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Date : 20220503


Dossier : IMM‑7058‑19

Référence : 2022 CF 648

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 3 mai 2022

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

HARPREET SINGH GILL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Harpreet Singh Gill, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 31 octobre 2019, par laquelle un agent des visas (l’agent) du haut‑commissariat du Canada à New Delhi, en Inde, a rejeté sa demande de permis de travail au motif qu’il est interdit de territoire au Canada aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2] Le demandeur soutient que l’agent a tiré des conclusions déraisonnables concernant l’authenticité de son mariage et qu’il a commis une erreur en assimilant le paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le RIPR) à l’alinéa 40(1)a) de la LIPR.

[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de l’agent est raisonnable. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Les faits

A. Le demandeur

[4] Le demandeur est un citoyen de l’Inde âgé de 29 ans. Il a épousé Amandeep Kaur (Mme Kaur) lors d’une petite cérémonie le 18 août 2018. Il affirme que Mme Kaur et lui se sont rencontrés et se sont fiancés lors d’une cérémonie d’échange des anneaux (cérémonie de fiançailles) le 30 juin 2018 et que leur mariage avait été arrangé par le beau‑frère de son père.

[5] Le 25 juin 2018, Mme Kaur a présenté une demande de permis d’études au Canada. Sa demande a été accueillie et elle est partie au Canada à la fin du mois d’août 2018, après le mariage.

[6] En janvier 2019, le demandeur a été interrogé au sujet de la demande de permis de travail qu’il avait présentée dans le but de rejoindre son épouse au Canada (l’entrevue de janvier 2019). Cette première demande a été rejetée. En mars 2019, le demandeur a présenté une deuxième demande de permis de travail.

[7] Le 21 mai 2019, le demandeur a de nouveau été interrogé au bureau des visas de New Delhi (l’entrevue de mai 2019). L’agent des visas qui a mené l’entrevue a relevé des incohérences entre l’entrevue de mai 2019 et celle de janvier 2019. Il n’était pas convaincu que [traduction] « le mariage du demandeur et de [son] épouse était authentique et qu’il ne visait pas principalement l’acquisition du statut de résident temporaire par le demandeur ».

[8] Le 24 mai 2019, le demandeur a reçu une lettre relative à l’équité procédurale dans laquelle l’agent exprimait des réserves quant à l’authenticité de son mariage et il mentionnait qu’il soupçonnait le demandeur d’avoir fait de fausses déclarations en raison des incohérences dans les renseignements qu’il avait fournis précédemment.

[9] Le 4 juin 2019, le demandeur a répondu à la lettre relative à l’équité procédurale en soulignant que les incohérences relevées étaient attribuables à des malentendus entre l’entrevue de janvier 2019 et celle de mai 2019. Il a également joint à sa réponse cinq affidavits souscrits par des membres de sa famille qui attestaient que la cérémonie d’échange des anneaux marquant les fiançailles du couple avait bel et bien eu lieu le 30 juin 2018.

B. La décision faisant l’objet du contrôle

[10] Dans une lettre datée du 31 octobre 2019, l’agent a rejeté la demande de permis de travail du demandeur au motif qu’il était interdit de territoire au Canada aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR.

[11] D’après les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas (le SMGC), qui font partie des motifs de la décision de l’agent, deux agents ont examiné la demande du demandeur, soit celui qui a mené l’entrevue de mai 2019 et celui qui a rendu la décision faisant l’objet du contrôle. L’agent des visas qui a mené l’entrevue n’était pas convaincu que la relation entre le demandeur et son épouse était authentique et a recommandé que le demandeur soit interdit de territoire au Canada en application de l’article 40 de la LIPR. Étant d’accord avec la recommandation de l’agent des visas qui a mené l’entrevue, l’agent a indiqué ce qui suit dans les notes qu’il a versées dans le SMGC le 31 octobre 2019 :

[traduction]

La demande et la réponse à la lettre relative à l’équité procédurale ont été examinées. L’agent qui a mené l’entrevue a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le mariage visait l’acquisition d’un avantage sous le régime de la LIPR. Le demandeur a fourni des photos et des relevés de conversations en ligne afin de faire une présentation erronée sur l’authenticité de sa relation. De plus, les renseignements fournis par le demandeur lors de son entrevue précédente ne concordent pas avec ceux qu’il a communiqués durant l’entrevue menée dans le cadre de la présente demande. Plus précisément, le demandeur a d’abord affirmé qu’il n’y avait pas eu de cérémonie de fiançailles, mais il prétend maintenant qu’il y en a eu une. Par conséquent, je suis d’avis que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur a fait une présentation erronée aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR dans le but d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR et d’obtenir un visa en tant qu’époux d’une personne qui détient un permis d’études au Canada. La demande est rejetée en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. Le demandeur est interdit de territoire pour cinq ans.

