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Date : 20220629


Dossier : T-126-21

Référence : 2022 CF 969

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 juin 2022

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

CRAIG MCCALLUM, LAURA BIRD,

JESSICA IRON à titre de tutrice à l’instance pour JESSE IRON, LLOYD YEW,

NYDEN IRONNIGHTTRAVELLER et RONIN IRON

demandeurs

et

PREMIÈRE NATION CRIE DE CANOE LAKE, CHEF FRANCIS IRON,

WALTER COULINEUR, BERNICE IRON, LENNY IRON,

LORNE IRON, WILFRED IRON ET ROBERT OPIKOKEW

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs, par voie de contrôle judiciaire, contestent une décision du chef et du conseil de la Première Nation crie de Canoe Lake (PNCCL) d’utiliser un code d’appartenance qui empêche les demandeurs, et bien d’autres, de se porter candidats à des élections ou de voter lors d’une élection tenue le 16 décembre 2020 [l’Élection de 2020]. Les demandeurs introduisent également une demande en vertu de l’article 31 de la Loi sur les élections au sein de premières nations, LC 2014, c 5 [la LEPN], afin de contester l’élection du chef et des conseillers et d’obtenir l’invalidation des Élections de 2020. Subsidiairement, ils demandent une déclaration selon laquelle le Code d’appartenance en litige est inconstitutionnel.

Contexte

[2] Il est nécessaire de fournir des renseignements généraux afin de bien situer les questions dont la Cour est maintenant saisie.

[3] En 1985, des modifications ont été apportées à la Loi sur les Indiens, LRC (1985), c I-5, qui permettait aux bandes indiennes de contrôler leur propre appartenance en adoptant leurs propres codes d’appartenance. Plus particulièrement, l’article 10 dispose comme suit :

10(1) La bande peut décider de l’appartenance à ses effectifs si elle en fixe les règles par écrit conformément au présent article et si, après qu’elle a donné un avis convenable de son intention de décider de cette appartenance, elle y est autorisée par la majorité de ses électeurs.

[4] Le paragraphe 10(6) énonce qu’une fois remplies les conditions du paragraphe (1), le conseil de la bande, avise par écrit le ministre du fait que celle-ci décide désormais de l’appartenance à ses effectifs et lui transmet le texte des règles d’appartenance. Le paragraphe 10(7) énonce que sur réception de l’avis du conseil de bande, le ministre, s’il constate que les conditions prévues sont remplies, avise la bande qu’elle décide désormais de l’appartenance à ses effectifs.

[5] Le ou vers le 17 juin 1987, la PNCCL a assumé la responsabilité de son appartenance à une bande visée par l’article 10 de la Loi sur les Indiens le 17 juin 1987 et a promulgué le Code d’appartenance à une bande indienne de Canoe Lake [le Code d’appartenance de 1987]. Les parties conviennent que le Canada reconnaît la PNCCL comme une bande visée par l’article 10 régie par la LEPN. En fait, la PNCCL est inscrite à l’annexe de cette loi à titre de Première Nation participante.

[6] Le Code d’appartenance de 1987 comprend ce qui suit :

[traduction]

ATTENDU que la Bande indienne de Canoe Lake souhaite assumer la responsabilité de son appartenance, les dispositions suivantes constituent un Code d’appartenance pour l’établissement et la tenue à jour de la liste de bande.

1) Sauf indication contraire, les définitions prévues dans la Loi sur les Indiens, 1970 c 1-6, dans sa version modifiée, s’appliquent à ce Code. « Conseil tribal de Meadow Lake » S’entend de l’organisme constitué en personne morale sous le régime des lois de la Saskatchewan pour représenter dix (10) bandes membres.

2) Le Code d’appartenance peut être modifié ou abrogé par une majorité d’électeurs sur préavis d’un mois aux électeurs.

3) Le chef et le conseil déterminent l’appartenance en vertu des dispositions du présent Code.

4) Le chef et le conseil peuvent nommer des personnes pour aider à l’administration du Code, ainsi qu’à l’inscription et à la tenue à jour de la liste de bande.

5) Les décisions relatives à l’appartenance prises au sein de la bande seront assujetties à une décision par le Tribunal d’appartenance qui sera mis sur pied par le conseil tribal de Meadow Lake. Le Tribunal d’appartenance sera composé d’au moins trois personnes qui peuvent être nommées de temps à autre. Le Tribunal d’appartenance sera composé d’au moins trois personnes qui ont été consignées dans l’une ou l’autre des listes de bandes des bandes membres représentées par le conseil tribal de Meadow Lake et qui connaissent les coutumes et les valeurs de toutes les bandes membres. Le Tribunal d’appartenance aura le pouvoir d’enquêter et de confirmer, de suspendre ou d’annuler les décisions relatives à l’appartenance.

6) Une demande d’examen d’une décision relative à l’appartenance par le Tribunal d’appartenance peut être présentée par le conseil de la bande, par tout membre de la bande ou par la personne à l’égard de laquelle la demande d’examen est présentée ou par son représentant dans un délai d’un mois suivant la décision rendue en vertu de l’article 3.

7) À partir de la date d’entrée en vigueur du présent Code, une personne a le droit de faire consigner son nom dans la liste de bande si elle remplit une des conditions suivantes :

a) cette personne a été consignée dans la liste de bande ou avait le droit d’être consignée dans la liste de bande immédiatement avant l’entrée en vigueur du présent Code;

b) ses deux parents ont été consignés ou avaient le droit d’être consignés dans la liste de bande;

c) l’un de ses parents est ou a été consigné dans la liste de bande et l’autre parent est ou a été consigné dans la liste de bande d’une autre bande;

[…]

LE PRÉSENT CODE D’APPARTENANCE a été approuvé le 17 juin 1987 par la Bande indienne de Canoe Lake.

[7] Les parties reconnaissent que le Code d’appartenance de 1987 est problématique. Les critères d’appartenance prévus au Code sont fondés sur les dispositions de la Loi sur les Indiens, telles qu’elles existaient à la suite de modifications apportées à la Loi en 1985, dont les dispositions ont été jugées ne pas être conformes à la Charte canadienne des droits et libertés [la Charte] parce qu’elles perpétuaient la discrimination (voir McIvor v Canada (Registrar of Indian and Northern Affairs), 2009 BCCA 153 [McIvor] aux para 117 et 151; Descheneaux c Canada (Procureur Général), 2015 QCCS 3555 [Descheneaux] aux para 155, 171, 217 et 218). Selon l’essentiel de la discrimination déterminé dans l’arrêt McIvor et la décision Descheneaux, les modifications de 1985 apportées à la Loi sur les Indiens perpétuaient l’avantage de ceux qui ont obtenu le statut d’Indien par l’intermédiaire d’ancêtres masculins, plutôt que par l’intermédiaire d’ancêtres féminins (McIvor aux para 93, 111, 112, 122, et 154 à 156; Descheneaux aux para 133, 134, 149 à 155, et 167 à 171). Les modifications apportées à la Loi sur les Indiens à la suite de l’adoption du Code d’appartenance de 1987, adoptées en réponse à l’arrêt McIvor et à la décision Descheneaux, ont élargi l’admissibilité au statut d’Indien.

[8] Apparemment, en reconnaissance de ces décisions et de ces modifications législatives, le 15 juin 2016, la PNCCL a tenu un référendum [le Référendum de 2016] afin de décider d’abroger le Code d’appartenance de 1987 et de le remplacer par le Code d’appartenance de la Première Nation crie de Canoe Lake [le Code d’appartenance de 2016]. Un rapport de ratification [le Rapport de ratification] indique que le nombre total de membres de la bande est de 2 356, que le nombre total d’électeurs admissibles est de 679, que le nombre de bulletins de vote déposés et comptés est de 216 : dont 174 votent en faveur de la ratification et 42 votent contre. Le Rapport de ratification énonce ce qui suit :

[traduction]

L’approbation de la loi exige une ratification minimale de 50 % plus 1 du total des électeurs admissibles lors d’une réunion dûment convoquée particulièrement à cette fin.

[9] La validité du vote de ratification n’a pas été remise en question à ce moment-là et il est généralement admis que Mme Clarabelle Opikokew, l’agente de ratification nommée, ainsi que le chef et le conseil et les membres de la PNCCL estiment que le vote de ratification avait été adopté. À la suite du Référendum de 2016, des efforts ont été déployés pour que les membres de la communauté de la PNCCL présentent une demande d’appartenance en vertu des critères élargis du Code d’appartenance de 2016.

[10] Toutefois, pour des raisons qui ne sont pas évidentes à partir du dossier dont je suis saisi, lorsque les prochaines élections ont eu lieu en décembre 2016 [les Élections de 2016], il semble que la détermination de l’appartenance à la bande et, par conséquent, la capacité de se porter candidats et de voter, étaient régies par l’application du Code d’appartenance de 1987 plus restrictif.

[11] Au cours de la période précédant les Élections de 2020, on a découvert que le Code d’appartenance de 1987 et non le Code d’appartenance de 2016 serait utilisé pour générer la liste des électeurs pour les Élections de 2020. Monsieur Craig McCallum a cherché à se porter candidat au poste de chef dans le cadre des Élections de 2020. Il est un des demandeurs et a déposé deux affidavits à l’appui de la présente instance. Il affirme que le 28 octobre 2020, avant les Élections de 2020, il a rencontré Mme Opikokew (Mme Opikokew était alors la commis à l’appartenance). Mme Opikokew l’a informé que le Code d’appartenance de 1987 était encore utilisé pour déterminer l’appartenance. Selon M. McCallum, Mme Opikokew l’a informé que même si le vote de ratification tenu en 2016 a été adopté, abrogeant le Code d’appartenance de 1987 et adoptant le Code d’appartenance de 2016, elle n’a jamais reçu une directive du chef et du conseil de mettre en œuvre la nouvelle loi ou d’appliquer le Code d’appartenance de 2016. Comme je l’examinerai plus loin, aucune des parties n’a présenté un témoignage émanant de Mme Opikokew.

[12] Cela signifie que, même si la PNCCL comptait environ 2 600 personnes ayant le statut d’Indien inscrit, dont environ 1 900 sont âgées de plus de 18 ans et sont donc en âge de voter, en appliquant le Code d’appartenance de 1987, seulement environ 700 de ces personnes pouvaient voir leur nom inscrit à la liste des électeurs leur donnant le droit de se porter candidats à des élections et de voter au cours des Élections de 2020. Les demandeurs (autre que Nyden Ironnighttraveller) faisaient partie des personnes qui n’étaient pas inscrites à la liste des électeurs.

[13] Le 3 novembre 2020, l’avocat de M. McCallum a écrit au chef Francis Iron pour expliquer la raison pour laquelle M. McCallum estimait son nom devrait figurer à la liste des électeurs et pour demander qu’il soit ajouté à cette liste. Cette lettre est demeurée sans réponse. Les membres de la communauté concernés ont ensuite organisé une réunion avec le chef et le conseil pour discuter de la question, réunion qui devait avoir lieu le 6 novembre 2020. Toutefois, à l’heure convenue de la réunion, le chef et le conseil n’étaient pas en chambre. Lorsqu’il a été découvert qu’ils étaient à une réunion de Kohkums, Moshoms et Chapans, un conseil d’aînés qui donne des conseils et des directives au chef et au conseil (Aînés), les membres de la communauté ont assisté à cette réunion. Les Aînés leur ont accordé la parole pour discuter de la question et le chef Francis Iron a également abordé la préoccupation. Les demandeurs allèguent que, avec l’approbation des Aînés, le chef Francis Iron s’est engagé à mettre en œuvre le Code d’appartenance de 2016 et d’utiliser une nouvelle liste des électeurs générée conformément aux critères d’appartenance du Code d’appartenance de 2016. À l’inverse, dans sa preuve par affidavit, le chef Iron affirme qu’il n’avait accepté que d’examiner la question et de présenter un compte rendu à la communauté quant à savoir si le Code d’appartenance de 2016 devrait être utilisé. Ce soir-là, Mme Opikokew a publié sur Facebook que la liste des électeurs avait été mise à jour (afin de tenir compte des critères d’appartenance du Code d’appartenance de 2016). La preuve par affidavit de M. McCallum selon laquelle le chef Francis Iron lui a ensuite ordonné de retirer la publication n’est pas contestée et, en contre-interrogatoire relatif à son affidavit, le chef Iron a reconnu qu’il avait ordonné à Mme Opikokew de retirer la publication de Facebook afin qu’il puisse obtenir des conseils juridiques et consulter les membres.

[14] Le 9 novembre 2020, Mme Judith Iron, une demanderesse en l’espèce, a présenté une demande au Conseil tribal de Meadow Lake [le CTML], dont une copie conforme a été envoyée à d’autres, y compris le chef et le conseil du CTML. Elle a exposé le contexte de la situation et a déclaré que les Aînés avaient approuvé la mise à jour de la liste des électeurs, mais que le chef Francis Iron avait par la suite ordonné à Mme Opikokew de retirer sa publication dans Facebook indiquant qu’une mise à jour de la liste des électeurs avait été préparée. Mme Iron a demandé un examen par le CTML de la décision d’utiliser le Code d’appartenance de 1987. Mme Iron déclare qu’elle n’a reçu aucune réponse à sa demande. Selon le témoignage du chef Francis Iron, il n’avait pas reçu la lettre.

[15] Le 11 novembre 2020, le chef Francis Iron a publié une note de service à l’intention des membres de la PNCCL datée du 11 novembre 2020, déclarant ce qui suit :

[traduction]

Une réunion a été tenue le vendredi 6 novembre 2020 avec le groupe KMC et d’autres membres de la bande. Au cours de cette réunion, la liste des électeurs admissibles a été discutée, ainsi qu’une demande d’élargir le statut de vote aux membres de la bande qui ne figurent pas actuellement sur la liste. Lors de cette réunion, j’ai déclaré que la liste ferait l’objet d’un examen et que la question serait traitée en conséquence. Il n’y a eu, en aucun temps, des promesses d’élargir cette liste sans respecter les procédures appropriées. Depuis la réunion, nous avons reçu un avis principal d’un groupe juridique concernant le code d’appartenance.

[16] Le chef Iron a coupé et collé dans la note de service une communication reçue de monsieur Dusty T. Ernewein de McKercher LLP répondant aux appels téléphoniques du chef Iron. Cette communication indique que la disposition de modification du Code d’appartenance de 1987 énonce que la modification peut être apportée après l’approbation de la majorité des électeurs de la PNCCL. Les résultats du Référendum indiquaient qu’il y avait 679 électeurs admissibles à l’égard du Référendum. Par conséquent, une majorité aurait été 340 votes en faveur de la modification. Toutefois, seulement 216 votes ont été déposés, dont 174 étaient en faveur de la modification. L’avocat a conclu que [traduction] « le vote référendaire semble ne pas avoir satisfait aux exigences de modification de l’approbation par la majorité des électeurs. Par conséquent, le Code de 1987 demeurerait une loi ».

