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Date : 20220601


Dossier : IMM-3086-21

Référence : 2022 CF 802

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er juin 2022

En présence de madame la juge Fuhrer

ENTRE :

KULWANT KAUR DAYAL

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS :

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie du deuxième contrôle judiciaire d’une décision concernant les mêmes parties dans le contexte d’une demande de parrainage.

[2] Le 27 novembre 2018, la Section d’appel de l’immigration [SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [CISR] a conclu que la demanderesse, Kulwant Kaur Dayal, ne pouvait pas parrainer les membres de sa famille aux fins de l’obtention de la résidence permanente parce qu’elle ne disposait pas du revenu vital minimum [RVM] requis par le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR]. La SAI a également estimé qu’il n’y avait pas de motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales. J’ai présidé le contrôle judiciaire antérieur, j’ai accueilli la demande et j’ai renvoyé l’affaire à la SAI pour nouvel examen, surtout en raison d’une appréciation erronée du facteur d’ordre humanitaire de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché : Dayal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1188 [Dayal, 2019] aux para 34-38.

[3] Lors de la nouvelle audience tenue devant la SAI, la demanderesse n’a pas contesté la validité juridique du rejet de la demande de parrainage. La nouvelle audience avait plutôt porté sur la question de savoir s’il y avait, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant, des considérations d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales. Le 16 avril 2021, la SAI a de nouveau conclu qu’aucun motif d’ordre humanitaire ne justifiait la prise de mesures spéciale et elle a rejeté l’appel : Dayal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CanLII 141694 (CA CISR) [décision].

[4] Mme Dayal sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision aux motifs que la SAI a commis une erreur de droit dans son application de l’alinéa 67(1)c) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], qu’elle a commis une erreur en faisant des hypothèses et en faisant abstraction d’éléments de preuve pertinents, et qu’elle a commis une erreur dans son appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant.

[5] Il n’est pas contesté que la principale question à trancher en l’espèce est celle de savoir si la décision était raisonnable. La norme de contrôle présumée s’appliquer est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 10, 25. À mon avis, aucune des situations dans lesquelles la présomption peut être réfutée n’est présente en l’espèce : Vavilov, au para 17.

[6] Pour qu’une décision soit à l’abri d’une intervention judiciaire, elle doit posséder les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité : Vavilov, au para 99. Une décision peut être déraisonnable si le décideur s’est mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’a pas valablement tenu compte des questions clés ou des arguments principaux formulés par les parties, ou s’il a omis de s’y attaquer de façon significative : Vavilov, aux para 125-127. Les questions d’interprétation de la loi ne reçoivent pas un traitement exceptionnel. Comme toute autre question de droit, on peut les évaluer en appliquant la norme de la décision raisonnable : Vavilov, au para 115. Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable : Vavilov, au para 100.

[7] Malgré la mise en garde de la Cour suprême contre « [les] va-et-vient interminable[s] de contrôles judiciaires et de nouveaux examens», je suis convaincue qu’il existe des raisons impérieuses, que j’explique ci-dessous, d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire de la demanderesse : Vavilov, au para 142. Une fois de plus, selon moi, le point déterminant est l’insuffisance de l’analyse faite par la SAI de l’intérêt supérieur de l’enfant, ce qui rend la décision est déraisonnable.

[8] Voir l’annexe A pour les dispositions législatives applicables.

II. Analyse

[9] L’analyse porte sur chacune des erreurs soulevées par la demanderesse.

A. Aucune erreur dans l’application de l’alinéa 67(1)c)de la LIPR

[10] Je ne suis pas convaincue que la SAI a commis une erreur de droit dans son application de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR.

[11] Selon cette disposition, la SAI doit conclure qu’il y a des motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales. Il s’agit d’une mesure discrétionnaire qui « constitue une sorte de soupape de sécurité disponible pour des cas exceptionnels » : Semana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1082 au para 15.

