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Date : 20220601


Dossier : IMM‑2020‑21

Référence : 2022 CF 786

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er juin 2022

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

ABAYOMI OLAYINKA ODEKUNLE

ISIOMA CYNTHIA ODEKUNLE

ENIOLA CLARE ODEKUNLE

EBUNOLUWA JEMIMAH ODEKUNLE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs cherchent à faire infirmer une décision datée du 26 février 2021 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a confirmé une décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR], qui a conclu qu’ils n’avaient ni la qualité de réfugiés ni celle de personnes à protéger.

[2] L’une des conclusions de la SAR est déraisonnable, mais ses autres doutes quant à la crédibilité sont justifiés. Vu le grand nombre de conclusions défavorables en matière de crédibilité qui ont été tirées à l’encontre des demandeurs, la conclusion générale de la SAR selon laquelle la demande d’asile des demandeurs n’est pas crédible est raisonnable et ne sera pas infirmée.

Le contexte

[3] Les demandeurs, Abayomi Olayinka Odekunle [le demandeur principal], son épouse [la codemanderesse] et leurs deux filles d’âge mineur, sont citoyens du Nigéria. La plus jeune des demanderesses est également citoyenne des États‑Unis, où elle est née en 2017. Voici le récit des faits qu’ils allèguent.

[4] Les demandeurs disent craindre d’être persécutés et de subir un préjudice au Nigéria aux mains de la Confrérie de la hache noire, un gang sectaire nigérian, et de son chef, Oladapo Adisa. Celui-ci a fait des avances à la codemanderesse en janvier 2012, à l’occasion d’une activité sociale organisée dans une université. Le demandeur principal a été agressé lors de cette activité par Oladapo Adisa et des membres de son gang.

[5] Peu après, en février 2012, le demandeur principal a reçu deux lettres de menace signées par la Confrérie de la hache noire, disant qu’il devait quitter son épouse ou mourir. Le demandeur principal a signalé ces menaces à la police.

[6] Craignant pour leur sécurité, les demandeurs ont quitté Ibadan pour l’État du Delta, mais, en mars 2012, le demandeur principal a été enlevé et agressé par un groupe d’hommes inconnus. Il a été relâché et s’est fait dire de quitter son épouse, sans quoi le chef de leur gang le tuerait. Il a également signalé cet incident à la police.

[7] Les demandeurs ont ensuite déménagé à Kaduna, où la codemanderesse est tombée enceinte et a donné naissance à une fille. Oladapo Adisa et son gang ont toutefois trouvé les demandeurs. Il a menacé la codemanderesse, disant que si elle ne l’épousait pas il tuerait son époux et leur fille nouveau‑née.

[8] Les demandeurs ont décidé que le Nigéria n’était pas sûr et ils sont partis pour l’Afrique du Sud, où ils ont demandé l’asile. L’asile leur a été accordé pour un an et ils ont fini par obtenir des permis de travail.

[9] Le 24 décembre 2016, les demandeurs ont aperçu Oladapo Adisa dans un hôtel en Afrique du Sud. Ils sont partis au moment où Oladapo Adisa s’approchait d’eux. Deux jours plus tard, Oladapo Adisa et son gang étaient présents à l’extérieur de leur immeuble.

[10] Les demandeurs sont partis aux États‑Unis dans le cadre d’un voyage à Disneyland qui était déjà prévu. Pendant leur voyage, un ami leur a dit qu’Oladapo Adisa était encore à leur recherche en Afrique du Sud. Ils ont décidé de rester aux États‑Unis. Ils n’avaient pas les moyens de payer les services d’un avocat pour présenter une demande d’asile, mais ils ont pu obtenir une autorisation de travail avec l’aide d’une congrégation religieuse. C’est pendant cette période qu’est née la fille cadette du demandeur principal et de la codemanderesse.

[11] Le demandeur principal a présenté une demande de résidence permanente aux États‑Unis, mais elle a été rejetée. S’étant fait dire que le Canada réservait un meilleur accueil aux immigrants, ils sont arrivés au pays le 15 mai 2019 et ils y ont demandé l’asile. Au cours du processus de demande, le défendeur – le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration – a fait valoir devant la SPR que, aux termes de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], la demande d’asile des demandeurs était irrecevable, car ceux-ci jouissaient aux États‑Unis de droits qui étaient analogues à ceux des ressortissants de ce pays.

