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Date : 20220517


Dossier : IMM-4366-21

Référence : 2022 CF 736

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 mai 2022

En présence de monsieur le juge Henry S. Brown

ENTRE :

FOSTER EVERTON BROWN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 4 juin 2021 par la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La SAR a confirmé une décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR], qui a conclu que le demandeur était exclu de la protection accordée aux réfugiés en application de l’alinéa b) de la section F de l’article premier (l’alinéa 1Fb)) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 1951, RTC 1969/6; 189 RNTU 150 [la Convention], et de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. À titre subsidiaire, la SPR a conclu que le demandeur n’était pas exposé à un risque prospectif au titre du paragraphe 97(1) de la LIPR, conclusion qui n’a pas été examinée par la SAR et qui n’est donc pas prise en compte dans les présents motifs.

II. Faits

[2] Le demandeur est un citoyen de la Jamaïque âgé de 59 ans. Il affirme que, en 2012, alors qu’il conduisait son taxi à Kingston, il a été agressé et menacé par trois membres d’un gang, parce qu’il avait refusé de leur offrir une course. Le demandeur indique qu’il a signalé l’incident, que la police a noté le signalement dans ses registres et qu’elle a recueilli sa déposition.

[3] Le lendemain, le demandeur a déménagé dans une autre région de la Jamaïque où il est resté chez un ami pendant une semaine. Il affirme qu’il était apeuré parce que sa famille et ses amis l’avaient informé que des membres du gang le cherchaient et avaient proféré des menaces.

[4] Toutefois, avant que les événements ayant mené à sa demande d’asile ne se produisent, le demandeur avait quitté la Jamaïque et était entré illégalement aux États-Unis. Pendant son séjour aux États-Unis, le demandeur n’a fait aucun effort pour régulariser son statut. En fait, autour de l’an 2000, il a été accusé et reconnu coupable d’une infraction à la loi texane relativement à la possession d’une quantité de marijuana supérieure à cinq livres, mais inférieure à 50 livres. Il a ensuite déclaré devant la SPR qu’il avait eu en sa possession [traduction] « environ » 50 livres de marijuana. Il a plaidé coupable, a été condamné et emprisonné, puis a été expulsé vers la Jamaïque. Cette déclaration de culpabilité sous-tend la conclusion d’interdiction de territoire actuellement en litige, et sera traitée plus en détail ci-dessous.

[5] Après avoir été expulsé vers la Jamaïque, le demandeur est entré illégalement au Canada en 2012 à l’aide d’un passeur et d’un passeport frauduleux. Cependant, il n’a présenté aucune demande d’asile jusqu’en 2015, soit environ trois ans plus tard. Sa demande d’asile a d’abord été instruite par la SPR en juin et en octobre 2015 (la première audience de la SPR), mais étant donné que les commissaires qui ont entendu l’affaire n’étaient plus disponibles, aucune décision n’a été rendue, et l’affaire a été instruite de nouveau par un tribunal différemment constitué le 16 décembre 2019 (la seconde audience de la SPR, qui est actuellement en cause).

[6] Dans son formulaire Fondement de la demande d’asile et son témoignage devant la SPR, le demandeur a fait plusieurs déclarations qui n’étaient pas véridiques. Il a déclaré :

  • a) qu’il n’avait jamais voyagé ou vécu dans des pays autres que la Jamaïque et le Canada;

  • b) qu’il n’avait jamais été reconnu coupable d’une infraction criminelle dans quelque pays que ce soit;

  • c) qu’il n’avait jamais été arrêté ou incarcéré;

  • d) qu’il n’avait jamais reçu l’ordre de quitter un pays;

  • e) qu’il n’avait jamais utilisé un autre nom.

[7] Cependant, entre la première et la deuxième séances de la première audience de la SPR, le ministre a communiqué des renseignements biométriques provenant du département de la Sécurité intérieure des États-Unis qui confirmaient la correspondance des empreintes digitales du demandeur prises par les autorités canadiennes et celles d’une personne portant le nom de George Hines, qui avait été appréhendée à Houston, au Texas, le 8 décembre 2000. Cette personne est la même personne que le demandeur.

[8] Lors de la seconde audience de la SPR, le demandeur a admis que les éléments de preuve et les déclarations qu’il avait produits précédemment étaient faux. Il a admis avoir plaidé coupable à une infraction criminelle au Texas, à savoir un acte délictueux grave du troisième degré pour possession de marijuana en 2000. Il a reconnu avoir été condamné à deux ans de prison et avoir purgé un an de sa peine, puis avoir été libéré et avoir reçu l’ordre de quitter les États-Unis (où il était entré illégalement, comme il est indiqué ci-dessus). Il a en outre admis que, au moment de son arrestation, il était en possession d’une pièce d’identité frauduleuse au nom de George Hines, dont la date de naissance était différente de la sienne.

A. Décision de la SPR

[9] La SPR a conclu qu’il existait des raisons sérieuses de penser que le demandeur avait commis un crime grave de droit commun aux États-Unis et qu’il était donc exclu de la protection accordée aux réfugiés en application de l’alinéa 1Fb) de la Convention et de l’article 98 de la LIPR.