III. La question préliminaire : l’affidavit irrégulier

[12] Le défendeur demande que l’affidavit de Nidhi Sharma (Mme Sharma) soit retiré du dossier du demandeur, car il est irrégulier et sans pertinence. Il soutient qu’aucun des renseignements contenus dans cet affidavit ne se rapporte à la présente affaire. Il fait également remarquer que les pièces jointes à l’affidavit de Mme Sharma comprennent des documents concernant le règlement intervenu dans d’autres affaires. Ces documents étant protégés par un privilège, ils ne devraient pas être inclus dans un dossier public, car cela constituerait une violation du privilège relatif aux règlements dont le défendeur est investi.

[13] Le demandeur prétend que les faits énoncés dans l’affidavit de Mme Sharma ne sont pas contestés et qu’ils mettent en contexte une situation problématique qui se produit souvent au bureau des visas de New Delhi, en Inde : l’information fournie sur l’authenticité d’un mariage est fréquemment considérée comme une présentation erronée. Il affirme que les documents joints à l’affidavit de Mme Sharma font déjà partie du dossier public, puisqu’ils ont déjà été présentés dans le cadre des affaires sur lesquelles ils portent et qu’il n’y a donc rien d’irrégulier dans le fait d’admettre cet affidavit en preuve.

[14] Comme l’a déclaré l’avocat du demandeur à l’audience, le dépôt de l’affidavit de Mme Sharma est une pratique inhabituelle. Les pièces jointes à cet affidavit concernent d’autres décisions rendues par le bureau des visas de New Delhi, en Inde. L’avocate du défendeur a fait remarquer à juste titre que chaque affaire est un cas d’espèce et doit être soigneusement examinée sur le fond. Ainsi, il faut apprécier la preuve dont disposait le décideur et les motifs de la décision de l’agent en l’espèce, mais pas la preuve et les motifs de décision fournis dans le cadre d’autres affaires. Je souscris donc à l’avis du défendeur et je ne tiendrai pas compte de l’affidavit de Mme Sharma et des pièces qui y sont jointes dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

IV. Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[15] Pour déterminer si la décision de l’agent est raisonnable dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, la Cour doit trancher les questions suivantes :

  1. L’agent a‑t‑il tiré des conclusions déraisonnables concernant l’authenticité du mariage du demandeur?

  2. L’agent a‑t‑il commis une erreur en assimilant, dans son analyse, les renseignements présentés pour démontrer l’authenticité du mariage au sens de l’article 4 du RIPR à une présentation erronée aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR?

[16] Les deux parties soutiennent que la norme de la décision raisonnable s’applique à la décision de l’agent. Je conviens que la norme de contrôle applicable à la décision de l’agent de rejeter la demande de permis de travail est celle de la décision raisonnable (Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 764 au para 12; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov) aux para 16‑17).

[17] La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle empreinte de déférence, mais qui demeure rigoureuse (Vavilov, aux para 12‑13). La cour de révision doit établir si la décision faisant l’objet du contrôle est transparente, intelligible et justifiée, notamment en ce qui concerne le résultat obtenu et le raisonnement suivi (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). La question de savoir si une décision est raisonnable dépend du contexte administratif, du dossier dont disposait le décideur et des conséquences de la décision sur les individus visés (Vavilov, aux para 88‑90, 94, 133‑135).

[18] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit démontrer que la décision comporte une lacune suffisamment capitale ou importante (Vavilov, au para 100). Une cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, elle ne doit pas modifier les conclusions de fait de celui‑ci (Vavilov, au para 125). Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement accessoires par rapport au fond de la décision, ou constituer une « erreur mineure » (Vavilov, au para 100; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 au para 36).