La décision de la SPR

[12] La SPR a rejeté la demande d’asile des demandeurs. Bien que ce ne soit pas la décision qui fait l’objet du présent contrôle, la SAR a souscrit à un certain nombre des conclusions de la SPR pour les mêmes raisons, de sorte qu’il est nécessaire de présenter un résumé complet des motifs de la SPR.

[13] La SPR a conclu que la fille cadette était citoyenne des États‑Unis. Étant donné qu’aucune demande de protection n’avait été présentée à l’encontre des États‑Unis, la SPR a jugé qu’elle n’avait pas la qualité de réfugié. Cependant, la SPR a rejeté les observations du défendeur selon lesquelles les autres demandeurs avaient un statut aux États‑Unis et étaient donc exclus de toute protection par application de l’article 98 de la LIPR. Elle a aussi conclu que les demandeurs ne jouissaient d’aucun statut en Afrique du Sud qui les exclurait de toute protection.

[14] La SPR a toutefois conclu que les demandeurs n’avaient pas présenté suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour établir qu’ils avaient la qualité de réfugiés ou de personnes à protéger. Elle a fait état d’un certain nombre de doutes que suscitait leur demande d’asile.

[15] La SPR a conclu que les demandeurs avaient fait d’importantes omissions dans leur formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA]. Elle a fait remarquer que la demande d’asile des demandeurs était vague à l’égard de [traduction] « plusieurs attentats » qui auraient, selon le demandeur principal, été faits [traduction] « à [sa] vie et à celle de [son] épouse » en 2012. À l’audience, le demandeur principal a déclaré qu’il y avait eu deux incidents. Lors du premier, il avait reçu un appel menaçant d’individus qui se tenaient debout à côté de son automobile. Lors du second, il avait été abordé par un individu qui lui avait dit que [traduction] « le patron » voulait le voir, après quoi le demandeur principal avait pris la fuite.

[16] La SPR a rejeté l’explication des demandeurs, à savoir qu’ils avaient donné peu de détails dans leur formulaire FDA parce qu’on leur avait dit qu’ils devaient résumer leurs allégations et qu’ils auraient l’occasion de fournir plus de détails à l’audience. La SPR a également conclu que les faits plus détaillés que les demandeurs avaient fournis à l’audience ne concordaient pas avec leur exposé circonstancié écrit, car il n’y avait eu que deux incidents, plutôt que « plusieurs », et la codemanderesse n’avait été mêlée à aucun d’eux.

[17] La SPR a également conclu qu’il était peu vraisemblable que la codemanderesse ait poursuivi ses études à la même université, vu la gravité des menaces et des actes d’Oladapo Adisa. Quand on lui a demandé pourquoi elle avait poursuivi ses études, la codemanderesse a répondu qu’elle était dans la dernière année de son programme et qu’il aurait été difficile d’effectuer un transfert, et qu’elle avait pris des précautions pour éviter Oladapo Adisa, notamment en suivant la plupart de ses cours en ligne. La SPR a jugé que les demandeurs avaient fait une omission importante en ne mentionnant pas ces précautions dans leur formulaire FDA.

[18] Lors de son témoignage, la codemanderesse a soutenu qu’elle avait cessé de fréquenter l’université après qu’Oladapo Adisa s’était présenté à son domicile à Kaduna. La SPR a considéré que cette explication n’était pas crédible, parce que la codemanderesse soutenait qu’Oladapo Adisa l’avait menacée en mars 2013, alors qu’elle avait cessé de fréquenter l’université en janvier 2013. La SPR a conclu qu’il était vraisemblable que la codemanderesse ait cessé de fréquenter l’université en raison de la naissance de sa fille, en janvier 2013.

