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Date : 20220608


Dossier : IMM-6729-20

Référence : 2022 CF 860

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 juin 2022

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

MOHAMMADALI NOURI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Mohammadali Nouri est un citoyen de l’Iran. Il demande le contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent principal [l’agent] a rejeté sa demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire qui avait été présentée à partir du Canada.

[2] Il s’agissait de la deuxième demande de M. Nouri fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. La première a été approuvée en principe, mais finalement rejetée parce que M. Nouri n’a pu produire son passeport iranien ou un certificat de police iranien. La deuxième demande était essentiellement identique à la première, mais elle comprenait le passeport et le certificat de police manquants.

[3] L’agent n’a pas expliqué pourquoi il a rejeté la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire de M. Nouri après l’avoir antérieurement approuvée en principe. L’agent a également mal interprété les éléments de preuve relatifs au parcours professionnel de M. Nouri au Canada et n’a pas véritablement essayé de comprendre le rôle de figure parentale que M. Nouri occupe dans la vie de quatre jeunes enfants. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

II. Contexte

[4] M. Nouri est âgé de 40 ans. Il est arrivé au Canada le 16 avril 2012 et a présenté une demande d’asile. Sa demande a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Il a sollicité l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision de la SPR, mais cette demande a été rejetée.

[5] M. Nouri a présenté une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en décembre 2014. Celle-ci a été approuvée en principe en mars 2015. Cependant, M. Nouri n’a pas été en mesure de produire un passeport iranien valide et un certificat de police pour des raisons indépendantes de sa volonté, et la demande a finalement été rejetée en février 2018.

[6] M. Nouri a demandé une prorogation de son permis de travail, qui a été approuvée jusqu’au 7 mars 2016. Le 16 juillet 2018, il a présenté une deuxième demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaires étayée par son passeport iranien et un certificat de police iranien. La deuxième demande a été rejetée par l’agent le 15 octobre 2020, et une mesure de renvoi a été prise contre M. Nouri.

[7] M. Nouri a également demandé un examen des risques avant renvoi [ERAR], mais celui‑ci a donné lieu à une décision défavorable en décembre 2020.

[8] M. Nouri affirme être en danger en Iran en raison de sa conversion de l’islam au christianisme. Il a adopté la foi chrétienne en Iran et a été baptisé en septembre 2012 après son arrivée au Canada. Sa famille s’est également convertie au christianisme.

[9] Depuis son arrivée au Canada, M. Nouri a conservé un emploi rémunéré dans l’industrie de la construction. En 2016, il a constitué sa propre entreprise de construction.

[10] M. Nouri vit avec sa sœur Shahla et la famille de celle‑ci depuis son arrivée au Canada. La famille est constituée de Mme Nouri, son mari et leurs quatre enfants en bas âge. M. Nouri affirme qu’il est très proche des enfants, lesquels sont tous citoyens canadiens. Son beau‑frère est rarement présent en raison de la nature de son travail, et M. Nouri a contribué à combler ce vide en s’impliquant dans l’éducation des enfants. Sa mère et une autre de ses sœurs vivent également au Canada.

[11] L’agent a conclu que la situation de M. Nouri ne justifiait pas la mesure extraordinaire et discrétionnaire prévue au paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

III. Question en litige

[12] La seule question soulevée par le demandeur dans sa demande de contrôle judiciaire est de savoir si la décision de l’agent était raisonnable.

IV. Analyse

[13] La décision de l’agent est susceptible de contrôle par notre Cour selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 10). La Cour n’interviendra que si la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100). La Cour doit tenir compte du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous‑jacent à celle‑ci (Vavilov, au para 15).

[14] Les critères de « justification, d’intelligibilité et de transparence » sont respectés si les motifs permettent à la Cour de comprendre le raisonnement à l’appui de la décision et de déterminer si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Vavilov, au para 85‑86).

[15] M. Nouri a présenté sa deuxième demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaires le 21 juin 2018. Dans la lettre qui accompagnait la demande, son ancien avocat a écrit ce qui suit :

[traduction]

Dans votre lettre du 23 février 2018, vous avez informé le demandeur que sa première demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaires était rejetée, car il n’avait pas produit un passeport iranien valide et un certificat de police. Par la présente, le demandeur présente une nouvelle demande qui comprend les deux documents exigés. La première demande avait été approuvée en principe dans une lettre datée du 11 mars 2015, sous réserve d’une évaluation de sécurité et d’un examen médical.

