Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20001211

Dossier : IMM-1640-00

ENTRE :

                 

                           ZU GUO BIAN (alias Jake Bian)

demandeur

                                                  - et -

                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                               ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                             MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1]    Les présents motifs font suite à une demande de contrôle judiciaire d'une décision, datée du 7 mars 2000, dans laquelle la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention conformément au sens que le paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration[1] confère à cette expression.


[2]    Le demandeur est un citoyen de la République populaire de Chine, qui provient de la province de Fujian. À l'été 1999, alors qu'il avait treize ans, il a quitté la Chine, conformément à des dispositions que ses parents avaient prises avec des passeurs de clandestins, à bord d'un navire qui a éventuellement abouti sur la côte de la Colombie-Britannique. Très peu de temps après son arrivée au Canada, il a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention.

[3]    En général, les faits relatifs à la revendication de ce demandeur sont en grande partie les mêmes que ceux ayant trait à huit autres Chinois mineurs de la province de Fujian dont j'ai traité dans les motifs que j'ai exposés dans le dossier IMM-932-00[2]. Le demandeur en l'espèce a été représenté devant la SSR ainsi que notre Cour par le même cabinet d'avocats qui avait représenté les demandeurs dans le dossier IMM-932-00. Les arguments qui ont été faits pour le compte du présent demandeur devant la SSR étaient essentiellement les mêmes que ceux qui avaient été présentés dans cet autre dossier. De la même façon, les arguments écrits présentés à notre Cour dans l'un et l'autre dossier étaient essentiellement identiques.


[4]                En conséquence, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs dans le dossier IMM-932-00 et celle du présent demandeur ont été entendues l'une après l'autre. On a présenté un argument supplémentaire par écrit pour le compte du présent demandeur, mais on ne l'a pas fait valoir à l'audition. Après l'audition de l'affaire IMM-932-00, l'avocat du présent demandeur a adopté les arguments qui m'avaient été présentés dans cette affaire et il n'a pas ajouté d'arguments supplémentaires.

[5]                Bien que les motifs de la SSR dont disposait la Cour dans le dossier IMM-932-00 fussent plus étoffés que les motifs qu'elle a exposés dans le présent dossier, l'avocat des demandeurs dans l'un et l'autre dossier a fait valoir que la même erreur susceptible de contrôle avait été commise, savoir que la SSR avait tout simplement omis de traiter du principal argument relatif au statut de réfugié au sens de la Convention qui lui avait été présenté. Dans le dossier IMM-932-00, j'ai conclu que l'argument qui avait été présenté pour le compte des demandeurs était déterminant et j'ai accueilli la demande de contrôle judiciaire et renvoyé les revendications du statut de réfugié au sens de la Convention des demandeurs à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié afin qu'elle entende et tranche de nouveau l'affaire. Je suis parvenu exactement au même résultat dans la présente affaire.

[6]                Par souci de commodité, j'ai joint une copie des motifs que j'ai exposés dans l'affaire IMM-932-00 aux présents motifs, car ils constituent le raisonnement en vertu duquel j'ai accueilli la présente demande de contrôle judiciaire.


[7]                Une ordonnance sera rendue qui annulera la décision de la SSR qui fait l'objet du présent contrôle et renverra la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention du demandeur à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié afin qu'une formation différemment constituée entende et tranche l'affaire à son tour conformément à des directives identiques à celles qui se reflètent à la fin des motifs que j'ai exposés dans le dossier IMM-932-00.

[8]                À la fin de l'audition de la présente affaire, j'ai mis la décision en délibéré et je me suis engagé à fournir des motifs et donner aux avocats l'occasion de faire des observations sur la certification d'une question. Ces motifs seront maintenant fournis. Les avocats auront jusqu'à la fermeture des bureaux le 29 décembre 2000 pour s'échanger et déposer des observations sur la certification d'une question.