[12] De plus, la Cour a déjà conclu que la force de persuasion des motifs d’ordre humanitaire devait être proportionnelle à l’importance de l’obstacle à l’admissibilité : Bermudez Anampa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 20 au para 26; Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 394 au para 12; Ouedraogo c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2021 CF 310 au para 27; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Doss, 2021 CF 623 au para 20.

[13] J’estime que la SAI a raisonnablement décrit ces principes comme suit : « … [l’]exercice du pouvoir discrétionnaire exige une évaluation nuancée et qualitative de la preuve, ainsi qu’un examen de toutes les circonstances de l’affaire. Cependant, une approche qualitative n’est pas inconciliable avec la prise en considération d’une échelle liée aux mesures spéciales pour établir s’il y a des motifs d’ordre humanitaire suffisants à la lumière de l’importance de l’interdiction de territoire, qui, en l’espèce, tient à l’insuffisance du revenu ».

[14] La demanderesse soutient que l’approche de l’« échelle » ou de l'« échelle mobile »des motifs d’interdiction n’est pas justifiée parce qu’elle oppose l’importance du manquement à tous les autres facteurs. Je ne suis pas d’accord. Bien que la jurisprudence ait établi que la raison pour laquelle une personne est interdite de territoire au Canada (ou, comme en l’espèce, le rejet d’une demande de parrainage) ne saurait constituer le facteur déterminant pour l’issue d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (la dispense serait alors inutile), la raison pour laquelle une personne a besoin d’une dispense est un facteur pertinent et il appartient à l’agent de décider du poids à y accorder : Palencia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1301 au para 42. En d’autres termes, les raisons pour lesquelles un demandeur sollicite une dispense pour considérations d’ordre humanitaire est un facteur à prendre en compte, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas lieu d’examiner adéquatement la nature et la portée des obstacles juridiques à l’octroi d’une dispense : Lopez Bidart c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 307 au para 32.

[15] Personne ne conteste que l’écart entre le revenu réel de la demanderesse et le RVM requis est important puisque le manque à gagner dépasse 70 000 $ pour chacune des années 2017, 2018 et 2019. Dans les circonstances, je conclus qu’il n’était pas déraisonnable pour la SAI de tenir compte de cet écart (c’est-à-dire de l’importance du manquement à la LIPR) et de l’atténuation possible du risque financier posé par le parrainage, dans l’appréciation globale des facteurs. À mon avis, il n’y a rien d’irrationnel ou d’incohérent dans la description qu’a faite la SAI des considérations d’ordre humanitaire applicables au titre de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR : Vavilov, au para 85. Par contre, comme je l’explique ci-après dans les présents motifs, j’estime que l’analyse de ces considérations est lacunaire à plusieurs égards.

B. La SAI a fait des hypothèses, mais n’a pas fait abstraction d’éléments de preuve pertinents

[16] À mon avis, la SAI n’a pas fait abstraction d’éléments de preuve pertinents, en l’espèce, mais a plutôt fait des hypothèses. La SAI est présumée avoir pris en considération tous les éléments de preuve qui lui ont été soumis et il lui est loisible de renvoyer uniquement aux éléments de preuve qu’elle juge importants : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Sohail, 2017 CF 995 au para 31. Par ailleurs, rien n’indique, à mon avis, que la SAI a écarté la preuve concernant les actifs financiers de la famille.

[17] Je conclus, cependant, que la SAI a formulé des hypothèses inappropriées sur la question de savoir si le père de la demanderesse serait en mesure de trouver du travail compte tenu de son âge et s’il pourrait travailler longtemps. La SAI a mentionné en particulier que le père avait atteint l’« âge normal de la retraite » sans expliquer ce que voulait dire cette expression, ni pourquoi elle s’appliquait nécessairement au père de la demanderesse (qui, selon les éléments de preuve, est un agriculteur indépendant, plutôt qu’un employé tenu de prendre sa retraite à un âge donné). La Cour a déjà dit qu’il n’était pas permis pour un décideur de faire des hypothèses et de tirer des conclusions conjecturales : Dhudwal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1124 aux para 20-21); Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 757 au para 62. En outre, la SAI doit être sensible aux contextes culturels, y compris en ce qui a trait à la retraite, et doit aborder la question du point de vue du pays d’origine, et non du « point de vue occidental » : Gjoka c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 386 au para 81; A.P. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 906 au para 22.