[19] La SPR n’a pas ajouté foi à la prétention du demandeur principal selon laquelle il avait été enlevé et agressé en mars 2012. La SPR a pris en compte un extrait du rapport de la police de l’État du Delta daté du 6 janvier 2020, et elle a trouvé que ce document comportait d’importantes omissions. Même si celui-ci faisait état de l’enlèvement, aucune mention n’y était faite de l’agression du demandeur principal, et les prétendus agresseurs n’y étaient pas nommés. La SPR a conclu qu’un document relatif à une enquête identifierait au moins les prétendus agresseurs. Elle a jugé que ce document avait vraisemblablement été inventé de toutes pièces à cause de ces omissions et parce que, d’après la preuve sur la situation dans le pays, la SPR n’admettait pas qu’il soit possible d’obtenir in absentia des rapports de police nigérians.

[20] La SPR a également mis en doute l’incapacité des demandeurs à donner des détails sur Oladapo Adisa. Elle a conclu que les demandeurs auraient au moins su s’il était un étudiant à l’université que fréquentait la codemanderesse et s’il est toujours le chef de la Confrérie de la hache noire.

[21] La SPR a trouvé fort peu probable qu’Oladapo Adisa ait rencontré les demandeurs en Afrique du Sud, par hasard ou délibérément. Elle a ajouté que, si cet individu avait pu retrouver les demandeurs en Afrique du Sud, il aurait pu aisément trouver la codemanderesse pendant qu’elle fréquentait l’université, même elle suivait la majorité de ses cours en ligne. La SPR a également signalé que les demandeurs avaient omis de mentionner dans leur formulaire FDA qu’ils avaient déclaré l’incident à la police en Afrique du Sud.

[22] La SPR a conclu que le séjour prolongé des demandeurs aux États‑Unis était un comportement qui ne concordait pas avec une crainte subjective de persécution. Elle a signalé que les demandeurs étaient restés aux États‑Unis pendant plus d’un an après le rejet de la demande de résidence permanente du demandeur principal. Elle a aussi rejeté l’allégation des demandeurs selon laquelle ils n’étaient pas venus au Canada parce qu’ils manquaient d’argent, car ils travaillaient et ils ont indiqué dans leur témoignage que, pendant une bonne partie de ce temps, ils ignoraient qu’ils pouvaient se rendre au Canada. La SPR a rejeté l’explication selon laquelle les demandeurs étaient victimes d’extorsion d’argent, car ce fait n’était pas mentionné dans leur formulaire FDA.

[23] La SPR a également émis des réserves à propos de la preuve documentaire des demandeurs. Elle a mis en question l’origine des deux lettres de menace qu’avait reçues le demandeur principal, notant que ces lettres n’étaient pas mentionnées dans le rapport de police du 6 janvier 2020 qui portait sur l’enlèvement. La SPR n’a pas accordé de poids non plus à un rapport de police du 2 mars 2012, établi après que le demandeur principal a reçu les lettres en question. Selon la SPR, bien que ce rapport mentionne bel et bien les lettres de menace, il ne concorde pas avec l’exposé circonstancié. Elle a signalé en particulier que ce rapport qualifie la codemanderesse de petite amie du demandeur principal, même si, à l’époque, les deux étaient mariés. Ce rapport ne mentionne pas non plus Oladapo Adisa par son nom ni ne fait mention d’un lien quelconque entre le demandeur principal et la Confrérie de la hache noire. La SPR a jugé que les affidavits de la mère du demandeur principal et de la mère de la codemanderesse étaient vagues, et elle a signalé que ces affidavits n’expliquaient pas de quelle façon les déposantes en étaient venues à connaître les informations qu’elles communiquaient. La SPR a également fait remarquer que la présentation et le texte des deux affidavits étaient fort semblables, malgré le fait qu’ils avaient censément été souscrits dans des États différents et à des dates différentes.

La décision de la SAR

[24] En appel, la SAR a fait remarquer que les demandeurs ne contestaient que les conclusions de la SPR en matière de crédibilité et qu’ils avaient soumis trois questions précises : la conclusion défavorable quant à la crédibilité qui était attribuable à des omissions dans le formulaire FDA, le manque de poids accordé au rapport de police du 6 janvier 2020 et la conclusion selon laquelle le séjour prolongé aux États‑Unis minait l’allégation de crainte objective.

