Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220616


Dossier : T-137-22

Référence : 2022 CF 918

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 juin 2022

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

NATION DES WAHPETON DE DAKOTA PLAINS,

représentée par EVANGELINE TOWLE, en sa qualité de cheffe héréditaire de la Nation des Wahpeton de Dakota Plains,

CRAIG BLACKSMITH et ALVIN SMOKE,

en leur qualité de représentants des membres du conseil de bande de la Nation des Wahpeton de Dakota Plains

demandeurs

et

DONALD RAYMOND SMOKE

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs présentent une requête par écrit en vertu de l’article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), afin d’obtenir l’autorisation de modifier l’avis de demande qu’ils avaient déposé le 25 janvier 2022, au titre des articles 75 et 302 des Règles.

[2] Les demandeurs ont déposé un avis de demande dans le but d’obtenir un contrôle judiciaire [traduction] « relativement à la détermination de l’entité ou de la personne qui est légalement habilitée à gouverner la Nation des Wahpeton de Dakota Plains ». Ils souhaitent que deux résolutions du conseil de bande (RCB) soient contrôlées, soit une RCB adoptée le 27 septembre 2021 (la RCB de septembre) et une autre votée le 16 décembre 2021. Par la RCB de septembre, le défendeur, Donald Raymond Smoke, est désigné chef héréditaire de la Première Nation de Dakota Plains (Dakota Plains).

[3] Les demandeurs affirment que les affidavits du défendeur pour la demande leur ont été signifiés le 25 mars 2022. L’affidavit de Donald Raymond Smoke, souscrit le 24 mars 2022, contenait trois RCB datées du 27 septembre 2021 : la RCB de septembre, une deuxième RCB (la deuxième RCB) et une troisième RCB (la troisième RCB). Les trois RCB étaient aussi incluses dans l’affidavit de Joan Smoke et dans celui de Leslie Smoke. Les demandeurs prétendent qu’au moment de déposer leur avis de demande le 25 janvier 2022, ils n’étaient au fait que d’une seule RCB du 27 septembre 2022, soit la RCB de septembre, qui était au centre de leur demande de contrôle judiciaire initiale. Ils soutiennent qu’ils ont été informés pour la première fois de l’existence des deuxième et troisième RCB le 25 mars2022, lorsque les affidavits du défendeur ont été signifiés à leurs avocats.

[4] La RCB de septembre porte la signature de Donald Raymond Smoke, en qualité de chef de Dakota Plains, ainsi que les signatures d’Orville Smoke, de Ronald Smoke et de Leslie Smoke. La RCB de septembre indique notamment ce qui suit :

[traduction]
PAR LES PRÉSENTES, lors d’une assemblée dûment convoquée à la salle du conseil le 27e jour de septembre 2021, il est résolu par le chef et le conseil de la Nation des Wahpeton de Dakota Plains que la Nation des Wahpeton de Dakota Plains honore notre droit inhérent de gouverner notre nation selon notre propre système de gouvernance héréditaire. En date de ce jour, le 27 septembre 2021, Orville Smoke a rempli ses fonctions à titre de chef de la Nation des Wahpeton de Dakota Plains. Le chef précédent et le conseil des aînés ont choisi un remplaçant acceptable et exerceront leur droit de transférer les pouvoirs dans le cadre d’un processus coutumier.

IL EST RÉSOLU, en ce jour du 27 septembre 2021, que l’ancien chef, Orville Smoke, et le conseil des aînés de la Nation des Wahpeton de Dakota Plains nomment Donald Raymond Smoke, né le 19 mai 1971, en qualité de chef de la Nation des Wahpeton de Dakota Plains.

[5] La deuxième RCB désigne le défendeur, Donald Raymond Smoke, comme étant le chef de Dakota Plains et vise à lui transférer le pouvoir de gouverner la Nation. Le document est signé par Orville Smoke, Ronald Smoke et Leslie Smoke. Il précise notamment ce qui suit :

[traduction]
PAR LES PRÉSENTES, lors d’une assemblée dûment convoquée à la salle du conseil le 27e jour de septembre 2021, il est résolu par le chef et le conseil de la Nation des Wahpeton de Dakota Plains que la Nation des Wahpeton de Dakota Plains honore notre droit inhérent de gouverner notre nation selon notre propre système de gouvernance héréditaire. Donald Raymond Smoke, né le 19 mai 1971, a été nommé chef de la Nation des Wahpeton de Dakota Plains.

