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Date : 20220615

Dossier : T‑758‑21

Référence : 2022 CF 904

[traduction française]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 15 juin 2022

En présence de monsieur le juge Andrew D. Little

ENTRE :

HANNA YEW

demanderesse

et

L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] L’Agence du revenu du Canada (l’ARC) a déterminé qu’au cours de l’année d’imposition 2019, la demanderesse avait fait des cotisations excédentaires à son compte d’épargne libre d’impôt (CELI). Elle a établi une obligation fiscale conformément à la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC (1985), c‑1 (5e suppl) (la LIR).

[2] La demanderesse a demandé à l’ARC de renoncer à l’impôt. L’ARC a rejeté la demande. La demanderesse a sollicité un deuxième examen. L’ARC a également rejeté cette demande.

[3] Elle demande maintenant à la Cour d’annuler la seconde décision. La question en litige consiste à déterminer si la décision était raisonnable au regard des principes énoncés dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65.

[4] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire. Puisqu’il ne s’agit pas d’un appel, je ne suis pas autorisé à modifier la décision de l’ARC si je suis en désaccord avec celle‑ci. Le critère juridique que je dois appliquer au regard de cette demande n’est pas d’établir si la décision de l’ARC était bonne ou mauvaise. Il s’agit plutôt d’établir si la décision était « raisonnable », c’est‑à‑dire déterminer si la décision était intelligible, transparente et justifiée. La décision de l’ARC devait être prise en conformité avec la loi qui s’y applique (en particulier les exigences prévues par la LIR et les décisions judiciaires applicables). L’ARC devait aussi prendre en considération la situation de la demanderesse et y être suffisamment sensible.

[5] Comme je l’expliquerai dans les motifs figurant ci‑dessous, j’ai conclu que la décision prenait en considération la situation de la demanderesse et y était suffisamment réceptive et, par conséquent, qu’elle était raisonnable. La demande sera rejetée.

I. Faits et événements à l’origine de la présente demande

A. Les cotisations excédentaires de la demanderesse à son CELI en 2015 et en 2019

[6] La demanderesse se nomme Hanna Yew (également désignée sous Hua Min Yu dans les documents).

[7] Madame Yew a ouvert un CELI en 2009. Elle a fait des contributions au CELI en 2009, en 2011 (deux contributions), en 2014 (deux), en 2015 (deux) et en 2016.

[8] Dans une lettre datée du 27 mai 2016, l’ARC a écrit à la demanderesse au sujet de contributions au CELI. Cette lettre, que l’ARC décrit comme une [traduction] « lettre d’information », présente les détails pour 2015 montrant un plafond négatif des droits de cotisation au 31 décembre 2015 de 19 500 $. La lettre mentionnait ceci : [traduction] « le montant négatif signifie que vous avez versé trop de cotisations ». La lettre poursuivant en ces termes :

[traduction]

Chaque fois que vous dépassez votre limite des droits de cotisation au CELI, vous devez retirer immédiatement le montant excédentaire afin de ne pas avoir à payer davantage d’impôt à cet égard. Si vous ne retirez pas le montant excédentaire, l’ARC peut examiner votre CELI ultérieurement et exiger un impôt de 1 % au titre de votre montant excédentaire le plus élevé de chaque mois pour chaque mois pendant lequel le montant excédentaire demeure dans le compte.

Si vous avez déjà effectué le retrait du montant excédentaire, vous n’avez rien d’autre à faire. Si vous n’avez pas effectué le retrait du montant excédentaire, veuillez le faire immédiatement.

[9] La lettre fournissait également un exemple de cotisation excédentaire à un CELI en une seule année.

[10] Environ un mois plus tard, la demanderesse a retiré 19 500 $ de son CELI.

[11] La demanderesse a fait des cotisations additionnelles à son CELI en 2018 (deux) et en 2019 (trois).

[12] Pour l’année d’imposition 2019, le plafond de droits de cotisation de la demanderesse était de 7 849,16 $. Ses cotisations totales au cours de l’année civile 2019 se chiffraient à 26 001,66 $.