[25] La SAR a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur en tirant une conclusion défavorable quant à la crédibilité en raison des omissions relevées dans le formulaire FDA à l’égard des menaces de mort qui auraient été formulées à l’endroit du demandeur principal et de son épouse. La SAR a convenu avec la SPR que les demandeurs d’asile sont tenus de fournir un exposé circonstancié détaillé, ce que les demandeurs n’ont pas fait en l’espèce. Elle a signalé que l’exposé circonstancié des demandeurs contenait des informations détaillées sur d’autres incidents, mais pas sur ces menaces. Elle a convenu avec la SPR que la description des incidents faite à l’audience ne concordait pas avec l’exposé circonstancié, car les menaces ne visaient que le demandeur principal et ne mettaient pas en cause la codemanderesse.

[26] La SAR a souscrit aux observations des demandeurs selon lesquelles la SPR avait commis une erreur en concluant qu’on ne pouvait pas obtenir de rapports de police nigérians in absentia. Cependant, elle s’est dite d’accord avec les autres doutes de la SPR à l’égard du rapport de police du 6 janvier 2020, ainsi qu’avec sa conclusion selon laquelle ce rapport avait vraisemblablement été inventé de toutes pièces. Elle a convenu qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que le rapport mentionne que le demandeur avait été agressé et qu’il nomme les prétendus agresseurs. Elle n’a pas admis que ces omissions étaient justifiées parce que les faits en question figuraient dans l’autre rapport de police, car ce rapport émanait d’un poste de police différent, dans un État différent. La SAR a de plus signalé que le rapport de police du 6 janvier 2020, à l’instar de l’autre rapport, contenait également la mention inexacte selon laquelle la codemanderesse était la petite amie du demandeur principal.

[27] La SAR a convenu avec la SPR que le séjour prolongé des demandeurs aux États‑Unis n’était pas expliqué de manière raisonnable et qu’il minait la crainte que ceux-ci disaient avoir de retourner au Nigéria. Elle a convenu que le témoignage des demandeurs était changeant et incohérent et que le fait qu’ils étaient restés aux États‑Unis pendant plus d’un an après le rejet de la demande de résidence permanente du demandeur principal montrait qu’ils n’avaient pas fait des efforts raisonnables pour demander l’asile dès qu’ils en avaient eu la possibilité.

[28] Les demandeurs n’ont pas remis en question les autres conclusions en matière crédibilité de la SPR, mais la SAR les a tout de même examinées brièvement. La SAR a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle le fait que la codemanderesse avait continué de fréquenter l’université jusqu’en 2013 minait la crédibilité des menaces qui pesaient censément sur elle. La SAR a expressément fait sienne l’analyse de la SPR sur ce point. Elle s’est aussi dite d’accord avec la manière dont la SPR avait analysé les autres éléments de preuve corroborants des demandeurs, comme les affidavits de la mère du demandeur principal et de la mère de la codemanderesse.

[29] La SAR n’a pas souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle le manque de connaissances des demandeurs au sujet d’Oladapo Adisa donnait lieu à conclusion défavorable quant à la crédibilité. Or, elle n’a pas jugé que cette erreur était déterminante, vu que « la prépondérance de la preuve et les conclusions défavorables cumulatives min[ai]ent la crédibilité des allégations des appelants ». La SAR a rejeté l’appel.

Les questions en litige

[30] À mon avis, les demandeurs ne soulèvent qu’une seule question en litige : la SAR a‑t‑elle évalué la crédibilité de manière raisonnable?

[31] Les demandeurs ont tenté de soulever dans le cadre de la présente demande des questions qu’ils n’ont pas soumises à la SAR, et je conviens avec le défendeur qu’ils ne peuvent pas le faire. Dans la décision Dahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1102 [Dahal], le juge en chef a écrit :

[34] Si la Section d’appel des réfugiés effectue une évaluation visant à établir s’il se peut que la Section de la protection des réfugiés ait commis d’autres erreurs qui n’auraient pas été soulevées par un appelant, cet aspect de la décision de la Section d’appel des réfugiés peut, à juste titre, être contesté par la Cour, lorsque la Section d’appel des réfugiés établit qu’il y a eu erreur de la part de la Section de la protection des réfugiés et que par la suite elle prend l’une des mesures prévues aux paragraphes 111(1)a) à c).