[10] La SPR a également conclu, à titre subsidiaire, que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger pour les motifs suivants : a) il n’y avait aucun lien entre le risque auquel il était exposé et l’un des motifs prévus dans la Convention, et b) il n’a pas établi de manière crédible, selon la prépondérance des probabilités, que ses prétendus agresseurs avaient un intérêt à savoir où il se trouvait, de sorte qu’il n’était exposé à aucun risque prospectif s’il devait retourner en Jamaïque.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

A. Principes juridiques applicables

[11] La question déterminante que devait trancher la SAR était celle de savoir si le demandeur était exclu en application de l’alinéa 1Fb) pour avoir commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil, le Canada, avant d’y être admis. Cependant, étant donné que le demandeur a plaidé coupable à l’infraction au Texas, la seule question à trancher est celle de savoir si le crime était « grave ».

[12] À cet égard, la SAR a énoncé les facteurs permettant d’évaluer la gravité de l’acte délictueux, tel que la Cour d’appel fédérale les a établis dans l’arrêt Jayasekara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CAF 404 [Jayasekara] :

la nature et les éléments constitutifs du crime;

● le mode de poursuite;

● la peine prévue;

● les faits relatifs à la perpétration du crime;

● les circonstances atténuantes et aggravantes sous-jacentes à la déclaration de culpabilité.

[13] La SAR s’est également appuyée sur le paragraphe 62 de l’arrêt Febles c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68 [Febles], où la Cour suprême a indiqué que le crime est généralement considéré comme grave lorsqu’une peine maximale d’au moins dix ans d’emprisonnement peut être infligée, mais que cette présomption peut être réfutée.

B. Déclaration de culpabilité aux États-Unis

[14] Le demandeur a été accusé et reconnu coupable de possession d’une quantité de marijuana supérieure à cinq livres, mais inférieure à 50 livres, ce qui constitue un acte délictueux grave du troisième degré aux termes de l’article 481.121(b)(4) de la Texas Controlled Substances Act. L’article 12.34 du code pénal du Texas prévoit une peine d’emprisonnement de deux à huit ans et une amende pouvant atteindre 10 000 dollars pour une personne reconnue coupable d’un acte délictueux grave du troisième degré.

[15] Comme je l’ai mentionné ci-dessus, selon la preuve déposée par le demandeur, celui-ci était en possession [traduction] « [d’]environ » 50 livres de marijuana lorsqu’il a été arrêté. Lors de son arrestation, le demandeur était passager d’un véhicule dans lequel la police a trouvé de la marijuana après une interception. Deux autres passagers se trouvaient dans la voiture, mais seul le demandeur a été inculpé. Il a été accusé sous le nom de George Hines, car c’était le nom qui était inscrit sur sa pièce d’identité à l’époque, soit un permis de conduire frauduleux.

[16] L’accusation a été portée le 15 décembre 1999. Le demandeur a plaidé coupable et a été condamné le 25 février 2020 à une peine de détention de deux ans. Il a déclaré avoir été libéré après un an, mais la documentation du département de la Sécurité publique du Texas indique qu’il a été détenu du 4 mai 2000 au 14 décembre 2001.

C. Dispositions équivalentes du droit criminel canadien

[17] La SPR a conclu que, si les mêmes gestes avaient été commis au Canada, ils auraient probablement constitué des infractions de distribution ou de possession en vue de la distribution de plus de 30 grammes de cannabis aux termes de l’alinéa 9(1)a) ou du paragraphe 9(2) de la Loi sur le cannabis, LC 2018, c 16.

[18] Il est important de souligner que le demandeur n’a pas contesté la conclusion de la SPR, à laquelle la SAR a souscrit, selon laquelle les infractions prévues à l’alinéa 9(1)a) et au paragraphe 9(2) sont les infractions canadiennes pertinentes à la lumière des faits. Plus particulièrement, bien que le demandeur s’appuie maintenant sur l’article 8 de la Loi sur le cannabis, il n’a pas présenté d’observations à cet égard à la SPR ou à la SAR : ses arguments soulèvent aujourd’hui une nouvelle question qui n’a pas été traitée dans le dossier faisant l’objet du contrôle judiciaire, et j’aborderai ce point plus loin dans les présents motifs.

[19] La SAR a mentionné qu’il s’agit d’infractions mixtes au Canada, c’est-à-dire que la personne qui les commet peut être poursuivie par voie de procédure sommaire ou par voie de mise en accusation. Il convient de noter que, lorsqu’elle est poursuivie par voie de mise en accusation, la personne déclarée coupable est passible d’une peine d’emprisonnement maximale de 14 ans; lorsqu’elle est poursuivie par voie de procédure sommaire, la personne déclarée coupable est passible d’une amende ne dépassant pas 5 000 dollars ou d’une peine d’emprisonnement maximale de six mois, ou des deux.

D. Application des facteurs énoncés dans l’arrêt Jayasekara

[20] La SAR a noté les facteurs énoncés dans l’arrêt Jayasekarasuivants et a conclu ce qui suit :

  • L’infraction porte sur une quantité de marijuana variant de cinq à cinquante livres et est classée en tant qu’acte délictueux grave du troisième degré au Texas. D’après le témoignage du demandeur, des éléments de preuve appuyaient la conclusion de la SPR selon laquelle la quantité était d’environ 50 livres. Toutefois, que ce soit cinq ou cinquante livres, selon les infractions prévues dans la Loi sur le cannabis, la possession de plus de 30 grammes suffit pour constituer une infraction.