[18] Je suis d’accord avec la demanderesse pour dire qu’en arrivant à la conclusion ci-dessus, la SAI a transformé un facteur favorable, soit que le père voulait travailler au Canada pour soutenir la famille et qu’un ami de la famille, qui aide financièrement la demanderesse, l’aiderait à trouver un emploi, en un facteur défavorable, en accordant un poids à l’hypothèse que le père aurait de la difficulté à trouver un emploi en raison de son âge : Marshall c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 72, aux para 35-37. Il est établi par la jurisprudence qu’une énonciation de faits, suivie non pas d’une conclusion fondée sur des faits, mais plutôt sur une supposition, permet de casser une décision administrative : Huot c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 180 au para 26.

[19] Autrement, je conclus que les conclusions tirées par la SAI à l’égard des autres aspects de la demande n’étaient pas déraisonnables dans les circonstances, notamment ses conclusions sur le manque de clarté au sujet de la dette liée au domicile que la demanderesse possède conjointement avec l’ami de la famille (qui est également un membre de la famille de la mère de la demanderesse), les dépenses connexes, le montant des contributions financières de la demanderesse liées à la vente du domicile conjugal et, ensuite, à la maison en rangée que celle‑ci a achetée après son divorce, et le lien de dépendance de la demanderesse avec l’ami de la famille. J’estime également qu’il n’était pas déraisonnable pour la SAI d’envisager la possibilité d’un changement dans la situation de l’ami de la famille qui pourrait modifier sa capacité à fournir un soutien financier, et le fait que la dette devrait un jour être remboursée, comme s’y attend l’ami en question. Ces conclusions, à mon avis, découlent d’une preuve insuffisante quant à la situation financière globale de la demanderesse, surtout à ce qui concerne sa relation avec l’ami de la famille, mais ne repose pas sur des conjectures ou des hypothèses.

C. L’analyse déraisonnable de l’intérêt supérieur de l’enfant faite par la SAI

[20] Je suis d’avis que la SAI a de nouveau mal analysé l’intérêt supérieur de l’enfant à plusieurs égards importants. Pour cette raison, j’estime que l’intervention de la Cour est justifiée.

[21] Je pars du principe que, « [p]our établir si une analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant au titre de l’article 67 de la LIPR est raisonnable, la jurisprudence qui analyse ce facteur dans le contexte du paragraphe 25(1) de la LIPR est pertinente »: Phan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 435 [Phan] au para 19. Comme l’a affirmé ma collègue la juge Strickland, l’application du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant « [...] dépen[d] fortement du contexte, en raison de la multitude de facteurs qui risquent de faire obstacle à l’intérêt de l’enfant. Il faut donc tenir compte de l’âge de l’enfant, de ses capacités, de ses besoins et de son degré de maturité » : Phan, au para 20 (je souligne). De plus, « le décideur ne peut donc pas se contenter de mentionner qu’il prend cet intérêt en compte. L’intérêt supérieur de l’enfant doit être bien identifié et défini, puis examiné avec beaucoup d’attention eu égard à l’ensemble de la preuve » : Phan, au para 21; Vieira Sebastiao Melo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 544 [Melo] au para 53.

[22] Qui plus est, comme l’enseigne la Cour suprême, « [l]e décideur doit considérer l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. […] [L]orsque la loi exige expressément la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché, cet intérêt représente une considération singulièrement importante dans l’analyse » : Phan, précité, aux para 20-21, citant l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy]; Melo, précitée, aux para 49 et 52.

[23] Comme mon collègue le juge Zinn l’a fait remarquer, l’agent doit effectuer une évaluation indépendante de chacun des facteurs d’ordre humanitaire pertinents, y compris l’intérêt supérieur des enfants, puis les soupeser collectivement pour décider s’il y a des circonstances de nature à inciter toute personne raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne (citant Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970), 4 A.I.A 338, cité dans Kanthasamy, au para 13) : Melo, précitée, au para 47. Il est fort possible que l’un de ces facteurs suffise à lui seul pour justifier la prise de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire : Melo, précitée, au para 47. De plus, le manque à gagner de la demanderesse, qui découle du non-respect de la LIPR, n’est pas pertinent pour l’examen de l’intérêt supérieur des enfants : Melo, précitée, au para 46.

