK EPSE MBOUNA, GEORGETTE

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse, Georgette Tonfack Epse Mbouna, sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 4 août 2020 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR], qui avait conclu que la demanderesse n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I. Contexte

[3] La demanderesse est une citoyenne du Cameroun. Elle demande à être protégée de sa belle-famille et de la deuxième épouse de son mari, qui l’ont accusée de pratiquer la sorcellerie. La SPR a conclu que la demanderesse n’était pas crédible et n’avait pas démontré l’existence d’une crainte subjective.

[4] Dans sa décision, la SAR a admis deux (2) des huit (8) nouveaux documents présentés par la demanderesse à titre de nouveaux éléments de preuve. La demanderesse a demandé la tenue d’une audience au titre du paragraphe 110(6) de la LIPR, qui a été refusée par la SAR. Cette dernière a jugé que la SPR avait eu raison de conclure que la demanderesse n’avait pas établi de façon crédible, selon la prépondérance des possibilités, le bien-fondé de sa demande. Elle a aussi conclu que la demanderesse n’avait pas été privée de son droit à une audience équitable suivant un échange tendu lors de l’audience entre l’avocat de la demanderesse et la SPR.

[5] La demanderesse fait valoir que la SAR a commis les erreurs susceptibles de contrôle suivantes : i) la SAR a eu tort de ne pas tenir d’audience au titre du paragraphe 110(6) de la LIPR, et ii) la SAR a omis d’appliquer les Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe [Directives].

[6] Le défendeur fait valoir que la SAR a établi de façon raisonnable que les nouveaux éléments de preuve ne respectaient pas les critères prévus au paragraphe 110(6) de la LIPR. En ce qui concerne les Directives, le défendeur soutient que la demanderesse n’a pas expliqué de quelle manière elles ont été écartées et, quoi qu’il en soit, qu’il n’y a eu aucune allégation crédible fondée sur le sexe de la demanderesse.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[7] La demanderesse a soulevé deux (2) questions, que je reformule ainsi :

  1. La SAR a-t-elle eu tort de décider de ne pas tenir une audience au titre du paragraphe 110(6) de la LIPR?

  2. La SAR a-t-elle commis une erreur en omettant d’appliquer les Directives?

[8] Après avoir examiné le dossier et les observations des avocats, je conclus que les questions soulevées par la demanderesse sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[9] Pour être raisonnable, une décision doit être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 85). Il incombe à la demanderesse, la partie qui conteste la décision, de démontrer le caractère déraisonnable de la décision de la SAR (Vavilov au para 100). Pour pouvoir intervenir, la cour de révision doit être convaincue par la partie contestant la décision que celle-ci « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence », et que ces lacunes ou insuffisances reprochées « ne [sont] pas [...] simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision » (Vavilov au para 100). Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur ». La cour de révision doit juste être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient » (Vavilov aux para 102, 104).

III. Analyse

A. La SAR a eu raison de décider de ne pas tenir une audience

[10] La demanderesse soutient que la SAR a eu tort de refuser de tenir une audience. La demanderesse souligne que, même si, dans sa décision, la SAR a examiné la question de savoir si les nouveaux documents admis respectaient les critères prévus au paragraphe 110(6) de la LIPR, elle n’a pas expliqué pourquoi elle a conclu que les critères n’avaient pas été respectés. La demanderesse soutient que les documents traitent de la crédibilité et auraient dû donner lieu à la tenue d’une audience. Elle mentionne également que, lors de l’audience devant la SPR, l’atmosphère était tendue et lui a causé beaucoup de stress, ce qui milite en faveur de la tenue d’une audience. De plus, elle fait valoir que la SAR a adopté une attitude hostile dans le cadre de son analyse des nouveaux documents.

[11] Le défendeur soutient que les critères prévus au paragraphe 110(6) de la LIPR n’ont pas été respectés et que la demanderesse n’a fourni aucun argument démontrant que les nouveaux éléments de preuve respectaient les critères. Il ajoute que les points soulevés par la demanderesse, c’est-à-dire l’atmosphère tendue à l’audience devant la SPR et l’allégation selon laquelle les éléments de preuve ont été examinés dans une intention hostile, ne traitent pas des critères prévus au paragraphe 110(6) de la LIPR.