[13] Dans une lettre datée du 14 juillet 2020, l’ARC a avisé la demanderesse qu’elle avait fait une contribution excédentaire à son CELI de 18 152,50 $. Le ministre du Revenu national (le ministre) a établi une cotisation à l’égard de la demanderesse pour l’année d’imposition 2019 et a émis un avis de cotisation au CELI daté du 14 juillet 2020 (la déclaration CELI), conformément à l’article 207.02 de la LIR.

[14] Dans la déclaration CELI, une cotisation à l’égard d’une obligation fiscale au titre des cotisations excédentaires au CELI de la demanderesse se chiffrant à 1 784,34 $ était établie.

[15] Le 4 août 2020, la demanderesse a retiré 10 596,84 $ de son CELI. Le 10 août 2020, elle a retiré un montant additionnel de 8 119,42 $.

[16] Le paragraphe 207.06(1) de la LIR octroie au ministre le pouvoir discrétionnaire de renoncer à tout l’impôt redevable au titre d’un CELI si le particulier « convainc le ministre » que l’obligation de payer l’impôt fait suite à une « erreur raisonnable » et que le retrait de la cotisation excédentaire est fait « sans délai ».

[17] Dans une lettre datée du 7 août 2020, la demanderesse a demandé à l’ARC d’annuler l’impôt de 1 784 $ applicable aux contributions au CELI pour l’année d’imposition 2019. Elle a affirmé avoir [traduction] « tout à fait mal compris le montant exact [qu’elle devait]cotiser ». Elle a effectué deux cotisations, l’une en janvier 2019 au montant de 10 152 $, et l’autre en février 2019 au montant de 8 000 $, en fonction du montant figurant à la section « Mon dossier » du site Web de l’ARC. Elle a expliqué qu’après le traitement de sa déclaration de revenus de 2019, sa cotisation maximale a été augmentée à 7 849 $. Elle pensait que les 7 849 $ correspondaient au [traduction] « montant supplémentaire [qu’elle] pouvait verser à son CELI parce qu’un agent [lui]avait dit de [se] référer au montant après l’établissement de la cotisation au titre de la déclaration de revenus, mais [qu’elle] pensait qu’il s’agissait du montant additionnel [qu’elle] pouvait cotiser au CELI ». La demanderesse a ensuite expliqué ne pas réaliser que l’ARC ne recevrait pas sa déclaration CELI de 2019 de son institution financière avant avril 2020; elle a donc fait une autre cotisation de 7 849 $ en mai 2020. Elle a dit avoir parlé avec l’agent et réalisé que les 7 849 $ [TRADUCTION] « devaient constituer la totalité de son droit de cotisation à un CELI pour l’ensemble de 2019 ». Elle prétend [TRADUCTION] « qu’il s’agissait d’une mauvaise compréhension et [qu’elle avait] commis une erreur non intentionnelle ».

[18] Dans sa lettre datée du 7 août 2020, la demanderesse a déclaré que ne sachant pas avoir fait une contribution excédentaire en 2019, elle a contribué 6 000 $ à son CELI 2020, ce qui constituerait également une contribution excédentaire.

[19] Dans sa lettre, la demanderesse expliquait aussi vivre de grandes difficultés financières en 2020 parce qu’elle n’a pas pu beaucoup travailler l’année précédente. La pénalité de 1 784 $ ainsi que la prochaine pénalité pour 2020 entraîneraient davantage de stress pour sa famille. Elle a souligné avoir à sa charge un étudiant de niveau universitaire et une mère handicapée à soutenir. Elle a affirmé avoir retiré 19 000 $ de son CELI [traduction] « juste après » avoir reçu la lettre de l’ARC. Par conséquent, elle a demandé à l’ARC de tenir compte de la situation et de renoncer à l’impôt.

