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Date : 20220608


Dossier : IMM-7712-21

Référence : 2022 CF 847

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 juin 2022

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

CHARANJEET SINGH BRAR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUDGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision d’un responsable du centre de traitement des demandes (CTD) situé à Edmonton, en Alberta (la décision). L’auteur de la décision, datée du 4 octobre 2021, a rejeté la demande par laquelle le demandeur sollicitait la prorogation de son permis de travail parce qu’il n’était pas convaincu que celui-ci satisfaisait aux exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement).

II. Le contexte

[2] Le demandeur, Charanjeet Singh Brar, est un citoyen de l’Inde âgé de 61 ans, qui a le statut d’étranger au Canada. Il est arrivé au pays le 22 novembre 2018 tout d’abord comme visiteur, ce statut étant valide jusqu’au 24 septembre 2019. Il a ensuite obtenu un permis de travail l’autorisant à travailler pour Khun Khun Orchards à Kelowna, en Colombie-Britannique, à titre d’ouvrier agricole polyvalent pour la période de septembre 2019 à janvier 2020. En février 2020, il a obtenu un permis de travail en tant qu’aide-mécanicien auprès de Moga Truck Repair Ltd, à Surrey, en Colombie-Britannique. Ce permis, valide jusqu’au 10 février 2021, a été accordé sur le fondement d’une étude d’impact sur le marché du travail (EIMT) favorable.

[3] Le 5 février 2021, le demandeur a reçu une offre de reconduction de son contrat d’emploi de la part de Moga Truck Repair Ltd. afin de continuer son travail d’aide-mécanicien. Le même jour, il a présenté une demande à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) visant à faire proroger son permis de travail. Moga Truck Repair Ltd. a également obtenu pour le poste du demandeur une deuxième EIMT favorable le 17 mars 2021, valide jusqu’au 17 septembre 2021.

[4] Le 24 août 2021, le responsable d’IRCC a exigé des documents supplémentaires relativement à la demande de prorogation du permis de travail, et le demandeur a fourni ses talons de paie, son feuillet T4, son avis de cotisation et les relevés bancaires faisant état du dépôt de son salaire, le tout pour l’année civile 2020.

[5] Le 9 septembre 2021, le responsable d’IRCC a exigé que le demandeur lui fournisse des observations supplémentaires pour justifier la différence entre le revenu figurant sur l’avis de cotisation du demandeur et celui figurant sur son feuillet T4. Le demandeur a joint à ses observations des documents faisant état des indemnités d’accident du travail qu’il avait touchées pour expliquer l’incohérence.

[6] Dans sa décision du 4 octobre 2021, le responsable du CTD a rejeté la demande de prorogation du permis de travail présentée par le demandeur, parce qu’il n’était pas convaincu que le demandeur était en mesure [traduction] « d’exécuter les tâches et le nombre d’heures requises pour le poste ». Il était également [traduction] « d’avis que le [demandeur] n’[était] pas un travailleur qui se conformerait à son obligation de quitter le Canada à la fin de la période de séjour autorisée si la prorogation lui [était] accordée ».

[7] Le 21 octobre 2021, le demandeur a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire en vue d’obtenir une ordonnance annulant la décision et renvoyant l’affaire à un autre agent pour nouvelle décision.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[8] Dans ses notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas, le responsable du CTD a fait état des antécédents du demandeur en matière d’immigration. Il a fait remarquer que la deuxième EIMT fournie pour le poste d’aide-mécanicien chez Moga Truck Repair Ltd. comportait les mêmes paramètres d’emploi que la première EIMT pour le même poste, c’est-à-dire un horaire à temps plein de 40 heures par semaine.

[9] Après avoir examiné les talons de paie fournis par le demandeur pour l’année 2020, le responsable du CTD a constaté que ce dernier n’avait pas travaillé 40 heures par semaine tout au long de son emploi chez Moga Truck Repair Ltd., du 1er mars 2020 au 15 décembre 2020. Par conséquent, le responsable du CTD a conclu que le demandeur était [traduction] « incapable de respecter les conditions énoncées dans l’EIMT ».

[10] Le responsable du CTD n’était donc pas convaincu que le demandeur pouvait [traduction] « exécuter les tâches et le nombre d’heures requises pour le poste », et il s’est dit [traduction] « d’avis que le [demandeur] n’[était] pas un véritable travailleur qui se conformerait à son obligation de quitter le Canada à la fin de la période de séjour autorisée si une prorogation lui [était] accordée ». Le responsable du CTD a rejeté la demande de prorogation du permis de travail présentée par le demandeur.

IV. Les questions en litige

[11] Les questions que doit trancher la Cour dans le cadre du présent contrôle judiciaire sont les suivantes :

  • 1) La décision était-elle raisonnable?

  • 2) La décision était-elle conforme à l’équité procédurale?

V. La norme de contrôle

[12] Lorsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond, la norme de contrôle qu’elle applique est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 23).