   FREDERICK E. GIBSON   

       J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 11 décembre 2000

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


Date : 20001211

Dossier : IMM-932-00

ENTRE :

          SHU PING LI, CHUN XIANG CHEN, SHI QIU XIE,

               JIAN AN ZHANG, YI WANG, JIA CHUN KE,

                                XIU HUI CHEN et QI LIN

demandeurs

                                                  - et -

                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                               ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                             MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION


[1] Les présents motifs font suite à une demande de contrôle judiciaire d'une décision dans laquelle la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention conformément au sens que le paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration1 confère à cette expression. L'audition des demandeurs devant la SSR a eu lieu à Vancouver les 15 et 16 décembre 1999. Les motifs de la décision de la SSR sont datés du 4 février 2000.

LE CONTEXTE

[2] La SSR a résumé de la façon suivante dans ses motifs le contexte dans lequel s'inscrivent les revendications des demandeurs :

[TRADUCTION] Tous les revendicateurs soutiennent qu'ils ont illégalement quitté la Chine et qu'ils ont été transportés par l'un ou l'autre de quatre navires de passagers clandestins de Chine qui sont arrivés sur la côte de la Colombie-Britannique à l'été 1999.

À leur départ, [les demandeurs] avaient tous 18 ans ou moins et ils venaient au Canada sans être accompagnés d'un parent ou tuteur. Ils ont tous été pris en charge par le ministère de la Colombie-Britannique qui s'occupe des familles et des enfants.

Bien que chaque revendicateur ait témoigné, en bout de ligne, l'ensemble des revendications étaient fondées sur les mêmes faits et prétentions.

...

Au début de l'audition, les membres de la formation ont accepté la suggestion des avocats qu'ils adoptent le même exposé des faits pour l'ensemble des revendicateurs. Cet exposé est reproduit mot à mot.

                         Exposé des faits non contestés                                 


                                                                                                      Pour les fins des présentes revendications du statut de réfugié, les faits suivants ont été reconnus par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié et les revendicateurs                                                                                                                                                                                               1.                   Les revendicateurs ont tous présentement 18 ans ou moins et ils avaient tous moins de 18 ans quand ils ont quitté la République populaire de Chine (Chine).                                                                                                                                       

2.                     Les revendicateurs sont tous des citoyens de Chine.

3.                     Les revendicateurs proviennent tous de la province de Fujian, en Chine.

4.                     Des dispositions ont été prises afin que ces revendicateurs quittent clandestinement la Chine.

5.                     Vers le mois de juillet 1999, les revendicateurs ont illégalement quitté la Chine. Ils sont montés à bord d'un navire qui les attendait au large de la Chine. Ils sont demeurés sur le navire qui les transportait pendant environ deux mois, jusqu'à ce que le navire arrive en eaux canadiennes à la fin du mois d'août 1999.

6.                     Les revendicateurs sont tous arrivés au Canada sans être accompagnés par des membres de la famille adultes ou d'autres tuteurs légaux. Le Director of Family and Child Services, désigné conformément à l'art. 91 de la Child, Family and Community Service Act (CFCSA), est le tuteur de ces mineurs non accompagnés en vertu du par.29(3) de la Family Relations Act (FRA).

7.                     Si ils retournent en Chine, ces revendicateurs pourraient faire l'objet de peines pour avoir illégalement quitté la Chine et ils pourraient courir un risque élevé d'être renvoyés pour payer les dépôts que leurs familles pourraient devoir aux passeurs ainsi que les amendes que leur imposerait le gouvernement chinois.

8.                     Les revendicateurs craignent d'être emprisonnés et battus par les autorités s'ils doivent retourner en Chine. Ils craignent également d'être incarcérés pour une période prolongée, voire indéfinie, si leurs familles sont incapables de payer les amendes qui leur seront imposées.                    

Aucune preuve n'établit que l'un ou l'autre des revendicateurs a quitté la Chine avec l'intention de revendiquer le statut de réfugié en arrivant au Canada. Aucune preuve n'établit que l'un ou l'autre des revendicateurs avait l'intention de se livrer aux autorités canadiennes de l'Immigration à leur arrivée au Canada ou après celle-ci. À l'audition, ils ont tous dit sans exception qu'ils étaient venus en Amérique du Nord, à tout le moins en partie, pour travailler.