IL EST RÉSOLU, en ce jour du 27 septembre 2021, qu’Orville Smoke agisse en qualité d’aîné conseillé auprès du chef Donald Smoke de la Nation des Wahpeton de Dakota Plains, conjointement avec le conseil des aînés de Dakota Plains.

[6] Dans la troisième RCB, des changements ont été apportés au système de gouvernance coutumier de Dakota Plains, de manière à ajouter des critères qu’un chef en fonction devra respecter. Le document est signé par Orville Smoke, Ronald Smoke et Leslie Smoke. La troisième RCB indique notamment ce qui suit :

[traduction]
PAR LES PRÉSENTES, lors d’une assemblée dûment convoquée à la salle du conseil le 27e jour de septembre 2021, il est résolu par le chef et le conseil de la Nation des Wahpeton de Dakota Plains que la Nation des Wahpeton de Dakota Plains honore notre droit inhérent de gouverner notre nation selon notre propre système de gouvernance héréditaire. Les élections tenues selon la Loi sur les Indiens viennent affaiblir nos traditions séculaires et nos cultures, car elle neutralise le rôle du chef élu traditionnellement. Nos principes de gouvernance sont ancrés dans les traditions et les cultures qui sont les nôtres en tant que Wahpeton de Dakota Plains, et l’origine de notre mode de gouvernance est antérieure à l’imposition du colonialisme. La Nation des Wahpeton de Dakota Plains continuera d’être reconnue pour son système de gouvernance héréditaire, conformément à ses coutumes. Nous nous réservons le droit inhérent d’adopter, comme nous l’enseignent nos coutumes, le mécanisme de notre choix pour nommer le nouveau chef de la Nation des Wahpeton de Dakota Plains.

IL EST RÉSOLU que le chef et le conseil de bande de la Nation des Wahpeton de Dakota Plains protègent l’intégrité de notre système héréditaire en exigeant qu’un chef en fonction à l’avenir ait fait des études postsecondaires. Seules les personnes qui ont obtenu un certificat d’apprentissage ou de métier, ou encore un diplôme ou un grade d’un collège, d’une université ou d’une école de métiers accrédités seront considérées comme étant des chefs héréditaires de la Nation des Wahpeton de Dakota Plains. Les titulaires devront se soumettre à une vérification du casier judiciaire et du registre des cas d’enfants maltraités, et ne devront pas consommer quelque substance illégale que ce soit. Une preuve d’admissibilité sera exigée. Il s’agit d’une exigence absolue formulée par les membres originels de la Nation des Wahpeton, de Dakota Plains et par l’actuel conseil des aînés de la Nation.

[7] Le 28 mars 2021, lors d’une conférence de gestion de l’instance, les avocats des demandeurs ont soulevé la question des RCB supplémentaires et ont demandé que la Cour les autorise à modifier l’avis de demande, de manière à inclure les deuxième et troisième RCB. Le 29 mars 2022, la protonotaire Coughlan, qui était juge responsable de la gestion de l’instance, a ordonné aux demandeurs de signifier et de déposer leur avis de demande modifié au plus tard le 4 avril 2022, avec le consentement du défendeur ou par voie de requête. Le défendeur n’a pas accepté les changements que les demandeurs souhaitaient apporter à leur avis de demande.

I. La question en litige

[8] La question en litige dans la présente requête est de savoir si les demandeurs devraient être autorisés à modifier leur avis de demande, conformément aux articles 75 et 102 des Règles.

II. Analyse

[9] L’article 75 des Règles prévoit que « la Cour peut à tout moment, sur requête, autoriser une partie à modifier un document, aux conditions qui permettent de protéger les droits de toutes les parties ». Autoriser ou non la modification relève d’un pouvoir discrétionnaire. Au paragraphe 19 de l’arrêt Enercorp Sand Solutions Inc c Specialized Desanders Inc, 2018 CAF 215 (Enercorp Sand), la Cour d’appel fédérale réitère la règle générale énoncée dans l’arrêt Canderel Ltd c Canada, 1993 CanLII 2990 (CAF), à la p 10 :

[19] […] « une modification devrait être autorisée à tout stade de l’action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu, notamment, que cette autorisation ne cause pas d’injustice à l’autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et qu’elle serve les intérêts de la justice ».