V. Analyse

A. L’agent a‑t‑il tiré des conclusions déraisonnables concernant l’authenticité du mariage du demandeur?

[19] Dans les notes du SMGC accompagnant sa décision, l’agent fait état d’incohérences dans les renseignements qu’a fournis le demandeur durant les entrevues et dans sa demande. Par exemple, dans les notes du SMGC, il écrit qu’au cours de l’entrevue de janvier 2019, le demandeur a dit à l’agent des visas qui l’interrogeait que Mme Kaur et lui n’avaient pas eu de cérémonie de fiançailles lorsqu’ils se sont rencontrés pour la première fois, mais, au cours de l’entrevue de mai 2019, il a dit à l’agent qui menait l’entrevue qu’une cérémonie de fiançailles avait eu lieu le 30 juin 2018. Dans la lettre relative à l’équité procédurale envoyée au demandeur, l’agent a exprimé les réserves suivantes en ce qui a trait à ces incohérences :

[traduction]

Après examen de votre demande et des renseignements fournis lors de votre entrevue précédente et de la présente entrevue, je constate des incohérences dans les renseignements que vous avez donnés concernant, par exemple, la question de savoir si des fiançailles ont eu lieu, la date de votre première rencontre et la date à laquelle votre épouse a demandé son permis d’études. Étant donné que la véracité de ces renseignements est un aspect fondamental de la demande de permis de travail ouvert que vous avez présentée à titre d’époux afin d’entrer au Canada, je crains que la présentation erronée qui y est faite ait pu entraîner une erreur dans l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et que vous soyez donc interdit de territoire au Canada pour fausses déclarations.

[20] Dans sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, le demandeur a mentionné qu’il y avait eu un malentendu au sujet des renseignements qu’il avait fournis durant les entrevues, et il a précisé que son épouse et lui se sont effectivement fiancés le 30 juin 2018 lors d’une cérémonie d’échange des anneaux. À titre de preuve, il a présenté un certificat confirmant que la cérémonie d’échange des anneaux a eu lieu le 30 juin 2018, ainsi que les affidavits des membres de la famille et des amis qui y ont assisté. Il a également écrit qu’au cours de l’entrevue de mai 2019, il avait oublié la date à laquelle son épouse avait demandé un permis d’études (le 25 juin 2018). La lettre de refus de l’agent datée du 31 octobre 2019 indique ce qui suit :

[traduction]

Vous êtes interdit de territoire au Canada en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) parce que vous avez fait, directement ou indirectement, une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR.

[21] Le demandeur fait valoir que l’agent s’est appuyé sur des conclusions déraisonnables concernant l’authenticité de son mariage pour rejeter sa demande de permis de travail. Il affirme avoir expliqué durant son entrevue que la cérémonie de mariage était modeste et que, pour réduire les coûts, seuls les membres de la famille du couple y ont assisté. Il était donc raisonnable que la cérémonie d’échange des anneaux ait elle aussi été modeste, et qu’il ait initialement déclaré qu’il n’y avait pas eu de fiançailles. De plus, les photographies et les nombreux affidavits de membres de la famille confirmant leur présence à la cérémonie d’échange des anneaux démontrent que celle‑ci a bel et bien eu lieu. Le demandeur soutient qu’une conclusion de fausses déclarations ne peut raisonnablement pas être tirée compte tenu de tous ces éléments de preuve démontrant qu’une cérémonie d’échange des anneaux a effectivement eu lieu.

[22] Le demandeur fait en outre valoir qu’il a expliqué de manière suffisante pourquoi il n’avait pas rencontré Mme Kaur avant leurs fiançailles. D’après les notes concernant l’entrevue de mai 2019 qui ont été versées au SMGC, l’agent des visas a demandé au demandeur s’il était normal pour un couple de se rencontrer pour la première fois le jour de ses fiançailles. Le demandeur a répondu que son mariage était arrangé et que, selon la coutume, les couples dans cette situation ne se rencontrent pas avant la cérémonie de mariage.

[23] Le défendeur s’appuie sur la décision Maan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 118, pour affirmer que le demandeur en l’espèce ne s’est pas acquitté de l’obligation qui lui incombait de fournir suffisamment de renseignements pour répondre aux réserves de l’agent quant à l’authenticité du mariage et les dissiper (aux para 25‑26). Plus précisément, il soutient que le demandeur n’a pas répondu à des questions simples qui visaient notamment à connaître la date à laquelle Mme Kaur avait demandé son permis d’études et à savoir s’il y avait eu une cérémonie de fiançailles et ce que le demandeur avait appris au sujet de Mme Kaur depuis leur mariage. Je suis d’accord avec le défendeur.

[24] Dans les notes qu’il a consignées dans le SMGC, l’agent a tenu compte de l’explication du demandeur selon laquelle il y avait eu un malentendu entre l’entrevue de janvier 2019 et celle de mai 2019. Lorsqu’il a rejeté l’explication du demandeur, l’agent a raisonnablement conclu qu’une cérémonie de fiançailles était un événement important dont le demandeur se serait souvenu, surtout s’il avait eu lieu le jour où il a rencontré son épouse. Comme l’a souligné l’avocate du défendeur à l’audience, le demandeur n’a pas non plus expliqué adéquatement pourquoi il a modifié sa réponse d’une entrevue à l’autre; le simple fait de dire qu’il y avait eu un [traduction] « malentendu » ne permet pas de déterminer où le malentendu s’est produit.