L'ensemble des revendicateurs ont également en commun le fait qu'ils ne sont pas très instruits, qu'ils manquaient de travail, qu'ils proviennent de familles pauvres et qu'ils avaient peu de perspectives d'avenir en Chine.                                                                                                                    [Certaines citations ont été omises.]

[3]         Au dernier paragraphe de motifs détaillés, la SSR a écrit :

[TRADUCTION] Avant de conclure, les membres de la formation souhaitent ajouter que dans l'ensemble, les revendicateurs sont des jeunes hommes sincères et intéressants confrontés à une dure réalité en Chine. Ils ont subi de très grandes difficultés et ont couru un danger très réel en venant en Amérique du Nord dans l'espoir d'améliorer leur situation économique. Cependant, leur situation n'est pas visée par la définition de la Convention [la définition de « réfugié au sens de la Convention » à laquelle les présents motifs ont déjà renvoyé].

[4]         Bien que la SSR ait résumé dans une certaine mesure la preuve dont elle disposait à l'égard de chacun des huit demandeurs, je suis convaincu que les motifs qui précèdent exposent de façon satisfaisante le contexte pour les fins des présents motifs.

LE RÉSUMÉ DE LA SSR DE LA PREUVE GÉNÉRALE DONT ELLE DISPOSAIT, SON ANALYSE ET SA CONCLUSION

[5]         Sous la rubrique intitulée [TRADUCTION] « PREUVE GÉNÉRALE » , la SSR a examiné un rapport du Dr J. Don Read ainsi que la transcription du témoignage du Dr Graham Johnson dans le cadre d'une audition que la SSR avait antérieurement tenue, qui sont respectivement professeur de psychologie et professeur de sociologie.

[6]         En ce qui concerne le rapport du Dr Read, la SSR a écrit :

[TRADUCTION] Malheureusement, le rapport du Dr Read est fondé sur une prémisse erronée. Il dit

... je suis d'avis qu'on peut prudemment mais profitablement appliquer les travaux de recherche sur les enfants réfugiés, légaux et illégaux, poussés par la guerre, la persécution ethnique ou religieuse ou la pauvreté au contexte du rapatriement.                                           

La définition d'un réfugié au sens de la Convention ne comprend pas la migration économique ni l'éventuel rapatriement suivant cette dernière en tant que fondement d'une revendication valide.                                                                                                                                                                                           [Souligné dans l'original.]

[7]         La SSR a conclu que le rapport du Dr Read n'était d'aucune utilité pour les revendicateurs [TRADUCTION] « en ce qui concerne la définition de la Convention » .

[8]         La SSR a fait ressortir deux éléments du témoignage du Dr Johnson, soit le fait que l'émigration de la province de Fujian se produisait depuis [TRADUCTION] « ...quelques siècles » , et le concept de la « piété filiale » , à l'égard duquel la SSR a fait remarquer que le Dr Johnson n'avait pas dit que le concept dépendait de l'âge des divers membres de la famille.

[9]         La SSR a ensuite examiné les réponses à la demande d'information dont elle disposait, notamment au sujet du traitement que les autorités chinoises réservaient aux migrants clandestins de la province de Fujian à leur retour au pays. La SSR a conclu :

[TRADUCTION] Je conclus que tous les revendicateurs, sauf un, seraient brièvement incarcérés à leur retour et qu'ils se verraient imposer des amendes dont les montants varieraient et seraient négociables. Je n'accepte pas qu'ils feraient l'objet de détentions administratives ou pénales prolongées.


Le revendicateur dont les antécédents diffèrent de ceux des autres est Xiu Hui Chen ... qui a déjà tenté sans succès de quitter la Chine. Il est remarquable que son témoignage confirme les rapports des docteurs Chin et Kwong au sujet du traitement réservé à ceux qui retournent en Chine.