  • Le demandeur a été accusé de possession de marijuana au Texas, une infraction qui comporte divers degrés possibles de gravité en fonction de la quantité. La peine infligée était la peine minimale étant donné la quantité de marijuana, même s’il ne s’agissait pas de la peine minimale prévue pour la possession. Cependant, une peine légère n’enlève rien à la gravité du crime (Jayasekara, aux para 41-42).

  • La SPR a jugé que le témoignage du demandeur selon lequel il était sans abri lorsque le crime a eu lieu était une circonstance atténuante et que l’utilisation par le demandeur d’une fausse identité était une circonstance aggravante.

  • Dans le contexte pénal canadien, il suffit qu’une personne n’ait eu en sa possession que plus de 30 grammes de cannabis pour être déclarée coupable de distribution ou de possession en vue de la distribution aux termes de l’article 9 de la Loi sur le cannabis. Cinq livres représentent plus de 75 fois cette quantité. [La Cour souligne que 50 livres représentent 750 fois cette quantité.] Par conséquent, les infractions de distribution ou de possession en vue de la distribution prévues à l’article 9 sont semblables aux infractions de trafic, plutôt qu’aux infractions de possession simple, décrites à l’article 8.

  • En ce qui concerne l’éventail de peines au Canada, la SAR a conclu que, compte tenu de la grande quantité de cannabis en cause, l’infraction ne pouvait être considérée comme parmi les plus légères de cet éventail, mais il est aussi possible de faire valoir, si je présume qu’il s’agit d’une première infraction, qu’elle ne peut être considérée comme donnant lieu à une peine maximale de 14 ans. Toutefois, compte tenu de la quantité de cannabis en cause, les faits entraîneraient probablement une poursuite par voie de mise en accusation au Canada.

  • Les circonstances de l’infraction justifient l’application de la présomption selon laquelle l’infraction est grave. Dans son évaluation, la SAR a jugé que les éléments de preuve ne réfutaient pas la présomption énoncée dans l’arrêt Febles. La SAR a souligné qu’un crime peut être grave même s’il ne donne pas lieu à une peine maximale de dix ans. Elle a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, l’infraction était grave.

IV. Question en litige

[21] La seule question en litige est celle de savoir si la SAR a agi de manière déraisonnable en considérant le crime du demandeur comme « grave » aux fins de l’application de la Convention et de l’article 98 de la LIPR.

V. Norme de contrôle applicable

[22] La norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable.

[23] Dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, rendu par la Cour suprême du Canada en même temps que l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], le juge Rowe, s’exprimant au nom de la majorité, a fait état des attributs que doit présenter une décision raisonnable, ainsi que des exigences imposées à la cour de révision qui procède au contrôle d’une décision selon cette norme :

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « ... ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] [...] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100).

[Non souligné dans l’original.]

[24] Au paragraphe 86 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a fait remarquer qu’« il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur doit également, au moyen de ceux-ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique ». La Cour suprême a également indiqué que la cour de révision doit prendre sa décision en fonction du dossier dont elle dispose :

[126] Cela dit, une décision raisonnable en est une qui se justifie au regard des faits : Dunsmuir, par. 47. Le décideur doit prendre en considération la preuve versée au dossier et la trame factuelle générale qui a une incidence sur sa décision et celle-ci doit être raisonnable au regard de ces éléments : voir Southam, par. 56. Le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte. Dans l’arrêt Baker, par exemple, le décideur s’était fondé sur des stéréotypes dénués de pertinence et n’avait pas pris en compte une preuve pertinente, ce qui a mené à la conclusion qu’il existait une crainte raisonnable de partialité : par. 48. En outre, la démarche adoptée par le décideur permettait également de conclure au caractère déraisonnable de sa décision, car il avait démontré que ses conclusions ne reposaient pas sur la preuve dont il disposait en réalité : ibid.

[Non souligné dans l’original.]

[25] De plus, l’arrêt Vavilov indique clairement que le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve, à moins de « circonstances exceptionnelles ». Selon la Cour suprême du Canada :

[125] Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » : CCDP, par. 55; voir également Khosa, par. 64; Dr Q, par. 41‐42. D’ailleurs, bon nombre des mêmes raisons qui justifient la déférence d’une cour d’appel à l’égard des conclusions de fait tirées par une juridiction inférieure, dont la nécessité d’assurer l’efficacité judiciaire, l’importance de préserver la certitude et la confiance du public et la position avantageuse qu’occupe le décideur de première instance, s’appliquent également dans le contexte du contrôle judiciaire : voir Housen, par. 15‐18; Dr. Q, par. 38; Dunsmuir, par. 53.

[Non souligné dans l’original.]

[26] La Cour d’appel fédérale a récemment conclu, dans l’arrêt Doyle c Canada (Procureur général), 2021 CAF 237, que le rôle de la Cour n’est pas de soupeser à nouveau les éléments de preuve :

[3] La Cour fédérale avait tout à fait raison d’agir ainsi. Selon ce régime législatif, le décideur administratif, en l’espèce le directeur, examine seul les éléments de preuve, tranche les questions d’admissibilité et d’importance à accorder à la preuve, détermine si des inférences doivent en être tirées, et rend une décision. Lorsqu’elle effectue le contrôle judiciaire de la décision du directeur en appliquant la norme de la décision raisonnable, la cour de révision, en l’espèce la Cour fédérale, peut intervenir uniquement si le directeur a commis des erreurs fondamentales dans son examen des faits, qui minent l’acceptabilité de la décision. Soupeser à nouveau les éléments de preuve ou les remettre en question ne fait pas partie de son rôle. S’en tenant à son rôle, la Cour fédérale n’a relevé aucune erreur fondamentale.