[17] Le chef Iron a ensuite déclaré ce qui suit dans la note de service :

[traduction]

En ce qui concerne notre code d’appartenance actuel, il doit être mis au point au moyen d’une consultation approfondie et des commentaires de tous les membres de la bande. Malheureusement, ce problème devra être corrigé après les prochaines élections par les dirigeants élus. Je vous présente mes sincères excuses de toute erreur de communication ou de désinformation qui auraient pu être reçues.

[18] Les Élections de 2020 se sont déroulées en fonction de la liste des électeurs qui a été générée selon les critères d’appartenance prévus dans le Code d’appartenance de 1987 et qui excluait les demandeurs et plus d’un millier d’autres membres de la communauté de la PNCCL. Le rapport du président d’élection indique qu’il y avait 722 électeurs admissibles.

Dispositions législatives pertinentes

Loi sur les Indiens, LRC (1985) c I-5

2 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

liste de bande Liste de personnes tenue en vertu de l’article 8 par une bande ou au ministère.

[…]

membre d’une bandePersonne dont le nom apparaît sur une liste de bande ou qui a droit à ce que son nom y figure.

[…]

Listes de bande

8 Est tenue conformément à la présente loi la liste de chaque bande où est consigné le nom de chaque personne qui en est membre.

[…]

10 (1) La bande peut décider de l’appartenance à ses effectifs si elle en fixe les règles par écrit conformément au présent article et si, après qu’elle a donné un avis convenable de son intention de décider de cette appartenance, elle y est autorisée par la majorité de ses électeurs.

Règles d’appartenance

(2) La bande peut, avec l’autorisation de la majorité de ses électeurs :

a) après avoir donné un avis convenable de son intention de ce faire, fixer les règles d’appartenance à ses effectifs;

b) prévoir une procédure de révision des décisions portant sur l’appartenance à ses effectifs.

Statut administratif sur l’autorisation requise

(3) Lorsque le conseil d’une bande prend, en vertu de l’alinéa 81(1)p.4), un règlement administratif mettant en vigueur le présent paragraphe à l’égard de la bande, l’autorisation requise en vertu des paragraphes (1) et (2) doit être donnée par la majorité des membres de la bande âgés d’au moins dix-huit ans.

Droits acquis

(4) Les règles d’appartenance fixées par une bande en vertu du présent article ne peuvent priver quiconque avait droit à ce que son nom soit consigné dans la liste de bande avant leur établissement du droit à ce que son nom y soit consigné en raison uniquement d’un fait ou d’une mesure antérieurs à leur prise d’effet.

Idem

(5) Il demeure entendu que le paragraphe (4) s’applique à la personne qui avait droit à ce que son nom soit consigné dans la liste de bande en vertu de l’alinéa 11(1)c) avant que celle-ci n’assume la responsabilité de la tenue de sa liste si elle ne cesse pas ultérieurement d’avoir droit à ce que son nom y soit consigné.

Avis au ministre

(6) Une fois remplies les conditions du paragraphe (1), le conseil de la bande, sans délai, avise par écrit le ministre du fait que celle-ci décide désormais de l’appartenance à ses effectifs et lui transmet le texte des règles d’appartenance.

Transmission de la liste

(7) Sur réception de l’avis du conseil de bande prévu au paragraphe (6), le ministre, sans délai, s’il constate que les conditions prévues au paragraphe (1) sont remplies :

a) avise la bande qu’elle décide désormais de l’appartenance à ses effectifs;

b) ordonne au registraire de transmettre à la bande une copie de la liste de bande tenue au ministère.

Date d’entrée en vigueur des règles d’appartenance

(8Lorsque la bande décide de l’appartenance à ses effectifs en vertu du présent article, les règles d’appartenance fixées par celle-ci entrent en vigueur à compter de la date où l’avis au ministre a été donné en vertu du paragraphe (6); les additions ou retranchements effectués par le registraire à l’égard de la liste de la bande après cette date ne sont valides que s’ils sont effectués conformément à ces règles.

Transfert de responsabilité

(9) À compter de la réception de l’avis prévu à l’alinéa (7)b), la bande est responsable de la tenue de sa liste. Sous réserve de l’article 13.2, le ministère, à compter de cette date, est dégagé de toute responsabilité à l’égard de cette liste.

Loi sur les élections au sein de premières nations, LC 2014 c 5 [la LEPN]

2 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[…]

électeurPersonne inscrite sur une liste de bande au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens et âgée de dix-huit ans ou plus :

a) s’agissant d’une élection, à la date de cette élection;

[…]

Contestation

31 Tout électeur d’une première nation participante peut, par requête, contester devant le tribunal compétent l’élection du chef ou d’un conseiller de cette première nation pour le motif qu’une contravention à l’une des dispositions de la présente loi ou des règlements a vraisemblablement influé sur le résultat de l’élection.

Décision du tribunal

35 (1) Au terme de l’audition, le tribunal peut, si le motif visé à l’article 31 est établi, invalider l’élection contestée.

Règlement sur les élections au sein de premières nations, DORS/2015-86 [le Règlement]

Communication de renseignements

3 (1) Au moins soixante-cinq jours avant l’élection, les renseignements visés au paragraphe (2) sont communiqués au président d’élection :

a) par la première nation qui tient l’élection, si celle-ci a choisi de décider de l’appartenance à ses effectifs en vertu de l’article 10 de la Loi sur les Indiens;

b) par le registraire, si une liste de bande est tenue au ministère pour la première nation qui tient l’élection, au titre de l’article 11 de la Loi sur les Indiens.

Liste des électeurs

(2) Le président d’élection compile une liste des électeurs qui contient les renseignements suivants :

a) le nom des électeurs placés en ordre alphabétique;

b) le numéro de membre de bande ou le numéro de registre de chacun des électeurs ou, à défaut de ces numéros, leur date de naissance.

Révision

(3) Il corrige la liste des électeurs s’il est établi que l’une des situations suivantes existe :

a) le nom d’un électeur a été omis de la liste;

b) l’inscription du nom d’un électeur est inexacte;

c) la liste comporte le nom d’une personne inhabile à voter.

Questions en litige

[19] Même si les demandeurs ont présenté des arguments longs (60 pages) et très détaillés et indiqué des questions et de multiples sous-questions, je suis d’avis que les questions de la présente instance peuvent être structurées et analysées de manière appropriée comme suit :

  1. Quel code d’appartenance est en vigueur?

  2. Y a-t-il eu contravention à la LEPN ou au Règlement qui est susceptible de toucher le résultat des Élections de 2020?

  3. Si le Code d’appartenance de 1987 demeure en vigueur, est-il constitutionnel?

  4. Si le Code d’appartenance de 1987 est inconstitutionnel, quelle est la réparation convenable?

Éléments de preuve

[20] Le dossier des demandeurs comprend les éléments de preuve suivants qui ont été déposés dans le cadre de la présente instance :

  1. Affidavit de Craig McCallum, souscrit le 14 janvier 2021

  2. Affidavit de Laura Bird, souscrit le 14 janvier 2021

  3. Affidavit de Jessica Iron, souscrit le 14 janvier 2021

  4. Affidavit de Nyden Ironnighttraveller, souscrit le 14 janvier 2021

  5. Affidavit de Lloyd Yew, souscrit le 2 février 2021

  6. Affidavit de Ronin Iron, souscrit le 28 janvier 2021

  7. Affidavit de Judith Iron, souscrit le 31 mars 2021

  8. Affidavit supplémentaire de Craig McCallum, souscrit le 4 mars 2021

  9. Affidavit de Lynda Bachiu, souscrit le 4 mars 2021

  10. Affidavit de Wilfred Iron, souscrit le 2 décembre 2021

  11. Affidavit du chef Francis Iron, souscrit le 2 décembre 2021

  12. Affidavit de Lisa Iron, souscrit le 3 décembre 2021

  13. Transcription du contre-interrogatoire relatif aux affidavits : Craig McCallum, le 13 décembre 2021

  14. Transcription du contre-interrogatoire relatif à l’affidavit : Laura Bird, le 13 décembre 2021

  15. Transcription du contre-interrogatoire relatif à l’affidavit : Judith Iron, le 13 décembre 2021

  16. Transcription du contre-interrogatoire relatif à l’affidavit : Jessica Iron, le 13 décembre 2021

  17. Transcription du contre-interrogatoire relatif à l’affidavit : Nyden Ironnighttraveller, le 13 décembre 2021

  18. Transcription du contre-interrogatoire relatif à l’affidavit : Lloyd Yew, le 14 décembre 2021

  19. Transcription du contre-interrogatoire relatif à l’affidavit : Wilfred Iron, le 31 janvier 2022

  20. Transcription du contre-interrogatoire relatif aux affidavits : chef Francis Iron, le 31 janvier 2022

  21. Transcription du contre-interrogatoire relatif à l’affidavit : Lisa Iron, le 31 janvier 2022

[21] Le dossier du défendeur contient le document suivant :

  1. Affidavit supplémentaire du conseiller Wilfred Iron, souscrit le 25 mars 2022.

[22] Le chef Francis Iron a également fait déposer un dossier certifié du tribunal [le DCT].

[23] Même si j’ai examiné tous ces éléments de preuve et que j’en ai tenu compte, aux fins des présents motifs, il n’est pas nécessaire de les mentionner individuellement ou d’y faire référence de manière individuelle. Dans mon analyse, j’ai renvoyé aux éléments les plus pertinents dans le contexte de la question dont je suis saisie.

Question préliminaire

[24] Même si dans leurs arguments écrits les demandeurs ont accordé une attention considérable à un argument anticipé concernant la prématurité, ils ont indiqué, lorsqu’ils ont comparu devant moi, qu’il ne s’agissait plus d’une question réelle. Par conséquent, elle n’a pas été traitée dans les présents motifs.

Question 1 : Quel code d’appartenance est en vigueur?

[25] Dans leur avis de demande, les demandeurs affirment qu’il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant la décision de la PNCCL de refuser de manière inconstitutionnelle et illégale l’appartenance des demandeurs à la bande et leurs droits et privilèges connexes, dont l’omission de mettre en œuvre le Code d’appartenance de 2016. Dans leurs arguments écrits, les demandeurs ont décrit plus particulièrement l’aspect du contrôle judiciaire de cette affaire comme se rapportant à la décision unilatérale du chef et du conseil de la PNCCL de ne pas suivre le Code d’appartenance de 2016.

[26] Les arguments écrits des demandeurs ne traitent pas de la norme de contrôle applicable et ils ne cadrent pas la décision contestée du chef et du conseil en ce qui concerne la ratification et l’application du Code d’appartenance de 2016 en ce qui a trait à une analyse en fonction de la décision raisonnable ou de la décision correcte. À mon avis, la décision du chef et du conseil concernant l’interprétation du Code d’appartenance de 1987 et, en fonction de cette interprétation, que le Code d’appartenance de 2016 n’a pas été dûment ratifié et, par conséquent, ne régissait pas les Élections de 2020, doit être évaluée en fonction de la norme de la décision raisonnable.

[27] Lorsque la Cour procède au contrôle d’une décision administrative sur le fond, la norme de contrôle présumée est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], aux para 10, 23, 25). Cela comprend les questions d’interprétation de la loi (Vavilov, aux para 115 à 121). Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la cour de révision doit se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci (Vavilov, au para 99).

La position des demandeurs

[28] Les demandeurs soutiennent que Mme Opikokew a été nommée agente de ratification à l’égard du Référendum de 2016. À ce titre, elle a été légalement habilitée à déterminer le résultat et elle a déterminé que le vote avait été dûment adopté. Les demandeurs soutiennent que le fait qu’un vote de ratification visant à abroger et à remplacer le Code d’appartenance de 1987 par le Code d’appartenance de 2016 ait été tenu [traduction] « et que la personne légalement habilitée à déterminer le résultat a déterminé que le vote a été adopté tranche la question » et que les défendeurs étaient tenus de se conformer à la loi.

[29] Compte tenu de ce point de vue, les demandeurs font valoir que les défendeurs cherchent à contester indirectement le vote de ratification du Référendum de 2016 en alléguant que Mme Opikokew, en tant qu’agente de ratification, a commis une erreur en concluant que le vote l’a emporté et qu’il s’agit d’un abus de procédure pour les défendeurs de contester maintenant le vote de ratification du Référendum de 2016.

[30] Par ailleurs, l’article 2 du Code d’appartenance de 1987 est ambigu et, par conséquent, la Cour peut s’appuyer sur la compréhension et la coutume communes de la PNCCL pour en déterminer le sens. Selon le large consensus qui a suivi le vote de ratification du Référendum de 2016, le Code d’appartenance de 1987 n’exigeait qu’une majorité simple pour modifier ou abroger ce Code, c’est-à-dire si plus de 50 % des bulletins de vote étaient en faveur de cette mesure. Les demandeurs soutiennent que même si d’autres tribunaux ont interprété différemment le même libellé ambigu dans d’autres lois, dans le contexte de la PNCCL, la communauté a compris que l’expression signifie une majorité simple. Il s’agit de la bonne interprétation qui devrait être appliquée par la Cour, et non l’interprétation plus récente des défendeurs fondée sur l’avis d’un avocat externe selon lequel une double majorité était nécessaire aux fins de l’adoption.

La position des défendeurs

[31] Les défendeurs soutiennent que l’article 2 du Code d’appartenance de 1987 exige qu’une « majorité des électeurs » votent pour modifier ou abroger le Code. Comme moins de 50 % des électeurs ont voté lors du Référendum de 2016, le vote n’a pas été adopté. Les défendeurs invoquent la jurisprudence dont l’interprétation de l’expression « la majorité des électeurs » exige une double majorité. Autrement dit, il faut que la majorité des électeurs admissibles votent, et la majorité de ceux qui votent, doivent voter en faveur de la proposition en question. Les défendeurs soutiennent également que le Rapport de ratification ne précise pas si le vote a été adopté et que rien dans les éléments de preuve ne permet d’établir que l’agente de ratification a pris cette décision. De plus, comme la liste des électeurs admissibles n’a pas été mise à jour pour tenir compte du Code d’appartenance de 2016 lors des Élections de 2016, il a été clairement compris que le Référendum de 2016 n’avait pas été adopté.

Analyse

[32] Le cœur du différend entre les parties consiste à savoir si le vote de ratification du Référendum de 2016 a permis d’abroger valablement le Code d’appartenance de 1987 et de le remplacer par le Code d’appartenance de 2016. La question est déterminante parce que si le Code d’appartenance de 2016 était en vigueur avant les Élections de 2020, la PNCCL était alors tenue d’évaluer l’appartenance et, par conséquent, l’admissibilité au vote et à se porter candidat à des élections, en vertu de ce Code. Dans ce cas, la décision d’utiliser le Code d’appartenance de 1987 en ce qui concerne les Élections de 2020 serait déraisonnable et constituerait une erreur susceptible de contrôle.

i. Interprétation du Code d’appartenance de 1987

[33] Comme le reconnaissent les demandeurs, les dispositions de la Loi sur les Indiens qui contiennent un libellé semblable à l’article 2 du Code d’appartenance de 1987 ont été interprétées comme exigeant une double majorité pour déterminer le consentement des électeurs.