[10]       La SSR a poursuivi en analysant brièvement la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant2, à laquelle 177 pays étaient des États parties en date du 15 février 1996 et que le Canada a signée le 28 mai 1990 et ratifiée le 13 décembre 1991, de même que deux dispositions du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du HCNUR. En ce qui concerne la Convention, la SSR a fait la remarque suivante :

[TRADUCTION] Les revendicateurs avaient entre 15 et 18 ans quand ils ont quitté la Chine. Aucun des enfants n'était « en bas âge » . Bien qu'il faille soigneusement examiner leurs cas en raison de leur âge, il ne faut pas nécessairement considérer, en raison de ce dernier, qu'il s'agit de personnes qui ont involontairement pris part à une tentative d'entrer en Amérique du Nord de façon illégale.

En ce qui concerne le Guide du HCNUR, la SSR en a cité les articles 61 à 64 relativement à la question du départ illégal et la distinction qu'il fallait faire entre des migrants purement économiques et des personnes qui quittent leur pays pour un certain nombre de raisons qui se chevauchent. La SSR elle-même ne paraît pas avoir tiré de conclusions sur la base de ces articles.


[11]       Après avoir brièvement résumé les observations que l'agent chargé de la revendication a faites devant elle, la SSR a examiné les observations des avocats des demandeurs. Une grande partie de l'analyse de la SSR se trouve dans le contexte de son résumé de ces observations. Voici le résumé que la SSR a fait des observations des avocats en ce qui concerne les huit demandeurs :

      [TRADUCTION]       

·               le gouvernement chinois fait systématiquement de la discrimination à l'égard des personnes provenant de la province de Fujian;

·               les revendicateurs étaient tous des enfants quand ils ont quitté la Chine;

·               les revendicateurs n'ont pu avoir donné un consentement éclairé selon lequel ils souhaitaient quitter la Chine de la façon qu'ils l'ont fait, et ce en raison de leur âge et du phénomène culturel de la « piété filiale » ;

·               les enfants ne peuvent consentir à faire l'objet d'un trafic.

[12]       La SSR a souligné :

[TRADUCTION] Selon l'avocat, la question porte sur le caractère involontaire des actes des revendicateurs. Il est clair que l'ensemble des revendicateurs souhaitaient quitter la Chine. Il semble que tous les revendicateurs, sauf un, ont abordé la question au sein de leurs familles. Aucun n'a témoigné qu'ils ne voulaient pas émigrer ou qu'ils ont été forcés à le faire contre leur gré. Ils ont presque tous dit sans hésitation qu'ils tenteraient de quitter de nouveau la Chine s'ils devaient y retourner.

Cependant, l'avocat soutient que leur « consentement » à quitter le pays n'était pas éclairé. Il y avait un manque de volonté de la part de chaque revendicateur en raison de son âge et du concept de la « piété filiale » , un phénomène culturel. À mon avis, la piété filiale est un phénomène neutre du point de vue culturel; il n'est ni bon ni mauvais. La piété filiale ne paraît pas dépendre de l'âge, mais plutôt de la position relative de l'individu au sein de la famille.

L'avocat soutient également que les enfants ont le droit d'être protégés contre le trafic des personnes et qu'ils ne peuvent y consentir. Le trafic des personnes constitue en effet un acte criminel, mais le fait d'être victime d'un crime ne constitue pas de la persécution au sens de la Convention.

La décision de quitter le pays doit être appréciée dans son contexte culturel. L'émigration du Fujian pour des raisons économiques est une tradition ancienne. Il s'agit d'une décision distincte du choix des moyens.

À mon avis, les revendicateurs ont quitté de cette façon parce qu'il s'agissait du seul moyen qui s'offrait à eux. On ne pose pas une hypothèse exagérée en présumant que des adolescents pauvres et non accompagnés auraient du mal à quitter la Chine de façon « légale » . De la même façon, on peut présumer qu'ils auraient beaucoup de mal à entrer au Canada de façon « légale » . Or, ni l'une ni l'autre réalité constitue de la discrimination qui équivaut à de la persécution.