[35] Néanmoins, lorsque la Section d’appel des réfugiés ne fait que fournir un résumé des conclusions de la Section de la protection des réfugiés portant sur des questions qui n’étaient pas soulevées en appel, et qu’elle fait par la suite une déclaration d’ordre général établissant qu’elle souscrit à ces conclusions, la situation est entièrement différente. Dans de telles circonstances, les erreurs qui auraient été commises par la Section d’appel des réfugiés sont essentiellement des erreurs qui auraient prétendument été commises par la Section de la protection des réfugiés. Lorsque, dans le cadre d’un appel que doit trancher la Section d’appel des réfugiés, un demandeur omet de soulever une question en appel qui porte sur ces aspects de la décision de la Section de la protection des réfugiés, la Cour ne devrait pas être saisie de cette question. Autrement, tirer une conclusion contraire aurait comme effet de permettre au demandeur, dans les faits, de « contourner » la Section d’appel des réfugiés. [...]

[…]

[37] En voulant simplement se rassurer quant à la possibilité que d’autres erreurs aient pu être commises, la décision de la Section d’appel des réfugiés ne devrait pas risquer d’être annulée à la suite d’un contrôle judiciaire, en se fondant uniquement sur le fait qu’elle concorde généralement avec les conclusions tirées par la Section de la protection des réfugiés en ce qui a trait aux questions qui n’avaient pas été soulevées par les demandeurs en appel. J’estime que l’objectif de l’alinéa 3(3)g) des Règles en serait ainsi vicié, lequel prévoit qu’un appelant doit préciser : i) les erreurs commises qui constituent les motifs d’appel, et ii) l’endroit où se trouvent ces erreurs dans les motifs écrits de la décision de la Section de la protection des réfugiés, ou dans la transcription ou dans tout enregistrement de l’audience.

[32] Les motifs du décideur doivent être interprétés en fonction du contexte de l’instance, et cela inclut les observations des parties (voir l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 94). Il est raisonnable de la part de la SAR de ne pas tenir compte de doutes qui ne lui ont pas été soumis. Les doutes relatifs à la décision de la SPR qui n’ont pas été soulevés devant la SAR ne peuvent pas servir à contester les conclusions de la SAR devant notre Cour.

[33] Dans les observations qu’ils ont présentées à la SAR, sous la rubrique [traduction] « Conclusions déraisonnables quant à la crédibilité », les demandeurs énumèrent trois paragraphes tirés des motifs de la SPR qui énoncent selon eux les conclusions déraisonnables. Ces paragraphes sont liés aux trois points dont la SAR a expressément traité : les omissions relatives aux menaces proférées contre le demandeur principal, le rapport de police du 6 janvier 2020, ainsi que le séjour prolongé des demandeurs aux États‑Unis. Les demandeurs n’ont pas présenté d’observations autres que celles‑là; en particulier, ils n’ont présenté aucune observation concernant l’évaluation par la SPR de divers documents justificatifs ou la vraisemblance du fait que la codemanderesse ait continué de fréquenter son université.

[34] La Cour ne tiendra pas compte des observations que les demandeurs lui ont adressées à propos de ces points. La SAR n’était pas tenue de se livrer à une nouvelle appréciation de ces aspects précis de l’évaluation de la SPR, mais, comme dans l’affaire Dahal, elle a décidé de s’assurer qu’aucune autre erreur n’avait été commise (et elle a effectivement relevé une erreur que les demandeurs n’avaient pas soulevée). Cependant, la déclaration générale de la SAR selon laquelle elle est d’accord avec la SPR et fait siens ses motifs sur les points non contestés par les demandeurs ne saurait soumettre ces aspects précis de la décision de la SPR à un contrôle par notre Cour.

Les omissions relatives aux menaces proférées contre le demandeur principal

[35] Il était raisonnable de la part de la SAR de conclure que les demandeurs avaient fait des omissions importantes dans leur formulaire FDA. Comme l’a fait valoir le défendeur, la SAR a clairement expliqué pourquoi ces omissions étaient importantes et pourquoi les observations du demandeur principal sur ces dernières n’étaient pas crédibles.