[25] Le défendeur soutient également que la preuve présentée par le demandeur pour démontrer qu’il a clavardé avec Mme Kaur après leur mariage n’indique pas que le couple a discuté de manière substantielle de ses activités quotidiennes, de ses projets d’avenir, de ses aspirations professionnelles ou de tout autre élément de la vie commune à laquelle il aspirait. Lorsque l’agent lui a demandé ce qu’il savait sur son épouse, le demandeur n’a pu que répondre qu’elle aimait la crème glacée et [traduction] « les promenades ». Le défendeur fait valoir que ces réponses ne révèlent pas que le demandeur a appris quoi que ce soit d’important au sujet de son épouse. Je suis d’accord. Compte tenu des renseignements fournis, il était raisonnable de la part de l’agent de conclure que le demandeur ne semblait pas bien connaître son épouse.

[26] En outre, le défendeur affirme que l’agent a en fait dûment tenu compte de la réponse du demandeur, qui a déclaré que seules sa famille et celle de Mme Kaur ont assisté à leur mariage le 18 août 2018 afin de garder la cérémonie modeste et que le mariage a été reporté en raison d’un décès dans la famille. Il soutient qu’il était raisonnable pour l’agent de conclure que le demandeur n’avait pas expliqué de façon convaincante en quoi le décès d’un membre de la famille avait joué un rôle dans le report du mariage, puisque le parent décédé n’était même pas censé assister à la cérémonie. À mon avis, s’il y a eu un décès dans la famille, il me semble raisonnable de reporter une célébration par respect, même si le parent décédé n’était pas censé assister au mariage. Néanmoins, je considère qu’il ne s’agit que d’une lacune mineure dans la décision de l’agent.

[27] La norme de la décision raisonnable exige de la cour de révision qu’elle fasse preuve de déférence à l’égard de l’expertise du décideur administratif. En l’espèce, même si la décision de l’agent comporte des lacunes, je suis d’avis que le demandeur n’a pas démontré qu’elle présente des lacunes importantes qui la rendent déraisonnable. Je suis convaincu que l’agent a examiné le dossier dans son ensemble et qu’il a exposé les raisons pour lesquelles il a conclu que le mariage du demandeur n’était pas authentique. Je conclus donc que la décision de l’agent possède les caractéristiques d’une décision raisonnable et qu’elle était justifiée compte tenu des renseignements fournis (Vavilov, aux para 85, 102).

B. L’agent a‑t‑il commis une erreur en assimilant, dans son analyse, les renseignements présentés pour démontrer l’authenticité du mariage au sens de l’article 4 du RIPR à une présentation erronée aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR?

[28] En s’appuyant sur sa conclusion quant à l’inauthenticité du mariage du demandeur, l’agent a conclu que ce dernier avait fait une présentation erronée au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, qui est ainsi libellé :

Fausses déclarations

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

Misrepresentation

40 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

[29] Le paragraphe 4(1) du RIPR est ainsi libellé :

Mauvaise foi

4 (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

Bad faith

4 (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common‑law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common‑law partnership or conjugal partnership

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

b) n’est pas authentique

(b) is not genuine.

[30] Le demandeur fait valoir que de légères incohérences dans des renseignements non essentiels ou le fait de ne pas bien connaître son épouse ne sont pas assimilables à une présentation erronée au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. Il affirme que l’agent lui a demandé de répondre à des questions pour dissiper ses doutes quant à l’authenticité de son mariage, ce qu’il a fait en lui fournissant des renseignements qu’il croyait être véridiques. Il prétend que l’agent a déraisonnablement sauté à la conclusion qu’il n’avait pas répondu véridiquement aux questions parce qu’il ne connaissait pas la date exacte à laquelle son épouse avait demandé un permis d’études et qu’il avait initialement déclaré qu’il n’y avait pas eu de cérémonie de fiançailles.