[12] Selon le paragraphe 110(3) de la LIPR, la SAR doit procéder sans tenir d’audience, sauf dans certaines circonstances. Le paragraphe 110(6) de la LIPR prévoit que la SAR peut tenir une audience si de nouveaux éléments de preuve a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause; b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile; et c) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas. La décision quant à la tenue d’une audience repose sur l’appréciation par la SAR de la question de savoir si les critères énoncés au paragraphe 110(6) de la LIPR sont remplis et, dans l’affirmative, si la SAR devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de tenir une audience (Elmi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 296 au para 44).

[13] La SPR a axé sa décision sur quatre (4) éléments du témoignage de la demanderesse et a conclu que celle-ci n’était pas crédible : l’omission et les contradictions concernant ses filles et les adresses où elle a vécu, les raisons pour lesquelles elle n’a pas déposé sa convocation de la police et celles pour lesquelles elle n’a pas prolongé son visa de visiteur. Les nouveaux éléments de preuve admis par la SAR, soit un affidavit de sa fille Ermine et une lettre de sa fille Francine, n’abordaient pas directement les questions de crédibilité dont la SPR a traitées. En outre, après avoir examiné les documents, j’estime qu’il n’était pas déraisonnable de la part de la SAR d’avoir conclu qu’ils ne soulevaient aucune question importante en ce qui concerne la crédibilité de la demanderesse, qu’ils n’étaient pas essentiels pour la prise de la décision et qu’ils ne justifieraient pas que la demande soit accordée ou refusée, à supposer qu’ils soient admis.

[14] En ce qui a trait aux observations de la demanderesse selon lesquelles l’atmosphère était tendue à l’audience devant la SPR et que la SAR aurait donc dû tenir une audience, je n’y souscris pas. Premièrement, il ne s’agit pas de l’un des critères prévus au paragraphe 110(6) de la LIPR. Deuxièmement, cette question a été invoquée à titre de question de justice naturelle à l’audience devant la SAR, où la demanderesse a fait valoir que l’échange entre son avocat et le membre de la SPR au sujet des éléments de preuve présentés tardivement lui avait causé un stress aigu et l’avait privée d’une audience équitable. La SAR a examiné cette question en détail dans sa décision et a conclu que la SPR avait géré efficacement la situation en calmant l’avocat de la demanderesse, en expliquant la situation à celle-ci, en acceptant tous les éléments de preuve présentés tardivement, et en demandant à la demanderesse si elle voulait faire une pause et si elle allait bien. La SAR a fait remarquer que la demanderesse était une grand-mère relativement âgée et peu instruite qui n’a jamais travaillé, et s’est demandé si, pendant l’audience, ses déclarations ou son comportement avaient montré qu’elle était en détresse ou qu’elle n’était pas en mesure de poursuivre l’audience. La SAR a jugé que ce n’était pas le cas et qu’aucun élément de preuve n’avait été présenté à l’appui de l’allégation de la demanderesse selon laquelle le stress l’avait empêchée de répondre adéquatement aux questions de la SPR.

[15] Je conclus donc que la demanderesse n’a pas réussi à relever d’erreur susceptible de contrôle dans la décision de la SAR de ne pas tenir d’audience.

B. La SAR n’a pas omis d’appliquer les Directives

[16] La demanderesse soutient que la SAR a omis d’appliquer les Directives. Elle soutient qu’il n’a aucunement été fait mention des Directives dans la décision et que la SPR et la SAR n’ont pas respecté la lettre et l’esprit de celles-ci. Elle fait valoir que les Directives auraient dû être prises en compte dans le cadre de l’analyse de sa crédibilité.