[24] À la lumière de ces principes, j’estime que la SAI a commis plusieurs erreurs susceptibles de contrôle. En concluant que « [l]es enfants sont en bonne santé et fréquentent l’école, mais il leur manque une partie importante de la structure parentale dans leur vie », la SAI a minimisé l’intérêt supérieur de ces enfants qui ont été victimes de violence parentale et qui ont été témoins de la violence grave que leur père a infligée à leur mère pendant près d’une décennie : Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38 au para 5.

[25] Deuxièmement, la SAI a reconnu dans sa décision que les expériences traumatisantes qu’avaient vécues les enfants leur avaient nui, et la demanderesse a témoigné que les enfants avaient suivi des cours pour composer avec le stress et qu’elle avait fait d’autres activités avec eux pour les aider à atténuer leurs difficultés. La raison pour laquelle la SAI a conclu que les enfants étaient en bonne santé, surtout en ce qui a trait à leur santé mentale, ne ressort pas clairement des motifs.

[26] Par exemple, on peut lire dans la décision : « Il a été dit que les enfants sont en santé ». En effet, la demanderesse a répondu [traduction] « Oui » lorsque la SAI lui a demandé : [traduction] « Vos enfants sont-ils généralement en bonne santé? ». Lorsque la SAI lui a, par la suite, demandé : [traduction] « Les enfants savent-ils que vous êtes stressée? », la demanderesse a répondu [traduction] : « Oui, ils le savent et ils sont également stressés ».

[27] Bien que je reconnaisse qu’il n’est pas nécessairement déraisonnable pour un décideur de privilégier certains éléments de preuve, alors qu’il ne fait aucun doute que les membres de cette famille ont souffert pendant longtemps des mauvais traitements d’un parent et époux, il en faut plus, à mon avis, pour démontrer qu’en concluant que les enfants sont en bonne santé, la SAI s’est montrée suffisamment « réceptive, attentive et sensibles » à leur vécu et que cette conclusion était raisonnable dans les circonstances. Je ne suis pas convaincue qu’elle l’ait fait de la manière envisagée dans la jurisprudence, par exemple dans les décisions Phan, précitée, aux para 18-28, et Melo, précitée, aux para 46-75.

[28] Troisièmement, bien que la SAI ait mentionné l’âge de tous les enfants et qu’elle se soit penchée un peu plus sur la situation de l’aîné, je suis convaincue qu’elle n’a pas identifié, défini et examiné l’intérêt supérieur de chaque enfant, en particulier des deux plus jeunes, avec beaucoup d’attention.

[29] Quatrièmement, j’estime que la SAI n’a pas raisonnablement tenu compte de l’effet des mauvais traitements qu’a subis la demanderesse, notamment de l’état d’isolement profond dans lequel elle s’est trouvée, sur sa relation avec ses enfants et sur sa capacité de s’occuper d’eux sur le plan émotionnel, mental et financier. Comme la demanderesse l’a affirmé dans un témoignage précédent, [traduction] « Je ne peux pas fournir à mes enfants ce dont ils ont besoin. Je ne peux même pas m’occuper beaucoup de la maison parce que ma santé n’est pas bonne. … Je ne peux pas m’enfuir. Je ne peux pas laisser les enfants. Parce que j’ai traversé toutes ses épreuves pour mes enfants. » Et comme elle l’a dit plus récemment lors de la nouvelle audience, [traduction] « J’essaie de prendre bien soin de moi-même, de prendre soin de ma santé. Je suis la seule à m’occuper d’eux [les enfants] ici – je n’ai personne d’autre ». La demanderesse a également mentionné que son médecin de famille lui avait donné les conseils suivants : [traduction] « Vous vivez beaucoup de stress. Donc, concentrez-vous simplement sur les enfants sinon ils seront eux aussi très stressés. » Elle a par ailleurs parlé de son état de santé mentale dans les termes suivants : [TRADUCTION] « Je me sens coupable parce que je pleure très facilement et souvent, à cause de mon état mental. Je suis vraiment désolée. » En effet, plusieurs fois dans la transcription, il est mentionné que la demanderesse semble éprouver une telle détresse.

