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Date : 20220425


Dossier : IMM-3056-20

Référence : 2022 CF 593

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 avril 2022

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

NABILA DEMIAN GERGES NASSRY

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Mme Nassry, est une citoyenne de l’Égypte âgée de 76 ans. Ses deux enfants et ses trois petits-enfants ont un statut permanent au Canada. En 2013, elle a commencé à venir faire de longs séjours au Canada et, depuis 2018, elle vit au pays de façon continue avec sa fille et la famille de celle-ci. En 2018, Mme Nassry a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Un agent principal (l’agent) d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a rejeté la demande. Mme Nassry conteste ce rejet dans la présente demande de contrôle judiciaire.

[2] Mme Nassry soutient que l’agent a tiré des conclusions déraisonnables concernant son établissement au Canada, les difficultés auxquelles elle serait exposée si elle devait retourner en Égypte et l’intérêt supérieur de sa petite-fille. Je suis d’avis que l’agent n’a pas tenu compte de tous les facteurs pertinents soulevés dans la demande et, plus particulièrement, des liens très étroits qui unissent la demanderesse à ses deux enfants et à leurs familles au Canada.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

II. Contexte factuel

[4] Mme Nassry est une citoyenne de l’Égypte. Son mari est décédé il y a plus de 25 ans. Son fils, sa fille et ses petits-enfants (âgés de 14, 18 et 23 ans au moment de l’examen de la demande) vivent tous au Canada où ils ont un statut permanent. Le seul membre de sa famille immédiate qui vit toujours en Égypte est sa sœur, laquelle est âgée de plus de 80 ans.

[5] La fille de Mme Nassry est arrivée au Canada avec sa famille environ 12 ans avant le dépôt de la demande. La plus jeune des petites-filles de Mme Nassry, qui est maintenant âgée de 14 ans, avait 6 ans à l’époque.

[6] Après l’établissement de sa fille au Canada, Mme Nassry a commencé à venir faire des séjours prolongés au pays pour rendre visite à ses enfants et à ses petits-enfants. Elle a fait de tels séjours de 2013 à 2018. Durant ces séjours, elle vivait chez sa fille. En juillet 2018, Mme Nassry a commencé à vivre de façon continue chez sa fille au Canada.

[7] Elle a présenté une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en octobre 2018. Sa demande a été rejetée en juillet 2020.

III. Questions en litige et norme de contrôle applicable

[8] Mme Nassry a soulevé un certain nombre de questions dans sa demande de contrôle judiciaire. Comme je l’explique ci-dessous, je suis d’avis que le fait que l’agent n’ait pas soupesé les liens familiaux de la demanderesse au Canada constitue un facteur déterminant. Comme ce facteur n’a pas été pris en compte, la demande doit être renvoyée pour qu’une nouvelle décision soit rendue. Ainsi, je ne me suis pas penchée sur les autres questions soulevées par Mme Nassry.

[9] Pour examiner la décision de l’agent, j’ai appliqué la norme de contrôle de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a confirmé que la norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer lorsqu’il s’agit d’examiner des décisions administratives sur le fond. La présente affaire ne soulève aucune question qui justifierait de s’écarter de cette présomption.

IV. Analyse

A. Demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire

[10] L’étranger qui sollicite le statut de résident permanent au Canada peut demander au ministre d’utiliser son pouvoir discrétionnaire afin de le dispenser des obligations prévues dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] pour des considérations d’ordre humanitaire (LIPR, art 25(1)). Dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy], citant Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970), 4 AIA 351, la Cour suprême du Canada a confirmé que l’objectif du pouvoir discrétionnaire fondé sur des considérations d’ordre humanitaire est « [d’]offrir une mesure à vocation équitable lorsque les faits sont “de nature à inciter [une personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne” » (au para 21).

[11] Étant donné que l’objectif du pouvoir discrétionnaire fondé sur des considérations d’ordre humanitaire est de « mitiger la sévérité de la loi selon le cas », il n’y a pas d’ensemble limité et prescrit de facteurs justifiant une dispense (Kanthasamy, au para 19). Ces facteurs varieront selon les circonstances, mais « l’agent appelé à se prononcer sur l’existence de considérations d’ordre humanitaire doit véritablement examiner tous les faits et les facteurs pertinents portés à sa connaissance et leur accorder du poids » (Kanthasamy, au para 25; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux para 74-75 [Baker]).

B. Défaut de tenir compte des liens familiaux

[12] J’estime que l’agent n’a pas tenu compte de tous les facteurs pertinents soulevés par Mme Nassry. Plus précisément, je juge la décision déraisonnable parce que l’agent n’a pas tenu compte de l’importance des liens familiaux de la demanderesse au Canada.

[13] Une des raisons principales pour lesquelles Mme Nassry a présenté sa demande était ses [traduction] « liens familiaux étroits au Canada ». Dans l’analyse faite par l’agent de l’intérêt supérieur de l’enfant, les liens qu’entretient Mme Nassry avec ses petits-enfants, plus particulièrement avec sa petite-fille âgée de 14 ans, ont été pris en compte. Cependant, les liens qu’elle entretient avec ses enfants adultes n’ont été pris en compte nulle part dans la décision.

[14] Un élément central de la demande de dispense était l’interdépendance mutuelle existant entre Mme Nassry et sa fille et son fils d’âge adulte. L’affidavit de Mme Nassry, celui de sa fille et la lettre de son fils font état de cette interdépendance mutuelle et des difficultés qu’occasionnerait une séparation pour la famille étant donné que Mme Nassry avance en âge. Les enfants de Mme Nassry ont expliqué qu’il leur serait difficile d’aller passer de longues périodes avec leur mère en Égypte en raison de leurs obligations familiales et professionnelles au Canada. Ils ont ajouté qu’ils craignaient, puisqu’elle avance en âge, qu’il devienne difficile pour leur mère de leur rendre visite au Canada et qu’elle se retrouverait donc seule en Égypte.

[15] Les liens existant entre Mme Nassry et ses deux seuls enfants, de même que le profond désir de ces derniers de prendre soin de leur mère durant sa vieillesse n’ont pas été pris en compte dans la décision de l’agent. Les liens familiaux n’ont pas été considérés comme un facteur à prendre en compte au regard de l’établissement de Mme Nassry au Canada, malgré le fait que l’avocate de Mme Nassry ait fait valoir qu’ils penchaient fortement en faveur d’un établissement positif au Canada, pas plus qu’ils n’ont été pris en compte dans la portion de la décision portant sur les difficultés.

[16] Les liens familiaux de Mme Nassry au Canada constituaient un facteur pertinent soulevé dans sa demande. Puisque aucune appréciation n’en a été faite, l’affaire doit être réexaminée. Comme l’a souligné le juge Diner dans Bhalla c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1638, lorsqu’un agent ne tient pas compte de certains facteurs sur lesquels la demande est fondée, la mise en balance sera nécessairement déficiente parce que la cour de révision ne peut pas savoir quel poids aurait été accordé au facteur s’il avait été dûment pris en compte (au para 22).

[17] La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3056-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision.

  2. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.

« Lobat Sadrehashemi »

Juge

Traduction certifiée conforme

Geneviève Bernier


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3056-20

 

INTITULÉ :

NABILA DEMIAN GERGES NASSRY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 octobre 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DES MOTIFS :

Le 25 avril 2022

 

COMPARUTIONS :

Monique Ann Ashamalla

 

Pour la demanderesse

Catherine Vasilaros

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ashamalla LLP

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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