[10] Au paragraphe 20 de l’arrêt Enercorp Sand, la Cour d’appel a aussi examiné le contexte large dans lequel les requêtes en modification devraient être examinées :

[20] Dans Continental Bank Leasing Corp. c. R., [1993] A.C.I. no 18, (1993) 93 D.T.C. 298 à la page 302 (Continental Banking), le juge Bowman établit le contexte large qui préside à l’examen des requêtes visant la modification d’actes de procédure :

[...] je préfère tout de même examiner la question dans une perspective plus large : les intérêts de la justice seraient-ils mieux servis si la demande de modification ou de rétractation était approuvée ou rejetée? Les critères mentionnés dans les affaires entendues par d’autres tribunaux sont évidemment utiles, mais il convient de mettre l’accent sur d’autres facteurs également, y compris le moment auquel est présentée la requête visant la modification ou la rétractation, la mesure dans laquelle les modifications proposées retarderaient l’instruction expéditive de l’affaire, la mesure dans laquelle la thèse adoptée à l’origine par une partie a amené une autre partie à suivre dans le litige une ligne de conduite qu’il serait difficile, voire impossible, de modifier, et la mesure dans laquelle les modifications demandées faciliteront l’examen par la Cour du véritable fond du différend. Il n’existe aucun facteur qui soit prédominant, ou dont la présence ou l’absence soit nécessairement déterminante. On doit accorder à chacun des facteurs le poids qui lui revient dans le contexte de l’espèce. Il s’agit, en fin de compte, de tenir compte de la simple équité, du sens commun et de l’intérêt qu’ont les tribunaux à ce que justice soit faite.

A. La position des demandeurs

[11] Les demandeurs soutiennent qu’ils devraient être autorisés à modifier leur avis de demande, de la manière qu’ils proposent, pour les motifs suivants :

  • a) les modifications ont été proposées tôt dans l’instance de la demande;

  • b) les modifications proposées aident à déterminer la vraie question ou le litige entre les parties, puisque les trois RCB sont inextricablement liées et constituent le fondement de la conduite en cause;

  • c) les modifications proposées n’entraîneront pas une injustice ni un préjudice important pour l’autre partie, puisque le défendeur a lui-même produit les trois RCB en preuve, au moyen de ses propres affidavits;

  • d) les modifications proposées servent les intérêts de la justice et procurent une solution qui est juste, de même que la plus expéditive et économique possible, sans compter que les demandeurs n’auront pas à déposer de demandes supplémentaires pour chaque RCB;

  • e) la requête en autorisation de modifier a été présentée en temps opportun, et la question a été soulevée lors de la conférence de gestion de l’instance, à la première occasion;

  • f) les modifications proposées n’auront pas pour effet de retarder la demande principale et ne visent pas à réduire les échéanciers de l’instance;

  • g) les modifications proposées n’ont pas d’incidence sur la position que les parties ont adoptée à l’origine, pas plus qu’elles n’amènent une autre partie au litige à suivre une ligne de conduite qu’il serait difficile, voire impossible, à modifier, étant donné que les modifications n’altèrent pas de manière importante la réparation demandée au départ ni la preuve présentée par le défendeur en lien avec la demande;

  • h) les modifications demandées faciliteront l’examen complet par la Cour du véritable fond du litige, du fait qu’elles permettront l’ajout de toutes les RCB du 27 septembre 2021, lesquelles sont essentielles à la question en litige.