[4] En appel, l’appelant nous invite essentiellement dans ses observations écrites et faites de vive voix à soupeser à nouveau les éléments de preuve et à les remettre en question. Nous déclinons cette invitation.

VI. Dispositions législatives et jurisprudence pertinentes

[27] L’alinéa 1Fb) de la Convention dispose :

[28] L’article 98 de la LIPR dispose :

[29] Dans la décision Abbas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 12, j’ai résumé la jurisprudence relative à l’exclusion prévue à l’article 98 de la LIPR et à l’alinéa 1Fb) de la Convention :

[19] Quant à ce qui constitue un crime « grave », la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Febles c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68 (Febles), par la juge en chef McLachlin, donne les instructions suivantes au paragraphe 62 :

[62] Dans les arrêts Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 C.F. 390 (C.A.), et Jayasekara, la Cour d’appel fédérale s’est dite d’avis que le crime est généralement considéré comme grave lorsqu’une peine maximale d’au moins dix ans d’emprisonnement aurait pu être infligée si le crime avait été commis au Canada. C’est aussi mon avis. Toutefois, il ne faut pas voir dans cette généralisation une présomption rigide qu’il est impossible de réfuter. Lorsqu’une disposition du Code criminel du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-46, prévoit un large éventail de peines, qui vont d’une peine relativement légère jusqu’à une peine d’au moins dix ans d’emprisonnement, on ne saurait exclure de façon présomptive un demandeur qui serait condamné au Canada à une peine parmi les plus légères. L’article 1Fb) vise à n’exclure que les personnes qui ont commis des crimes graves. Le HCR a indiqué qu’une présomption de crime grave pourrait découler de la preuve de la perpétration des infractions suivantes : l’homicide, le viol, l’attentat à la pudeur d’un enfant, les coups et blessures, le crime d’incendie, le trafic de drogues et le vol qualifié (Goodwin-Gill et McAdams, p. 179) Il s’agit là d’exemples valables de crimes suffisamment graves pour justifier de façon présomptive l’exclusion de la protection offerte aux réfugiés. Toutefois, je le rappelle, la présomption peut être réfutée dans un cas donné. Le fait qu’une peine maximale d’au moins dix ans d’emprisonnement aurait pu être infligée si le crime avait été perpétré au Canada s’avère un guide utile, et les crimes qui, au Canada, rendent leur auteur passible d’une peine maximale d’au moins dix ans seront en général suffisamment graves pour justifier l’exclusion, mais il ne faudrait pas appliquer la règle des dix ans machinalement, sans tenir compte du contexte ou de manière injuste.

[Non souligné dans l’original.]

[20] Au paragraphe 44 de l’arrêt Jayasekara, la Cour d’appel fédérale définit ainsi les facteurs permettant d’apprécier si le crime qui a été commis est « grave » pour l’application de l’alinéa b) de la section F de l’article premier :

[44] Je crois que les tribunaux s’entendent pour dire que l’interprétation de la clause d’exclusion de l’alinéa 1Fb) de la Convention exige, en ce qui concerne la gravité du crime, que l’on évalue les éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite, la peine prévue, les faits et les circonstances atténuantes et aggravantes sous-jacentes à la déclaration de culpabilité (voir S c. Refugee Status Appeals Authority, (C.A. N.Z.), précité; S and Others c. Secretary of State for the Home Department, [2006] EWCA Civ 1157 (Cours royales de Justice, Angleterre); Miguel-Miguel c. Gonzales, no 05-15900, (Cour d’appel É.-U., 9e circuit), 29 août 2007, aux pages 10856 et 10858). En d’autres termes, peu importe la présomption de gravité qui peut s’appliquer à un crime en droit international ou selon la loi de l’État d’accueil, cette présomption peut être réfutée par le jeu des facteurs précités.

[Non souligné dans l’original.]

VII. Analyse

[30] Le demandeur fait valoir que la SAR a commis une erreur en concluant que son crime était grave. Il souligne qu’il a été accusé et reconnu coupable de possession d’une quantité de marijuana supérieure à cinq livres, mais inférieure à 50 livres, ce qui constitue un acte délictueux grave du troisième degré aux termes de l’article 481.121(b)(4) de la Texas Controlled Substances Act.