[20] Dans une lettre datée du 19 octobre 2020, l’ARC (agissant au nom du ministre) a rejeté sa première demande de renonciation à l’impôt. L’ARC a avisé la demanderesse qu’elle avait continué à faire des cotisations excédentaires en 2019 après avoir été informée au sujet des cotisations excédentaires faites précédemment en 2015. L’ARC a établi qu’elle n’accueillerait pas la demande de la demanderesse en annulation de l’impôt malgré sa situation particulière.

[21] Dans sa lettre datée du 1er novembre 2020, la demanderesse a demandé un examen indépendant du refus de sa première demande de renonciation à l’impôt. La lettre de la demanderesse établissait qu’elle avait cotisé des montants dans son CELI en fonction des montants apparaissant dans la section Mon dossier. La demanderesse a dit avoir [traduction] « mal compris les années d’imposition ». Elle a affirmé que l’information contenue dans Mon dossier [traduction] « était très confuse et [qu’elle n’avait pas] tout compris même si cela s’était produit en 2015 ».

[22] Dans sa lettre, la demanderesse a rappelé avoir perdu son emploi en août 2020 pendant la pandémie et soutenir financièrement son enfant qui étudiait à temps plein à l’université, qui avait aussi perdu son emploi en raison de la pandémie. La demanderesse a affirmé que sa mère handicapée demeurait avec elle et qu’elle dépendait aussi entièrement d’elle sur le plan financier.

[23] La demanderesse a déclaré avoir retiré le montant de sa contribution excédentaire immédiatement après avoir reçu la cotisation de l’ARC et a dit être prête à rembourser la totalité de l’intérêt obtenu grâce à sa contribution excédentaire. Elle a mis l’accent sur le fait que la contribution excédentaire avait été faite par erreur et de façon non intentionnelle.

B. La décision faisant l’objet du contrôle

[24] Dans une lettre datée du 8 avril 2021, un agent principal du traitement des cotisations et des ressources de l’Unité de traitement CELI de l’ARC a rejeté la deuxième demande de la demanderesse de renoncer à l’impôt découlant des cotisations excédentaires à son CELI.

[25] La lettre de l’ARC à la demanderesse se lisait en partie comme suit :

[traduction]

Dans votre lettre, vous déclarez avoir contribué à votre CELI en fonction des montants figurant dans la section Mon dossier du site Web de l’ARC mais que vous n’avez pas bien compris les années d’imposition. Vous avez expliqué que l’information figurant dans Mon dossier porte à confusion et que vous ne la compreniez pas totalement. Vous avez aussi expliqué avoir perdu votre emploi en août 2020 en raison de la pandémie de COVID‑19, soutenir financièrement votre enfant qui étudie à temps plein à l’université et qui a aussi perdu son emploi en raison de la COVID‑19, en plus de soutenir votre mère qui demeure avec vous et qui dépend entièrement de vous financièrement. Vous avez déclaré avoir retiré les cotisations excédentaires immédiatement après avoir reçu l’avis de cotisation au CELI et ne pas avoir tiré beaucoup de l’intérêt total gagné à même ces fonds.

[26] La lettre de l’ARC établissait qu’après un examen exhaustif de l’information soumise et les faits, l’ARC a établi que la demanderesse a continué à faire des cotisations excédentaires à son CELI en 2019 et en 2020, après avoir été informée des répercussions de ses cotisations excédentaires. La lettre mentionnait que l’ARC a envoyé à la demanderesse une [traduction] « lettre d’information » datée du 27 mai 2016, concernant les cotisations excédentaires faites dans son compte en 2015.

[27] La lettre indiquait également :

[traduction]

Bien que les cotisations excédentaires que vous avez faites à votre CELI n’étaient pas intentionnelles, nous ne considérons pas que la mauvaise interprétation de votre limite de cotisation au CELI constitue une erreur raisonnable. Conformément au régime canadien d’autocotisation, les individus sont chargés de comprendre leur CELI et ses limites, d’examiner leur avis de cotisation ou de nouvelle cotisation afin de vérifier l’information qui y figure, et de nous demander de l’information lorsque cela est nécessaire.

Vous êtes chargé de veiller à ce que toutes les cotisations soient faites dans le respect des lignes directrices énoncées dans les dispositions légales relatives aux cotisations au CELI.