[30] Pour résumer, je conclus que la SAI a commis une erreur parce qu’elle a omis d’identifier et de définir l’intérêt supérieur des enfants, puis de l’examiner avec beaucoup d’attention : Kanthasamy, précité, au para 29. À mon avis, la SAI a également omis d’appliquer le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, qui dépend fortement du contexte, en tenant compte de l’âge de chaque enfant, de ses capacités, de ses besoins, de son degré de maturité et de son degré de développement : Obeid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 88 au para 16, citant l’arrêt Kanthasamy, précité, au para 35. Il se peut qu’à l’issue du nouvel examen, l’intérêt supérieur de l’enfant ne l’emporte pas finalement sur l’important manque à gagner de la demanderesse, mais je suis convaincue qu’il était déraisonnable de la part de la SAI de conclure, dans sa décision sur le deuxième réexamen, que ce dernier facteur, celui du revenu insuffisant l’emportait sur les facteurs d’ordre humanitaire, sans procéder à un examen dûment ciblé de l’intérêt de ces enfants.

III. Conclusion

[31] Si la seule erreur qu’avait commise la SAI avait été l’hypothèse qu’elle a formulée sur la question de savoir si le père de la demanderesse serait en mesure de trouver un emploi compte tenu de son âge, je n’aurais peut-être pas été portée à modifier la décision. Comme l’a souligné récemment la Cour, la moindre lacune ou insuffisance relevée dans une décision ne la rend pas déraisonnable dans son ensemble : Metallo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 575 au para 26. Par contre, la répétition d’une même erreur ou d’une erreur similaire pourrait rendre la décision déraisonnable, selon l’issue du nouvel examen et les motifs de la SAI.

[32] Toutefois, puisque la SAI s’est livrée non seulement à une conjecture inappropriée, mais qu’elle a également commis les erreurs importantes décrites ci-dessus dans son analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant, je conclus que la décision dans son ensemble est déraisonnable.

[33] La décision est annulée, et l’affaire sera renvoyée à la SAI pour nouvel examen.

[34] Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question de portée générale à certifier et je suis d’avis que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3086-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est accueillie.

  2. La décision de la Section d’appel de l’immigration datée du 16 avril 2021, et publiée sous la référence Dayal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CanLII 141694 (CA CISR), est annulée.

  3. L’affaire est renvoyée à la Section d’appel de l’immigration pour nouvelle décision.

  4. Il n’y a aucune question à certifier.

« Janet M. Fuhrer »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claudia De Angelis


Annexe « A » : Dispositions pertinentes

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

Parrainage de l’étranger

Sponsorship of foreign nationals

13 (1) Tout citoyen canadien, résident permanent ou groupe de citoyens canadiens ou de résidents permanents ou toute personne morale ou association de régime fédéral ou provincial — ou tout groupe de telles de ces personnes ou associations — peut, sous réserve des règlements, parrainer un étranger.

13 (1) A Canadian citizen or permanent resident, or a group of Canadian citizens or permanent residents, a corporation incorporated under a law of Canada or of a province or an unincorporated organization or association under federal or provincial law — or any combination of them — may sponsor a foreign national, subject to the regulations.

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

25 (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25 (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

Droit d’appel : visa

Right to appeal — visa refusal of family class

63 (1) Quiconque a déposé, conformément au règlement, une demande de parrainage au titre du regroupement familial peut interjeter appel du refus de délivrer le visa de résident permanent.

63 (1) A person who has filed in the prescribed manner an application to sponsor a foreign national as a member of the family class may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision not to issue the foreign national a permanent resident visa.

