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Date : 20220615


Dossier : IMM‑6316‑20

Référence : 2022 CF 896

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 juin 2022

En présence de monsieur le juge Henry S. Brown

ENTRE :

MIAN AQEEL BARI

demandeur

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

défendeur


JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’instance

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) à l’encontre de la décision rendue par la Section d’appel des réfugiés (la SAR) en date du 6 novembre 2020. La SAR a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR), qui avait conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la LIPR, respectivement. La SPR et la SAR ont toutes les deux conclu que le demandeur n’était pas crédible.

II. Faits

[2] Le demandeur est un citoyen du Pakistan. Il affirme qu’il craint d’être persécuté ou de subir des préjudices aux mains d’activistes sunnites parce qu’il adhère à la branche chiite de l’islam. De plus, il prétend qu’il craint la famille de son ex‑épouse parce qu’elle n’avait pas accepté leur mariage, son ex‑épouse étant d’origine sunnite.

A. Crainte des activistes sunnites

[3] Le demandeur relate trois incidents dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (formulaire FDA). Il soutient qu’en 2007, il a été menacé de mort s’il ne se convertissait pas à la branche sunnite de l’islam et qu’il a plus tard été battu par un [traduction] « groupe d’[une] secte sunnite ». Il prétend qu’il a été de nouveau agressé en 2009. Enfin, il affirme qu’en 2012, il a été arrêté dans sa voiture sous la menace d’une arme et volé par [traduction] « des personnes soupçonnées d’[une] communauté religieuse sunnite ».

[4] Outre ces trois incidents, le demandeur a déclaré qu’il avait été menacé avec une arme à feu en 2017, ce qui l’aurait incité à quitter sa résidence à Islamabad pour Satellite Town.

B. Crainte de la famille de son ex‑épouse

[5] Le demandeur a épousé une femme issue d’une famille sunnite. Il prétend qu’après le mariage, il a commencé à recevoir des menaces et il s’est aperçu qu’il était suivi. Plus particulièrement, il a commencé à recevoir des appels téléphoniques [traduction] « soulignant qu[’il devait] divorcer de [son épouse], sinon [tous les deux] seraient tués par balle ».

C. Demande d’asile et décision de la SPR

[6] Le demandeur a quitté le Pakistan en mars 2018 pour se rendre aux États‑Unis (É.‑U.). Il est entré au Canada peu après être arrivé aux É.‑U. par un passage irrégulier à la frontière. Il a demandé l’asile le 10 avril 2018.

[7] La SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur. Elle a conclu que le demandeur n’était pas crédible en raison d’omissions dans son formulaire FDA et de contradictions dans les éléments de preuve se rapportant à des aspects essentiels de sa demande d’asile, notamment l’identité de ses agents de persécution, l’incident survenu en 2017, et ses demandes d’aide à la police.

[8] Subsidiairement, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas établi de manière crédible son appartenance à l’islam chiite parce qu’il n’avait pas présenté de preuve qu’il était exempté de la taxe religieuse obligatoire (la taxe religieuse) et qu’il n’avait présenté aucun élément de preuve qu’il fréquentait un imambara au Canada.

[9] De plus, la SPR a conclu que le demandeur n’était pas exposé à un risque prospectif de persécution ou de préjudice de la part de la famille de son ex‑épouse parce que, comme il est maintenant divorcé, la famille n’a aucune raison de continuer de le poursuivre.

[10] Enfin, la SPR a conclu que les éléments de preuve corroborants présentés par le demandeur étaient insuffisants pour dissiper les préoccupations relevées quant à la crédibilité.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[11] La SAR a rejeté l’appel interjeté par le demandeur, et a confirmé la décision défavorable de la SPR. La SAR, à l’instar de la SPR, a jugé que le demandeur n’était généralement pas crédible.

[12] Le demandeur a présenté de nouveaux éléments de preuve en appel. Cependant, la SAR a jugé que ces éléments de preuve n’étaient pas admissibles puisqu’ils n’étaient pas survenus après le rejet de la demande d’asile.