[34] Dans l’arrêt Cardinal et autres c La Reine, [1985] 1 RCS 508 [Cardinal], la Cour suprême a conclu que la phrase « ratifié[e] par la majorité […] de la bande […] à une assemblée […] convoqué[e] à cette fin […] » prévue dans la version de l’époque de l’art. 49 de la Loi sur les Indiens, doit être interprétée comme signifiant que le consentement doit être donné par une « majorité de la majorité des membres de la bande […] qui assistent » (au para 15).

[35] Dans l’arrêt Première Nation de Abénakis d’Odanak c Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2008 CAF 126 [Odanak], la Cour d’appel fédérale a cité et adopté l’interprétation de la Cour suprême dans Cardinal, en concluant que le paragraphe 10(1) de la Loi sur les Indiens qui fait référence à « une majorité des électeurs de la bande » exigeait « la majorité de la majorité » pour voter en faveur de décider l’appartenance aux effectifs de la bande (au para 47). Dans ses motifs, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit :

[41] L’expression « une majorité des électeurs de la bande » ou « la majorité de ses électeurs » se retrouve aux paragraphes 2(3), 10 (1) et (2), 13.1, 13.2, et 39(1), et (2) de la Loi. Ailleurs, aux articles 74, 85.1 et 120 de la Loi, des termes spécifiques concernant le droit de vote se joignent aux mots « majorité des votes des électeurs de la bande » ou aux mots « majorité des voix des électeurs de la bande ».

[42] Il n’y a aucune faute à interpréter les mots « majorité des électeurs » de l’article 10 de la Loi suivant l’interprétation donnée pas la Cour suprême du Canada dans l’affaire Bande indienne Enoch de la réserve no 135 des Indiens de Stony Plain c. Canada, [1982] 1 R.C.S. 508. Il s’agissait dans cette affaire d’interpréter les mots « majorité… de la bande … ..à une assemblée …convoqué (e) à cette fin… » contenus à l’article 49 de la Loi des sauvages S.R.C. 1906, ch 81, traitant de la cession de partie ou de la totalité des terrains de la réserve. Le juge Estey au nom de la Cour suprême du Canada s’exprimait ainsi (para. 13 des motifs) :

13 Il peut être utile de faire un rapprochement d’entre la première condition relative à la majorité et celle relative au quorum, et il peut être utile de considérer la deuxième condition, qui exige que la ratification se fasse à une assemblée, comme un simple mécanisme qui permet de déterminer la volonté de l’assemblée sur la question de la ratification. En faisant allusion au principe de common law, précité, je pensais à l’arrêt The Mayor, Constables, and Company of Merchants of the Staple of England v. The Governor and Company of the Bank of England (1887), 21 Q.B.D. 160, à la p. 165, où le juge Wills, après avoir affirmé que les actes d’une société sont ceux de la majorité des associés qui la composent, ajoute ce qui suit :

[TRADUCTION] Cela veut dire qu’en l’absence d’usage-spécial, la majorité des associés constitue le quorum et que l’acte ou la décision doit être pris à la majorité de ceux qui participent à l’assemblée.

Pour des décisions plus récentes dans le même sens, voir : le juge Gillanders dans l’arrêt Glass Bottle Blowers’ Association of the United States and Canada v. Dominion Glass Company Limited, [1943] O.W.N. 652 (Tribunal du travail) et Itter v. Howe (1896), 23 O.A.R. 256. Si on était plus exigeant, c’est-à-dire si on affirmait qu’il faut plus qu’une majorité simple du quorum prescrit des membres de la bande qui ont droit de vote et qui sont présents pour ratifier la proposition, on conférerait un pouvoir indu aux membres qui, même s’ils ont droit de vote, ne se donnent pas la peine de [page518] se présenter ou, s’ils sont présents, de voter; ou, comme l’a affirmé le juge Gillanders dans l’arrêt Glass Bottle Blowers’, précité, à la p. 656, cela reviendrait [TRADUCTION] « à accorder à l’indifférence d’une faible minorité une importance qu’elle ne devrait pas avoir ».

[43] En l’espèce, la première majorité des électeurs constitue le quorum. La décision doit par la suite être prise par la majorité de ceux qui participent à l’assemblée. Sinon, cela reviendrait à accorder à l’indifférence des absents une importance qu’elle ne devrait pas avoir.

[…]

[46] Il est intéressant de noter qu’avec l’adoption des paragraphes 39 (2) et (3) de la Loi, le législateur a ajouté au vote de la majorité de la majorité, lors d’une cession à titre absolu de terrain ou une désignation, la possibilité d’un second tour de scrutin qui tient compte de la règle plus souple de « l’assentiment de la majorité des électeurs qui ont voté » (paragraphe 39 (2)) ou de « la majorité des électeurs votants » (paragraphe 39(3)).

[36] L’article 1 du Code d’appartenance de 1987 adopte expressément les définitions utilisées dans la Loi sur les Indiens. De plus, l’article 2 du Code d’appartenance de 1987 prévoit que le code [traduction] « peut être modifié ou abrogé par une majorité des électeurs ». Le libellé reflète le libellé de l’article 10 de la Loi sur les Indiens, qui prévoit que la bande peut décider de l’appartenance à ses effectifs si « elle y est autorisée par la majorité de ses électeurs ». En effet, le reste du Code d’appartenance de 1987 adopte également directement d’autres dispositions de la Loi sur les Indiens.

[37] Je ne vois aucune raison de s’écarter de la jurisprudence ayant force obligatoire établie par les arrêts Cardinal et Odanak pour interpréter l’article 2 du Code d’appartenance de 1987. Par conséquent, l’approbation de la « majorité des électeurs » exige l’approbation par la « majorité de la majorité » des électeurs.

[38] Selon le résultat de cette conclusion, peu importe ce que l’agente de ratification, le chef et le conseil et les membres de la PNCCL croyaient, en l’absence d’une double majorité, il n’y avait aucune autorité en vertu de laquelle le Code d’appartenance de 1987 aurait pu être modifié ou abrogé. Par conséquent, sous réserve de toute coutume de la PNCCL qui permettrait de modifier l’article 2 du Code d’appartenance de 1987, ce qui est examiné ci-dessous, il demeure en vigueur. Le chef et le conseil n’ont commis aucune erreur lorsqu’ils ont rendu leur décision à cet égard.

ii. Contestation indirecte

[39] Les éléments de preuve permettent d’établir que les membres de la communauté de la PNCCL croyaient généralement, au moins au début, que le vote de ratification du Référendum de 2016 l’avait valablement emporté. La preuve en est la suivante :

- Une vidéo du décompte des votes de ratification du Référendum de 2016 qui montre très clairement que tous ceux qui ont participé à ce processus étaient d’avis que 108 votes (probablement plus 1) sur les 216 votes déposés étaient nécessaires afin que le Référendum de 2016 soit adopté. Et, après avoir obtenu 176 votes, ils croyaient que le Référendum de 2016 avait été adopté. Mme Opikokew, à titre d’agente de ratification, comptait les bulletins de vote et le chef Francis Iron était présent;

- Le 30 juin 2016, le chef Francis Iron a donné une entrevue au journal Northern Pride au cours de laquelle il a décrit le Référendum de 2016 gagnant comme une grande réussite et que l’un de de ses objectifs lorsqu’il a assumé les fonctions du poste avait été de s’assurer que quelque chose de semblable soit adopté. Il a ajouté que l’extension des droits permettrait aux membres de la bande de se sentir vraiment partie intégrante de la communauté, ce qu’ils n’avaient pas auparavant puisqu’ils n’étaient pas autorisés à voter ni à être inclus aux fins de logement et de financement. L’article énonce : [traduction] « Afin que le vote l’emporte, 50 % plus 1 était nécessaire. Au total, 216 personnes ont voté et 174 ont choisi d’élargir les droits ». L’article énonce également que, en ce qui concerne le même vote qui a été tenu le 20 juin à l’égard de la Première Nation de Flying Dust n’a pas donné les mêmes résultats. L’article indique que, en vertu des règles des Affaires autochtones et du Nord, que Flying Dust a suivies, mais que Canoe Lake n’a pas suivies, 50 % des membres de la bande plus 1 devaient voter, mais un nombre insuffisant de personnes de la Première Nation de Flying Dust ont déposé un bulletin de vote. Lorsqu’il a été contre-interrogé à l’égard de son affidavit, le chef Francis Iron a confirmé qu’il avait fourni les renseignements figurant dans l’article. Il a également confirmé que Mme Opikokew avait déterminé que le vote de ratification de 2016 avait été favorable, mais il a contesté sa décision voulant que le Code d’appartenance de 1987 avait été abrogé. Le chef Iron a également confirmé que tout le monde avait l’impression que le Référendum de 2016 avait été adopté;

- À la suite du Référendum de 2016, des efforts ont été déployés pour que les membres de la communauté présentent une demande d’appartenance. Dans son affidavit, M. Lloyd Yew affirme qu’il y a environ deux ans (son affidavit a été souscrit le 2 février 2021) il avait assisté à une réunion à Ile-à-la-Crosse convoquée par Joseph (Butch) Iron qui s’adressait à environ 20 personnes. M. Iron a informé les personnes présentes qu’elles n’avaient pas besoin de présenter une demande de statut par l’entremise du gouvernement du Canada, mais qu’elles pouvaient simplement signer un formulaire pour devenir immédiatement membre de la PNCCL. M. Yew affirme que M. Iron s’est présenté à Ile-à-la-Crosse à cette fin environ quatre fois. Il joint à son affidavit à titre de pièce le formulaire de demande, signé par M. Iron et intitulé :

[traduction]

DEMANDE POUR DEVENIR MEMBRE DE LA NATION CRIE DE CANOE LAKE

« Nehiyiw Opahsihk Kakikih Akisowin »

CODE D’APPARTENANCE RATIFIÉ LE 15 JUIN 2016

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 2 DU CODE

- Lorsqu’il a été contre-interrogé à l’égard de son affidavit, le chef Francis Iron a confirmé qu’à la suite du Référendum de 2016, des « travailleurs de démarche » ou des personnes qui étaient « essentiellement des entrepreneurs » (contrairement aux membres d’un comité d’appartenance) ont travaillé sur le formulaire de demande et ont été chargés de le diffuser aux membres de la communauté de la PNCCL. À la question de savoir si ces personnes se sont présentées à diverses communautés pour consigner leur nom à la liste des membres de la PNCCL conformément au Code d’appartenance de 2016, il a répondu par l’affirmative et a confirmé que le formulaire joint à l’affidavit de Lloyd Yew était le formulaire présenté aux réunions communautaires que les gens pouvaient signer.

[40] Selon ces éléments de preuve, je suis convaincue que, au moins au début, le chef Francis Iron et les autres membres de la communauté de la PNCCL croyaient que le Référendum de 2016 avait été adopté et qu’il était en vigueur.

[41] Cela mène aux arguments des demandeurs sur la contestation indirecte. Si je comprends bien l’argument, ils sont d’avis que l’agente de ratification, Mme Opikokew, avait le pouvoir légal de déterminer si le vote de ratification de 2016 l’avait ou non emporté. Comme tout le monde, elle estimait qu’une simple majorité était nécessaire pour abroger et remplacer le Code d’appartenance de 1987 et elle avait déterminé que le vote de ratification de 2016 l’avait emporté. Les demandeurs affirment que lorsque des questions sont survenues quant à l’admissibilité à voter ou à se porter candidat aux Élections de 2020, les défendeurs n’ont pas contesté la décision de l’agente de ratification. Au contraire, selon l’avis reçu d’un avocat externe selon lequel une double majorité était nécessaire pour adopter le Référendum de 2016, le chef Francis Iron a décidé unilatéralement des résultats du Référendum de 2016 et, par conséquent, que le chef Iron et la PNCCL n’étaient pas tenus de suivre la décision antérieure de l’agente de ratification, qui avait été prise légalement. Les demandeurs affirment que maintenant, dans une [traduction] « instance distincte », les défendeurs cherchent à contester le vote de ratification de 2016 [traduction] « non pas en interjetant directement appel ou en demandant un contrôle judiciaire des résultats, mais en alléguant indirectement qu’ils ne sont pas tenus de suivre une décision prise légalement parce qu’il estiment que la décision a été prise à tort ».

[42] Les demandeurs invoquent l’arrêt R c Wilson [1983] 2 RCS 594 à l’appui de cette position. Un juge de première instance de la cour provinciale avait conclu que l’interception de communications privées de l’appelant n’avait pas légalement été effectuée. En appel devant la Cour d’appel du Manitoba, la Couronne a soutenu que le juge de la cour provinciale n’avait pas compétence pour passer outre aux autorisations d’interception et qu’il avait donc présenté une contestation indirecte contre l’ordonnance d’une cour supérieure. La Cour d’appel a convenu et a conclu qu’une autorisation accordée par une cour supérieure d’archives ne peut pas faire l’objet d’une contestation indirecte devant aucun tribunal. La Cour suprême du Canada, lorsqu’elle a été saisie de l’affaire, s’est prononcée comme suit à la page 600 :

7 En Cour d’appel du Manitoba, le juge Monnin a affirmé :

[TRADUCTION] Le dossier d’une cour supérieure doit être considéré comme la vérité absolue tant qu’il n’a pas été infirmé.

8 Je suis d’accord avec cette affirmation. Selon un principe fondamental établi depuis longtemps, une ordonnance rendue par une cour compétente est valide, concluante et a force exécutoire, à moins d’être infirmée en appel ou légalement annulée. De plus, la jurisprudence établit très clairement qu’une telle ordonnance ne peut faire l’objet d’une attaque indirecte; l’attaque indirecte peut être décrite comme une attaque dans le cadre de procédures autres que celles visant précisément à obtenir l’infirmation, la modification ou l’annulation de l’ordonnance ou du jugement. Lorsqu’on a épuisé toutes les possibilités d’appel et que les autres moyens d’attaquer directement un jugement ou une ordonnance, par exemple les procédures par brefs de prérogative ou celles visant un contrôle judiciaire, se sont révélés inefficaces, le seul recours qui s’offre à une personne qui veut faire annuler l’ordonnance d’une cour est une action en révision devant la Haute Cour, lorsqu’il y a des motifs de le faire. Sans vouloir en dresser une liste complète, de tels motifs comprendraient la fraude ou la découverte de nouveaux éléments de preuve.

[…]..

16 Les arrêts déjà cités ainsi que la jurisprudence qui y est mentionnée confirment la règle bien établie et fondamentalement importante sur laquelle la Cour d’appel du Manitoba s’est fondée en l’espèce. Cette règle porte qu’une ordonnance d’une cour, qui n’a été ni annulée ni modifiée en appel, ne peut faire l’objet d’une attaque indirecte et doit être appliquée intégralement.