[traduction]
Art. 481.121. INFRACTION : POSSESSION DE MARIJUANA

a) Sauf autorisation prévue au présent chapitre, toute personne qui a sciemment ou intentionnellement en sa possession une quantité utilisable de marijuana commet une infraction.

b) Une infraction au sens du paragraphe a) constitue :

1) une infraction mineure de catégorie B si la quantité de marijuana est égale ou inférieure à deux onces;

2) une infraction mineure de catégorie A si la quantité de marijuana est supérieure à deux onces, mais égale ou inférieure à quatre onces ;

3) un acte délictueux grave passible d’une peine d’emprisonnement étatique si la quantité de marijuana est supérieure à quatre onces mais égale ou inférieure à cinq livres;

4) un acte délictueux grave du troisième degré si la quantité de marijuana est supérieure à cinq livres, mais égale ou inférieure à 50 livres;

5) un acte délictueux grave du deuxième degré si la quantité de marijuana est supérieure à 50 livres, mais égale ou inférieure à 2 000 livres;

6) un acte passible d’une peine d’emprisonnement à perpétuité ou d’une durée d’au moins cinq ans et d’au plus 99 ans, administrée par le département de la justice pénale du Texas, et d’une amende jusqu’à concurrence de 50 000 dollars, si la quantité de marijuana est supérieure à 2 000 livres.

[…]

[Non souligné dans l’original.]

[31] Je remarque que, même au Texas, l’infraction dont le demandeur a été accusé aurait pu entraîner une peine d’emprisonnement de dix ans, en ce sens que l’article 12.34 du code pénal du Texas prévoit qu’un acte délictueux grave du troisième degré est passible d’une peine d’emprisonnement de deux à dix ans et d’une amende pouvant atteindre 10 000 dollars.

[traduction]
Art. 12.34 : PEINE APPLICABLE À UN ACTE DÉLICTUEUX GRAVE DU TROISIÈME DEGRÉ

a) Toute personne reconnue coupable d’un acte délictueux grave du troisième degré est passible d’une peine d’emprisonnement de deux à dix ans administrée par le département de la justice pénale du Texas.

b) En plus de la peine d’emprisonnement, toute personne reconnue coupable d’un acte délictueux grave du troisième degré est passible d’une amende d’au plus 10 000 dollars.

[32] La SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle l’alinéa 9(1)a) et le paragraphe 9(2) de la Loi sur le cannabis sont les dispositions législatives équivalentes en droit canadien. Le demandeur, qui était représenté par un conseil devant la SPR et devant la SAR, n’a pas contesté cette conclusion devant l’un ou l’autre de ces tribunaux.

[33] Le demandeur soutient maintenant pour la première fois que la SAR a eu tort de confirmer l’analyse d’équivalence effectuée par la SPR qui a permis d’établir que l’article 9 de Loi sur le cannabis est l’équivalent au Canada de la disposition législative au titre de laquelle il a été reconnu coupable au Texas. Le demandeur souligne qu’il n’a ni été accusé ni été reconnu coupable d’une infraction liée au trafic ou à la distribution au Texas. Il a été reconnu coupable de possession seulement. Par conséquent, il fait valoir que la disposition législative applicable en droit canadien est l’article 8 de la Loi sur le cannabis :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[34] Cependant, je souligne respectueusement (comme l’a fait valoir le défendeur) que le demandeur n’a contesté les conclusions relatives à l’équivalence du crime au Canada ni devant la SPR ni devant la SAR. La SAR a souscrit au raisonnement de la SPR, jugeant que les mêmes actes, commis au Canada, constitueraient probablement des infractions de distribution, ou de possession en vue de la distribution, de plus de 30 grammes de cannabis au titre de l’alinéa 9(1)a) ou du paragraphe 9(2) Loi sur le cannabis. Le demandeur n’a soulevé aucune question relative à l’analyse d’équivalence devant la SPR ou la SAR.

[35] Dans ces circonstances, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que notre Cour n’est pas le lieu approprié pour contester l’analyse d’équivalence. Le demandeur a omis de contester l’analyse d’équivalence devant la SPR. Dans le cadre de son appel devant la SAR, il n’a donc pas respecté l’alinéa 3(3)g) des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012-257 [les Règles de la SAR] :

[36] Dans l’affaire Dahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1102 [juge en chef Crampton] [Dahal], les demandeurs ont soulevé des questions qu’ils n’avaient pas soulevées devant la SAR. Par conséquent, le juge en chef a jugé que ces questions ne pouvaient être soulevées devant la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Il s’est appuyé sur la jurisprudence de la Cour suprême du Canada selon laquelle, dans une instance de contrôle judiciaire, un pouvoir discrétionnaire à cet égard n’est pas exercé au bénéfice du demandeur lorsque la question aurait pu être soulevée devant le tribunal administratif mais qu’elle ne l’a pas été, voir les paragraphes 22 à 26 de l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers' Association, 2011 CSC 61 :

A. Contrôle judiciaire relatif à un point non soulevé devant le tribunal administratif

[22] L’ATA a demandé le contrôle judiciaire de la décision de la déléguée. Elle n’avait invoqué l’inobservation du délai ni devant le commissaire ni devant sa déléguée. Elle ne l’a même pas fait dans l’avis introductif d’instance en contrôle judiciaire, invoquant la question pour la première fois en plaidoirie. L’ATA pouvait certainement demander le contrôle judiciaire, mais elle ne pouvait contraindre la cour à examiner la question. Tout comme elle jouit du pouvoir discrétionnaire de refuser d’entreprendre un contrôle judiciaire lorsque, par exemple, il existe un autre recours approprié, une cour de justice peut également, à son gré, ne pas se saisir d’une question soulevée pour la première fois dans le cadre du contrôle judiciaire lorsqu’il lui paraît inopportun de le faire. Voir, p. ex., Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, le juge en chef Lamer, par. 30 : « [L]a réparation qu’une cour de justice peut accorder dans le cadre du contrôle judiciaire est essentiellement discrétionnaire. Ce principe [général de longue date] découle du fait que les brefs de prérogative sont des recours extraordinaires [et discrétionnaires]. »