[17] Le défendeur fait valoir que la demanderesse a omis de préciser ce qui n’a pas été pris en compte dans les Directives ou ce qui aurait été différent. Il soutient que de nombreuses conclusions en matière de crédibilité n’ont pas été contestées et que les Directives ne peuvent pas pallier les conclusions de la SPR et de la SAR quant au manque de crédibilité. Le défendeur affirme que, quoi qu’il en soit, les Directives n’ont pas été invoquées par la demanderesse et que les motifs de la SAR répondaient à ses soumissions.

[18] Les Directives servent à garantir que les revendications fondées sur le sexe sont entendues avec sensibilité (Munoz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1273 au para 33 [Munoz]). Ma collègue la juge Jocelyne Gagné a résumé l’application des Directives dans le contexte d’un contrôle judiciaire dans la décision Boluka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 37 :

[16] La demanderesse doit démontrer que la SPR a manqué de sensibilité ou de compassion pour convaincre la Cour que les Directives n’ont pas été appliquées (Sandoval Mares c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 297, au paragraphe 43). De plus, la Cour a déjà conclu que le fait que la SPR ne mentionne pas expressément les Directives dans ses motifs ne révèle pas, en soi, l’insensibilité de la SPR (Akinbinu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 581) et que le défaut de prendre en compte les Directives ne porte pas toujours un coup fatal à une décision (Higbogun, précitée, au paragraphe 65).

[19] Notre Cour a établi que les Directives ne sauraient racheter le manque de crédibilité de la preuve d’un demandeur (Iqbal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1338 au para 40 [Iqbal]; Munoz aux para 31, 33). L’« esprit » des Directives peut être suivi par l’entremise de l’écoute active (Iqbal ibid; Munoz au para 33).

[20] La demanderesse souligne son profil personnel comme veuve peu instruite, et comme mère et grand-mère vulnérable dans la société camerounaise qui n’a jamais travaillé et qui a été femme au foyer toute sa vie. Elle affirme qu’elle a été insultée par la famille de la deuxième épouse de son mari et que, à la suite du décès du mari, elle a été accusée de pratiquer la sorcellerie et a été battue. À part affirmer que le fait que les Directives n’aient pas été prises en compte a influé les conclusions en matière de crédibilité de la SPR et de la SAR, la demanderesse ne souligne pas de manque de compréhension ou d’insensibilité en raison de son sexe ou la manière dont la demande a pu être affectée. Je conviens avec le défendeur que la demanderesse n’a pas expliqué comment les conclusions en matière de crédibilité auraient différé si les Directives avaient été prises en compte.

[21] Après avoir examiné la transcription, je remarque que la SPR a été sensible à l’état de la demanderesse et a suivi l’« esprit » des Directives grâce à son écoute active. La SAR a expressément souligné le profil de la demanderesse et a examiné en détail la possibilité de détresse lors de l’audience de la SPR, mais a finalement conclu que les incohérences, les omissions, le dépôt de documents non authentiques et le comportement de la demanderesse ne traduisaient pas un risque de préjudice ou une crainte de persécution et ont milité en faveur des conclusions défavorables en matière de crédibilité. La SAR a expliqué, en termes clairs et intelligibles, les raisons pour lesquelles elle a conclu que la demanderesse n’était pas crédible.

[22] Les Directives visent à garantir que les revendications fondées sur le sexe sont instruites avec compassion et sensibilité. Rien en l’espèce n’indique que cela n’a pas été le cas. Au contraire, même si la SAR a conclu que la demanderesse manquait de crédibilité, je suis convaincue qu’elle a respecté la lettre et l’esprit des Directives dans la présente affaire. Autrement dit, la demanderesse n’a pas réussi à me convaincre que la SAR a manqué de compassion ou de sensibilité dans son examen de la preuve.

IV. Conclusion

[23] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question grave de portée générale à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4877-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est rejetée; et

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Vanessa Rochester »

Blanc

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4877-20

INTITULÉ :

TONFACK EPSE MBOUNA, GEORGETTE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 FÉVRIER 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROCHESTER

DATE DES MOTIFS :

le 22 juin 2022

COMPARUTIONS :

Alexander Abotsi

POUR LA DEMANDERESSE

Claudia Gagnon

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alexander Abotsi, avocat

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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