[43] Je ne pense pas que l’arrêt Wilson aide grandement les demandeurs en ce qui concerne une contestation indirecte par un tribunal inférieur relativement à une ordonnance d’une cour supérieure.

[44] Il ne s’agit pas non plus d’une situation où un jugement rendu par un tribunal est attaqué dans un autre ou dans un mauvais forum, comme il en était ainsi dans Toronto (Ville) c S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63 [SCFP]. Dans cet arrêt, la Cour suprême a décrit la règle prohibant les contestations indirectes comme « la règle selon laquelle l’ordonnance rendue par un tribunal compétent ne doit pas être remise en cause dans des procédures subséquentes, sauf celles prévues par la loi dans le but exprès de contester l’ordonnance » (au para 33, citant Danyluk c Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44 au para 20) (souligné dans SCFP).

[45] Dans le contexte du droit administratif, les demandeurs citent l’ouvrage de Donald L. Lange, The Doctrine of Res Judicata in Canada, 4e éd. (Markham, Ont. LexisNexis, 2015) à la page 465, qui énonce, en tant que principal général, que :

[traduction]

Les affaires portant sur une contestation indirecte concernent une partie, liée par une ordonnance, qui cherche à éviter de se conformer à cette ordonnance en contestant l’ordonnance elle‑même et son caractère exécutoire non directement, mais indirectement dans un forum distinct. L’ordonnance contestée concerne habituellement une activité. Une partie est ordonnée de faire quelque chose ou de s’abstenir de faire quelque chose. La politique fondamentale qui sous-tend la doctrine de la contestation indirecte consiste à assurer la primauté du droit et à préserver la considération dont jouit l’administration de la justice.

La doctrine est souvent prise en compte en droit administratif lorsqu’une deuxième instance, par exemple, concerne le non‑respect d’une ordonnance administrative qui n’a pas été contestée par le processus d’appel administratif, mais qui est contestée dans la deuxième instance […]

[46] Il ne fait aucun doute que la règle prohibant les contestations indirectes peut également s’appliquer aux ordres et aux décisions administratifs. Par exemple, la Cour suprême du Canada a décrit la règle prohibant les contestations indirectes, dans une affaire de droit administratif, dans Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board) c Figliola, 2011 CSC 52, comme suit :

La règle interdisant la contestation indirecte vise elle aussi la protection de l’équité et de l’intégrité du système judiciaire en empêchant la répétition des instances. Elle empêche les détours institutionnels ayant pour but de contester la validité d’une ordonnance en tentant d’obtenir un résultat différent devant un forum différent plutôt qu’en suivant la procédure d’appel ou de contrôle judiciaire prescrite : voir Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc., 2010 CSC 62, [2010] 3 R.C.S. 585, et Garland c. Consumers’ Gas Co., 2004 CSC 25, [2004] 1 R.C.S. 629.

[47] Toutefois, je ne suis pas convaincue que la règle prohibant les contestations indirectes s’applique en l’espèce parce que le Rapport de ratification rédigé par Mme Opikokew n’est ni une ordonnance ni une décision. Il n’oblige pas non plus directement le chef et le conseil à faire quelque chose ou à s’abstenir de faire quelque chose.

[48] Le Rapport de ratification énumère des renseignements, comme le nombre total de membres de la bande (2 356), le nombre total d’électeurs admissibles (679), le nombre de bulletins de vote déposés et énonce ensuite ce qui suit :

[traduction]

RÉSULTATS : OUI : 174 NON : 42 TOTAL 216

L’approbation de la loi exige un taux de ratification minimal de 50 % plus 1 du total des électeurs admissibles lors d’une réunion dûment convoquée particulièrement à cette fin.

[49] Le Rapport de ratification ne contient aucune déclaration de l’agente de ratification quant au résultat ou aux conséquences du vote. Il n’indique ni ne déclare que le Code d’appartenance de 1987 est abrogé et remplacé par le Code d’appartenance de 2016, ni n’ordonne au chef et au conseil de prendre des mesures à cet égard. Le Rapport de ratification ne précise pas si un vote à la majorité ou à la double majorité des électeurs était nécessaire pour que le vote de ratification du Référendum de 2016 l’emporte. Même si je conviens que les éléments de preuve laissent entendre que Mme Opikokew était d’avis que le vote l’avait emporté, je ne suis pas d’accord pour dire que le Rapport de ratification équivaut à une « ordonnance ou à un jugement » antérieur que les défendeurs contestent maintenant indirectement.

[50] De plus, et de façon connexe, dans le présent contrôle judiciaire, les demandeurs affirment qu’ils contestent la décision du chef et du conseil d’utiliser le Code d’appartenance de 1987 à l’égard des Élections de 2020. Toutefois, la mise en œuvre des codes d’appartenance n’est pas une décision du chef et du conseil, ni de l’agente de ratification. La décision d’abroger ou non le Code d’appartenance de 1987 et de le remplacer incombe aux électeurs de la PNCCL qui est exercée par voie de vote de ratification. C’est-à-dire, il s’agit d’une décision des membres déterminée selon les modalités prévues à l’article 2 du Code d’appartenance de 1987.

[51] Si le Code d’appartenance de 2016 n’a pas été valablement adopté par le vote de la majorité des électeurs, le chef et le conseil n’ont pas le pouvoir d’ordonner qu’il soit utilisé pour déterminer l’appartenance aux fins des Élections de 2020. Par conséquent, même si les demandeurs affirment qu’ils contestent la décision du chef et du conseil d’utiliser le Code d’appartenance de 1987 à l’égard des Élections de 2020, l’interprétation par l’avocat du chef et du conseil selon laquelle l’article 2 du Code d’appartenance de 1987 signifiait que le vote de ratification du Référendum de 2016 ne comportait pas la majorité nécessaire. Cela signifiait donc que, par défaut, le Code d’appartenance de 1987 est demeuré en vigueur. L’article 3 du Code d’appartenance de 1987 énonce que le chef et le conseil doivent déterminer l’appartenance conformément aux dispositions de ce Code. Ils n’avaient pas le pouvoir de faire autrement.

[52] En résumé, les défendeurs ne contestent pas indirectement une ordonnance de l’agente de ratification parce qu’elle n’en a pas rendu une. De plus, selon l’interprétation juridique de l’article 2 du Code d’appartenance de 1987 par leur avocat, le chef et le conseil ont raisonnablement déterminé que le vote de ratification du Référendum de 2016 avait échoué. Compte tenu de cette détermination, le chef et le conseil n’avaient pas le pouvoir de faire utiliser le Code d’appartenance de 2016 lors des Élections de 2020.

iii. Abus de procédure

[53] Je ne suis pas non plus d’accord avec les demandeurs pour dire que les défendeurs ont commis un abus de procédure. Les demandeurs invoquent l’arrêt Behn c Moulton Contracting Ltd, 2013 CSC 26, aux para 39 et 40, pour étayer cet argument.

[54] Dans l’arrêt Behn, après que la Couronne ait accordé à une société forestière des permis pour récolter du bois dans le territoire d’une Première Nation, un certain nombre de membres de cette Première Nation ont érigé un camp qui empêchait la société forestière d’avoir accès aux sites d’exploitation forestière. La société a intenté une action en responsabilité délictuelle contre ces membres, qui ont soutenu, en défense, l’invalidité des permis parce qu’ils avaient été délivrés sans que soit respectée l’obligation constitutionnelle de consultation et qu’ils violaient les droits issus de traités des membres de la collectivité. La société a déposé une requête en radiation de ces moyens de défense.

[55] À mon avis, la présente situation est différente de celle de l’arrêt Behn, car les personnes concernées avaient été invitées à exprimer leurs préoccupations au sujet des permis proposés, mais elles ne l’ont pas fait. Par conséquent, leur défense subséquente à l’action en responsabilité délictuelle contestant les permis délivrés a été jugée abus de procédure. En l’espèce, aucun élément de preuve ne permet de conclure que les demandeurs ont soulevé leurs préoccupations auprès des défendeurs avant les Élections de 2020 et que les défendeurs n’ont pas répondu à ces préoccupations. Au contraire, il ressort des éléments de preuve dont je dispose que les préoccupations quant à la validité du vote de ratification du Référendum de 2016 n’ont été soulevées qu’avant les Élections de 2020. Dans ce cas, il n’aurait existé aucune raison pour une partie de contester sa validité plus tôt.

[56] Les demandeurs invoquent également la décision Cameron c Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2012 CF 579, dans laquelle la Cour a examiné un argument concernant l’article 10 de la Loi sur les Indiens. Toutefois, cette affaire ne porte pas expressément sur l’abus de procédure. Et, comme je j’ai conclu ci-dessus, le Rapport de ratification ne constitue pas une ordonnance ou une décision antérieure. La réponse à la demande de contrôle judiciaire par les défendeurs ne constitue donc pas une tentative de remettre en litige une ordonnance ou une décision antérieure.

[57] Enfin, à cet égard, je fais remarquer que dans l’arrêt Behn, la Cour suprême a fait référence à l’arrêt Canam Enterprises Inc. v Coles (2000), 51 O.R. (3 d) 481 (C.A.) lorsqu’elle a décrit la doctrine de l’abus de procédure comme [traduction] « mett[ant] en jeu le pouvoir inhérent du tribunal d’empêcher que ses procédures soient utilisées abusivement, d’une manière qui serait manifestement injuste envers une partie au litige, ou qui aurait d’une autre façon pour effet de discréditer l’administration de la justice ». Je suis d’avis que les demandeurs n’ont pas établi que les défendeurs ont commis un abus de procédure en l’espèce.

iv. Coutume

[58] Les demandeurs soutiennent ensuite que, parce que l’article 2 du Code d’appartenance de 1987 est ambigu, il doit être interprété dans le contexte de la compréhension commune de la PNCCL de cette expression et de sa coutume pour déterminer sa signification.

[59] En premier lieu, toute ambiguïté concernant l’interprétation de la phrase a été réglée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Cardinal et par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Odanak.

[60] En deuxième lieu, une coutume est une pratique qui « doit être fermement établie, généralisée et suivie de manière uniforme et délibérée par une majorité de la communauté, ce qui démontrera un “large consensus” quant à son applicabilité » (Francis c Mohawk Council of Kanesatake, 2003 CFPI 115, [2003] 4 CF 1133 [Francis] aux para 35 et 36; Beardy c Beardy, 2016 CF 383 [Beardy] au para 97; McKenzie c Première Nation crie Mikisew, 2020 CF 1184 [McKenzie] au para 71). La codification d’une loi écrite, adoptée par une majorité des membres, est elle-même une expression des coutumes de la communauté (Beardy, au para 102; Whalen, au para 33). Il incombe à la partie qui allègue une coutume de l’établir (Beardy, au para 102; Whalen, au para 41).

[61] Les demandeurs soutiennent que le large consensus général au sein de la PNCCL [traduction] « était que l’article 2 du Code d’appartenance de 1987 devrait être interprété comme exigeant seulement une majorité simple », comme en témoigne le fait que [traduction] « tout le monde » considérait le vote de ratification du Référendum de 2016 comme ayant été adopté par une majorité simple. Toutefois, rien dans les éléments de preuve n’indique que la question particulière de savoir si une simple ou une double majorité était nécessaire avait été examinée par les membres. De plus, après le vote de ratification de 2016, il s’agissait du Code d’appartenance de 1987 qui a été – pour des raisons qui ne sont pas expliquées – utilisé lors des Élections de 2016 et les éléments de preuve permettent d’établir que les pratiques en matière d’appartenance utilisées par l’administration de la bande n’ont pas changé après le Référendum de 2016. Selon le témoignage du chef Francis Iron, le Code d’appartenance de 1987 avait été utilisé lors des Élections de 2016 et Lisa Iron a affirmé que la pratique actuelle (après les Élections de 2020) consiste également à utiliser les critères du Code d’appartenance de 1987 pour déterminer l’admissibilité à l’appartenance à la PNCCL.

[62] Cela n’étaye pas l’argument selon lequel une pratique consistant à utiliser le Code d’appartenance de 2016 est fermement établie, généralisée et suivie de manière uniforme et délibérée par une majorité de la communauté.

[63] Pour conclure cette première question, à mon avis, le chef et le conseil se sont raisonnablement appuyés sur l’avis juridique selon lequel l’article 2 du Code d’appartenance de 1987 exige une double majorité afin d’abroger ce Code et, parce qu’une double majorité n’a pas été obtenue par le vote de ratification du Référendum de 2016, le Code d’appartenance de 1987 est demeuré en vigueur. L’adoption initiale du Code d’appartenance de 1987 et toute décision de l’abroger et de le remplacer par le Code d’appartenance de 2016 ou autrement constituent des décisions de la PNCCL et non des décisions de l’agente de ratification ou du chef et du conseil. Par conséquent, ni le chef et le conseil ni l’agente de ratification ne possédait le pouvoir nécessaire, dans ces circonstances, pour utiliser le Code d’appartenance de 2016, je ne suis pas d’avis que le chef et le conseil ont pris une décision unilatérale et déraisonnable d’écarter les résultats du Référendum de 2016 et d’utiliser plutôt le Code d’appartenance de 1987 pour déterminer l’appartenance aux fins des Élections de 2020. Je ne suis pas non plus d’accord pour dire que le chef et le conseil contestent indirectement une décision de l’agente de ratification ou ont commis un abus de procédure.

Question 2 : Y a-t-il eu contravention à la LEPN ou au Règlement qui a influé sur le résultat des Élections de 2020?

La position des demandeurs

[64] S’appuyant sur leur position selon laquelle le Code d’appartenance de 2016 était en vigueur, les demandeurs soutiennent que ce Code aurait dû être utilisé pour déterminer qu’ils étaient admissibles au vote et à se porter candidat aux Élections de 2020. Ils soutiennent que la PNCCL a contrevenu à la LEPN lorsqu’il n’a pas fourni au président d’élection une liste des électeurs exacte fondée sur le Code d’appartenance de 2016. Les demandeurs ont également soutenu que la « liste des membres » tenue à jour par les défendeurs, à laquelle figure le nom des demandeurs, devrait être considérée comme la liste de bande. Cette liste énumère tous les membres de la PNCCL en vertu de l’article 8 de la Loi sur les Indiens et, comme les défendeurs figurent sur cette liste, ils auraient dû être autorisés à voter. Les demandeurs font valoir que le fait que les défendeurs n’aient obtenu aucun élément de preuve de l’ancien commis à l’enregistrement de la PNCCL devrait amener la Cour à tirer une conclusion défavorable sur ce que le témoignage de ce commis aurait été.