[13] La SAR a conclu que les contradictions et les incohérences se rapportant à l’identité des agents de persécution du demandeur minaient la crédibilité de ce dernier. Le demandeur a affirmé dans son témoignage que les agents de persécution étaient des membres du Sipah‑e‑Sahaba, mais il n’avait pas renvoyé à ce groupe dans son formulaire FDA. À l’instar de la SPR, la SAR n’a pas accepté l’explication du demandeur selon laquelle il s’était refusé à écrire le nom du groupe d’extrémistes dans son formulaire FDA, en soulignant que l’identité des agents de persécution constituait un élément essentiel de sa demande d’asile. De plus, la SAR a conclu que l’affirmation du demandeur selon laquelle des membres du Sipah‑e‑Sahaba étaient ses agents de persécution contredisait les éléments de preuve figurant dans le cartable national de documentation (le CND). Il est mentionné dans le CND que le groupe Sipah‑e‑Sahaba a été interdit en 2002 et que ses membres s’étaient regroupés pour former l’organisation Ahl‑e Sunnat Wal Jama’at. La SAR a souligné qu’il n’était pas crédible que le demandeur renvoie à un groupe qui avait été interdit en 2002 tandis que ses problèmes avaient commencé en 2007.

[14] La SAR a souligné que l’incident survenu en 2017 ne figurait pas dans le formulaire FDA du demandeur. De plus, elle a conclu que l’incident ne concordait pas avec les éléments de preuve que le demandeur avait fournis au sujet de son lieu de résidence et de son travail. Même si le demandeur a affirmé que l’incident, qui se serait produit en septembre 2017, l’avait incité à quitter Islamabad pour se rendre à Satellite Town, il a mentionné dans l’Annexe A « Antécédents / Déclaration » remplie sous serment qu’il avait résidé à Islamabad de décembre 2014 à mars 2018 et qu’il avait travaillé en tant que chauffeur pour Uber à Islamabad de janvier 2017 à mars 2018. La SAR a conclu que cette omission et ces contradictions minaient la crédibilité du demandeur.

[15] De plus, la SAR a souligné que, en dépit du fait que le demandeur avait inscrit dans son formulaire FDA qu’il avait demandé à la police de le protéger à une occasion, il a affirmé qu’il l’avait fait à quatre occasions. La SAR a convenu avec la SPR que la déclaration fournie par le demandeur selon laquelle il était confus lorsqu’il a rempli son formulaire FDA ne permettait pas de justifier de façon satisfaisante ces omissions. En outre, la SAR a souligné que le demandeur, après avoir inscrit dans son formulaire FDA qu’il [traduction] « était inutile » de signaler l’incident survenu en 2012 à la police, a déclaré qu’il s’était adressé à la police après l’incident. La SAR a conclu que ces omissions et ces contradictions minaient davantage la crédibilité du demandeur.

[16] La SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle les éléments de preuve corroborants présentés par le demandeur ne permettaient pas de dissiper les préoccupations relevées quant à la crédibilité. Elle a précisé que l’article de journal non daté en ourdou (l’article) produit par le demandeur soulevait d’autres problèmes de crédibilité puisqu’il ne comportait aucune précision quant à la mention relative à [traduction] « des lettres de menaces lancées dans [s]a maison ». Le formulaire FDA du demandeur ne fait pas mention de lettres de menaces lancées dans sa maison.

[17] Enfin, la SAR a convenu avec la SPR que les éléments de preuve n’établissaient pas un risque prospectif de persécution ou de préjudice de la part de la famille de son ex‑épouse.

IV. Questions en litige

[18] La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  • a) La SAR a‑t‑elle manqué à l’équité procédurale en examinant de nouvelles questions en appel sans donner un avis suffisant au demandeur?

  • b) Dans la négative, la décision de la SAR est‑elle raisonnable?

V. Norme de contrôle

A. Équité procédurale

[19] Au sujet de la première question, les questions d’équité procédurale doivent être examinées selon la norme de la décision correcte : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, le juge Binnie, au para 43. Cela dit, je souligne que dans l’arrêt Bergeron c Canada (Procureur général), 2015 CAF 160, le juge Stratas, au para 69, la Cour d’appel fédérale a affirmé qu’il pouvait être opportun de procéder selon la norme de la décision correcte « “en se montrant respectueux [des] choix [du décideur]” et en faisant preuve d’un “degré de retenue” : Ré: Sonne c Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, 455 N.R. 87, au paragraphe 42 ». Voir cependant l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, le juge Rennie. À cet égard, je souligne aussi que la Cour d’appel fédérale a conclu dans un arrêt récent que le contrôle judiciaire des questions d’équité procédurale s’effectuait selon la norme de la décision correcte : voir l’arrêt Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196, le juge de Montigny (les juges Near et LeBlanc y ayant souscrit) :