[28] La lettre précisait également que si à tout moment au cours d’un mois la demanderesse avait un montant excédentaire dans son CELI, elle serait responsable du paiement d’un impôt équivalant à 1 % du montant excédentaire du CELI pour le mois en question.

[29] La lettre de l’ARC concluait que la cotisation initiale était exacte et, par conséquent, l’ARC ne modifierait pas la déclaration CELI de la demanderesse.

II. Analyse juridique

A. Norme de contrôle

[30] La Cour suprême a décrit les principes juridiques relatifs au contrôle selon la norme de la décision raisonnable dans l’arrêt Vavilov, et dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67.

[31] La norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle habituellement applicable aux demandes de contrôle judiciaire et elle s’applique en l’espèce : Posmyk c Canada (Procureur général), 2021 FC 393 au para 15; Weldegebriel c Canada (Procureur général), 2019 CF 1565 au para 5; Gekas c Canada (Procureur général), 2019 CF 1031 au para 12; Jiang c Canada (Procureur général), 2019 CF 629 au para 13; Dimovski c Canada (Agence du revenu), 2011 CF 721 au para 13.

[32] L’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable ne permet pas à la Cour d’annuler une décision administrative avec laquelle elle est en désaccord. Le contrôle effectué par la Cour constitue plutôt en une analyse déférente et rigoureuse de la question de savoir si la décision est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, aux para 12‑13 et 15.

[33] La Cour examine les motifs du décideur de façon globale et contextuelle, et en corrélation avec le dossier dont disposait le décideur, afin de déterminer si la décision était raisonnable : Vavilov, aux para 85, 91‑96, 97 et 103; Société canadienne des postes, aux para 28‑33.

[34] Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, esp. aux para 85, 99‑101, 105‑106 et 194.

B. Analyse et décision

[35] La demanderesse a soutenu avoir fait des contributions excédentaires à son CELI en fonction de l’information qui figure dans le site Web de l’ARC où les contribuables peuvent obtenir de l’information au sujet de leur CELI à la section « Mon dossier ». Elle a prétendu avoir commis une « erreur raisonnable » et affirme avoir rectifié la situation en retirant les cotisations excédentaires immédiatement après en avoir été informée et, par conséquent, avoir respecté les exigences selon lesquelles le ministre peut renoncer à l’obligation fiscale de 1 784 $, conformément à l’article 207.06 de la LIR.

[36] En particulier, la demanderesse a prétendu que les cotisations excédentaires ont été causées par sa confusion lorsqu’elle a lu l’information figurant dans la section Mon dossier. Dans ses observations écrites, la demanderesse a dit que lorsqu’elle a consulté le site Web, l’information affichée établissait qu’elle pouvait encore cotiser à son CELI. Par conséquent, elle a fait deux cotisations en janvier et en février 2019. La demanderesse a déclaré avoir fait une [traduction] « erreur raisonnable » parce que ses cotisations excédentaires étaient fondées sur l’information figurant dans la section Mon dossier, dont la source est l’ARC. Elle allègue que rien dans la correspondance de l’ARC de 2015 ou de 2020 ne l’avait avisée que les montants figurant dans la section Mon dossier du site Web de l’ARC pouvaient être considérés comme inexacts. Elle soutient avoir seulement agi en fonction de l’information inexacte lui ayant été fournie au sujet du plafond de ses droits de cotisation et n’avoir eu aucune intention de faire une contribution excédentaire à son CELI.

[37] Lors de l’audience, la demanderesse a expliqué que lorsqu’elle a fait ses deux cotisations en janvier et en février 2019, elle ne savait pas que les montants figurant dans « Vos droits de cotisations » indiqués comme « Droits de cotisation inutilisés au début de » et « Droits de cotisation inutilisés à la fin de », tels qu’ils figurent dans la section Mon dossier, pouvaient être mis à jour afin de tenir compte de l’information supplémentaire reçue par l’ARC, par exemple lorsqu’elle a produit sa déclaration de revenus. En examinant cette information au début de 2019, elle croyait pouvoir encore cotiser plus de 26 000 à son CELI, ce qu’elle a fait. Puis, lorsqu’elle a consulté à nouveau la section Mon dossier au printemps 2019, le montant était de 7 849 $; elle a alors compris (erronément) pouvoir encore cotiser à son CELI. Par conséquent, en mai 2019, elle a cotisé à nouveau à la hauteur de ce montant.