La position des défendeurs

[65] Les défendeurs soutiennent que la liste des électeurs fournie au président d’élection était exacte et que tous les membres habilités à voter pouvaient voter. Les défendeurs affirment que le fait d’être inscrit sur la « liste des membres » ne confère pas le droit de vote à une personne, car cette liste comprend les « affiliés », ainsi que les membres PNCCL. Ils soutiennent que le fait que la PNCCL ne tienne pas à jour une « liste de bande » des membres n’a pas influé sur les résultats des Élections de 2020, puisque les seules personnes qui auraient été inscrites à une « liste de bande » et qui n’ont pas été inscrites à la « liste des électeurs » étaient celles de moins de 18 ans et n’étaient donc pas admissibles au vote. Les défendeurs allèguent que les demandeurs auraient pu nommer le président d’élection, qui était la personne qui a pris la décision quant aux personnes qui pouvaient se porter candidates à des élections ou qui pouvaient voter lors des Élections de 2020, comme défendeur. Comme ils ne l’ont pas fait, tout écart dans les éléments de preuve est attribuable aux demandeurs.

Analyse

[66] L’article 31 de la LEPN comprend deux éléments auxquels celui qui conteste l’élection d’un chef ou d’un conseiller doit satisfaire pour avoir gain de cause :

  1. il doit y avoir eu contravention à la LEPN ou au Règlement;
  2. la contravention a vraisemblablement influé sur le résultat de l’élection.

[67] Selon l’article 35, la Cour peut, si ces éléments sont établis, invalider l’élection contestée.

[68] Il incombe au demandeur d’établir qu’il y a eu contravention à la LEPN ou au Règlement et que cette contravention a vraisemblablement influé sur le résultat de l’élection [Bird, aux para 28 à 30; McNabb v Cyr, 2017 SKCA 27 [McNabb] au para 23 [McNabb]); Opitz c Wrzesnewskyj, 2012 CSC 5 [Opitz] au para 525; Papequash c Brass, 2018 CF 325 [Papequash] au para 33; O’Soup v Montana, 2019 SKQB 185 au para 29 [O’Soup]). La norme de preuve à laquelle le demandeur doit satisfaire pour établir que les exigences de l’article 31 sont remplies est celle de la prépondérance des probabilités (Good c Canada (Procureur général), 2018 CF 1199 [Good] au para 49; Papequash, au para 33; McNabb, au para 23; O’Soup, aux para 29 et 92).

[69] Les demandeurs allèguent des contraventions aux articles 9, 12, 15 et 27 de la LEPN et une contravention à l’article 3 du Règlement.

[70] À l’appui de cette affirmation, les demandeurs consacrent beaucoup d’énergie et de texte à la question de savoir ce qui est ou n’est pas la « liste de bande » applicable en l’espèce. Les défendeurs brouillent davantage les eaux en présentant le concept de « filiale ». Après avoir examiné les éléments de preuve et les arguments, voici mes conclusions :

[71] Selon la définition prévue à la Loi sur les Indiens, une « liste de bande » est une liste de personnes tenue en vertu de l’article 8 par une bande ou au ministère. Un « électeur » est défini comme une personne qui est inscrite sur une liste de bande, qui a 18 ans et qui n’a pas perdu son droit de vote aux élections de la bande. Un « membre d’une bande » est une personne dont le nom apparaît sur une liste de bande ou qui a droit à ce que son nom y figure. L’article 8 de la Loi sur les Indiens indique qu’« est tenue conformément à la présente loi la liste de chaque bande où est consigné le nom de chaque personne tenu, conformément à la Loi, la liste de chaque bande où est consigné le nom de chaque personne qui en est membre ». Et, comme je l’ai déjà mentionné, les bandes visées par l’article 10 assument la responsabilité de la tenue de leur propre liste des membres en fonction de leurs propres règles d’appartenance. Le paragraphe 10(9) énonce qu’à compter de la réception de l’avis envoyé par le ministère, la bande est responsable de la tenue de sa liste.

[72] L’affidavit de Wilfred Iron, un conseiller de la PNCCL et défendeur en l’espèce, affirme que depuis l’entrée en vigueur du Code d’appartenance de 1987, des modifications ont été apportées à la Loi sur les Indiens afin de déterminer qui a droit au statut d’Indien en vertu de cette loi. Il affirme que le Code d’appartenance de 1987 est toujours en vigueur et, par conséquent, il y a beaucoup de personnes ayant le statut d’Indien qui ont des liens avec la PNCCL, mais qui ne sont pas considérées comme des « membres ». Il déclare que la PNCCL permet aux non-membres qui sont inscrits à la PNCCL auprès de Services aux Autochtones Canada [SAC] d’avoir accès aux programmes et aux services administrés par la bande [traduction] « qui ne seraient normalement accessibles qu’aux membres de la PNCCL ». Toutefois, les non-membres n’ont pas le droit de voter ou de se porter candidats à des élections.

[73] M. Iron affirme que la PNCCL tient par conséquent une « liste des membres » qui énumère tous les membres de la communauté qui sont « membres » en vertu du Code d’appartenance de 1987 ainsi que tous les membres de la communauté (auxquels M. Iron fait référence comme « affiliés » ou « non-membres ») qui sont inscrits auprès de SAC comme étant associés à la PNCCL. De plus, comme les droits politiques sont réservés aux membres, la PNCCL tient également une « liste des électeurs » qui énumère toutes les personnes de 18 ans ou plus qui sont « membres » de la PNCCL [liste des électeurs]. Seules les personnes inscrites à la liste des électeurs ont le droit de se porter candidats ou de voter dans le cadre des élections de la PNCCL. M. Iron a joint à son affidavit une copie de la liste des membres en tant que pièce et affirme qu’une copie de la liste des électeurs (pour 2020) est jointe en tant que pièce à l’affidavit de Craig McCallum.

[74] Dans leurs arguments, les défendeurs font référence à tous les membres de la communauté inscrits à la liste des membres qui ne sont pas des « membres » (en vertu du Code d’appartenance de 1987) comme des « affiliés ». Ce terme ne figure pas dans la Loi sur les Indiens, le Code d’appartenance de 1987 ou ailleurs.

[75] En fait, et en d’autres termes, reconnaissant que le Code d’appartenance de 1987 est inconstitutionnel, les dirigeants de la PNCCL ont élaboré une solution de rechange qui consiste à établir deux niveaux d’appartenance. L’affidavit de M. Iron est silencieux quant à savoir quand la PNCCL a commencé à permettre aux non-membres d’avoir accès aux programmes et aux services et quant à savoir quand et comment les noms des « affiliés » ont été ajoutés à la liste des membres.

[76] Même si les demandeurs affirment que le document décrit dans l’index du DCT comme la « liste des membres de la bande » devrait être traité comme une liste de bande au sens de la Loi sur les Indiens et aux fins de l’admissibilité des électeurs aux Élections de 2020, ce document est le même que la liste des membres jointe en tant que pièce à l’affidavit de Wilfred Iron. Rien dans les éléments de preuve n’indique que la PNCCL ait jamais tenu un document distinct intitulé « liste de bande », comme l’exige la Loi sur les Indiens. Et, comme l’indiquent les demandeurs dans leurs arguments, lorsqu’elle a été contre-interrogée au sujet de son affidavit, Lisa Iron, qui est la commis à l’appartenance de la PNCCL depuis avril 2022, a confirmé qu’aucune liste de bande n’est tenue.

[77] Je ne suis pas d’accord avec les demandeurs pour dire que la liste des membres devrait être considérée comme une « liste de bande » et que, parce que leurs noms figurent sur la liste des membres, ils sont membres de la bande et des électeurs. Comme je l’ai conclu ci-dessus, l’appartenance est déterminée par le Code d’appartenance de 1987. Le fait que les « non-membres » soient inscrits à la liste des membres ne les rend pas en soi des « membres ». Pour être membres, ils devraient satisfaire aux critères d’appartenance de ce Code.

[78] Les demandeurs affirment également que, étant donné qu’aucune des personnes qui ont témoigné pour les défendeurs ne pouvait fournir des renseignements personnels sur la liste de bande et les renseignements fournis à M. Gordon Alger, le président d’élection pour les Élections de 2020, il faudrait tirer une inférence négative selon laquelle la liste des membres est une liste de bande, au sens de l’article 8 de la Loi sur les Indiens.

[79] Plus particulièrement, les demandeurs font valoir que Mme Opikokew était la commis à l’appartenance avant les Élections de 2020 et qu’à ce titre, elle a tenu la liste des membres et recueilli les renseignements nécessaires au président d’élection pour dresser la liste des électeurs aux fins des Élections de 2020, comme l’exige l’article 3 du Règlement. Les défendeurs savaient que Mme Opikokew prévoyait prendre sa retraite, mais ils n’ont pas obtenu une preuve par affidavit d’elle avant sa retraite. Les demandeurs affirment qu’ils n’avaient aucun contrôle sur Mme Opikokew et qu’ils ont été gênés par l’intimidation et les licenciements sommaires de leurs partisans. Par conséquent, en tant que témoin clé sous le contrôle exclusif des défendeurs dont la retraite a été prise [traduction] « dans des circonstances manifestement suspectes », les demandeurs allèguent que les défendeurs étaient tenus de présenter les éléments de preuve émanant de Mme Opikokew, faute de quoi la Cour aurait dû tirer une inférence négative selon laquelle son témoignage aurait indiqué que la liste des membres (le document décrit dans l’index du DCT comme la « liste des membres de la bande ») était la « liste de bande » (au sens de l’article 8 de la Loi sur les Indiens) pour la PNCCL au cours des Élections de 2020. De plus, une liste des électeurs que Mme Opikokew a générée après la réunion du 6 novembre 2020 avec les Aînés (fondée sur le Code d’appartenance de 2016) devrait être considérée comme une liste des électeurs exigée par l’article 3 du Règlement.

[80] À mon avis, ces affirmations ne sont pas fondées.

[81] En premier lieu, les éléments de preuve présumés d’intimidation proviennent de l’affidavit de Lloyd Yew. Il affirme qu’après avoir fait un don à M. McCallum pour l’aider à financer le présent litige, il a assisté à une réunion du Conseil de développement économique, dont il était conseillé. Lors de la réunion, le conseiller Wilfred Iron a exprimé sa colère au sujet du don et a déclaré qu’étant donné que le Conseil avait nommé M. Yew au conseil d’administration, il était inacceptable qu’il assiste au litige contre le Conseil. M. Yew déclare qu’il a démissionné de son poste de conseiller et qu’il [traduction] « s’est senti utilisé et forcé de démissionner, et qu’il estimait qu’il s’agissait d’une tentative de [l]’intimider pour avoir appuyé les demandeurs ».

[82] Je ne suis pas convaincue que la démission de M. Yew dans ces circonstances étaye l’argument selon lequel les demandeurs avaient été « gênés par l’intimidation et les licenciements sommaires de leurs partisans », comme ils le soutiennent. Ils n’expliquent pas non plus la façon dont ils ont été gênés. Il n’y a pas non plus d’éléments de preuve qui étayent l’argument selon lequel la retraite de Mme Opikokew était [traduction] « manifestement suspecte » à la lumière de la démission de M. Yew, ou autrement. Je ne constate pas non plus de lien entre l’incident décrit par M. Yew et l’omission des défendeurs de présenter des éléments de preuve émanant de Mme Opikokew.

[83] Je ne suis pas non plus convaincue que les défendeurs avaient le contrôle exclusif sur Mme Opikokew. Les demandeurs ne présentent non plus aucun élément de preuve permettant d’établir qu’ils ont tenté d’obtenir des éléments de preuve auprès de Mme Opikokew – qu’ils décrivent comme une témoin clé – et qu’elle a refusé leurs efforts. En outre, comme l’indiquent les défendeurs, les demandeurs pouvaient nommer le président d’élection en tant que défendeur en l’espèce ou demander par ailleurs son témoignage concernant la compilation de la liste des électeurs aux fins des Élections de 2020, conformément à l’article 3 du Règlement.

[84] Quoi qu’il en soit, même si Mme Opikokew avait préparé une liste des électeurs révisés afin de tenir compte des critères du Code d’appartenance de 2016 à la suite de la réunion avec les Aînés, étant donné que j’ai conclu que ce Code n’avait pas été ratifié par une double majorité et n’était donc pas en vigueur, son témoignage à cet égard ne permettrait pas d’établir que la liste devrait être considérée comme la liste des électeurs des Élections de 2020 en vertu de l’article 3 du Règlement.

[85] En ce qui concerne les détails des allégations des demandeurs ayant trait aux contraventions à la LEPN et au Règlement, même si je suis d’accord pour dire que le chef et le conseil de la PNCCL n’ont pas respecté la Loi sur les Indiens puisqu’ils n’ont pas tenu une liste de bande identifiant les électeurs (au lieu d’utiliser ce qu’on a appelé une Liste des électeurs), cela ne constitue pas en soi une violation de la LEPN. En tout état de cause, la tenue d’une Liste de bande établie conformément au Code d’appartenance de 1987 n’aurait pas modifié qui était admissible au vote lors des Élections de 2020 et, par conséquent, n’aurait pas influencé le résultat de ces élections.

[86] Les demandeurs allèguent que les articles 9 et 15 de la LEPN ont été enfreints. Toutefois, ces articles ne précisent que seul un électeur d’une Première Nation participante est admissible à la nomination de candidat au poste de chef ou de conseiller de celle-ci, ou à voter dans le cadre d’élections tenues par cette Première Nation. Les demandeurs n’ont pas allégué qu’une personne qui se porte candidat aux élections ou qui dépose un bulletin de vote au cours des Élections de 2020 n’est pas un électeur. Ils n’ont pas établi une contravention à ces dispositions.

[87] L’alinéa 12a) interdit à quiconque, relativement à une élection, par intimidation ou par la contrainte, d’inciter une autre personne à présenter une candidature ou à s’abstenir d’en présenter une, à accepter ou à décliner sa mise en candidature; ou à retirer sa candidature. En l’espèce, rien dans les éléments de preuve n’indique que les demandeurs ont été dissuadés de voter en raison d’intimidation ou de contrainte. Ils n’étaient pas autorisés à voter parce que leurs noms ne figuraient pas dans la liste des électeurs dressée par le président d’élection (qui était fondée sur la liste des électeurs). Les demandeurs n’ont pas établi un fondement factuel suffisant pour appliquer cette disposition. De même, il n’a pas été établi que les alinéas 12b) et c) s’appliquent aux faits de l’espèce.

[88] L’article 27 interdit à quiconque d’entraver intentionnellement la tenue d’élections. Selon l’argument des demandeurs, essentiellement, puisque leur nom n’était pas consigné dans une liste de bande, cela équivalait à entraver intentionnellement la tenue des Élections de 2020. Toutefois, les élections n’ont pas été entravées. Leur plainte porte sur l’admissibilité à voter. Aucune contravention à cet article de la LEPN n’a été établie.