[35] Ni l’arrêt Vavilov ni, à ce sujet, l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, n’ont abordé la question de la norme applicable pour déterminer si le décideur a respecté l’obligation d’équité procédurale. Dans ces circonstances, je préfère m’en remettre à l’abondante jurisprudence, de la Cour suprême et de notre Cour, selon laquelle la norme de contrôle concernant l’équité procédurale demeure celle de la décision correcte.

[20] De plus, je crois comprendre, d’après les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], au para 23, que la norme applicable aux questions d’équité procédurale était celle de la décision correcte :

[23] Lorsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond (c.‑à‑d. le contrôle judiciaire d’une mesure administrative qui ne comporte pas d’examen d’un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale), la norme de contrôle qu’elle applique doit refléter l’intention du législateur sur le rôle de la cour de révision, sauf dans les cas où la primauté du droit empêche de donner effet à cette intention. L’analyse a donc comme point de départ une présomption selon laquelle le législateur a voulu que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable.

[Non souligné dans l’original.]

[21] Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au para 50, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour de révision lorsqu’elle examine une décision selon la norme de la décision correcte :

[50] La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

B. Caractère raisonnable

[22] S’agissant du caractère raisonnable de la décision, dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, qui a été rendu en même temps que l’arrêt Vavilov de la Cour suprême du Canada, le juge Rowe, pour la majorité, décrit les caractéristiques nécessaires d’une décision raisonnable et les obligations qui incombent à la cour de révision effectuant un contrôle selon la norme de la décision raisonnable :

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec "une attention respectueuse", et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : «… ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] […] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100).

[Non souligné dans l’original.]

[23] Au para 86 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada soutient qu’« il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur doit également, au moyen de ceux‑ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique », et elle donne la directive selon laquelle la cour de révision doit en arriver à une décision en fonction de la preuve dont elle dispose :

[126] Cela dit, une décision raisonnable en est une qui se justifie au regard des faits : Dunsmuir, par. 47. Le décideur doit prendre en considération la preuve versée au dossier et la trame factuelle générale qui a une incidence sur sa décision et celle‑ci doit être raisonnable au regard de ces éléments : voir Southam, par. 56. Le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte. Dans l’arrêt Baker, par exemple, le décideur s’était fondé sur des stéréotypes dénués de pertinence et n’avait pas pris en compte une preuve pertinente, ce qui a mené à la conclusion qu’il existait une crainte raisonnable de partialité : par. 48. En outre, la démarche adoptée par le décideur permettait également de conclure au caractère déraisonnable de sa décision, car il avait démontré que ses conclusions ne reposaient pas sur la preuve dont il disposait en réalité : ibid.

[Non souligné dans l’original.]

[24] En outre, il est clairement établi dans l’arrêt Vavilov qu’à moins de « circonstances exceptionnelles », le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier de nouveau la preuve. La Cour suprême du Canada précise ce qui suit :

[125] Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » : CCDP, par. 55; voir également Khosa, par. 64; Dr Q, par. 41‑42. D’ailleurs, bon nombre des mêmes raisons qui justifient la déférence d’une cour d’appel à l’égard des conclusions de fait tirées par une juridiction inférieure, dont la nécessité d’assurer l’efficacité judiciaire, l’importance de préserver la certitude et la confiance du public et la position avantageuse qu’occupe le décideur de première instance, s’appliquent également dans le contexte du contrôle judiciaire : voir Housen, par. 15‑18; Dr Q, par. 38; Dunsmuir, par. 53.

[Non souligné dans l’original.]