[12] Les demandeurs soutiennent que, s’ils sont autorisés à ajouter les deuxième et troisième RCB à leur avis de demande, alors il serait aussi approprié pour la Cour de les exempter de l’application de l’article 302 des Règles ou de conclure que cet article ne s’applique pas en l’espèce. Aux termes de cet article, une demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance ou décision, sauf autorisation accordée par la Cour. Selon les demandeurs, la jurisprudence a établi que l’article 302 des Règles ne s’applique pas si l’on peut démontrer que l’objet du contrôle judiciaire concerne une question faisant partie d’une « même série d’actes ». La jurisprudence a également établi une exception à l’article 302 des Règles afin de permettre le contrôle judiciaire de plus d’une ordonnance, lorsqu’un demandeur conteste une même série d’actes ou une ligne de conduite (Gagnon c Bell, 2016 CF 1222 au para 35 (Gagnon); Fondation David Suzuki c Canada (Santé), 2018 CF 380 au para 164 (David Suzuki). Si des décisions contestées sont étroitement liées ou découlent d’une même série d’actes, alors il se peut que l’article 302 des Règles ne s’applique pas, et, s’il s’applique, alors la Cour peut exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 55 et exempter le demandeur de l’application de l’article 302. Dans la décision Truehope Nutritional Support Ltd c Canada (Procureur général), 2004 CF 658 (Truehope), la Cour a déclaré ce qui suit au paragraphe 6 :

[6] Les actes ou décisions continus peuvent faire l’objet d’un contrôle en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale sans contrevenir à la règle 1602(4) [qui est maintenant la règle 302]; toutefois, les actes en question ne doivent pas porter sur deux situations de fait différentes, deux mesures de redressement recherchées, et deux organismes décideurs différents (Mahmood c. Canada (1998), 154 F.T.R. 102 (C.F. 1re inst.); réexamen refusé [1998] A.C.F. no 1836) […]

[13] Les demandeurs soutiennent qu’il en va de l’intérêt supérieur de tous les membres de la communauté que toutes les facettes de ce litige soient abordées dans le cadre d’une même décision, de façon à ce que la page puisse être tournée et que la communauté puisse s’attaquer aux décisions importantes qui doivent être prises à court et moyen terme (Anichinapéo c Papatie, 2014 CF 687 au para 30). Les demandeurs soutiennent également que les distinctions entre les RCB ne l’emportent pas sur les similitudes, et que ces distinctions ne sont pas si complexes qu’elles risquent d’engendrer la confusion, et exiger que des demandes de contrôle judiciaire distinctes soient présentées.

[14] Concernant le fait que, dans l’avis de demande, le défendeur, Donald Raymond Smoke, soit désigné comme étant le seul défendeur dans la demande, les demandeurs font valoir que, même s’il n’avait pas signé la deuxième RCB, il demeurait un rouage important de la préparation des trois RCB. Donald Raymond Smoke est aussi nommé en qualité de nouveau chef de Dakota Plains, ce qui est l’objet tant de la RCB de septembre que de la deuxième RCB. De plus, bien que la troisième RCB ne soit pas non plus signée par Donald Raymond Smoke, les demandeurs soutiennent qu’elle vise à changer le système de gouvernance coutumier de Dakota Plains, puisqu’elle décrit la méthode de nomination d’un nouveau chef. Ils sont en outre d’avis que cette RCB est, dans les faits, semblable aux deux autres, qui modifient le régime de gouvernance de Dakota Plains. S’appuyant sur l’article 103 des Règles, les demandeurs soutiennent que le fait de ne pas désigner tous les signataires des trois RCB comme étant des défendeurs n’invalide pas leur demande ni les modifications proposées. L’article 103 est rédigé en ces termes :

Jonction erronée ou défaut de jonction

103 (1) La jonction erronée ou le défaut de jonction d’une personne ou d’une partie n’invalide pas l’instance.

Questions tranchées par la Cour

(2) La Cour statue sur les questions en litige qui visent les droits et intérêts des personnes qui sont parties à l’instance même si une personne qui aurait dû être jointe comme partie à l’instance ne l’a pas été.