[89] En ce qui concerne l’article 3 du Règlement, il s’agit de la préparation de la liste des électeurs par un président d’élection avant les élections. Plus particulièrement, conformément à l’alinéa 3(1)a), au moins 65 jours avant l’élection, la Première Nation doit fournir au président d’élection les renseignements énumérés au paragraphe 3(2). C’est-à-dire, le nom des électeurs et le numéro de bande ou le numéro de registre de chacun des électeurs ou, si l’électeur n’a pas l’un de ces numéros, sa date de naissance. Le président d’élection doit ensuite compiler une liste des électeurs contenant ces renseignements.

[90] Je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que les éléments de preuve des défendeurs ne traitent pas de la façon dont la liste des électeurs des Élections de 2020 avait été préparée par Mme Opikokew.

[91] Par exemple, l’affidavit de Wilfred Iron est silencieux quant à l’identité de la personne qui dresse la liste des électeurs et lorsqu’il a été contre-interrogé à l’égard de son affidavit, il a affirmé qu’il n’a pas participé directement au processus dans le cadre duquel Mme Opikokew a fourni des renseignements sur l’appartenance à Gordon Alger, le président d’élection pour les Élections de 2020, afin de lui permettre de compiler la liste des électeurs pour les Élections de 2020, conformément au Règlement. L’affidavit du chef Iron est silencieux au sujet des listes des électeurs. En contre-interrogatoire, il a affirmé qu’il n’avait aucune idée qui avait préparé la liste des électeurs, il estimait qu’elle était préparée en consultation avec la commis à l’appartenance, qui était Mme Opikokew pour les Élections de 2020, et SAC. Il a déclaré que la liste des électeurs n’avait pas été dressée par Gordon Alger, le président d’élection pour les Élections de 2016. Le chef Iron a par la suite affirmé que la liste des électeurs n’avait pas été dressée en consultation avec SAC, que la seule personne qui avait accès aux renseignements était Mme Opikokew et qu’elle avait créé la liste des électeurs. À la question de savoir s’il avait ordonné à Mme Opikokew d’utiliser la liste des électeurs préparée en fonction du Code d’appartenance de 1987 après que le chef Iron avait reçu l’avis juridique indiquant que le Code d’appartenance de 2016 n’avait pas été dûment ratifié, il a déclaré qu’il ne lui avait rien ordonné. À la question de savoir comment Mme Opikokew savait si la liste des électeurs devait être dressée en fonction du Code d’appartenance de 1987 ou du Code d’appartenance de 2016, il a déclaré qu’il ne pouvait pas parler au nom de Mme Opikokew et a laissé entendre qu’elle avait agi prématurément lorsqu’elle avait informé les membres après la réunion avec les Aînés que le Code d’appartenance de 2016 déterminerait qui serait inscrit sur la liste des électeurs.

[92] Étant donné qu’il n’est pas contesté que le chef Iron a ordonné à Mme Opikokew de retirer sa publication Facebook indiquant que la liste des électeurs avait été mise à jour pour tenir compte du Code d’appartenance de 2016, il est raisonnable de croire qu’il y a eu des communications entre lui, en tant que chef, et Mme Opikokew, en tant que commis à l’appartenance, concernant lequel des codes d’appartenance devait être pris en compte comme s’appliquant aux fins des Élections de 2020.

[93] Ce point n’est toutefois pas déterminant. Comme je l’ai déjà conclu, le Code d’appartenance de 1987 était en vigueur au moment des Élections de 2020. Ce point est déterminant. Seuls les « électeurs » au sens de la LEPN ont le droit de voter (art 15 de la LEPN) ou d’être un candidat (art 9 de la LEPN) aux élections en vertu de cette loi. Une personne doit être consignée dans une liste de bande afin d’être un électeur. En l’espèce, il n’y avait aucune liste de bande, seulement une liste des membres et une liste des électeurs. La liste des électeurs comprenait tous les membres de la communauté qui sont « membres » en vertu des critères d’appartenance énoncés dans le Code d’appartenance de 1987 et qui avaient 18 ans ou plus. Ces renseignements ont été fournis au président d’élection qui, selon ces derniers, a généré une liste des électeurs pour les Élections de 2020 en vertu de l’article 3 du Règlement.

[94] L’argument des demandeurs est fondé sur leur point de vue selon lequel la liste des membres devrait être considérée comme une liste de bande et, puisque leur nom figure à la liste des membres, ils sont des électeurs et leur nom aurait dû être donné au président d’élection aux fins de générer la liste des électeurs en vertu de l’article 3. Pour les motifs que j’ai déjà énoncés, ce raisonnement ne peut être retenu, car le Code d’appartenance de 1987 n’avait pas été abrogé et, conformément au Code d’appartenance de 1987, les demandeurs (autre que Nyden Ironnighttraveller) n’étaient pas admissibles à l’appartenance et n’étaient donc pas des électeurs aux Élections de 2020.

[95] Dans ces circonstances, les demandeurs n’ont pas établi qu’il y a eu contravention à l’article 3 du Règlement qui a vraisemblablement influé sur le résultat des Élections de 2020. Par conséquent, étant donné que les exigences de l’article 31 de la LEPN n’ont pas été respectées, je n’exercerai pas mon pouvoir discrétionnaire, en vertu de l’article 35, pour annuler les élections.

Question 3 : Si le Code d’appartenance de 1987 demeure en vigueur, est-il constitutionnel?

La position des demandeurs

[96] Les demandeurs soutiennent que le Code d’appartenance de 1987 est inconstitutionnel au motif qu’il établit illégalement une distinction fondée sur le sexe ou sur un motif analogue contrairement aux articles 15 et 25 de la Charte et au paragraphe 35(4) de la Loi constitutionnelle de 1983. Les demandeurs ont déposé un avis de question constitutionnelle. Toutefois, elle est limitée à l’affirmation selon laquelle le Code d’appartenance de 1987 établit une discrimination fondée sur le sexe, contrevient à l’article 15 de la Charte et n’est pas justifié au regard de l’article premier de la Charte.

[97] Dans leurs arguments écrits, les demandeurs donnent un examen historique pour démontrer que les dispositions contenues dans la version de la Loi sur les Indiens en vigueur en 1987 ont été jugés par les tribunaux contraires à l’article 15 de la Charte dans le contexte de l’inscription d’un Indien au Registre des Indiens. À la suite de ces décisions, le législateur a pris des mesures pour remédier à cette discrimination fondée sur le sexe au moyen d’une série de modifications apportées à la Loi sur les Indiens. Les demandeurs soutiennent que le Code d’appartenance de 1987 adopte en grande partie les dispositions contestées de la Loi sur les Indiens et, par conséquent, il est inconstitutionnel pour les mêmes motifs (citant McIvor, Descheneaux, Corbiere c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 RCS 203 [Corbiere] et d’autre jurisprudence).

[98] Les demandeurs soutiennent que le Code d’appartenance de 1987 élargit l’écart existant entre les demandeurs (qui font déjà l’objet d’une discrimination en vertu de la Loi sur les Indiens) et ceux qui ont droit à l’appartenance en vertu du Code d’appartenance de 1987 (qui n’ont pas été touchés par le refus discriminatoire de statut) et renforce, perpétue et exacerbe la discrimination et les désavantages historiques auxquels les demandeurs ont fait l’objet. Les demandeurs font valoir que cela constitue une discrimination fondée sur le sexe en contravention de l’article 15 de la Charte et qu’elle n’est pas justifiée au regard de l’article premier de la Charte. Les demandeurs soutiennent que les défendeurs semblent accepter que le Code d’appartenance de 1987 est discriminatoire et doit être modifié. Toutefois, ils font valoir que cette question existe depuis longtemps et que les efforts actuellement déployés pour remédier à la discrimination sont insuffisants.

La position des défendeurs

[99] Les défendeurs reconnaissent que le Code d’appartenance de 1987 gèle essentiellement les dispositions relatives au statut de la Loi sur les Indiens telles qu’elles existaient en 1987 et que ces dispositions ont depuis été jugées inconstitutionnelles. Les défendeurs font valoir qu’ils ont tenté de remédier aux problèmes liés au Code d’appartenance de 1987 au moyen du Référendum de 2016 et en élargissant tous les droits d’appartenance, à l’exception des « droits politiques », aux personnes affiliées à la PNCCL, mais qui ne sont pas membres en vertu du Code d’appartenance de 1987. En outre, la PNCCL procède actuellement à la tenue d’un autre référendum dans l’espoir de ratifier un nouveau code d’appartenance.

Analyse

[100] Compte tenu de l’entente des parties sur cette question, il suffit de dire que je suis d’accord avec eux pour dire que le Code d’appartenance de 1987 est discriminatoire à l’égard des demandeurs et des autres membres de la communauté de la PNCCL en raison de leur sexe, contrairement à l’article 15 de la Charte.

[101] L’article 7 du Code d’appartenance de 1987 gèle l’admissibilité à l’appartenance comme elle l’était immédiatement avant l’entrée en vigueur de ce code. À ce moment-là, le droit d’être consigné dans la liste de bande de la PNCCL était fondé sur les critères énoncés à l’article 6 de la Loi sur les Indiens. Cela comprend les anciens alinéas 6(1)a) et 6(1)c) de la Loi sur les Indiens, qui désavantageaient les descendants d’ancêtres féminins ayant le statut d’Indien par rapport aux descendants d’ancêtres masculins ayant le statut d’Indien. Comme l’indique l’arrêt McIvor, ces dispositions étaient un [traduction] « écho de la discrimination historique » (McIvor, au para 111).

[102] Pour les bandes dont l’appartenance est gérée par le ministère des Services aux Autochtones en vertu de l’article 11 de la Loi sur les Indiens, les modifications législatives en réponse à l’arrêt McIvor et à la décision Descheneaux ont élargi l’admissibilité au statut d’Indien et, par conséquent, à l’appartenance à une bande. Toutefois, pour la PNCCL, selon le Code d’appartenance de 1987, les personnes qui sont devenues admissibles au statut d’Indien en raison de ces modifications législatives demeurent inadmissibles à l’appartenance à la PNCCL parce que leurs ancêtres n’étaient pas admissibles à l’appartenance immédiatement avant l’entrée en vigueur du Code d’appartenance de 1987. Cet « écho » des alinéas 6(1)a) et c) constitue une atteinte prima facie des droits à l’égalité protégés par l’article 15 de la Charte. Et, comme dans l’arrêt McIvor et la décision Descheneaux, l’atteinte aux droits des demandeurs en vertu de l’article 15 n’est pas justifiée au regard de l’article premier de la Charte.

[103] Même si les demandeurs ont fait une allégation générale selon laquelle le Code d’appartenance de 1987 contrevient à l’article 28 de la Charte (lequel garantit aux hommes et aux femmes les droits et les libertés prévus dans la Charte) et au paragraphe 35(4) de la Loi constitutionnelle de 1982 (lequel garantit de manière égale aux hommes et aux femmes les droits ancestraux et issus de traités prévus au paragraphe 35(1)), ils n’ont en aucune façon précisé ou donné des renseignements supplémentaires à cet égard ni fourni des éléments de preuve pour l’étayer. Par conséquent, j’estime inutile d’examiner cette allégation.

Question 4 : Si le Code d’appartenance de 1987 est inconstitutionnel, quelle est la réparation convenable?

La position des demandeurs

[104] Les demandeurs soutiennent que la réparation traditionnelle pour une loi jugée inconstitutionnelle est qu’elle sera déclarée inopérante en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Même si les tribunaux suspendent généralement une déclaration d’invalidité pour donner aux gouvernements le temps de traiter l’inconstitutionnalité dans les cas où la déclaration créerait un écart dans la loi, cette approche est inacceptable et inappropriée dans les circonstances. Les demandeurs soutiennent que la déclaration d’invalidité devrait prendre effet immédiatement, puisque les répercussions discriminatoires du Code d’appartenance de 1987 sont bien connues au sein de la PNCCL depuis plus d’une décennie et qu’elles ne sont toujours pas corrigées. De plus, même si des efforts sont actuellement déployés pour adopter un nouveau code d’appartenance, la ratification est un long processus et la capacité de satisfaire à l’exigence d’obtenir une majorité n’est pas garantie, surtout compte tenu de l’apathie des électeurs. Les demandeurs soutiennent que les personnes ayant un droit constitutionnel à l’appartenance à la PNCCL sont déjà connues, car leur nom figure au Registre des Indiens tenu par SAC et qu’ils ne devraient pas se voir refuser ce droit, tandis que des efforts – d’éventuels efforts répétés – sont déployés pour régler ce problème de longue date.

[105] Les demandeurs font également valoir que, en plus d’une déclaration d’invalidité en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, la Cour peut exercer une réparation convenable, juste et nouvelle en application du paragraphe 24(1) de la Charte. Les demandeurs soutiennent qu’une telle réparation est nécessaire pour obtenir la justice et offrir une réparation adaptée aux circonstances. Ils proposent que la Cour ordonne à la PNCCL de remettre la responsabilité de la tenue de sa Liste de bande à SAC, ce qui signifierait que l’appartenance serait déterminée par SAC en vertu de l’article 11 de la Loi sur les Indiens jusqu’à ce qu’un code d’appartenance constitutionnel soit adopté par la PNCCL. Par ailleurs, la Cour pourrait ordonner qu’il est interdit à la PNCCL de radier le nom de toute personne qui figure actuellement sur la liste de bande (liste des membres) et qui détient un droit constitutionnel à l’appartenance, et ordonner que toute personne qui peut démontrer un tel droit soit ajoutée à la liste.

La position des défendeurs

[106] Les défendeurs soutiennent qu’il n’est pas nécessaire d’annuler les résultats des Élections de 2020, et que cela ne serait pas approprié dans ces circonstances. La question que la Cour doit trancher est plutôt celle de savoir quelle réparation est convenable compte tenu de l’inconstitutionnalité du Code d’appartenance de 1987. Les défendeurs soutiennent que la Cour a déjà suspendu des déclarations selon lesquelles les lois coutumières des Premières Nations n’étaient pas valides afin de permettre à la Première Nation d’amorcer sa propre procédure de pour remédier au problème constitutionnel avant les prochaines élections (par exemple, Clifton c Hartley Bay (Président d’élection), 2005 CF 1030 [Clifton] et Thompson c Première Nation Leq’á:mel, 2007 CF 707 [Thompson]). Les défendeurs font valoir que les Premières Nations devraient être autorisées à élaborer des solutions aux problèmes législatifs conformément à ses propres lois et traditions (référence à Awashish c Conseil des Atikamekw d’Opitciwan, 2019 CF 1131 et à Linklater c Première Nation Thunderchild, 2020 CF 899 [Linklater]). Les défendeurs soutiennent que toute déclaration d’invalidité devrait être suspendue pendant une période d’un an pour permettre la tenue d’un référendum en vue de remplacer le Code d’appartenance de 1987 par un nouveau code rédigé avec les commentaires des membres de la communauté de la PNCCL et conformément à ses lois et à ses traditions.