[23] En règle générale, dans une instance en contrôle judiciaire, ce pouvoir discrétionnaire n’est pas exercé au bénéfice du demandeur lorsque la question en litige aurait pu être soulevée devant le tribunal administratif mais qu’elle ne l’a pas été (Toussaint c. Conseil canadien des relations du travail (1993), 160 N.R. 396 (C.A.F.), par. 5, citant Poirier c. Canada (Ministre des Affaires des anciens combattants), [1989] 3 C.F. 233 (C.A.), p. 247; Bande indienne de Shubenacadie c. Canada (Commission des droits de la personne), [1998] 2 C.F. 198 (1re inst.), par. 40-43; Legal Oil & Gas Ltd. c. Surface Rights Board, 2001 ABCA 160, 303 A.R. 8, par. 12; United Nurses of Alberta, Local 160 c. Chinook Regional Health Authority, 2002 ABCA 246, 317 A.R. 385, par. 4).

[24] Un certain nombre de considérations justifient cette règle générale, l’une des principales étant que le législateur a confié au tribunal administratif la tâche de trancher la question (Legal Oil & Gas Ltd., par. 12-13). Comme l’explique notre Cour dans Dunsmuir, « les cours de justice doivent tenir compte de la nécessité [...] d’éviter toute immixtion injustifiée dans l’exercice de fonctions administratives en certaines matières déterminées par le législateur » (par. 27). La cour de justice doit donc respecter le choix du législateur de désigner le tribunal administratif comme décideur de première instance et laisser à ce tribunal administratif la possibilité de se pencher le premier sur la question et de faire connaître son avis.

[25] Le principe vaut particulièrement lorsque la question soulevée pour la première fois lors du contrôle judiciaire a trait au domaine d’expertise du tribunal administratif et à ses attributions spécialisées. La Cour doit alors être bien consciente que si elle accepte de se pencher sur la question, elle le fera sans pouvoir connaître l’opinion du tribunal administratif. (Voir Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., 2007 CSC 15, [2007] 1 R.C.S. 650, par. 89, la juge Abella.)

26] Qui plus est, soumettre une question pour la première fois lors du contrôle judiciaire peut porter indûment préjudice à la partie adverse et priver la cour de justice des éléments de preuve nécessaires pour trancher (Waters c. British Columbia (Director of Employment Standards), 2004 BCSC 1570, 40 C.L.R. (3d) 84, par. 31 et 37, citant Alberta c. Nilsson, 2002 ABCA 283, 320 A.R. 88, par. 172, et J. Sopinka et M. A. Gelowitz, The Conduct of an Appeal (2e éd. 2000), p. 63-68; A.C. Concrete Forming Ltd. c. Residential Low Rise Forming Contractors Assn. of Metropolitan Toronto and Vicinity, 2009 ONCA 292, 306 D.L.R. (4th) 251, par. 10 (la juge Gillese)).

[37] Dans l’affaire Dahal, le juge en chef a tenu les propos suivants à cet égard :

[35] Néanmoins, lorsque la Section d’appel des réfugiés ne fait que fournir un résumé des conclusions de la Section de la protection des réfugiés portant sur des questions qui n’étaient pas soulevées en appel, et qu’elle fait par la suite une déclaration d’ordre général établissant qu’elle souscrit à ces conclusions, la situation est entièrement différente. Dans de telles circonstances, les erreurs qui auraient été commises par la Section d’appel des réfugiés sont essentiellement des erreurs qui auraient prétendument été commises par la Section de la protection des réfugiés. Lorsque, dans le cadre d’un appel que doit trancher la Section d’appel des réfugiés, un demandeur omet de soulever une question en appel qui porte sur ces aspects de la décision de la Section de la protection des réfugiés, la Cour ne devrait pas être saisie de cette question. Autrement, tirer une conclusion contraire aurait comme effet de permettre au demandeur, dans les faits, de « contourner » la Section d’appel des réfugiés. Je partage l’avis du défendeur selon lequel cette façon de faire serait contraire au régime établi dans les Règles.

[…]

[37] En voulant simplement se rassurer quant à la possibilité que d’autres erreurs aient pu être commises, la décision de la Section d’appel des réfugiés ne devrait pas risquer d’être annulée à la suite d’un contrôle judiciaire, en se fondant uniquement sur le fait qu’elle concorde généralement avec les conclusions tirées par la Section de la protection des réfugiés en ce qui a trait aux questions qui n’avaient pas été soulevées par les demandeurs en appel. J’estime que l’objectif de l’alinéa 3(3)g) des Règles en serait ainsi vicié, lequel prévoit qu’un appelant doit préciser : i) les erreurs commises qui constituent les motifs d’appel, et ii) l’endroit où se trouvent ces erreurs dans les motifs écrits de la décision de la Section de la protection des réfugiés, ou dans la transcription ou dans tout enregistrement de l’audience.