[16] L’agent a reconnu que la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire précédente de M. Nouri avait été approuvée en principe, mais n’a pas fait référence à la première décision. Bien qu’il ne soit pas lié par la décision antérieure, l’agent était tenu de justifier raisonnablement pourquoi il s’en est écarté (Faisal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 412, au para 26). L’agent ne l’a pas fait.

[17] De plus, il semble que l’agent ait mal interprété la preuve concernant le parcours professionnel de M. Nouri au Canada. L’agent a conclu ce qui suit concernant l’emploi de M. Nouri avant qu’il ne crée sa propre entreprise de construction en 2016 :

[traduction]

Le demandeur fait valoir qu’il a été embauché comme travailleur de la construction au sein de Norstar Construction en octobre 2012. Toutefois, dans sa lettre d’emploi datée du 29 mai 2018, il indique qu’il est un employé de Norstar Construction depuis deux ans. Aucun détail n’a été fourni concernant le statut d’emploi du demandeur et sa source de revenus de 2012 à 2016.

[18] L’agent a pris acte de la lettre de Norstar Construction datée du 29 mai 2018, dans laquelle M. Nouri confirmait avoir travaillé pour cette entreprise au cours des deux années précédentes. Cependant, l’agent semble ne pas avoir pris en compte une deuxième lettre de la même entreprise datée du 9 novembre 2014, laquelle confirmait qu’il y travaillait depuis son arrivée au Canada en 2012.

[19] L’agent n’a pas contesté l’argument de M. Nouri, étayé par des déclarations de membres de la famille, selon lequel il faisait désormais partie intégrante de la famille de sa sœur et apportait une aide importante en s’occupant activement des enfants. L’agent semble avoir accepté que le beau‑frère de M. Nouri n’était pas très présent pour prendre soin de ses enfants en raison de la nature de son travail, et que la sœur de M. Nouri dépendait fortement du soutien et de l’aide de M Nouri. L’agent a néanmoins conclu qu’il n’y avait pas [traduction] « suffisamment d’éléments de preuve corroborants » pour démontrer que l’absence de M. Nouri aurait une incidence négative sur les enfants.

[20] M. Nouri affirme que la conclusion de l’agent va à l’encontre du bon sens et est incompatible avec l’avertissement de la Cour suprême du Canada selon lequel un enfant ne mérite jamais d’être exposé à des difficultés (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 au para 41). L’agent aurait dû tenir compte de l’ensemble de la preuve et évaluer l’incidence de l’absence de M. Nouri sur les enfants, puis statuer sur la possibilité d’atténuer les conséquences de cette absence d’une autre manière (p. ex., par des appels téléphoniques réguliers, des conversations vidéo, des visites en été, etc.). L’agent ne l’a pas fait en l’espèce.

[21] L’« intérêt supérieur de l’enfant » est déterminé en tenant compte des bénéfices que retirerait l’enfant si le parent n’était pas renvoyé du Canada, ainsi que des difficultés que vivrait l’enfant advenant le renvoi du parent. Les bénéfices et difficultés constituent les deux côtés d’une même médaille (Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475 [Hawthorne] au para 4). Ce cadre d’analyse s’applique également aux personnes, comme M. Nouri, qui jouent un rôle parental.

[22] L’agent d’immigration doit démontrer qu’il était « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur de l’enfant (Hawthorne, au para 10). En l’espèce, les motifs de l’agent ne comprennent aucune discussion de fond sur le rôle de figure parentale que M. Nouri occupe dans la vie de ses neveux et nièces, si ce n’est la reconnaissance qu’il [traduction] « a peut-être participé à des tâches concernant les enfants ». L’agent n’a pas non plus évalué l’incidence sur les jeunes enfants de l’absence prolongée de M. Nouri s’il doit présenter une demande de résidence permanente depuis l’étranger.

[23] L’agent n’a pas justifié pourquoi il s’est écarté de l’approbation de principe antérieure de la première demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire de M. Nourri. L’agent a également mal interprété les éléments de preuve relatifs au parcours professionnel de M. Nouri au Canada et n’a pas véritablement essayé de comprendre le rôle de figure parentale que M. Nouri occupe dans la vie des quatre jeunes enfants. La demande de contrôle judiciaire doit donc être accueillie.

V. Conclusion

[24] La demande de contrôle judiciaire est accueillie. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration pour nouvelle décision.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6729-20

 

INTITULÉ :

MOHAMMADALI NOURI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE TORONTO ET OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 MAI 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 JUIN 2022

 

COMPARUTIONS :

Lina Anani

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Michael Butterfield

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lina Anani

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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