Analyse

[107] Selon la preuve par affidavit de Wilfred Iron, le 21 avril 2021, le Conseil a mis sur pied un comité chargé d’examiner le Code d’appartenance de 1987 afin qu’un autre référendum puisse être tenu pour ratifier un nouveau code d’appartenance. Il affirme qu’un code provisoire a été élaboré et que des séances d’information communautaires étaient prévues pour janvier 2022, et qu’un nouveau vote de ratification devait avoir lieu en juin 2022. Toutefois, la Cour n’a pas reçu de mise à jour à la suite de l’affidavit de M. Iron du 2 décembre 2021 et, comme le soulignent les demandeurs, il n’est pas certain qu’un nouveau code sera ratifié.

[108] Même si cette incertitude est atténuée par un report prolongé de la déclaration d’invalidité, je ne souscris pas à l’affirmation des demandeurs selon laquelle la déclaration d’invalidité devrait prendre effet immédiatement. Entre autres choses, cela remettrait en question la légitimité du chef et du conseil actuels – qui ont été élus en utilisant la liste des électeurs établie conformément au Code d’appartenance de 1987 – dans une situation où aucun nouveau code d’appartenance n’a été adopté.

[109] Je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que cette question n’est pas nouvelle et qu’il ne faut pas les priver de la possibilité d’un plein droit d’appartenance pour une période supplémentaire et prolongée. Toutefois, à mon avis, aucune des nouvelles réparations prévues par l’article 24 de la Charte proposées par les demandeurs ne constitue une mesure provisoire convenable pour combler le vide si le Code d’appartenance de 1987 était déclaré invalide avec effet immédiat. Plus particulièrement, que la Cour ordonne à la PNCCL de remettre la responsabilité de la tenue de sa Liste de bande (liste des électeurs) à SAC, ce qui aurait pour effet que l’appartenance soit déterminée par SAC en vertu de l’article 11 de la Loi sur les Indiens. Je fais remarquer que le paragraphe 13.2(1) énonce qu’une bande peut, à tout moment après avoir assumé la responsabilité de la tenue de sa liste de bande en vertu de l’article 10, décider d’en remettre la responsabilité au ministère à condition d’y être autorisée par la majorité de ses électeurs.

[110] Le fait de remettre la responsabilité de l’appartenance à la bande à SAC constituerait une étape très importante qui, dans le cours normal, est une question de gouvernance qui doit être tranchée par les membres de la bande. Étant donné l’option raisonnable d’une déclaration d’invalidité différée, je ne constate aucun fondement justifiable sur lequel la Cour devrait envisager une telle intrusion importante dans les affaires de la PNCCL avant de donner d’abord à la PNCCL l’occasion de régler ses propres problèmes d’appartenance en adoptant un nouveau code d’appartenance conforme à la Constitution (voir Linklater, au para 34; Clark c Conseil de bande de la Première Nation d’Abegweit, 2019 CF 721 au para 77).

[111] En ce qui concerne la deuxième nouvelle réparation proposée, il n’appartient pas à la Cour d’évaluer quels membres de la PNCCL ont un droit constitutionnel à l’appartenance ou qui ont démontré l’existence d’un tel droit afin de déterminer qui peut ou ne peut pas être consigné dans une liste de bande (Descheneaux, au para 231). Outre les difficultés pratiques évidentes que cette approche entraînerait, elle ne tient pas compte de l’objet d’une bande visée à l’article 10, qui est de permettre à la Première Nation d’assumer la responsabilité de sa propre appartenance en fonction des critères d’appartenance qu’elle adopte.

[112] Par conséquent, et même si j’ai conclu que le Code d’appartenance de 1987, qui détermine qui sont les électeurs qui seraient autorisés à se porter candidats et à voter à cette élection, est inconstitutionnel puisqu’il viole l’article 15 de la Charte et n’est pas justifié comme limite raisonnable au regard de l’article premier de la Charte, à mon avis, la communauté ne sera pas bien servie par la Cour qui déclare l’invalidité immédiate du Code d’appartenance de 1987. Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que la meilleure solution possible à cette question est que la PNCCL elle-même tienne un nouveau processus référendaire et adopte un nouveau code d’appartenance, valide sur le plan constitutionnel. Il n’y a évidemment aucune garantie qu’un deuxième référendum obtiendra la double majorité nécessaire à la ratification et, comme je l’ai indiqué aux parties lors de l’audition de cette question, l’application de l’appartenance à deux niveaux discriminatoire actuellement en vigueur ne peut pas se poursuivre pendant une période supplémentaire prolongée.

[113] Je déclarerai invalide le Code d’appartenance de 1987, car il est contraire à l’article 15 de la Charte. Je suspendrai cette déclaration pendant 12 mois à compter de la date de la présente décision afin de permettre à la PNCCL d’adopter un nouveau code d’appartenance valide sur le plan constitutionnel au moyen d’un vote de la « majorité des électeurs de la bande », tel que ce terme est défini dans les arrêts Cardinal et Odanak. Il s’agit d’une double majorité.

[114] Je n’annulerai pas les Élections de 2020. Toutefois, étant donné que l’élection du chef et du conseil actuels était fondée sur le Code d’appartenance de 1987 inconstitutionnel, j’ordonnerai qu’une nouvelle élection soit tenue après l’adoption et l’application d’un nouveau code d’appartenance. De plus, et compte tenu des principes énoncés dans l’arrêt Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 63, aux para 55 à 59, lorsqu’il s’agit d’accorder une réparation en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte, j’ordonnerai également que si, à la fin de la suspension de 12 mois de la déclaration d’invalidité, un nouveau code d’appartenance conforme à la Constitution n’a pas été validement ratifié, à compter de cette date, la PNCCL sera réputée avoir remis la responsabilité de sa « liste de bande » à SAC jusqu’à ce qu’un nouveau code d’appartenance conforme à la Constitution ait été valablement ratifié. Cela aurait pour effet que l’appartenance à la bande de la PNCCL serait déterminée par SAC en vertu de l’article 11 de la Loi sur les Indiens. Dans ce cas, j’ordonnerai également qu’une nouvelle élection soit tenue après la remise de la responsabilité de la liste de bande à SAC.

Les dépens

[115] Dans leurs arguments écrits, les demandeurs sollicitent des dépens sur la base avocat‑client quelle que soit l’issue de la cause. Ils soutiennent que l’instance interne est une affaire d’intérêt public complexe qui vise à corriger des questions importantes concernant les élections et l’appartenance à une bande et qui soulève des questions constitutionnelles et de discrimination touchant des centaines de membres de la communauté de la PNCCL, ce qui justifie les dépens avocat-client (en citant Whalen c Première Nation no 468 de Fort McMurray, 2019 CF 119 [Whalen]). Les demandeurs font valoir qu’ils ont dû financer le présent litige à l’aide de ressources personnelles et de dons communautaires et que leurs contributeurs financiers [traduction] « ont conséquemment fait l’objet d’un congédiement sommaire de leur poste par les défendeurs ». Ils soutiennent qu’un tel comportement répréhensible peut justifier l’attribution de dépens avocat-client (citant Balfour c. Nation Crie de Norway House, 2006 CF 616 aux para 21 et 22). Inversement, ils soutiennent que les défendeurs ont bénéficié pleinement des ressources financières de la PNCCL pour financer leur position dans le litige (citant Knebush c Maygard, 2014 CF 1247 [Knebush] aux para 59 à 61); Première Nation de Cowessess no 73 c Pelletier, 2017 CF 859 au para 24).

[116] Dans leurs arguments écrits, les défendeurs demandent que la demande de contrôle judiciaire et l’appel des élections des demandeurs soient rejetés avec dépens pour la partie obtenant gain de cause.

[117] Lorsque les parties ont comparu devant moi, j’ai ordonné qu’elles tentent de parvenir à une entente pour fixer une somme globale. Faute de quoi, elles devaient présenter des mémoires de dépens et de brefs arguments sur les dépens. Ces arguments ont maintenant été reçus.

[118] Les demandeurs ont présenté un mémoire de dépens fondé sur le tarif B – Colonne III, dont le total des dépens et des débours s’élève à 22 991,86 $. Ils ont également déposé l’affidavit de Craig McCallum, souscrit le 27 mai 2022. Selon cet affidavit, leur avocat, MLT Akins LLP, a envoyé quatre factures totalisant 33 207,70 $, dont des copies ont été jointes à titre de pièces. De plus, des frais juridiques supplémentaires de 71 252,50 $ ont été accumulés; une facture préalable à cet effet est également jointe à titre de pièce. M. McCallum affirme qu’à ce jour, il a payé les factures de son avocat à l’aide d’une collecte de fonds communautaire qui a permis de recueillir un montant 28 205,00 $ composé de dons directs et de ses propres fonds. Les frais restants n’ont pas été facturés, car M. McCallum n’a pas les ressources financières nécessaires pour les payer.

[119] Les demandeurs continuent de solliciter des dépens de 101 460,20 $ sur la base avocat‑client ou, subsidiairement, une somme globale élevée de 70 000,00 $, en se fondant sur leurs arguments écrits antérieurs. Ils reconnaissent que les dépens avocat-client sont rarement accordés et qu’ils ne sont généralement accordés que lorsque la conduite d’une partie était « répréhensible, scandaleuse ou outrageante » ou que le procès a été intenté pour des raisons d’intérêt public (Whalen, aux para 13 et 16). Ils font toutefois valoir qu’en appliquant les facteurs énoncés dans la décision Whalen aux faits de l’espèce, les dépens avocat-client sont justifiés.

[120] Les défendeurs ont présenté un mémoire de dépens fondé sur la colonne III du tarif B, faisant état de frais de 11 520 $ et de débours de 1 627,45 $. Les défendeurs font également état de frais réels de 46 862 $. Les défendeurs soutiennent qu’il existe une tendance à l’adjudication des dépens sous forme de somme globale, une approche utile lorsque les frais calculés selon le tarif ne contribuent pas à l’objectif de faire une contribution raisonnable aux frais de litige (référence à Nova Chemicals Corporation c Dow Chemical Company, 2017 CAF 27 [Nova Chemicals] au para 17). Ils font valoir que leurs dépens selon le tarif B représentent environ 25 % de leurs frais réels et que les dépens devraient être attribués à la partie obtenant gain de cause en vertu du tarif.

[121] Les défendeurs soutiennent qu’ils n’ont fait preuve d’aucune conduite répréhensible au cours de l’instance qui justifierait l’adjudication des dépens sur la base avocat-client. De plus, même si les décisions qui permettent de clarifier l’application des lois des Premières Nations sont importantes à la bonne gouvernance, cela n’atteint pas nécessairement le niveau d’incidence généralisée sur la société qui justifierait l’adjudication des dépens sur la base avocat-client. En outre, si les parties devaient partiellement obtenir gain de cause, alors la bonne voie pour remédier à toute inégalité des ressources consiste à refuser d’adjuger des dépens contre les demandeurs et à faire assumer à chaque partie ses propres dépens respectifs.

Analyse

[122] Conformément au paragraphe 400(1) des Règles des Cours fédérales (DORS/98-106) [les Règles], la Cour a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer. Dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, la Cour peut tenir compte de l’un ou l’autre des facteurs énoncés au paragraphe 400(3) des Règles, qui comprennent : le résultat de l’instance; l’importance et la complexité des questions en litige; le fait que l’intérêt public dans la résolution judiciaire de l’instance justifie une adjudication particulière des dépens; la conduite d’une partie qui a eu pour effet d’abréger ou de prolonger inutilement la durée de l’instance; et toute autre question qu’elle juge pertinente. La Cour peut fixer tout ou partie des dépens en se reportant au tarif B et adjuger une somme globale au lieu ou en sus des dépens taxés (para 400(4) des Règles).

[123] En ce qui concerne l’adjudication des dépens avocat-client, la règle générale a été énoncée par la Cour suprême du Canada et selon cette dernière, des dépens avocat-client ne sont accordés qu’en de rares occasions, par exemple, lorsqu’une partie a fait preuve d’une conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante ou s’il existe des raisons d’intérêt public qui peuvent fonder une telle ordonnance (Mackin c Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances), [2002] 1 RCS 405 [Mackin] au para 86; Québec (Procureur général) c Lacombe, 2010 CSC 38 au para 67)).

[124] En ce qui concerne le premier motif, les demandeurs reconnaissent que les défendeurs n’ont fait preuve d’aucune inconduite dans le cadre de l’instance elle-même qui justifierait des dépens avocat-client. Ils soutiennent toutefois que la conduite avant l’instance peut constituer un facteur pertinent à cet égard (faisant référence à Knebush, aux para 39 et 40). Ils font valoir que la confrontation de Lloyd Yew au sujet de son soutien financier à Craig McCallum constitue une inconduite avant l’instance pertinente, car cela aurait pour effet de décourager les contributions financières destinées à égaliser les règles du jeu pour Craig McCallum en tant que plaideur d’intérêt public. Les demandeurs affirment que les défendeurs utilisent leur position de gouvernement pour maintenir leur avantage financier systémique en « affamant » les demandeurs de financement.

[125] Je fais remarquer que des dépens avocat-client n’ont pas été accordés dans la décision Knebush. Au contraire, dans cette affaire, le juge Mandamin a fait référence à la décision Conseil coutumier de la première nation Anishinabe de Roseau River c Nelson, 2013 CF 180 [Nelson], aux para 71 à 76 [Roseau River], mais a conclu que la conduite dans la décision Roseau River était beaucoup plus grave que celle dans l’affaire dont il était saisi. Dans la décision Roseau River, le juge Russell a décrit une conduite flagrante qui comprenait un plan délibéré visant à priver d’effet les décisions légitimes du conseil de bande. Le juge Russell a conclu que, selon la preuve, il y avait eu une conduite répréhensible, scandaleuse et outrageante et que, dans ces circonstances, il existait également une puissante raison d’intérêt public à adjuger des dépens avocat-client dans ce cas.

[126] Je ne me prononce pas sur la question de savoir si la conduite avant le litige – par opposition à la conduite liée au litige – peut justifier l’adjudication de dépens avocat-client. Toutefois, même si elle peut la justifier, je ne suis pas persuadée que l’incident unique invoqué par les demandeurs en l’espèce la justifierait. M. Yew a démissionné de son poste et rien dans les éléments de preuve n’indique que les membres de la communauté de la PNCCL ont été dissuadés de contribuer à la collecte de fonds à la suite de l’incident concernant un conseiller, M. Wilfred Iron. Il ne s’agit pas d’une situation de conduite inacceptable comme il en était ainsi dans la décision Roseau River.