[38] Dans ses observations, la demanderesse a fait valoir qu’elle n’a pas investi ses cotisations excédentaires dans des actifs à croissance élevée et qu’elle les a tout simplement placées dans un compte d’épargne à faible taux d’intérêt. Elle n’a jamais eu l’intention de bénéficier d’un avantage indu grâce à ce dépôt et a obtenu un rendement bien moindre par son dépôt non intentionnel que par l’impôt que l’ARC tente maintenant de prélever.

[39] La demanderesse a aussi fait valoir que l’impôt était injuste et lui causait un préjudice injustifié. Le mondant d’intérêt gagné au titre de la cotisation excédentaire était inférieur à 400 $ (moins que l’impôt applicable), puisque l’impôt établi au titre de la cotisation excédentaire au CELI dépassait 1 700 $. Elle a fait valoir que l’obligation fiscale totale pour les années d’imposition 2019 et 2020 était de 3 313,33 $, compte tenu de la cotisation excédentaire de 18 150,50 $ pour 16 mois. D’après les calculs de la demanderesse, elle a [traduction] « gagné » environ 200 $ en raison de son épreuve de cotisation excédentaire. Par conséquent, l’obligation fiscale était de près de dix fois plus élevée que le [traduction] « gain » réalisé, ce qui, à son avis, était injuste en raison du caractère innocent de son erreur.

[40] La défenderesse a soutenu que la décision était raisonnable. Selon la défenderesse, la présente demande se résumait à une seule question : La mauvaise compréhension par la demanderesse constitue‑t‑elle une « erreur raisonnable » au sens du paragraphe 207.06(1)? La défenderesse soutient qu’il faut répondre par la négative à cette question.

[41] La défenderesse a fait valoir que le ministre pouvait exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui incombe en vertu du paragraphe 207.06; les deux exigences doivent être respectées : le particulier doit établir que l’obligation de payer l’impôt fait suite à une « erreur raisonnable », et il doit retirer la cotisation excédentaire « sans délai ». La défenderesse a également fait valoir que le ministre ne détenait aucun pouvoir discrétionnaire de décider quand appliquer un impôt à une contribution excédentaire. L’obligation fiscale constitue une exigence prescrite à l’article 207.02 de la LIR. La défenderesse a affirmé que le seul pouvoir discrétionnaire dont disposait le ministre était celui de renoncer à tout ou partie de l’impôt dont un particulier serait redevable et seulement si les deux conditions prévues à l’article 207.06 sont respectées.

[42] La défenderesse a également fait valoir les arguments suivants :

  • ce qui constitue une « erreur raisonnable » doit reposer sur une évaluation objective de tous les éléments de preuve pertinents (citant Connolly c Canada (Revenu national), 2019 CAF 161, [2019] 4 RCF 256 au para 69);

  • l’erreur de la demanderesse est le résultat d’une mauvaise compréhension des règles applicables au CELI et de sa mauvaise compréhension de l’information figurant dans la section Mon dossier du site Web de l’ARC;

  • la situation de la demanderesse n’a pas donné lieu à une « erreur raisonnable » parce qu’elle n’était pas hors de son contrôle et qu’elle avait fait des cotisations régulières à son CELI depuis 2009. En outre, la demanderesse a reçu la « lettre d’information » de l’ARC datée du 27 mai 2016. À cette période, l’ARC avait renoncé à l’impôt relatif à la cotisation excédentaire faite par la demanderesse pendant l’année d’imposition 2015. Toutefois, même après avoir été avisée en 2016, la demanderesse a commis la même erreur lorsqu’elle a fait une cotisation excédentaire pour l’année d’imposition 2019;