Fondement de l’appel

Appeal allowed

67 (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

67 (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227)

Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002-227

Qualité de répondant

Sponsor

130 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), a qualité de répondant pour le parrainage d’un étranger qui présente une demande de visa de résident permanent au titre de la catégorie du regroupement familial ou une demande de séjour au Canada au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada aux termes du paragraphe 13(1) de la Loi, le citoyen canadien ou résident permanent qui, à la fois :

130 (1) Subject to subsections (2) and (3), a sponsor, for the purpose of sponsoring a foreign national who makes an application for a permanent resident visa as a member of the family class or an application to remain in Canada as a member of the spouse or common-law partner in Canada class under subsection 13(1) of the Act, must be a Canadian citizen or permanent resident who

a) est âgé d’au moins dix-huit ans;

(a) is at least 18 years of age;

b) réside au Canada;

(b) resides in Canada; and

c) a déposé une demande de parrainage pour le compte d’une personne appartenant à la catégorie du regroupement familial ou à celle des époux ou conjoints de fait au Canada conformément à l’article 10.

(c) has filed a sponsorship application in respect of a member of the family class or the spouse or common-law partner in Canada class in accordance with section 10.

Exigences : répondant

Requirements for sponsor

133 (1) L’agent n’accorde la demande de parrainage que sur preuve que, de la date du dépôt de la demande jusqu’à celle de la décision, le répondant, à la fois :

133 (1) A sponsorship application shall only be approved by an officer if, on the day on which the application was filed and from that day until the day a decision is made with respect to the application, there is evidence that the sponsor

a) avait la qualité de répondant aux termes de l’article 130;

(a) is a sponsor as described in section 130;

b) avait l’intention de remplir les obligations qu’il a prises dans son engagement;

(b) intends to fulfil the obligations in the sponsorship undertaking;

c) n’a pas fait l’objet d’une mesure de renvoi;

(c) is not subject to a removal order;

d) n’a pas été détenu dans un pénitencier, une prison ou une maison de correction;

(d) is not detained in any penitentiary, jail, reformatory or prison;

e) n’a pas été déclaré coupable, sous le régime du Code criminel :

(e) has not been convicted under the Criminal Code of

(i) d’une infraction d’ordre sexuel ou d’une tentative ou menace de commettre une telle infraction, à l’égard de quiconque,

(i) an offence of a sexual nature, or an attempt or a threat to commit such an offence, against any person,

(i.1) d’un acte criminel mettant en cause la violence et passible d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une tentative de commettre un tel acte à l’égard de quiconque,

(i.1) an indictable offence involving the use of violence and punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or an attempt to commit such an offence, against any person, or

(ii) d’une infraction entraînant des lésions corporelles, au sens de l’article 2 de cette loi, ou d’une tentative ou menace de commettre une telle infraction, à l’égard de l’une ou l’autre des personnes suivantes :

(ii) an offence that results in bodily harm, as defined in section 2 of the Criminal Code, to any of the following persons or an attempt or a threat to commit such an offence against any of the following persons:

(A) un membre ou un ancien membre de sa famille,

(A) a current or former family member of the sponsor,

(B) un membre de sa parenté, ou un membre ou ancien membre de la famille de celui-ci,

(B) a relative of the sponsor, as well as a current or former family member of that relative,

(C) un membre de la parenté d’un membre de sa famille, ou un membre ou ancien membre de la famille de celui-ci,

(C) a relative of the family member of the sponsor, or a current or former family member of that relative,

(D) son partenaire conjugal ou ancien partenaire conjugal,

(D) a current or former conjugal partner of the sponsor,

(E) un membre ou un ancien membre de la famille d’un membre de sa famille ou de son partenaire conjugal,

(E) a current or former family member of a family member or conjugal partner of the sponsor,

(F) un membre de la parenté de son partenaire conjugal, ou un membre ou ancien membre de la famille de celui-ci,

(F) a relative of the conjugal partner of the sponsor, or a current or former family member of that relative,