[127] En ce qui concerne les dépens avocat-client dans un litige d’intérêt public, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Carter c Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, a conclu que l’alinéa 24b) et l’article 14 du Code criminel portaient atteinte de manière injustifiée à l’article 7 de la Charte et étaient inopérants dans la mesure où ils prohibent l’aide médicale à mourir à une personne adulte capable dans certaines circonstances précises. La Cour suprême a adjugé des dépens spéciaux sur la base de l’indemnisation intégrale contre le Canada. En examinant les dépens spéciaux, la Cour a conclu ce qui suit :

[136] Les appelants soutiennent que, malgré leur caractère exceptionnel, les dépens spéciaux sont de mise dans un cas comme celui qui nous occupe, où l’instance soulève une question constitutionnelle de grand intérêt public, dépasse les moyens des demandeurs et n’a pas été engagée de manière abusive ou vexatoire. Ils plaident que sans ces dépens, les demandeurs ne seront pas en mesure de soumettre aux tribunaux des questions d’importance vitale pour tous les Canadiens et Canadiennes, ce qui nuirait à la justice ainsi qu’aux autres Canadiens et Canadiennes touchés.

[137] D’autre part, nous devons prendre en considération la mise en garde selon laquelle « [l]es tribunaux ne devraient pas chercher, de leur propre initiative, à mettre sur pied un autre système complet d’aide juridique » : Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Commissaire des Douanes et du Revenu), 2007 CSC 2, [2007] 1 R.C.S. 38, par. 44. Compte tenu de cette considération, nous sommes d’avis que le seuil applicable à l’octroi de dépens spéciaux établi dans l’arrêt Adams n’est pas assez élevé. Notre Cour a déjà souligné que des dépens spéciaux ne peuvent être accordés que dans des cas « d’exception » : Finney c. Barreau du Québec, 2004 CSC 36, [2004] 2 R.C.S. 17, par. 48. Le test énoncé dans Adams permettrait l’octroi de dépens spéciaux dans des cas qui ne correspondent pas à cette description. Presque tous les litiges constitutionnels ont trait à des « questions d’importance pour le public ». En outre, le critère relatif à la question de savoir si la partie déboutée est plus en mesure de supporter les dépens de l’instance favorisera toujours la condamnation du gouvernement aux dépens. Sans rien d’autre, l’octroi de dépens spéciaux peut devenir une pratique courante dans les litiges d’intérêt public.

[138] Un regard sur la jurisprudence de notre Cour relative aux provisions pour frais peut s’avérer utile pour préciser les critères applicables à l’octroi de dépens spéciaux sur la base de l’indemnisation intégrale. Notre Cour a énoncé le test applicable à l’octroi d’une provision pour frais dans Colombie-Britannique (Ministre des Forêts) c. Bande indienne Okanagan, 2003 CSC 71, [2003] 3 R.C.S. 371. Le juge LeBel y a indiqué trois conditions qui doivent être réunies pour justifier cette dérogation à la règle habituelle en matière de dépens :

1. La partie qui demande une provision pour frais n’a véritablement pas les moyens de payer les frais occasionnés par le litige et ne dispose réalistement d’aucune autre source de financement lui permettant de soumettre les questions en cause au tribunal – bref, elle serait incapable d’agir en justice sans l’ordonnance.

2. La demande vaut prima facie d’être instruite, c’est-à-dire qu’elle paraît au moins suffisamment valable et, de ce fait, il serait contraire aux intérêts de la justice que le plaideur renonce à agir en justice parce qu’il n’en a pas les moyens financiers.

3. Les questions soulevées dépassent le cadre des intérêts du plaideur, revêtent une importance pour le public et n’ont pas encore été tranchées. [par. 40]

[139] La Cour a précisé ce test dans Little Sisters en soulignant que les questions d’importance pour le public ne signifient pas en soi que « le plaideur a automatiquement droit à un traitement préférentiel en matière de dépens » (par. 35). La norme est élevée : seules des affaires « rares et exceptionnelles » peuvent justifier pareil traitement (par. 38).

[140] Nous estimons que ce test, modifié comme il se doit, constitue un guide utile pour l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge saisi d’une requête pour dépens spéciaux dans une affaire mettant en cause des parties représentant l’intérêt public. Premièrement, l’affaire doit porter sur des questions d’intérêt public véritablement exceptionnelles. Il ne suffit pas que les questions soulevées n’aient pas encore été tranchées ou qu’elles dépassent le cadre des intérêts du plaideur qui a gain de cause : elles doivent aussi avoir une incidence importante et généralisée sur la société. Deuxièmement, en plus de démontrer qu’ils n’ont dans le litige aucun intérêt personnel, propriétal ou pécuniaire qui justifierait l’instance pour des raisons d’ordre économique, les demandeurs doivent démontrer qu’il n’aurait pas été possible de poursuivre l’instance en question avec une aide financière privée. Dans ces rares cas, il est contraire à l’intérêt de la justice de demander aux plaideurs individuels (ou, ce qui est plus probable, aux avocats bénévoles) de supporter la majeure partie du fardeau financier associé à la poursuite de la demande.

[141] Lorsque ces critères sont respectés, le tribunal a le pouvoir discrétionnaire de déroger à la règle habituelle en matière de dépens et d’octroyer des dépens spéciaux.

[128] Dans l’affaire dont je suis saisie, les demandeurs soutiennent qu’ils sont des plaideurs d’intérêt public qui font valoir des questions d’importance publique importante pour l’ensemble de la communauté et les membres de la PNCCL. Même si je suis d’accord pour dire que la question constitutionnelle soulevée par les demandeurs est très importante pour la communauté de la PNCCL, tel que cela a été indiqué dans l’arrêt Carter, presque tous les litiges constitutionnels concernent des « questions d’importance publique ». En soi, cela n’est pas suffisant pour justifier des dépens avocat-client. Au contraire, les questions soulevées doivent concerner des questions d’intérêt public qui sont vraiment exceptionnelles – elles doivent avoir une incidence importante et généralisée sur la société (Carter, aux para 139 et 140). Je ne suis pas convaincue que le présent litige a une incidence importante et généralisée sur la société. Les questions soulevées par les demandeurs sont propres au Code d’appartenance de 1987 et à la PNCCL et portent principalement sur le Référendum de 2016 et la tenue subséquente des Élections de 2020, dont les circonstances et les événements sont uniques à la PNCCL. À mon avis, il ne s’agit pas d’un cas « rare et exceptionnel » justifiant des dépens avocat-client.

[129] Je conviens qu’il s’agit d’une situation où il existe un déséquilibre entre les ressources dont disposent les parties et qu’il s’agit, au fond, d’un différend quant à la gouvernance. Toutefois, même si ce facteur est pertinent, il ne justifie pas en soi des dépens sur la base avocat‑client (Whalen, aux para 21, 25 et 27).

[130] En conclusion, je ne suis pas convaincue que la présente affaire justifie l’adjudication de dépens sur la base avocat-client.

[131] Le résultat de la présente affaire était mitigé. Même si les demandeurs n’ont pas obtenu gain de cause à l’égard de leur demande de contrôle judiciaire, cela est attribuable au fait que les défendeurs se sont fiés à une interprétation juridique du Code d’appartenance de 1987 selon laquelle une double majorité était nécessaire afin que le vote de ratification du Référendum de 2016 l’emporte, avec l’effet que le Code d’appartenance de 1987 est demeuré en vigueur. La demande présentée par les demandeurs en vertu de la LEPN a été rejetée. Toutefois, la contestation des demandeurs de la constitutionnalité du Code d’appartenance de 1987 a été accueillie – ce qui constitue un résultat important pour eux et pour de nombreux autres « non‑membres » de la PNCCL. En fait, les défendeurs ont reconnu la position des demandeurs quant à l’inconstitutionnalité du Code d’appartenance de 1987.

[132] Je fais remarquer en passant que je trouve frappant que la validité du Référendum de 2016 n’a pas été soulevée qu’avant les Élections de 2020. Dans son affidavit, le chef Iron affirme : [traduction] « Il y avait eu une certaine confusion au sein du Conseil et parmi les membres de la PNCCL après le Référendum quant à savoir si le vote visant à adopter le Code d’appartenance de 2016 l’avait emporté. Par conséquent, lors de la réunion du 6 novembre 2020, j’ai dit aux membres de la communauté que j’examinerai la question et présenterai un compte rendu à la communauté quant à savoir si le Code d’appartenance de 2016 devrait être utilisé. » Le chef Iron n’indique pas ce qu’était la confusion, quand elle est survenue ou qui a été confondu. Selon le témoignage du chef Iron lorsqu’il a été contre-interrogé à l’égard de son affidavit, après le vote de ratification de 2016, aucune question n’a été soulevée quant à savoir s’il avait été dûment adopté. Il a ensuite affirmé :[traduction] « Rien n’a été soulevé au sujet du Référendum de 2016. Et puis nous – nous avons eu une élection en décembre, et nous avons procédé en fonction des mêmes règles électorales qu’auparavant, et personne ne l’a soulevé jusqu’à cette élection ». Le chef Iron n’a pas été interrogé quant à la raison pour laquelle le Code d’appartenance de 1987 avait été utilisé pour déterminer l’appartenance et les droits de vote aux fins des Élections de 2016 si tout le monde, y compris lui, croyait que le Référendum de 2016 avait été adopté et n’a fourni aucune explication à ce sujet. Il semble également peu probable que la commis à l’appartenance, Mme Opikokew, ait décidé, de son propre chef, d’utiliser le Code d’appartenance de 1987 pour établir la liste des électeurs pour les Élections de 2016, surtout si elle croyait que le Référendum de 2016 l’avait emporté. Pourtant, rien dans les éléments de preuve versés au dossier n’indique non plus que des membres de la PNCCL ont soulevé des préoccupations à ce sujet. Il n’y a pas non plus d’explication au dossier de la raison pour laquelle, après avoir envoyé des gens sur le terrain pour inscrire des membres de la bande en fonction du Code d’appartenance de 2016, cet effort ait été apparemment abandonné, car rien dans les éléments de preuve n’indique qu’à la suite de cet effort, de nouveaux membres ont été ajoutés à la liste des électeurs.

[133] Quoi qu’il en soit, il ressort manifestement des éléments de preuve qu’à un moment donné, le chef et le conseil étaient au courant de l’inconstitutionnalité du Code d’appartenance de 1987. À titre de solution de rechange, des « non-membres » ont été ajoutés à la liste des membres afin de leur permettre de bénéficier d’un financement, d’un logement et d’autres avantages – mais non le droit de vote ou de se porter candidat à des élections. Le Référendum de 2016 a été tenu, mais le Code d’appartenance de 2016 n’a pas été utilisé dans les Élections de 2016 pour déterminer l’appartenance. La question a atteint son point culminant avant les Élections de 2020 et ce n’est qu’après que les demandeurs ont intenté le présent litige le 15 janvier 2021 qu’un comité a été mis sur pied, soit le 21 avril 2021, pour tenter d’adopter un nouveau code d’appartenance. Comme je l’ai indiqué ci-dessus, les défendeurs reconnaissent également dans le présent litige que le Code d’appartenance de 1987 était inconstitutionnel.

[134] Dans ces circonstances, à mon avis, les demandeurs ont droit à leurs dépens.

[135] Dans la décision Whalen, comme en l’espèce, le demandeur a sollicité des dépens sur la base avocat-client ou, subsidiairement, des dépens sous forme de somme globale ou l’adjudication de dépens à un niveau supérieur à ceux qui sont habituellement adjugés. Dans cette décision, le juge Grammond a réitéré les objectifs et les principes généraux sous-jacents à l’adjudication de dépens, ainsi que les circonstances dans lesquelles l’adjudication de dépens avocat-client peut être justifiée et a finalement conclu qu’une adjudication des dépens selon le tarif serait insuffisante et qu’une somme globale à un niveau supérieur était justifiée. Les sommes globales ne doivent pas être fixées « de façon arbitraire » et ont été jugées correspondre généralement à un pourcentage allant de 25 à 50 % des frais réellement engagés par la partie ayant obtenu gain de cause (Nova Chemicals, aux para 15 et 17; Whalen, au para 33).

[136] À mon avis, une approche semblable est convenable en l’espèce et j’accorde une somme globale de 40 % des dépens réels des demandeurs, pour une indemnité de 40 584,08 $.


JUGEMENT DANS T-126-21

LA COUR STATUE que

  1. La demande de contrôle judiciaire de la décision du chef et du conseil de la PNCCL d’utiliser le Code d’appartenance de 1987 aux fins des Élections de 2020, plutôt que le Code d’appartenance de 2016, est rejetée;

  2. La demande des demandeurs présentée en vertu de l’article 31 de la Loi sur les élections au sein de premières nations, contestant l’élection du chef et des conseillers et demandant l’annulation des élections tenues le 16 décembre 2020, est rejetée;

  3. Le Code d’élection de 1987 n’est pas conforme à la Constitution et est déclaré invalide;

  4. La déclaration d’invalidité est suspendue jusqu’à 12 mois à compter de la date de la présente décision, soit le 29 juin 2023;

  5. Les élections du 16 décembre 2020 ne seront pas annulées. Toutefois :

  1. Si la PNCLL a ratifié un nouveau code d’appartenance au plus tard le 29 juin 2023, de nouvelles élections auront lieu au plus tard trois mois suivant la date de ratification du nouveau code d’appartenance. L’appartenance à la PNCLL aux fins de ces nouvelles élections sera déterminée par le nouveau code d’appartenance;

  2. Si la PNCCL n’a pas ratifié un nouveau code d’appartenance au plus tard le 29 juin 2023, le chef et le conseil donneront donc, à cette date, un avis écrit au ministre selon lequel la PNCCL n’a plus de code d’appartenance et, par conséquent, ne satisfait plus aux critères du paragraphe 10(1) de la Loi sur les Indiens. La responsabilité de la liste de bande de la PNCCL sera réputée remise au ministère des Services aux Autochtones à la date de cet avis. De plus, le 29 juin 2023, de nouvelles élections seront convoquées par le chef et le conseil et elles auront lieu dans les trois mois suivant cette date. L’appartenance de la PNCCL aux fins de ces élections sera déterminée en vertu de l’article 11 de la Loi sur les Indiens et la liste de bande sera tenue au ministère des Services aux Autochtones;

  1. Les défendeurs verseront aux demandeurs leurs dépens sous forme de somme globale de 40 584,08 $.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


DOSSIER :

T-126-21

 

INTITULÉ :

CRAIG MCCALLUM, LAURA BIRD, JESSICA IRON à titre de tutrice à l’instance pour JESSE IRON, LLOYD YEW, NYDEN IRONNIGHTTRAVELLER et RONIN IRON c PREMIÈRE NATION CRIE DE CANOE LAKE, CHEF FRANCIS IRON, WALTER COULINEUR, BERNICE IRON, LENNY IRON, LORNE IRON, WILFRED IRON, ET ROBERT OPIKOKEW

 

LEU DE L’AUDIENCE :

par vidéoconférence au moyen de Zoom

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 mai 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

Le 29 juin 2022

 

COMPARUTIONS :

Michael W. Marschal

Sonia Eggerman

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Nikita B. Rathwell

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MLT AIKINS S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Regina (Saskatchewan)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

McKercher LLP

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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