[25] Qui plus est, selon l’arrêt Vavilov, la cour de révision doit évaluer si la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire s’attaque de façon significative aux questions clés :

[128] Les cours de révision ne peuvent s’attendre à ce que les décideurs administratifs « répondent à tous les arguments ou modes possibles d’analyse » (Newfoundland Nurses, par. 25) ou « tire[nt] une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à [leur] conclusion finale » (par. 16). Une telle exigence aurait un effet paralysant sur le bon fonctionnement des organismes administratifs et compromettrait inutilement des valeurs importantes telles que l’efficacité et l’accès à la justice. Toutefois, le fait qu’un décideur n’ait pas réussi à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties permet de se demander s’il était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise. En plus d’assurer aux parties que leurs préoccupations ont été prises en considération, le simple fait de rédiger des motifs avec soin et attention permet au décideur d’éviter que son raisonnement soit entaché de lacunes et d’autres failles involontaires : Baker, par. 39.

VI. Analyse

A. La SAR a‑t‑elle manqué à l’équité procédurale en examinant de nouvelles questions en appel sans donner un avis suffisant au demandeur?

[26] Le demandeur affirme que la SAR a manqué à l’équité procédurale en examinant de nouvelles questions sans les lui communiquer afin qu’il puisse s’expliquer. Il prétend que la SAR était tenue de lui donner avis qu’elle examinerait des préoccupations nouvelles et différentes de celles soulevées par la SPR (Abraha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 100 (la juge Aylen) au para 24; Kwakwa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 600 (le juge Gascon) au para 26). Le demandeur conteste essentiellement quatre conclusions indépendantes tirées par la SAR :

  • - La conclusion de la SAR voulant que l’affirmation du demandeur selon laquelle ses agents de persécution étaient membres du groupe Sipah‑e‑Sahaba contredisait les éléments de preuve figurant dans le CND, ce qui minait sa crédibilité;

  • - La conclusion de la SAR voulant que l’affirmation du demandeur selon laquelle il s’était adressé à la police après l’incident survenu en 2012, tandis qu’il avait inscrit dans son formulaire FDA qu’il [traduction] « était inutile » de signaler l’incident survenu en 2012 à la police, minait sa crédibilité.

  • - La conclusion de la SAR voulant que l’article de journal soulevait d’autres préoccupations quant à la crédibilité puisque qu’il n’était pas fait mention dans son formulaire FDA que [traduction] « des lettres de menaces [avaient été] lancées dans [s]a maison »;

  • - L’affirmation de la SAR que l’affidavit de la mère du demandeur (l’affidavit) produit en preuve ne mentionnait pas l’incident survenu en 2012, en dépit de l’affirmation du demandeur dans son formulaire FDA que celle‑ci était présente lorsque l’incident s’était produit.

[27] Le défendeur soutient que cet aspect de l’argument avancé par le demandeur n’est pas fondé. Il affirme que les conclusions relevées par le demandeur ne sont pas de [traduction] « nouvelles questions » parce qu’elles ne sont pas différentes sur les plans juridique et factuel des questions qui sont soulevées en appel. De plus, il précise qu’il est loisible à la SAR d’examiner et d’apprécier de façon indépendante les éléments de preuve et de tirer des conclusions quant à la crédibilité.

[28] Il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour que lorsque la SPR met en doute la crédibilité, une conclusion supplémentaire de la SAR quant à la crédibilité ne constitue pas une question nouvelle justifiant un droit d’avis et de réponse : (Oluwaseyi Adeoye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 246 (le juge Favel) au para 13 [Oluwaseyi]; Smith c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1472 au para 31; Nuriddinova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1093 (la juge Walker) aux para 47–48; Yimer c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1335 (le juge Bell) au para 17; Corvil c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 300 (le juge LeBlanc, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale), au para 13). De plus, il est bien établi que des conclusions supplémentaires fondées sur le dossier ou tirées de renseignements connus du demandeur ne constituent pas une nouvelle question en violation de l’équité procédurale (Oluwaseyi, précitée, au para 13; et Azali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 17 (le juge Beaudry) aux para 26‑28).

[29] À la lumière de la jurisprudence mentionnée plus haut, et malgré les observations éloquentes de l’avocate du demandeur, j’estime avec égards que les conclusions auxquelles renvoyait le demandeur ne constituent pas de « nouvelles questions » pour lesquelles la SAR aurait dû lui donner un préavis. La crédibilité était une question déterminante devant la SPR, et la SAR a tiré des conclusions supplémentaires en appel. De plus, ces conclusions sont fondées sur le dossier. Par conséquent, je ne puis conclure qu’il y a eu le moindre manquement à l’équité procédurale.