[13] Les questions qui ont trait à un manquement à l’équité procédurale sont examinées selon la norme de la décision correcte ou une norme applicable à des questions de même importance (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 34-35 et 54-55, citant Établissement de Mission Institution c Khela, 2014 CSC 24 au para 79).

VI. Analyse

[14] L’étranger qui satisfait aux conditions réglementaires (paragraphes 30(1) et (1.1) de la Loi) peut être autorisé à exercer un emploi au Canada.

[15] En vertu du paragraphe 201(1) du Règlement, l’étranger peut demander le renouvellement de son permis de travail si : a) d’une part, il en fait la demande avant l’expiration de son permis de travail; b) d’autre part, il s’est conformé aux conditions qui lui ont été imposées à son entrée au Canada. De plus, l’agent renouvelle le permis de travail si, à l’issue d’un contrôle, il est établi que l’étranger satisfait toujours aux exigences prévues à l’article 200 (paragraphe 201(2) du Règlement).

[16] Le permis de travail ne peut être délivré à l’étranger si, entre autres choses, l’agent a des motifs raisonnables de croire que l’étranger est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé ou qu’il a enfreint les conditions du permis qui lui a été délivré, ou s’il est établi qu’il ne quittera pas le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable (alinéas 200(1)b), 200(3)a) et 200(3)e) du Règlement).

A. La décision était-elle raisonnable?

[17] Le demandeur soutient que la décision est déraisonnable parce que le responsable du CTD a mal évalué les conditions d’emploi et qu’il n’a pas suffisamment motivé sa décision. Le défendeur soutient que la décision est raisonnable et qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale.

[18] Le responsable du CTD a estimé que le demandeur était [traduction] « incapable de respecter les conditions de l’EIMT » et a conclu qu’il n’était pas possible pour lui d’exécuter les tâches et le nombre d’heures requises pour le poste. Cette conclusion est fondée sur les talons de paie du demandeur pour l’année 2020, lesquels démontrent qu’il n’avait pas travaillé 8 heures par jour, 40 heures par semaine pendant la durée de son permis de travail précédent alors qu’il occupait le même poste pour le même employeur.

[19] Ni l’EIMT pour le poste d’aide-mécanicien ni le permis de travail délivré sur le fondement de cette EIMT pour la période de février 2020 à février 2021 n’établissaient un nombre minimum d’heures à travailler. Les documents supplémentaires fournis par le demandeur, à la demande du responsable d’IRCC, démontrent que celui-ci a travaillé comme aide-mécanicien auprès de Moga Truck Repair Ltd. de façon continue.

[20] De plus, le demandeur a présenté sa demande de prorogation du permis de travail avant l’expiration de son premier permis de travail.

[21] En outre, la conclusion du responsable du CTD – selon laquelle le demandeur n’était pas un travailleur qui se conformerait à son obligation de quitter le Canada à la fin de la période de séjour qui lui serait applicable s’il obtenait une prorogation – ne fait pas état d’une analyse rationnelle.

[22] Pour tous ces motifs, la décision est déraisonnable.

B. La décision était-elle conforme à l’équité procédurale?

[23] L’équité procédurale exige que les agents des visas veillent à ce que les demandeurs aient la possibilité de participer utilement au processus de demande, ce qui comprend le droit d’être informé des incohérences importantes perçues, des préoccupations quant à la crédibilité, des préoccupations quant à l’exactitude ou à l’authenticité, ou du fait qu’un agent des visas s’appuie sur une preuve extrinsèque, et de se voir donner la possibilité d’y répondre (Bui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 440 au para 27).

[24] La décision de délivrer un visa temporaire commande généralement l’application d’une norme peu élevée ou minimale d’équité procédurale, mais lorsque l’agent des visas a des doutes sur la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité des renseignements fournis, il doit offrir au demandeur la possibilité d’y répondre (Sangha, aux para 21 et 22, citant Hassani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1283 au para 24, et Madadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 716 au para 6).

[25] Dans sa décision, le responsable du CTD ne semblait pas douter de la crédibilité, de l’exactitude ou de l’authenticité des renseignements fournis par le demandeur. De plus, il a offert au demandeur la possibilité de fournir des documents supplémentaires et une explication pour les incohérences quant à son revenu déclaré en 2020. Il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale.

[26] Quoi qu’il en soit, vu les motifs exposés plus haut liés concernant l’analyse du caractère raisonnable de la décision, la présente demande est accueillie.


JUGEMENT dans le dossier IMM-7712-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

IMM-7712-21

 

INTITULÉ :

CHARANJEET SINGH BRAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

le 6 juin 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge MANSON

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS

le 8 juin 2022

 

COMPARUTIONS :

HARRY VIRK

 

POUR LE DEMANDEUR

 

BRETT NASH

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

LIBERTY LAW CORPORATION

ABBOTSFORD (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

POUR le demandeur

 

MINISTÈRE DE LA JUSTICE

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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