[13]       La SSR a ensuite brièvement analysé l'embarras qu'était susceptible de causer au gouvernement chinois l'intérêt que suscitait l'arrivée en Colombie-Britannique de navires remplis de personnes provenant de Chine à l'été 1999, et elle l'a rejeté en tant que facteur pouvant avoir une incidence sur le traitement qui serait infligé aux demandeurs à leur retour dans ce pays.

[14]       Sous la rubrique [TRADUCTION] « PEINE INFLIGÉE POUR DÉPART ILLÉGAL » , la SSR a cité les motifs de l'arrêt Valentin c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)3 de la Cour d'appel fédérale, à la page 392 :

Formulé de façon générale, le problème est celui de savoir quelle importance peut avoir pour la reconnaissance d'un statut de réfugié le fait que le réclamant fait face, dans son pays, à des sanctions pénales pour avoir quitté le territoire sans autorisation ou pour être resté à l'étranger plus longtemps que son visa de sortie ne le lui permettait.

et plus loin à la page 395 :


Ni la convention internationale, ni la loi qu'elle a suscitée chez nous, à ce que j'en comprends, n'ont eu en vue d'assurer protection à ceux qui, sans avoir été sujet de persécution jusque là, se fabriqueraient eux-mêmes une cause de crainte de persécution en se rendant librement, de leur propre chef et sans raison, passibles de sanctions pour transgression d'une loi pénale d'ordre général. Et j'ajoute, avec égards pour l'opinion contraire très répandue, que l'idée ne m'apparaît même pas valorisée par le fait que la transgression aurait été motivée par quelque insatisfaction d'ordre politique [...], car il me semble d'abord qu'une sentence isolée ne peut permettre que fort exceptionnellement de satisfaire à l'élément répétition et acharnement qui se trouve au coeur de la notion de persécution [...], mais surtout parce qu'entre la peine encourue et imposée et l'opinion politique du transgresseur il n'y a pas le lien direct requis.                                                                              [Je souligne; les italiques proviennent de la SSR]

[15]       La SSR a ensuite conclu :

[TRADUCTION] Les arguments de l'avocat que l'arrêt Valentin ne s'applique pas en l'espèce ne sont pas convaincants. On peut à la fois tenir compte de l'âge des revendicateurs, la nature volontaire de leurs actes et la gravité relative de la peine infligée en appliquant les principes énoncés dans l'arrêt Valentin. Les revendications en l'espèce ne sont pas dissemblables de celles qui ont été examinées dans l'arrêt Valentin au point que les principes énoncés dans cet arrêt ne s'appliqueraient pas à la présente affaire.

À mon avis, on dénaturerait la définition du réfugié au sens de la Convention en concluant que les personnes qui quittent leur pays d'origine principalement pour des raisons économiques peuvent obtenir le statut de réfugiées parce qu'elles subiraient des peines en raison de leur départ. Autrement, il serait difficile d'identifier un seul citoyen chinois qui n'aurait pas droit à une protection internationale pour n'importe quel motif, pourvu qu'il prenne des dispositions en vue de quitter la Chine de façon illégale.

[16]       La SSR a ensuite très brièvement examiné l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)4 de la Cour suprême du Canada, dans lequel Madame le juge L'Heureux-Dubé a écrit, au paragraphe 70, qui se trouve à la page 861 :

Les valeurs exprimées dans le droit international des droits de la personne [telle la Convention relative aux droits de l'enfant] peuvent, toutefois, être prises en compte dans l'approche contextuelle de l'interprétation des lois et en matière de contrôle judiciaire.


[17]       La SSR paraît rejeter sommairement la pertinente de l'arrêt Baker de la façon suivante :

[TRADUCTION] La question litigieuse dans l'arrêt Baker portait sur la façon dont un agent des visas avait exercé son pouvoir discrétionnaire en appréciant une demande de permis ministériel. Or, la compétence de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié se limite à l'interprétation d'une règle de droit et elle ne comprend pas l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire. Bien que la formation doive s'assurer qu'on respecte les droits des revendicateurs et leur intérêt supérieur dans le cadre du processus, le pouvoir discrétionnaire d'accorder une réparation pour des motifs d'ordre humanitaire relève de la compétence d'autres intervenants.