  • l’ignorance des règles et le défaut de chercher à savoir ne constituent pas une erreur raisonnable (citant Connolly, au para 77). Il incombe aux contribuables de faire le suivi de leurs contributions et de s’assurer de respecter les règles de contributions CELI (citant Dimovski, au para 16‑17 et 19‑20);

  • des facteurs tels que l’obtention de mauvais conseils ou une interprétation erronée de l’avis de l’ARC ne peuvent servir de motifs pour demander un allègement au titre d’une « erreur raisonnable » (citant Posmyk, au para 16);

  • le caractère raisonnable d’une erreur ne dépend pas de l’innocence ou de l’absence d’intention (citant Dimovski, au para 16; Weldegebriel, aux para 10 et 15; Kapil c Canada (Agence du revenu), 2011 CF 1373 aux para 24‑25).

[43] La défenderesse a fait valoir que la décision rendue dans la lettre de l’ARC datée du 8 avril 2021 était raisonnable au regard des principes établis dans l’arrêt Vavilov. D’après la défenderesse, la lettre de l’ARC établissait avec précision les exigences prévues à l’article 207.06 ainsi que la position de la demanderesse quant à la manière dont s’est déroulée l’erreur de cotisation excédentaire, ce qui établissait que l’ARC avait tenu compte de l’explication fournie par la demanderesse.

[44] En outre, la défenderesse a fait valoir que la lettre de l’ARC concluait de façon raisonnable qu’une interprétation erronée de la limite de cotisations ne constituait pas une « erreur raisonnable ». La défenderesse a soutenu que la lettre de décision abordait les exigences prévues au paragraphe 207.06(1) de la LIR, répondait à toutes les observations présentées par la demanderesse et expliquait les raisons pour lesquelles l’erreur de la demanderesse n’était pas raisonnable au sens de cette disposition. Puisque la demanderesse n’a pas répondu aux exigences voulant que les cotisations excédentaires doivent avoir été faites suite à une « erreur raisonnable », la demanderesse ne pouvait pas se prévaloir de l’allègement prévu au paragraphe 207.06(1).

[45] En ce qui concerne le montant de l’impôt à payer au titre de la contribution excédentaire, la défenderesse a constaté que la LIR établissait le montant de l’impôt redevable au titre des cotisations excédentaires à l’article 207.02.

[46] Même si j’éprouve de la sympathie à l’égard de la situation de la demanderesse, je suis obligé de conclure que la décision était raisonnable conformément aux principes établis dans l’arrêt Vavilov qui doivent être appliqués par la Cour.

[47] La décision de l’ARC de ne pas renoncer à l’impôt dû était fondée sur les exigences prévues à l’article 207.06 de la LIR. Le ministre n’utilise son pouvoir discrétionnaire de renoncer ou d’annuler l’impôt redevable que si les circonstances respectent les deux exigences prévues au paragraphe 207.06(1) de la LIR : a) la demanderesse convainc le ministre que l’obligation de payer l’impôt fait suite à une « erreur raisonnable », et b) la demanderesse a retiré la cotisation excédentaire « sans délai » : Posmyk, aux para 17‑18; Weldegebriel, au para 16; Dimovski, aux para 11‑12; Kapil, aux para 27‑28.

[48] Comme l’a souligné l’avocat de la défenderesse, la question de savoir si la décision de l’ARC respectait les contraintes factuelles et juridiques applicables constitue le cœur de la demande. À mon avis, compte tenu de la preuve et des observations faites à l’ARC, celle‑ci peut raisonnablement conclure que la demanderesse n’a pas commis d’« erreur raisonnable » au sens de l’alinéa 207.06(1)a) de la LIR.

[49] Il est bien établi que le régime fiscal canadien est fondé sur le principe de l’autocotisation. Il repose sur le fait que les contribuables se conforment à la LIR et divulguent honnêtement à l’ARC leur situation fiscale : R c McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 RCS 627 aux p 636‑37 et 648; Guindon c Canada, 2015 CSC 41, [2015] 3 RCS 3 au para 54; Connolly, au para 69; Dimovski, au para 17.