B. La décision de la SAR est‑elle raisonnable?

[30] Le demandeur soutient que la SAR a eu tort de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité parce qu’il a omis de désigner ses agents de persécution dans son formulaire FDA. Il affirme que l’omission de désigner le groupe était conforme à son exposé circonstancié, qui ne comptait que deux pages et était [traduction] « relativement clairsemé ». Cependant, et avec égards, il importe peu que le formulaire FDA soit clairsemé ou ne compte que deux pages puisque tous les faits et les détails importants relatifs à une demande d’asile devraient y figurer. L’omission de ces éléments peut – comme ce fut le cas en l’espèce – affecter la crédibilité du demandeur d’asile (Occilus c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 374 (le juge LeBlanc, maintenant à la Cour d’appel fédérale) au para 20, citant Ogaulu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 547 (la juge McDonald)] au para 18; Zeferino c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 456 (le juge Boivin) au para 31). L’identité des agents de persécution du demandeur constitue un détail essentiel qui ne figurait pas dans son formulaire FDA. Il était loisible à la SAR de tirer une inférence défavorable quant à la crédibilité du demandeur pour cette omission.

[31] De plus, le demandeur prétend que la conclusion de la SAR qu’il n’était pas crédible qu’il ait désigné Sipah‑e‑Sahaba en tant que ses agents de persécution parce que, selon le CND, ce groupe avait été interdit en 2002, est déraisonnable. Il affirme qu’un groupe soit interdit ne signifie pas qu’il a cessé ses opérations. J’accepte l’essentiel de son argument parce que l’« interdiction » n’est pas nécessairement synonyme de la cessation des opérations. J’estime qu’il est conjectural de s’attendre à ce que le demandeur désigne le groupe par son nouveau nom. Cela dit, il est loisible à la SAR de tirer des inférences défavorables fondées sur des contradictions dans la preuve présentée par un demandeur d’asile relativement à des éléments essentiels de la demande d’asile, ce qu’a fait la SAR en l’espèce (Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 (le juge Gascon) aux para 22‑23[Lawani]).

[32] Le demandeur soutient que la SAR a eu tort de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité en raison de l’omission dans son formulaire FDA de l’incident survenu en 2017. Il prétend que la SAR était tenue, malgré cette omission, d’apprécier la crédibilité de l’incident en question tel qu’il l’avait décrit dans son témoignage (Oria‑Arebun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1457 (la juge Fuhrer) au para 57 [Oria‑Arebun]). Il estime que, bien que la SAR puisse rejeter validement l’incident en raison de l’omission, elle ne le peut qu’après avoir examiné le témoignage relatif à l’événement.

[33] Le défendeur soutient que cet argument n’est pas fondé parce que la conclusion de la SAR quant à la crédibilité en lien avec l’incident survenu en 2017 ne repose pas sur les aspects précis de ce qui s’était passé, mais plutôt parce que la preuve fournie par le demandeur quant à l’identité de ses agents de persécution n’était pas crédible. De plus, il affirme que le demandeur n’a pas soulevé d’erreurs quant à l’appréciation de l’incident faite par la SPR dans ses observations présentées en appel à la SAR, et il ne peut par conséquent pas soulever la question pour la première fois en contrôle judiciaire (Benitez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 461 (le juge Mosley) au para 219).

[34] Avec égards, l’argument avancé par le demandeur doit être écarté pour plusieurs raisons. En premier lieu, les faits et les détails importants relatifs à une demande d’asile doivent être inscrits dans le formulaire FDA, et leur omission peut – comme ce fut le cas encore en l’espèce – affecter la crédibilité d’un demandeur d’asile. En deuxième lieu, la SAR ne mentionne pas si elle croit que l’incident de 2017 s’est réellement produit. En troisième lieu, la décision Oria‑Arebun est différente de la présente affaire. Dans Oria‑Arebun, la Cour contestait que la SAR ait estimé qu’un incident n’était pas crédible parce que les éléments de preuve présentés par la demandeure d’asile à l’égard d’autres aspects de sa demande d’asile n’étaient pas crédibles (aux para 56 à 58). En l’espèce, la SAR n’a pas introduit d’autres préoccupations quant à la crédibilité en ce qui concerne l’incident survenu en 2017, mais elle a fondé son inférence défavorable quant à la crédibilité sur le fait que l’incident n’avait pas été mentionné dans le formulaire FDA.