(G) un enfant qui est ou était sous sa garde et son contrôle, ou sous celle d’un membre de sa famille ou de son partenaire conjugal ou d’un ancien membre de sa famille ou de son ancien partenaire conjugal,

(G) a child under the current or former care and control of the sponsor, their current or former family member or conjugal partner,

(H) un enfant qui est ou était sous la garde et le contrôle d’un membre de sa parenté, ou d’un membre ou ancien membre de la famille de ce dernier,

(H) a child under the current or former care and control of a relative of the sponsor or a current or former family member of that relative, or

(I) une personne avec qui il a ou a eu une relation amoureuse, qu’ils aient cohabité ou non, ou un membre de la famille de cette personne;

(I) someone the sponsor is dating or has dated, whether or not they have lived together, or a family member of that person;

f) n’a pas été déclaré coupable, dans un pays étranger, d’avoir commis un acte constituant une infraction dans ce pays et, au Canada, une infraction visée à l’alinéa e);

(f) has not been convicted outside Canada of an offence that, if committed in Canada, would constitute an offence referred to in paragraph (e);

g) sous réserve de l’alinéa 137c), n’a pas manqué :

(g) subject to paragraph 137(c), is not in default of

(i) soit à un engagement de parrainage,

(i) any sponsorship undertaking, or

(ii) soit à une obligation alimentaire imposée par un tribunal;

(ii) any support payment obligations ordered by a court;

h) n’a pas été en défaut quant au remboursement d’une créance visée au paragraphe 145(1) de la Loi dont il est redevable à Sa Majesté du chef du Canada;

(h) is not in default in respect of the repayment of any debt referred to in subsection 145(1) of the Act payable to Her Majesty in right of Canada;

i) sous réserve de l’alinéa 137c), n’a pas été un failli non libéré aux termes de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité;

(i) subject to paragraph 137(c), is not an undischarged bankrupt under the Bankruptcy and Insolvency Act;

j) dans le cas où il réside :

(j) if the sponsor resides

(i) dans une province autre qu’une province visée à l’alinéa 131b) :

(i) in a province other than a province referred to in paragraph 131(b),

(A) a un revenu total au moins égal à son revenu vital minimum, s’il a déposé une demande de parrainage à l’égard d’un étranger autre que l’un des étrangers visés à la division (B),

(A) has a total income that is at least equal to the minimum necessary income, if the sponsorship application was filed in respect of a foreign national other than a foreign national referred to in clause (B), or

(B) a un revenu total au moins égal à son revenu vital minimum, majoré de 30 %, pour chacune des trois années d’imposition consécutives précédant la date de dépôt de la demande de parrainage, s’il a déposé une demande de parrainage à l’égard de l’un des étrangers suivants :

(B) has a total income that is at least equal to the minimum necessary income, plus 30%, for each of the three consecutive taxation years immediately preceding the date of filing of the sponsorship application, if the sponsorship application was filed in respect of a foreign national who is

(I) l’un de ses parents,

(I) the sponsor’s mother or father,

(II) le parent de l’un ou l’autre de ses parents,

(II) the mother or father of the sponsor’s mother or father, or

(III) un membre de la famille qui accompagne l’étranger visé aux subdivisions (I) ou (II),

(III) an accompanying family member of the foreign national described in subclause (I) or (II), and

(ii) dans une province visée à l’alinéa 131b), a été en mesure, aux termes du droit provincial et de l’avis des autorités provinciales compétentes, de respecter l’engagement visé à cet alinéa;

(ii) in a province referred to in paragraph 131(b), is able, within the meaning of the laws of that province and as determined by the competent authority of that province, to fulfil the undertaking referred to in that paragraph; and

k) n’a pas été bénéficiaire d’assistance sociale, sauf pour cause d’invalidité.

(k) is not in receipt of social assistance for a reason other than disability.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3086-21

 

INTITULÉ :

KULWANT KAUR DAYAL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 FÉVRIER 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FUHRER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1ER JUIN 2022

 

COMPARUTIONS :

Barbara Jackman

 

Pour la demanderesse

 

Rachel Hepburn Craig

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Barbara Jackman

Jackman & Associés

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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