[36] Les deux menaces proférées contre les demandeurs étaient censément assez sérieuses pour qu’ils quittent Ibadan pour l’État du Delta. Or, l’exposé circonstancié des demandeurs ne comporte aucun détail sur ces menaces, sinon qu’il s’agissait de menaces de mort visant le demandeur principal et son épouse.

[37] La SAR a conclu de manière raisonnable que les faits décrits à l’audience ne concordaient pas avec les informations restreintes qui figuraient dans l’exposé circonstancié, car aucune menace n’avait été formulée contre la codemanderesse. On aurait dit au demandeur principal qu’il pouvait bien courir, mais qu’il ne pouvait pas se cacher, et que [traduction] « le patron » voulait le voir. Il était raisonnable de la part de la SAR de conclure que cela ne concordait pas avec de prétendus attentats sur la vie du demandeur et de son épouse.

[38] Il était également raisonnable de la part de la SAR de ne pas souscrire à l’explication donnée pour justifier l’absence de détails. L’exposé circonstancié des demandeurs fait état d’un certain nombre d’incidents, dont l’incident initial survenu à l’université, les lettres de menace, l’enlèvement du demandeur principal, les menaces proférées contre la codemanderesse à Kaduna, de même que la rencontre avec Oladapo Adisa en Afrique du Sud. Les demandeurs ont fait un récit détaillé de chacun de ces incidents, mais aucun détail n’a été donné au sujet des menaces proférées à Ibadan.

Le séjour prolongé des demandeurs aux États‑Unis

[39] Les demandeurs signalent qu’ils sont arrivés au Canada 11 mois après le rejet de la demande de résidence permanente du demandeur principal, mais que l’autorisation de travail de celui-ci aux États‑Unis n’expirait qu’en avril 2020. Ils soutiennent qu’ils ne risquaient pas d’être renvoyés des États‑Unis avant avril 2020, et que de ce fait ils n’ont pas invoqué leur crainte subjective.

[40] Il s’agit là d’une explication nouvelle. Je conviens avec le défendeur que les demandeurs ne peuvent pas fournir maintenant une nouvelle explication pour leur séjour prolongé aux États‑Unis, une explication qui n’a pas été évoquée devant la SPR ou la SAR. Cette nouvelle explication est peut‑être raisonnable, mais celle qu’ils ont donnée dans les observations adressées à la SAR est tout à fait différente.

[41] La SPR et la SAR ont conclu que l’explication donnée par les demandeurs pour justifier pourquoi ils sont restés aux États‑Unis était changeante et incohérente. Cette nouvelle explication qui a été donnée l’illustre bien.

Le rapport de police du 6 janvier 2020

[42] Je conviens avec les demandeurs que la SAR a conclu de manière déraisonnable que le rapport de police du 6 janvier 2020 avait été inventé de toutes pièces.

[43] Comme les demandeurs l’ont fait valoir, il est présumé que les documents étrangers, dont les rapports de police, sont authentiques sauf si la SAR a une raison valable pour douter de leur authenticité (voir Rasheed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 587 aux para 19-20). À mon avis, la SPR était peut‑être fondée à douter de la validité du rapport de police du 6 janvier 2020, mais pas la SAR.

[44] La SPR a fait état d’un certain nombre de doutes à l’égard du rapport de police du 6 janvier 2020. Elle a écrit qu’elle avait pris en considération le rapport [traduction] « pour ce qui y est dit », mais elle a signalé qu’il ne faisait pas mention de la Confrérie de la hache noire, d’Oladapo Adisa et du fait que le demandeur avait été agressé et qu’il avait eu besoin de soins médicaux. La SPR a jugé qu’il était raisonnable de s’attendre à ce qu’un rapport qu’on transférerait à un inspecteur pour enquête mentionne au moins les prétendus agresseurs. Elle a également estimé que le rapport était vraisemblablement faux [traduction] « compte tenu non seulement des omissions importantes, mais aussi du fait que le demandeur d’asile ignorait comment sa mère [l’avait] obtenu », concluant que, d’après la preuve, il n’était pas possible d’obtenir des rapports de police nigérians in absentia.

