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Date : 20220624


Dossier : IMM‑2685‑20

Référence : 2022 CF 959

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 juin 2022

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

HECTOR RAUL GONZALEZ DONOSO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. La nature de l’affaire

[1] Hector Raul Gonzalez Donoso [le demandeur] sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 13 mai 2020 [la décision] par laquelle un agent principal d’immigration [l’agent] a rejeté sa demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. L’agent a conclu que les considérations d’ordre humanitaire n’étaient pas suffisantes pour justifier qu’une dispense soit accordée au demandeur, au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Le contexte

[3] Le demandeur est un citoyen chilien de 87 ans. Après le décès de son épouse en décembre 2015, il est entré au Canada le 8 mai 2016 muni d’un visa de visiteur valide pour rendre visite à sa fille et à ses petits‑enfants adultes. Le demandeur a prolongé son visa jusqu’au 29 juin 2019 et il est resté au Canada après la fin de son séjour autorisé. Le demandeur vit actuellement avec sa fille et ses petits‑enfants. Il a un fils qui réside au Chili.

III. La décision

[4] L’agent a reconnu que le demandeur dépend de sa fille et de ses petits‑enfants pour [TRADUCTION] « du soutien émotionnel, de l’aide financière, un logement, des repas, l’obtention de soins médicaux et d’autres choses essentielles de la vie quotidienne ». Cependant, l’agent a relevé que le fils du demandeur réside au Chili et qu’il n’y avait aucune preuve démontrant que son fils serait incapable de fournir des soins et un soutien au demandeur, si nécessaire. En outre, l’agent a conclu qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur ait des biens lui appartenant au Chili, étant donné la nature temporaire initiale de sa visite.

[5] L’agent a reconnu que le demandeur, sa fille et ses petits‑enfants entretiennent une relation étroite et qu’ils se soutiennent mutuellement sur le plan émotionnel. L’agent a également reconnu que la réunification familiale est souhaitable en l’espèce, particulièrement en raison de l’âge du demandeur. Toutefois, l’agent a relevé que la fille du demandeur avait choisi d’immigrer au Canada en 1992 et qu’elle était donc consciente qu’une séparation à long terme avec le demandeur pourrait s’ensuivre.

[6] L’agent a jugé que le renvoi du demandeur au Chili causerait inévitablement un certain bouleversement émotionnel, mais il a conclu que la séparation familiale [TRADUCTION] « est une conséquence intrinsèque et non pas inhabituelle qui découle du fait d’avoir à quitter le Canada à l’expiration de son statut juridique ». Par conséquent, l’agent a conclu que la séparation physique entre le demandeur et les membres de sa famille au Canada n’entraînerait pas [TRADUCTION] « des difficultés justifiant une mesure exceptionnelle au titre d’une demande de cette nature ».

IV. La question en litige et la norme de contrôle

[7] La seule question à trancher est de savoir si la décision est raisonnable.

[8] La norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16‑17, 23‑25 [Vavilov]; Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CSC 61 au para 44 [Kanthasamy]. Aucune des exceptions énoncées dans Vavilov n’entre en jeu en l’espèce. La dispense pour motifs d’ordre humanitaire est « une mesure exceptionnelle et hautement discrétionnaire et […] il convient de faire preuve d’une grande déférence à l’égard de l’agent décideur » (Alghanem c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1137 au para 20 citant Miyir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 73 au para 12; Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 841 au para 15; Nguyen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 27 aux para 28‑29).

[9] Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit tenir compte non seulement du résultat de la décision administrative, mais aussi du raisonnement sous‑jacent à celle‑ci afin de s’assurer que la « décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée » (Vavilov, au para 15). Pour que sa décision soit raisonnable, le décideur doit avoir rendu compte de manière suffisante de la preuve dont il disposait et avoir tenu compte des observations du demandeur (Vavilov, aux para 89‑96, 125‑128). Une décision est déraisonnable si elle comporte une déficience suffisamment capitale ou importante (Vavilov, au para 100). Une cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, ne modifie pas les conclusions de fait de celui‑ci (Vavilov, au para 125).