[38] Le demandeur avait l’obligation de fournir des observations au sujet des erreurs qui constituent les motifs de l’appel qu’il a interjeté devant la SAR, ce qu’il a omis de faire pour ce qui est de ses nouveaux arguments concernant l’article 8 de la Loi sur le cannabis. Il tente donc de contourner la SAR, ce qui n’est pas permis selon la décision Dahal. Voir également Shaibu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 109 [juge Gleeson] aux para 8-9; Fagite c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 677 [juge Pallotta] au para 19; Xiao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 386 [juge McHaffie] au para 39; Canada (Citoyenneté et Immigration) c R. K., 2016 CAF 272 [juge Dawson avec l’accord des juges Near et Woods] au para 6; Adams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 524 [juge Lafrenière] au para 28; Ghauri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 548 [juge Gleeson] au para 34.

[39] Interrogé sur ce point à l’audience, l’avocat du demandeur a insisté pour que ce nouveau point soit pris en compte (même s’il ne faisait pas partie du dossier soumis à la Cour aux fins de contrôle judiciaire et qu’il était en conflit avec celui-ci) en raison des enjeux de l’affaire, soit la possibilité que le demandeur soit expulsé du Canada, comme il l’a été auparavant des États-Unis, sans que le bien-fondé de sa demande d’asile ne soit tranché. Il s’agit cependant d’une conséquence possible de chaque audience touchant l’article 98 de la LIPR. De plus, il aurait fallu que ce point soit reconnu et pris en compte devant la SPR ou lors de l’appel, conformément aux règles en matière d’appel adoptées par la SAR.

[40] Indépendamment des observations inadmissibles du demandeur, à titre subsidiaire, le défendeur soutient que l’analyse d’équivalence était raisonnable. Je suis d’accord.

[41] Une analyse d’équivalence peut être effectuée de trois manières, voir le paragraphe 16 de l’arrêt Hill c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1987] ACF no 47 :

  1. Comparaison du libellé précis des dispositions de chacune des lois par un examen documentaire et, s’il s’en trouve de disponible, par le témoignage d’un expert ou d’experts du droit étranger pour dégager, à partir de cette preuve, les éléments essentiels des infractions respectives;

  2. Examen de la preuve présentée devant l’arbitre, aussi bien orale que documentaire, afin d’établir si elle démontrait de façon suffisante que les éléments essentiels de l’infraction au Canada avaient été établis dans le cadre des procédures étrangères, que les mêmes termes soient ou non utilisés pour énoncer ces éléments dans les actes introductifs d’instance ou dans les dispositions légales;

  3. Combinaison de cette première et de cette seconde démarches.

[42] Les motifs de la SAR indiquent que la SPR a examiné les lois du Canada et du Texas, de même que la documentation à l’appui dans l’instance judiciaire au Texas, pour établir si les ingrédients essentiels de l’infraction correspondante au Canada étaient réunis :

[29] Dans le contexte pénal canadien, une déclaration de culpabilité pour distribution ou possession en vue de la distribution au titre de l’article 9 de la Loi sur le cannabis exige la possession de plus de 30 grammes de cannabis seulement. Cinq livres représentent plus de 75 fois cette quantité, et 50 livres, plus de 750 fois. Il ne s’agit pas d’une situation où la quantité de drogues concernée dénote la distribution d’une petite quantité. Selon la jurisprudence, les infractions de trafic de drogues sont habituellement assez graves pour justifier le refus de l’asile. Les infractions de distribution ou de possession en vue de la distribution prévues à l’article 9 de la Loi sur le cannabis sont, essentiellement, semblables aux infractions de trafic, plutôt qu’aux infractions de possession simple, qui sont décrites à l’article 8.

[43] À mon humble avis, la SAR avait donc des motifs raisonnables de conclure que le demandeur avait été reconnu coupable à l’étranger d’une infraction qui, au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale (article 9 de la Loi sur le cannabis) passible d’une peine d’emprisonnement maximale d’au moins 10 ans (de 14 ans en fait) :

[44] Comme je l’ai indiqué ci-dessus, un crime sera généralement considéré comme grave lorsqu’une peine maximale d’au moins 10 ans aurait pu être infligée s’il avait été commis au Canada, voir Febles, au para 62 :

[62] Dans les arrêts Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 C.F. 390 (C.A.), et Jayasekara, la Cour d’appel fédérale s’est dite d’avis que le crime est généralement considéré comme grave lorsqu’une peine maximale d’au moins dix ans d’emprisonnement aurait pu être infligée si le crime avait été commis au Canada. C’est aussi mon avis. Toutefois, il ne faut pas voir dans cette généralisation une présomption rigide qu’il est impossible de réfuter. Lorsqu’une disposition du Code criminel du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-46, prévoit un large éventail de peines, qui vont d’une peine relativement légère jusqu’à une peine d’au moins dix ans d’emprisonnement, on ne saurait exclure de façon présomptive un demandeur qui serait condamné au Canada à une peine parmi les plus légères. L’article 1Fb) vise à n’exclure que les personnes qui ont commis des crimes graves. Le HCR a indiqué qu’une présomption de crime grave pourrait découler de la preuve de la perpétration des infractions suivantes : l’homicide, le viol, l’attentat à la pudeur d’un enfant, les coups et blessures, le crime d’incendie, le trafic de drogues et le vol qualifié (Goodwin-Gill et McAdams, p. 179). Il s’agit là d’exemples valables de crimes suffisamment graves pour justifier de façon présomptive l’exclusion de la protection offerte aux réfugiés. Toutefois, je le rappelle, la présomption peut être réfutée dans un cas donné. Le fait qu’une peine maximale d’au moins dix ans d’emprisonnement aurait pu être infligée si le crime avait été perpétré au Canada s’avère un guide utile, et les crimes qui, au Canada, rendent leur auteur passible d’une peine maximale d’au moins dix ans seront en général suffisamment graves pour justifier l’exclusion, mais il ne faudrait pas appliquer la règle des dix ans machinalement, sans tenir compte du contexte ou de manière injuste.