B. La position du défendeur

[15] Le défendeur soutient que les modifications proposées à l’avis de demande des demandeurs ne présentaient pas de possibilité raisonnable de succès. C’est donc là un motif pour refuser d’accorder la modification et pour rejeter la requête en autorisation de modifier (Teva Canada Limited c Gilead Sciences Inc, 2016 CAF 176 au para 29). Le défendeur soutient que Donald Raymond Smoke, à titre personnel, ne constitue pas un « office fédéral » et qu’il ne relève pas de la compétence de la Cour, conformément aux paragraphes 18(1) et 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7. Tandis que les demandeurs conviennent que la structure de gouvernance en place à Dakota Plains est un « conseil de la bande » au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens, aucune allégation n’a été formulée, dans les motifs relatifs aux modifications proposées à l’avis de demande, quant au fait que le chef de Dakota Plains en est aussi, seul, le « conseil de la bande ». Le défendeur soutient que les demandeurs veulent faire appliquer l’article 103 des Règles, afin de conférer à la Cour une compétence qu’elle n’a pas, et que cet article ne peut servir à corriger la lacune fatale que constitue le fait de désigner Donald Raymond Smoke comme étant le seul défendeur en l’espèce. Les arguments de ce dernier sur le sujet sont très semblables à ceux qu’il avait présentés dans sa requête en radiation, et qui sont abordés aux paragraphes 8 à 10 de la section [traduction] « Ordonnance et motifs » de la décision Dakota Plains Wahpeton Oyate et al v Donald Raymond Smoke, 2022 FC 911 (Dakota Plains – Requête en radiation). Par souci de concision, je ne les réexaminerai pas. Toutefois, comme il est précisé au paragraphe 15 de la décision Dakota Plains – Requête en radiation, je conclus que la Cour a bel et bien compétence pour trancher le litige relatif au système de gouvernance en cause en l’espèce.

[16] Le défendeur prétend ensuite que la requête des demandeurs doit être rejetée, parce que les faits qui y sont énoncés ne sont pas étayés par des éléments de preuve. Les demandeurs soutiennent qu’ils ont initialement été informés de l’existence des deuxième et troisième RCB le 25 mars 2022, lorsqu’ils ont reçu les affidavits du défendeur. Or, ils n’ont déposé aucun affidavit pour soutenir leur prétention selon laquelle ils ignoraient l’existence des autres RCB, et ce manque de connaissance ne figurait dans aucun document figurant au dossier de la Cour, ce qui contrevient à l’article 363 des Règles.

[17] Le défendeur affirme que les modifications proposées à l’avis de demande ne précisent pas non plus les motifs de contrôle pour lesquels les demandeurs contestent les deuxième et troisième RCB, en plus de ne pas établir de motifs qui appuieraient la demande de réparation liée à ces RCB supplémentaires. Une fois de plus, les arguments du défendeur à cet égard sont semblables à ceux qu’il avait déjà exposés dans sa requête en radiation. Comme je l’ai conclu au paragraphe 26 de Dakota Plains — Requête en radiation, je suis convaincu que les motifs de contrôle énoncés par les demandeurs sont des motifs reconnus au sens de l’alinéa 18.1(4)a) de la Loi sur les Cours fédérales. Je parviens à la même conclusion en l’espèce.

[18] De plus, le défendeur prétend que, subsidiairement, chaque RCB supplémentaire que les demandeurs souhaitent faire ajouter à un avis de demande modifié doit être examinée individuellement. Dans l’éventualité où la Cour rejetterait les observations du défendeur ci-dessus, ce dernier ne s’opposerait pas à l’ajout de la deuxième RCB, puisqu’elle est suffisamment liée à la RCB de septembre.

[19] Enfin, le défendeur, Donald Raymond Smoke, s’oppose à l’ajout de la troisième RCB. Il fait valoir qu’il n’était pas l’un des signataires de cette RCB, qu’il n’y est pas nommé et qu’il n’en est pas plus l’objet. Il n’existe donc aucun motif justifiant qu’il soit désigné comme étant un défendeur dans la demande de contrôle judiciaire relative à la troisième RCB et encore moins comme étant le seul défendeur. Le défendeur prétend que cette RCB ne concerne pas la [traduction] « question en litige entre les parties », à savoir la légalité de sa nomination à titre de chef héréditaire de Dakota Plains. L’ajout de la troisième RCB aurait pour effet d’élargir la portée du contrôle judiciaire et introduirait dans l’instance une toute nouvelle question, entièrement distincte, au sujet de l’admissibilité du défendeur au titre de chef héréditaire. Dans sa réfutation des arguments des demandeurs concernant l’article 302 des Règles, le défendeur fait remarquer que les demandeurs n’ont fait aucune allégation quant à son inadmissibilité au titre de chef héréditaire de Dakota Plains dans l’avis de demande ni dans les modifications proposées à cet avis. Il n’existe donc aucun motif de présenter la question des critères d’admissibilité établis dans la troisième RCB, lesquels sont plus stricts, afin de déterminer si la nomination du défendeur à titre de chef de Dakota Plains était légale.