V. Analyse

A. La décision est‑elle raisonnable?

(1) La position du demandeur

[10] La conclusion de l’agent selon laquelle le renvoi du demandeur causerait [TRADUCTION] « un certain bouleversement émotionnel » ne tient pas compte de l’âge du demandeur, de sa dépendance envers sa famille au Canada sur le plan émotionnel et de l’importance de leur proximité pour répondre à ses besoins. Il était déraisonnable de la part de l’agent de se fonder sur la supposition que le fils du demandeur serait disposé ou capable de fournir un soutien à ce dernier s’il était renvoyé au Chili. Par conséquent, l’agent a tiré une conclusion déraisonnable quant à la vraisemblance (Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 665).

[11] L’agent a également tiré des conclusions incompatibles. D’une part, l’agent a conclu que la séparation entre le demandeur et les membres de sa famille au Canada n’entraînerait pas [TRADUCTION] « des difficultés justifiant une mesure exceptionnelle au titre d’une demande de cette nature ». D’autre part, l’agent a conclu que le demandeur dépend de sa famille au Canada sur le plan émotionnel et il a relevé l’importance de leur proximité pour répondre à ses besoins.

[12] Un décideur doit faire preuve d’empathie envers un demandeur en se mettant dans la peau de ce dernier afin de bien comprendre sa position et être sensible aux circonstances particulières liées à ce demandeur (Dowers c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 593). En l’espèce, l’agent a omis de ce faire.

[13] Enfin, l’agent a commis une erreur en évaluant les circonstances du demandeur exclusivement en fonction d’un critère relatif aux difficultés (Marshall c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 72).

(2) La position du défendeur

[14] Les agents chargés de l’examen des considérations d’ordre humanitaire disposent d’un large pouvoir discrétionnaire pour décider, suivant un examen global, si ces circonstances suffisent pour justifier l’octroi d’une dispense (Kanthasamy, au para 28). Le processus décisionnel à cet égard est discrétionnaire, et l’agent se demande si l’octroi d’une dispense exceptionnelle est justifié (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Legault, 2002 CAF 125 au para 15).

[15] Il était loisible à l’agent de tenir compte du fait que le demandeur a résidé illégalement au Canada (Madera c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 108 au para 9). Il était également loisible à l’agent de conclure que la séparation entre le demandeur et la famille de ce dernier qui réside au Canada ne justifierait pas l’octroi d’une dispense exceptionnelle (Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1178 aux para 29‑32).

[16] L’agent a pleinement tenu compte de la situation personnelle du demandeur et a fait preuve d’empathie. L’agent a tenu compte de tous les éléments de preuve fournis au sujet des relations familiales du demandeur et a tiré des conclusions raisonnables en se fondant sur ces éléments de preuve. De plus, dans la décision Hussain c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 599 [Hussain], la Cour a jugé qu’une décision défavorable quant à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire était raisonnable pour un demandeur qui était âgé, vivait au Canada depuis 2016 et devait vivre seul après le décès de sa femme en 2007. Bien que la situation du demandeur puisse être difficile, elle n’est pas inhabituelle et ne justifie pas une dispense.

[17] L’agent a appliqué le bon critère en l’espèce, et sa décision repose sur la preuve dont il disposait. L’agent n’a pas évalué la situation du demandeur exclusivement en fonction d’une analyse des difficultés. L’agent a plutôt tenu compte de la situation globale du demandeur, ainsi que des difficultés en l’espèce, car le demandeur a allégué qu’il serait exposé à des difficultés s’il devait retourner dans son pays d’origine.

[18] Il incombe au demandeur d’expliquer pourquoi ni sa fille au Canada ni son fils au Chili ne peuvent lui fournir un soutien adéquat s’il devait retourner au Chili. L’agent n’a pas présumé que le fils fournirait un soutien. Il a plutôt relevé que le demandeur n’avait pas démontré le contraire.

(3) Conclusion

[19] Je suis convaincu que l’agent a examiné tous les éléments de preuve qui lui ont été soumis et les circonstances d’ordre humanitaire soulevées par le demandeur (Shah c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 1153 au para 31). Comme l’a relevé l’agent, il y avait peu d’éléments de preuve à l’appui des circonstances d’ordre humanitaire soulevées, notamment l’établissement grâce aux liens familiaux. La preuve présentée à l’agent comprenait 11 lettres d’appui, 5 photos ainsi que des documents financiers et d’emploi de sa famille au Canada. Il n’y avait aucune preuve provenant directement du demandeur, telle qu’une déclaration sous serment. Il convient de faire preuve de retenue à l’égard de l’appréciation des considérations d’ordre humanitaire faite par un décideur et il n’appartient pas à la cour de révision d’apprécier à nouveau la preuve dont disposait un agent (Lalee c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CF 460 au para 22 [Lalee]; Vavilov, au para 125). La décision en l’espèce est justifiée, transparente et intelligible.