[18]       Avec égards, j'estime que la SSR a mal apprécié l'importance de cette courte citation tirée de l'arrêt Baker en ce qui concerne son mandat. Je reviendrai sur ce point.

[19]       En conséquence, la SSR a rejeté les revendications des demandeurs sans pousser l'analyse plus loin.

LES QUESTIONS LITIGIEUSES

[20]       Dans leur exposé du droit et leur argumentation, les demandeurs ont dit que la seule question litigieuse que soulevait la présente demande de contrôle judiciaire était la suivante :

[TRADUCTION] La question à trancher que soulève la présente demande de ... contrôle judiciaire est de savoir si le tribunal a commis une erreur de droit en interprétant mal les termes « groupe social particulier » et « persécution » , privant ainsi les demandeurs de l'équité procédurale en omettant de traiter à fond du principal argument sur lequel ils fondent leurs revendications du statut de réfugié au sens de la Convention.


L'ANALYSE

[21]       Par souci de commodité, j'ai reproduit les parties pertinentes de la définition de l'expression « réfugié au sens de la Convention » qui se trouve au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration :


2. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

« réfugié au sens de la Convention » Toute personne_:

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques_:

(i) soit se trouve hors du pays don't elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

...


2. (1) In this Act,

"Convention refugee" means any person who

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country, or

...



[22]       Les avocats des demandeurs ont soutenu devant la SSR que leurs clients appartenaient à un groupe social particulier, soit les enfants de la province de Fujian, une province chinoise qui, selon la preuve dont disposait la SSR, était sous-développée sur le plan économique et constituait depuis longtemps une source d'émigrants. Les avocats auraient pu ajouter (mais ils ne l'ont pas fait) que les demandeurs partageaient d'autres caractéristiques, soit le fait qu'ils provenaient tous de familles pauvres, qu'ils étaient peu instruits et qu'ils avaient peu de perspectives d'avenir qui leur permettraient d'échapper à la grande pauvreté du Fujian. Compte tenu de l'arrêtCanada (Procureur général) c. Ward5, je suis convaincu que l'argument des avocats que les demandeurs appartenaient à un « groupe social particulier » méritait un examen et une analyse plus approfondis de la part de la SSR, car les demandeurs pouvaient être considérés comme membres d'un groupe défini par une caractéristique innée et immuable, soit leur âge au moment où ils ont quitté la Chine (ils avaient moins que 18 ans), ce qui en faisait des « enfants » au sens de l'article premier de la Convention relative aux droits de l'enfant6.

[23]       Les avocats ont fait valoir qu'en tant que membres d'un groupe social particulier ainsi défini, les demandeurs étaient persécutés du fait qu'ils faisaient l'objet d'un « trafic » sur la base de dispositions que leurs parents avaient prises avec des trafiquants de personnes. En outre, les avocats ont soutenu que les demandeurs ne pouvaient « consentir à faire l'objet d'un trafic » , qu'ils aient été en bas âge ou non, compte tenu d'une interprétation conjointe et généreuse (qu'il convient de leur donner selon moi) des instruments internationaux en matière de droits de la personne traitant des enfants et de l'élimination du trafic des personnes.


[24]       Sur la base de telles observations, et tenant compte des instruments internationaux en matière de droits de la personne dont le Canada est signataire en interprétant la définition de l'expression « réfugié au sens de la Convention » , les avocats ont soutenu devant la SSR que les demandeurs avaient été persécutés pour un motif prévu par la Convention et, vu les dettes que leurs familles avaient contractées en faveur des trafiquants et les dettes supplémentaires que leurs familles contracteraient probablement pour payer les amendes qui seraient imposées aux demandeurs et à leurs familles en raison de leur départ illégal de Chine, qu'ils avaient une crainte fondée, tant sur le plan subjectif qu'objectif, de faire de nouveau l'objet d'un trafic s'ils retournaient en Chine et qu'en conséquence, ils étaient des « réfugiés au sens de la Convention » .