[50] Il incombe au contribuable de comprendre le droit ou de s’en informer et de prendre des mesures raisonnables pour se conformer à la LIR : Connolly, au para 69; Weldegebriel, au para 10; Jiang, aux para 12‑13; Kapil, au para 24. Compte tenu de la complexité du régime fiscal, on s’attend également à ce que les contribuables demandent conseil : Connolly, au para 69; Dimovski, au para 17.

[51] En matière de CELI, il incombe au contribuable de connaître les limites de ses cotisations et de s’assurer que celles‑ci soient conformes aux règles applicables : Rempel c Canada (Procureur général), 2021 CF 337 au para 26; Jiang, aux para 11‑13.

[52] Dans la décision Weldegebriel, le juge Diner s’est exprimé ainsi au para 10 :

[…] dans le contexte d’un système d’autodéclaration, il incombait [au contribuable] de comprendre la loi (Kapil c Agence du revenu du Canada, 2011 CF 1373, au par. 24); l’ignorance des règles, en particulier dans un système qui dépend du contribuable, n’est pas une excuse. Comme l’a conclu le juge O’Keefe dans la décision Lepiarczyk c Agence du revenu du Canada, 2008 CF 1022, au paragraphe 19, « l’innocence est peut‑être un facteur à prendre en compte, mais elle n’est pas déterminante en l’espèce ».

[53] En l’espèce, je suis d’avis que la décision énoncée dans la lettre de l’ARC datée du 8 avril 2021 était raisonnable. Comme l’a souligné la défenderesse, la situation de chaque contribuable doit être prise en compte objectivement (Connolly, au para 69) et il semble que c’est ce qu’a fait l’ARC. Dans sa lettre, l’ARC a reconnu et a énoncé les faits soulevés dans les lettres de la demanderesse. La lettre établissait que l’ARC avait pris en compte la situation de la demanderesse ainsi que son point de vue quant à la raison pour laquelle le ministre devait renoncer à son obligation fiscale.

[54] Dans sa lettre, l’ARC a reconnu que la demanderesse n’avait pas l’intention de faire des cotisations excédentaires. Il ressort de la loi que les erreurs innocentes ou honnêtes ne sont pas un facteur déterminant — elles n’entraînent pas nécessairement une conclusion d’« erreur raisonnable » au sens de l’alinéa 207.06(1)a) : Weldegebriel, au para 10 et 15; Posmyk, au para 16; Gekas, au para 27. Par conséquent, l’ARC n’a commis aucune erreur de droit en ne renonçant pas à l’impôt dû uniquement sur ce seul fondement.

[55] La lettre de l’ARC reconnaissait les erreurs commises par la demanderesse en consultant la section Mon dossier et mentionnait que l’ARC n’avait pas envisagé que l’interprétation erronée des limites de cotisations au CELI constitue une erreur raisonnable. La demanderesse a reconnu avoir commis des erreurs au sujet du plafond de ses cotisations et avoir mal compris l’information qui figure dans la section Mon dossier du site Web de l’ARC. Toutefois, la demanderesse, à titre de contribuable, avait l’obligation de connaître le plafond de ses cotisations et il lui incombait de s’assurer de ne pas faire de cotisations excédentaires. Comme l’a dit le juge Phelan dans Posmyk, au para 16, des « facteurs tels que l’obtention de mauvais conseils, une interprétation erronée des avis de l’ARC et des erreurs de bonne foi ne peuvent servir de motifs pour demander un allègement ».

[56] Dans ses lettres à l’ARC datées du 7 août et du 1er novembre 2020, la demanderesse a effectivement reconnu être responsable des erreurs et avoir mal compris l’information figurant dans la section Mon dossier quant au plafond de ses cotisations pour 2019. Dans la présente demande, elle a aussi expliqué que, à son avis, sa compréhension erronée était fondée sur (comme elle l’a décrit) l’information [traduction] « inexacte » de la section Mon dossier du site Web de l’ARC. La demanderesse était d’avis que l’information figurant dans la section Mon dossier ne reflétait pas ses droits de cotisation réels pour 2019 et qu’elle a donc été induite en erreur. Elle a également fait valoir que la source de cette information était l’ARC.