C. Analyse

[20] À mon avis, l’avis de demande modifié révèle une réelle cause d’action valable portant sur un litige relatif à la structure de gouvernance et à la légitimité de la personne ou de l’entité qui dirige Dakota Plains. Faisant une lecture la plus large possible, holistique et pratique, sans m’attarder aux questions de forme, afin de me faire une idée réaliste du caractère essentiel de la demande (Robert Aquilini Successor Trust v Canada (Attorney General), 2021 CanLII 46435 (CF) aux para 20, 21), je conclus que l’avis de demande modifié aborde ce litige relatif à la structure de gouvernance. Le défendeur s’appuie sur la RCB de septembre, la deuxième RCB et la troisième RCB pour justifier son titre de chef de Dakota Plains. J’estime donc qu’il est pertinent de les inclure dans l’avis de demande.

[21] En ce qui concerne l’article 302 des Règles, je conclus que nous sommes en présence d’actes de nature continue et qu’il est difficile pour les demandeurs de préciser pour quelle décision ils demandent le contrôle et une mesure de redressement auprès de la Cour (Truehope, au para 6). La preuve, la chronologie et les arguments juridiques relatifs à chaque RCB sont aussi liés étroitement entre eux (Truehope, au para 9). Comme le font remarquer les demandeurs, la RCB de septembre, la deuxième RCB et la troisième RCB ont toutes été signées le 27 septembre 2021, lors de la même [traduction] « assemblée dûment convoquée », en présence des mêmes personnes. Les RCB concernent par ailleurs une situation en cours liée à la gouvernance de Dakota Plains, soit la question qui fait l’objet du contrôle judiciaire devant la Cour. Je conviens donc avec les demandeurs que les trois RCB sont similaires sur le plan des faits et qu’elles font partie d’une « même série d’actes » (David Suzuki, au para 164).

[22] De plus, le défendeur s’appuie sur l’article 363 des Règles pour affirmer qu’il n’existe aucun élément de preuve étayant les faits sur lesquels se fondent les demandeurs dans les motifs avancés dans leur requête. Cependant, comme l’ont fait remarquer les demandeurs, les affidavits et les pièces documentaires déposés par le défendeur et qui leur ont été signifiés le 25 mars 2022 sont réputés avoir été déposés au dossier de la Cour, conformément à l’article 307 des Règles. Par conséquent, je conviens avec les demandeurs qu’ils n’étaient pas tenus de déposer un affidavit pour renvoyer à ces documents dans leur requête, puisque les éléments de preuve pertinents avaient déjà été présentés à la Cour. La question des RCB supplémentaires du 27 septembre 2021 a également été soulevée rapidement auprès de la juge responsable de la gestion de l’instance, le 28 mars 2022.

[23] Bien que je juge qu’il est dans l’intérêt de la justice de permettre aux demandeurs de modifier leur avis de demande, je comprends la préoccupation soulevée par le défendeur quant à la portée de la question en litige. Néanmoins, cette question ne concerne pas une seule décision, mais plutôt une « série d’actes » concernant la gouvernance de Dakota Plains — dont la nomination d’un nouveau chef (l’objet de la RCB de septembre et de la deuxième RCB), ainsi que les critères et la méthode de nomination d’un nouveau chef (l’objet de la troisième RCB). Je conclus donc que les demandeurs devraient être autorisés à contester toutes les RCB au moyen d’une seule demande de contrôle judiciaire, parce que les décisions contestées découlent d’une même série de faits et qu’elles sont étroitement liées (Gagnon, au para 36). De plus, je conclus que l’ajout des deuxième et troisième RCB dans l’avis de demande ne porterait pas préjudice au défendeur, puisque ces RCB étaient déjà jointes comme pièces aux affidavits de ce dernier.