[45] La SAR a souscrit aux conclusions de la SPR à propos des omissions et a signalé que le rapport qualifiait la codemanderesse de petite amie du demandeur principal. Cependant, elle n’a pas admis qu’il était impossible d’obtenir des rapports de police nigérians in absentia. Dans l’ensemble, elle a considéré que « la présentation d’un élément de preuve fabriqué mine de façon générale la crédibilité des appelants ».

[46] Je ne souscris pas à l’argument des demandeurs selon lequel la SAR et la SPR ont toutes deux commis une erreur en se fondant sur ce que le rapport de police ne disait pas. Ils invoquent à cet égard la décision Belek c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 205 [Belek], dans laquelle j’ai conclu qu’il était déraisonnable de la part de la SAR d’attribuer peu de poids à une lettre qui ne corroborait qu’une partie du récit du demandeur. Dans la décision Belek, j’ai écrit ceci au paragraphe 21 :

Je suis d’accord avec le demandeur sur le fait que les documents qui corroborent certains aspects de son récit ne peuvent être écartés simplement parce qu’ils ne corroborent pas certains autres aspects du même récit : Mahmud c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 167 F.T.R. 309, aux paragraphes 8 à 12 [Mahmud]. Dans le cas présent, la SAR a accordé peu de poids à la lettre corroborant une partie du récit du demandeur simplement parce qu’il manque certains détails qui viendraient appuyer davantage son histoire. La SAR n’a pas expliqué pourquoi il serait raisonnable de s’attendre à ce que de plus amples détails soient fournis, de sorte qu’on puisse tirer une conclusion défavorable de leur absence : voir Taha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1675 au paragraphe 9. En l’absence d’une telle justification, le traitement de ce document par la SAR est déraisonnable.

[47] En l’espèce, contrairement à l’affaire Belek, la SAR a effectivement expliqué pourquoi elle s’attendait à ce que le rapport de police contienne des informations sur les prétendus agresseurs ainsi que sur l’agression dont le demandeur principal avait été victime. Les doutes qu’avait la SAR au sujet de ces omissions étaient raisonnables.

[48] Cependant, la SAR n’a pas souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle il était impossible d’obtenir des rapports de police in absentia. Ainsi, la SAR a fondé sa conclusion selon laquelle le rapport de police était faux sur une seule mention inexacte concernant la codemanderesse et sur le fait que le rapport ne nommait pas les prétendus agresseurs et ne mentionnait pas que le demandeur principal avait été agressé. Il était déraisonnable de la part de la SAR de réfuter la présomption d’authenticité en se basant uniquement sur ces deux doutes relativement peu importants. La SAR n’a pas tenu compte d’autres indices d’authenticité, dont le fait de savoir si le document était conforme au modèle d’extrait de rapport de police, lequel était disponible sous forme de pièce jointe à l’un des documents portant sur la situation du pays.

[49] Cela dit, il ne s’agissait là que d’une seule conclusion erronée quant à la crédibilité, parmi de nombreux doutes relatifs à cette même question. Le juge Bell a écrit ce qui suit au paragraphe 42 de la décision Meniuk c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2021 CF 1374 : « Une seule conclusion déraisonnable, en supposant qu’il en existe une, ne rend pas une décision déraisonnable. Les motifs doivent être lus dans leur ensemble. » En raison du poids cumulatif des autres doutes relatifs à la crédibilité, je conclus que la SAR pouvait raisonnablement conclure que la demande d’asile des demandeurs n’était pas crédible. On ne peut annuler la décision de la SAR juste à cause de la manière dont celle-ci a traité le rapport de police du 6 janvier 2020.

Conclusion

[50] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question à certifier n’a été proposée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2020‑21

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée, et aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2020‑21

 

INTITULÉ :

ABAYOMI OLAYINKA ODEKUNLE, ISIOMA CYNTHIA ODEKUNLE, ENIOLA CLARE ODEKUNLE, EBUNOLUWA JEMIMAH ODEKUNLE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 MARS 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1er JUIN 2022

 

COMPARUTIONS :

Gökhan Toy

 

POUR Les demandeurs

 

Charles J. Jubenville

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR Les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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