[25]       Les avocats des demandeurs ont fait valoir devant notre Cour que la SSR a tout simplement omis de traiter de cet argument et qu'en conséquence, elle avait privé les demandeurs de l'équité procédurale à laquelle ils avaient droit.


[26]       J'accepte sans réserve l'argument des avocats des demandeurs. Dans les présents motifs, j'ai déjà examiné dans une certaine mesure les motifs de décision de la SSR et, sur le fondement de cet examen, je suis convaincu que la SSR n'a pas compris le principal fondement des revendications du statut de réfugié au sens de la Convention des demandeurs ou, dans le cas où elle aurait compris l'argument, qu'elle n'en a tout simplement pas tenu compte en prenant sa décision. Quoi qu'il en soit, je suis convaincu que la SSR a commis une erreur susceptible de contrôle en omettant tout simplement de traiter du fondement principal des revendications du statut de réfugié au sens de la Convention des demandeurs. Cela ne veut pas dire que la SSR ne pouvait raisonnablement conclure qu'il ne convenait pas d'accorder le statut de réfugié au sens de la Convention aux demandeurs. Cela veut simplement dire que, sur la base de l'analyse qu'elle a faite, la SSR est parvenue à une décision qui n'était tout simplement pas valable étant donné qu'elle a négligé de tenir compte du fondement principal des revendications des demandeurs.

LA CONCLUSION

[27]       En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la SSR qui fait l'objet du contrôle est renvoyée à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour qu'une formation différemment constituée entende et tranche l'affaire à son tour, en tenant compte des valeurs que reflète le droit international en matière de droits de la personne, dont elle pourra s'inspirer pour définir l'approche contextuelle en matière d'interprétation de la définition de l'expression « réfugié au sens de la Convention » qui se trouve au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, compte tenu des faits particulier de la présente affaire7.

LA CERTIFICATION D'UNE QUESTION


[28]       À la fin de l'audition de la présente affaire, j'ai mis la décision en délibéré et je me suis engagé à fournir des motifs et donner aux avocats l'occasion de faire des observations sur la certification d'une question. Ces motifs seront maintenant fournis. Les avocats auront jusqu'à la fermeture des bureaux le 29 décembre 2000 pour s'échanger et déposer des observations sur la certification d'une question.

   FREDERICK E. GIBSON   

       J. C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 11 décembre 2000

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                               IMM-932-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :             SHU PING LI ET AUTRES

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                  VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 21 NOVEMBRE 2000

MOTIFS D'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE GIBSON

EN DATE DU :                                   11 DÉCEMBRE 2000

ONT COMPARU:                            

WARREN PUDDICOMBE                                       POUR LE DEMANDEUR

ALISTAIR BOULTON

SANDRA WEAFER                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Larson Boulton Sohn Stockholder                             POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (C.-B.)

M. Morris Rosenberg                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-1640-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :             ZU GUO BIAN (alias Jake Bian)

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                  VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 21 NOVEMBRE 2000

MOTIFS D'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE GIBSON

EN DATE DU :                                   11 DÉCEMBRE 2000

ONT COMPARU:                            

WARREN PUDDICOMBE                                       POUR LE DEMANDEUR

ALISTAIR BOULTON

SANDRA WEAFER                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Larson Boulton Sohn Stockholder                             POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (C.-B.)

M. Morris Rosenberg                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[1]         L.R.C. (1985), ch. I-2.

[2]       Voir mes motifs datés du 1er décembre 2000.

1         L.R.C. (1985), ch. I-2.

2         Adoptée par la résolution 44/25 de l'Assemblée générale des Nations Unies le 20 novembre 1989.

3         [1991] 3 C.F. 390.

4         [1999] 2 R.C.S. 817.

5         [1993] 2 R.C.S. 689.

6         Voir l'arrêt Ward, supra, à la page 739, où la Cour identifie « les groupes définis par une caractéristique innée ou immuable » en tant que catégorie possible de « groupe social » .

7         Voir l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), supra, note en bas de page 4, et la note en fin d'ouvrage des Directives du président de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié concernant les enfants qui revendiquent le statut de réfugiés : questions de procédure et de preuve.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.