[24] Je porte maintenant mon attention sur la question touchant à la désignation du défendeur dans l’avis de demande. Dakota Plains est une petite communauté qui compte moins de 300 personnes. Selon les demandeurs, tous les membres de Dakota Plains qui sont âgés de plus de 18 ans sont considérés comme étant des représentants au conseil. Il ne serait donc pas logique de désigner le conseil comme étant le défendeur, mais je ne comprends pas pourquoi les autres signataires vivants des RCB n’ont pas été nommés dans l’avis de demande. J’en viens néanmoins à la même conclusion en l’espèce qu’à l’issue de l’examen de la requête en radiation du défendeur (Dakota Plains – Requête en radiation) : la question en litige concerne un différend relatif à la gouvernance des Premières Nations, concernant l’identité de la personne ou de l’entité qui est habilitée à diriger Dakota Plains. Donald Raymond Smoke est un membre du conseil de la bande qui affirme être le chef héréditaire de Dakota Plains, mais il n’a évidemment pas été désigné comme tel dans l’avis de demande, puisque les demandeurs ne lui reconnaissent pas ce titre. Je suis d’avis que la désignation du défendeur n’est pas fatale à la demande, car la Cour peut examiner la position que Donald Raymond Smoke défend : il se présente en tant que chef héréditaire de Dakota Plains.

[25] Enfin, je ne suis pas d’accord avec le défendeur pour dire que la troisième RCB ne concerne pas la [traduction] « question en litige entre les parties » (soit la nomination du chef héréditaire de Dakota Plains). En effet, bien que le défendeur ne soit pas explicitement nommé dans la troisième RCB, les critères à respecter et la méthode à employer dans le processus de nomination d’un nouveau chef à Dakota Plains sont définis dans celle-ci, qui, selon le défendeur, a été signée le même jour que les deux autres RCB. Dans ce contexte, la troisième RCB s’inscrit dans la « même série de faits » qui fait l’objet du contrôle et n’introduit pas une [traduction] « toute nouvelle question, entièrement distincte », car elle concerne la question visée par la demande de contrôle judiciaire : [traduction] « quelle entité ou personne est légalement habilitée à gouverner la Nation des Wahpeton de Dakota Plains ». J’estime également que d’exiger une demande distincte pour chaque RCB entraînerait le gaspillage des ressources de la Cour; il m’apparaît que de traiter toutes les RCB dans un même contrôle judiciaire constitue la façon la plus expéditive et la plus économique sur le plan judiciaire d’examiner la question en litige, conformément à l’article 3 des Règles. Malgré tout, je peux comprendre que l’inclusion de la troisième RCB aurait pour effet d’élargir la portée de la question en litige, étant donné que les critères d’admissibilité qui y sont énoncés impliquent un aspect prospectif de la gouvernance. Par conséquent, je conclus qu’il est approprié d’autoriser le défendeur, comme il l’a demandé, à présenter des éléments de preuve supplémentaires dans le cadre du contrôle judiciaire, au regard de l’ajout des deuxième et troisième RCB. J’accorde donc au défendeur 30 jours à compter de la date de la présente ordonnance pour déposer une preuve supplémentaire par affidavit.

III. Les dépens

[26] Je ne vois aucune raison de déroger à la règle générale selon laquelle les dépens suivent l’issue de la cause. J’ordonnerai donc l’adjudication en faveur des demandeurs de dépens de 1 000 $, y compris les débours et les taxes.


ORDONNANCE dans le dossier T-137-22

LA COUR ORDONNE :

  1. Les demandeurs sont autorités à modifier leur avis de demande.

  2. Les dépens payables aux demandeurs par le défendeur sont de 1 000 $, y compris les débours et les taxes.

  3. Le défendeur dispose de 30 jours à compter de la date de la présente ordonnance pour déposer une preuve supplémentaire par affidavit.

« Shirzad Ahmed. »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-137-22

 

INTITULÉ :

NATION DES WAHPETON DE DAKOTA PLAINS, représentée par EVANGELINE TOWLE, en sa qualité de cheffe héréditaire de la Nation des Wahpeton de Dakota Plains, CRAIG BLACKSMITH et ALVIN SMOKE, en leur qualité de représentants des membres du conseil de bande de la Nation des Wahpeton de Dakota Plains c DONALD RAYMOND SMOKE

requête par écrit en vertu de l’article 369 des Règles des Cours fédérales

ORDONNANCE et motifs :

LE JUGE AHMED

 

DATE DE L’ORDONNANCE

ET DES MOTIFS :

Le 16 juin 2022

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Jessica Barlow

Markus Buchart

 

Pour les demandeurs

 

Devon C. Mazur

Amanda Cheys

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jerch Law

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour les demandeurs

 

Myers LLP

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.