[20] Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable pour l’agent de supposer que son fils serait disposé ou apte à lui fournir un soutien s’il était renvoyé au Chili. Le demandeur souligne qu’il y avait des lettres d’appui attestant du fait qu’il ne pouvait compter sur personne pour subvenir à ses besoins au Chili. Cependant, les lettres ne font aucune mention du fils, ni de son incapacité, ni de sa réticence à s’occuper du demandeur. Comme telles, les observations quant aux considérations d’ordre humanitaire ne faisaient état que de l’absence d’une relation étroite ou saine entre le demandeur et son fils.

[21] Les allégations du demandeur relatives à la « supposition » de l’agent ne constituent pas une erreur susceptible de contrôle, car la « supposition » était due à l’absence de preuve soumise à l’agent (Lalee, au para 24). Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que l’agent n’a pas présumé que le fils fournirait un soutien au demandeur. Au contraire, l’agent a raisonnablement relevé que le demandeur n’avait pas démontré le contraire.

[22] Je conviens avec le défendeur que les circonstances en l’espèce sont similaires à celles dont il était question dans l’affaire Hussain et Meniuk c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1374 [Meniuk]. Dans cette affaire et dans celle dont la Cour est saisie, les décisions relatives aux demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire concernaient des demandeurs veufs et âgés. Je reconnais que, même si la situation du demandeur peut être difficile, elle ne justifie pas, à elle seule, une dispense.

[23] Je ne suis pas d’accord avec l’affirmation du demandeur selon laquelle l’agent a apprécié sa situation exclusivement en fonction d’un critère relatif aux difficultés. L’agent a tenu compte de la situation globale du demandeur, ainsi que des difficultés en l’espèce, du fait que le demandeur a allégué qu’il serait exposé à des difficultés s’il devait retourner dans son pays d’origine. Comme l’a déclaré le juge Bell dans la décision Meniuk, aux paragraphes 22 et 23 :

[22] L’arrêt Kanthasamy n’élimine pas la notion de difficultés, qui demeure un facteur important dans l’évaluation des motifs d’ordre humanitaire (Kanthasamy, aux para 23 et 33; Cezair, au para 16; Shackleford c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1313 au para 11). Je ne puis conclure que l’agent a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’il a pris en considération les difficultés auxquelles Mme Meniuk devrait faire face à son retour en Ukraine. Il est impossible d’éviter la question des difficultés compte tenu des arguments avancés par Mme Meniuk.

[23] Lors de l’application de la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit être consciente du fait que le contrôle judiciaire n’exige pas un résultat unique précis (Barreau du Nouveau‐Brunswick c Ryan, 2003 CSC 20, [2003] 1 RCS 247 au para 56). Le rôle de la Cour n’est pas de chercher à savoir si le décideur a rendu la bonne décision, mais plutôt de juger si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable (Vavilov, aux para 96 et 99). Différents décideurs pourraient évaluer les mêmes faits et les mêmes éléments de preuve, appliquer le même critère juridique et tout de même tirer raisonnablement des conclusions différentes (Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 754 au para 68).

[24] Je suis sensible à la situation du demandeur, mais il lui incombait de faire le nécessaire afin d’établir l’existence de circonstances d’ordre humanitaire suffisantes pour justifier une dispense à l’égard des exigences habituelles de la LIPR (Cantalejo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 828 au para 17, citant Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38 au para 5; Bacha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1382 au para 11; Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1356 au para 32). La décision dans son ensemble démontre que l’agent n’a pas apprécié les considérations d’ordre humanitaire soulevées par le demandeur exclusivement sous l’angle des difficultés.

[25] Je conclus que l’agent n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en rejetant la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire qui avait été présentée par le demandeur.

VI. Conclusion

[26] La décision est intelligible, transparente et justifiée. La demande est rejetée.

[27] Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2685‑20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2685‑20

INTITULÉ :

HECTOR RAUL GONZALEZ DONOSO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1ER FÉVRIER 2022

jugement et motifs :

le juge FAVEL

DATE DES MOTIFS :

le 24 juin 2022

COMPARUTIONS :

Luis Antonio Monroy

POUR LE DEMANDEUR

 

Brendan Stock

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

Brendan Stock

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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