[35] De plus, le demandeur prétend que la SAR a eu tort de conclure que son omission de mentionner dans son formulaire FDA qu’il s’était adressé à la police à quatre occasions minait sa crédibilité. Dans son formulaire FDA, le demandeur a fait mention qu’il avait fait une démarche auprès de la police, mais il a fait mention de quatre démarches dans son témoignage. Même si la SAR a mis en doute sa crédibilité pour ne pas avoir mentionné les trois autres, le demandeur souligne qu’il a produit un rapport de police au sujet d’une de ces démarches, et il affirme que la SAR a omis d’examiner le rapport de police dont elle disposait. Il soutient que le rapport de police aurait pu établir qu’il avait signalé un incident à la police, ce qui aurait établi la crédibilité de l’incident en question. Même si je souscris à cette affirmation, je ferais remarquer que les décideurs administratifs sont présumés avoir examiné l’ensemble de la preuve dont ils disposent, et ils ne sont pas tenus de mentionner chacun des éléments de preuve dans leurs motifs (Florea c Canada (Emploi et Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF) au para 1 [Florea]).

[36] En outre, le demandeur affirme que la SAR a apprécié de façon déraisonnable trois éléments de preuve corroborants, soit l’article de journal, l’affidavit, et les lettres et les reçus émanant d’organisations religieuses. Il prétend que la SAR a apprécié ces éléments en fonction de leurs lacunes et non pas en fonction de leur contenu. Il précise que la SAR a omis de prendre en compte une lettre de soutien [traduction] « plus détaillée » d’une organisation religieuse et a privilégié une lettre [traduction] « moins détaillée ».

[37] La SAR a conclu que les éléments de preuve corroborants présentés par le demandeur ne permettaient pas de dissiper les préoccupations relevées quant à la crédibilité. Le fait que la SAR a souligné ce que certains documents ne contenaient pas ne signifie pas qu’elle n’a pas tenu compte de leur contenu (Eije c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 500 (la juge Roussel, maintenant à la Cour d’appel fédérale) au para 28).

[38] De plus, en ce qui concerne l’article de journal, je dois signaler que celui‑ci a été apprécié expressément pour ce qu’il contenait, soit une observation quant à [traduction] « des lettres de menaces lancées dans [l]a maison ». Je ne suis pas convaincu que l’article soulève d’autres préoccupations quant à la crédibilité parce que cela suppose que l’on émette des hypothèses quant à la façon dont un journaliste peut choisir de présenter la nouvelle.

[39] Enfin, le demandeur prétend que la SAR a conclu de façon déraisonnable qu’il n’était pas exposé à un risque prospectif de persécution ou de préjudice de la part de la famille de son ex‑épouse parce qu’il est maintenant divorcé. Il affirme que [traduction] « le statut juridique de divorcé ne reflète pas la réalité de la relation du demandeur avec la famille et ne le met pas à l’abri des préjudices ». La conclusion selon laquelle le risque de préjudice a disparu en raison du divorce peut ne pas être justifiée selon le présent dossier.

[40] Après avoir examiné les motifs dans leur ensemble, et étant donné que la Cour doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve, d’après l’arrêt Vavilov au para 125, il s’agit de déterminer si les préoccupations relevées dans les motifs montrent que la SAR s’est fondamentalement méprise sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte au sens de l’arrêt Vavilov au para 126. Tout bien pesé, je ne suis pas en mesure de tirer cette conclusion.

VII. Conclusion

[41] Pour les motifs exposés précédemment, je rejetterais la présente demande de contrôle judiciaire.

VIII. Question certifiée

[42] Aucune des parties n’a proposé de question en vue de la certification et, à mon avis, aucune ne ressort en l’espèce.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑6316‑20

LA COUR STATUE QUE la présente demande est rejetée, aucune question de portée générale n’est certifiée et aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet, trad. a


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6316‑20

 

INTITULÉ :

MIAN AQEEL BARI c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 JUIN 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS :

LE 15 JUIN 2022

COMPARUTIONS :

Maureen Silcoff

POUR LE DEMANDEUR

Monmi Goswami

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Silcoff, Shacter

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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