[57] Cependant, cela n’est pas tout à fait le cas dans le régime canadien d’autocotisation : la demanderesse était la source sous‑jacente de l’information figurant à la section Mon dossier parce que les limites de cotisations affichées (pour la fin et le début des années d’imposition) devaient être basées sur les montants qu’elle avait fournis à l’ARC. En outre, comme elle l’a reconnu, l’information figurant dans la section Mon dossier a été ultérieurement mise à jour pour refléter les nouveaux renseignements fournis. En effet, elle a noté, dans sa lettre datée du 7 avril 2020, qu’un agent de l’ARC lui avait dit qu’elle devait se référer au montant affiché après le traitement de sa déclaration de revenus.

[58] La preuve dont la Cour a été saisie n’incluait pas le montant que la demanderesse pouvait voir dans la section Mon dossier au début de 2019 parce que ce montant avait déjà changé au moment où chaque partie pouvait l’enregistrer au dossier. Compte tenu de l’ensemble des circonstances, il est raisonnable de croire que l’information figurant dans la section Mon dossier au début de 2019 aurait pu être corrigée à ce moment en fonction de l’information fournie à l’ARC par la demanderesse, et l’information a été mise à jour au printemps pour refléter les nouveaux renseignements figurant dans sa déclaration de revenus. Quoi qu’il en soit, la demanderesse avait la responsabilité en droit de s’assurer que ses cotisations étaient conformes à la LIR.

[59] En outre, il ne s’agit pas d’un cas dans lequel les contributions excédentaires de la demanderesse étaient hors de son contrôle, comme ce fût le cas dans la décision Gekas, aux para 5 et 30‑31. Dans cette affaire, une mauvaise communication entre le contribuable et son institution financière a mené un employé à faire un dépôt par erreur dans son CELI plutôt que dans un autre compte. L’erreur ne relevait pas du contrôle du contribuable parce que quelqu’un d’autre avait commis l’erreur. En l’espèce, la demanderesse a commis les erreurs elle‑même et, en droit, elle en était responsable.

[60] Par conséquent, je conclus que, compte tenu des circonstances, l’ARC pouvait juger que la demanderesse n’avait pas commis une « erreur raisonnable » au sens de l’alinéa 207.06(1)a) de la LIR.

[61] Dans l’ensemble, je conclus que, en l’espèce, il était raisonnable pour l’ARC de décider de ne pas renoncer à l’impôt dû par la demanderesse, conformément à l’article 207.06 de la LIR. La décision de l’ARC respectait les dispositions applicables de la LIR ainsi que la jurisprudence applicable. L’ARC a tenu compte de façon raisonnable de la situation de la demanderesse et de sa position. Parce que la demanderesse n’avait pas respecté certaines des exigences prévues au paragraphe 207.06(1) en établissant à la satisfaction du ministre qu’elle a commis une erreur raisonnable, l’ARC ne détenait pas le pouvoir discrétionnaire de renoncer à l’impôt dû par la demanderesse conformément à cette disposition.

III. Conclusion

[62] Par conséquent, la demande est rejetée. La demanderesse n’a pas sollicité de dépens et aucuns ne lui seront adjugés.


JUGEMENT dans le dossier T‑758‑21

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont payables à l’égard de la présente demande.

« Andrew D. Little »

Juge

Traduction certifiée conforme

Nathalie Gadbois, B.A. (trad.), LL. L., J.D.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑758‑21

 

INTITULÉ :

HANNA YEW c L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (colombie‑britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 30 novembre 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE A.D. LITTLE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 15 juin 2022

 

COMPARUTIONS :

Hanna Yew

LA DEMANDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Daniel Cortes‑Blanquicet

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Daniel Cortes‑Blanquicet

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

pour lA DÉFENDERESSE

 

 

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