[45] Je souligne que, selon l’arrêt Febles, « il ne faut pas voir dans cette généralisation une présomption rigide qu’il est impossible de réfuter ». Par conséquent, en l’espèce, la SAR a raisonnablement appliqué les facteurs énoncés dans l’arrêt Jayasekara, qui permettent d’établir si un crime est « grave » pour l’application de l’alinéa 1Fb) et a conclu ce qui suit :

[31] J’ai noté précédemment et déjà examiné les éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite (au Texas et au Canada), les faits relatifs à l’infraction ainsi que les facteurs atténuants et aggravants. J’estime que les circonstances de l’infraction en question justifient l’application d’une présomption selon laquelle l’infraction est grave et je conclus que les éléments de preuve ne réfutent pas la présomption selon laquelle le crime en question devrait être considéré comme grave. Un crime peut être grave même s’il ne donne pas lieu à une peine maximale de dix ans. Comme il a été mentionné précédemment, les infractions de trafic de drogue sont généralement considérées comme graves par les tribunaux canadiens39. Je ne vois aucune raison pour laquelle les infractions de distribution ou de possession en vue de la distribution devraient être traitées différemment. Même en l’absence d’une présomption de gravité, j’aurais conclu que les éléments de preuve établissent, selon la prépondérance des probabilités, que l’infraction est grave.

[46] En examinant les observations du demandeur, je constate qu’il met beaucoup l’accent sur l’accusation portée au Texas de même que sur la déclaration de culpabilité pour possession de marijuana et sur la peine de deux ans d’emprisonnement qui en ont découlé. Dans la présente affaire, un plaidoyer et une peine semblent avoir été négociés, lesquels ont été suivis d’une expulsion. Ce plaidoyer et cette peine négociés faisaient peut-être partie d’une entente qui comprenait possiblement d’autres éléments, mais on l’ignore. Bon nombre des éléments de l’entente relèvent peut-être du pouvoir discrétionnaire de la poursuite, au sujet duquel, souvent, le dossier public contient peu d’information, voire aucune. À mon avis, les accusations particulières portées dans un autre pays et la décision d’un tribunal étranger les concernant ne déterminent pas l’équivalence au Canada; il faut plutôt comparer les « éléments essentiels » des infractions respectives. La comparaison des éléments essentiels de l’une et l’autre infractions requiert la comparaison de leurs définitions respectives, y compris les moyens de défense propres à ces infractions ou aux catégories dont elles relèvent, voir Nshogoza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1211 [juge Gascon] au para 28, citant Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] ACF no 1060 (CAF) au para 18.

[47] De plus, le demandeur conteste également le fait que la SAR a conclu qu’il transportait de la marijuana, et donc en distribuait, en se fondant sur l’expression « rendre accessible » contenue dans la définition du terme « distribuer ». Il affirme que cette conclusion est déraisonnable. Cependant, pour convaincre la Cour de la justesse de son argument selon lequel les deux tribunaux ont eu tort de conclure que ses gestes auraient fait l’objet d’une accusation au titre de l’article 9 de la Loi sur le cannabis, le demandeur demande à notre Cour d’accepter son affirmation implicite selon laquelle il avait en sa possession 50 livres de marijuana pour sa consommation personnelle. Il soutient implicitement que, même s’il était impliqué dans le transport des 50 livres de marijuana, il ne faisait que la déplacer d’un endroit dont il avait le contrôle à un autre endroit dont il avait aussi le contrôle. (Par exemple, de son lieu d’entreposage à sa résidence ou d’un endroit dont il avait le contrôle à un autre endroit dont il avait le contrôle.)

[48] Toutefois, il n’a produit aucun élément de preuve à cet égard. Toute affirmation implicite du demandeur selon laquelle il avait en sa possession 50 livres de marijuana pour sa consommation personnelle n’a aucun fondement. Ni la SPR ni la SAR n’ont souscrit à une telle affirmation implicite et, en toute déférence, les conclusions concordantes des deux tribunaux inférieurs sont, à mon avis, raisonnables à cet égard et à d’autres égards.

VIII. Conclusion

[49] À mon humble avis, la décision de la SAR est transparente, intelligible et justifiée au regard du dossier et de la jurisprudence contraignante. La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

IX. Question à certifier

[50] Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4366-21

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, qu’aucune question d’importance générale n’est certifiée et qu’aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Philippe Lavigne-Labelle


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4366-21

 

INTITULÉ :

FOSTER EVERTON BROWN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 MAI 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS :

LE 17 MAI 2022

COMPARUTIONS :

Loughlin Adams-Murphy

POUR LE DEMANDEUR

Michel Butterfield

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chaudhary Law

Avocats

North York (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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