[31] Le demandeur invoque le paragraphe 38 de la décision Toki c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 606, pour faire valoir que, compte tenu de la gravité des conséquences d’une fausse déclaration, « la preuve au soutien d’une telle conclusion doit être claire et les motifs de l’agent doivent le refléter. Ceci comprend d’expliquer en quoi la preuve contredisant cette conclusion a au moins été prise en considération. » Dans la décision Seraj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 38, la Cour a également souligné que les conclusions quant à l’existence de fausses déclarations ne doivent pas être tirées à la légère et doivent être appuyées par des éléments de preuve convaincants (au para 1).

[32] En outre, le demandeur soutient que les critères juridiques permettant de déterminer si une personne est visée par l’article 4 du RIPR et l’alinéa 40(1)a) de la LIPR sont différents, et qu’il est déraisonnable de s’appuyer uniquement sur une conclusion possible tirée au titre de l’article 4 du RIPR pour conclure qu’une personne a fait de fausses déclarations. Il souligne que, si tel était le cas, les personnes dont la demande de parrainage à titre d’époux a été rejetée en application de l’article 4 du RIPR seraient aussi systématiquement jugées interdites de territoire pour fausses déclarations. Or, ce n’est pas le cas. Il affirme que le processus décisionnel de l’agent est inquiétant, car il est contraire à l’esprit de la LIPR et du RIPR et a de graves conséquences pour les demandeurs, qui sont interdits de territoire pendant cinq ans sans pouvoir interjeter appel devant la Section d’appel de l’immigration.

[33] Le défendeur avance que la Cour a reconnu que les étrangers qui font une demande pour venir au Canada au titre de la LIPR ont une obligation de franchise qui les oblige à révéler les faits importants (Bodine c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 848 aux para 41‑42). Cette obligation est énoncée au paragraphe 16(1) de la LIPR, qui est ainsi libellé :

Obligation du demandeur

16 (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.

Obligation — answer truthfully

16 (1) A person who makes an application must answer truthfully all questions put to them for the purpose of the examination and must produce a visa and all relevant evidence and documents that the officer reasonably requires.

[34] À l’appui de cet argument, le défendeur invoque la décision qu’a récemment rendue la Cour dans l’affaire Bains c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 57 (Bains). Dans cette décision, la Cour explique qu’aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, les fausses déclarations désignent une présentation erronée faite directement ou indirectement qui aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR et qu’il n’est pas nécessaire qu’elles aient été intentionnelles, délibérées ou faites par négligence (aux para 62‑63). L’exception à une conclusion de fausses déclarations est assez étroite et ne s’applique que dans les cas « où le demandeur croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas une fausse déclaration sur un fait important et où il ne s’agissait pas d’un renseignement dont la connaissance échappait à sa volonté » (Bains, au para 62, citant Goburdhun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971 au para 28).

[35] En ce qui concerne la façon dont l’alinéa 40(1)a) de la LIPR interagit avec les alinéas 4(1)a) et 4(1)b) du RIPR, la Cour fait la remarque suivante au paragraphe 64 de la décision Bains :

[…] Un agent d’immigration doit conclure, en application du paragraphe 4(1) du RIPR, qu’un mariage a été contracté de mauvaise foi avant de tirer la conclusion qu’il y a eu présentation erronée sur un fait important aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR (Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 273, au par. 17).

[36] Le défendeur soutient que l’agent s’est appuyé sur le dossier pour conclure que le mariage du demandeur n’était pas authentique, et qu’il n’a donc pas commis d’erreur en se fondant sur cette conclusion pour conclure que le demandeur a fait une présentation erronée sur un fait important.

[37] À mon avis, dans la décision Bains, la Cour laisse entendre que l’appréciation de l’authenticité d’un mariage au titre du paragraphe 4(1) du RIPR peut aider l’agent à conclure qu’il y a eu présentation erronée sur un fait important aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. Selon l’alinéa 199e) du RIPR, un étranger peut faire une demande de permis de travail s’il est membre de la famille d’une personne qui détient un permis d’études. Par conséquent, si le mariage d’un demandeur est jugé non authentique et si ce demandeur s’est vu délivrer un permis de travail au motif qu’il est membre de la famille d’un étranger étudiant au Canada, on pourrait alors dire qu’il y a eu une erreur dans l’application de la LIPR suivant l’alinéa 40(1)a) de la LIPR.

[38] Je ne crois donc pas que l’agent en l’espèce a confondu les critères prévus au paragraphe 4(1) du RIPR avec ceux énoncés à l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. Au contraire, il a d’abord analysé les réponses données par le demandeur durant l’entrevue et les renseignements fournis pour décider si son mariage était authentique. En concluant de façon raisonnable que le mariage n’était pas authentique, l’agent a jugé que le demandeur n’était pas un « membre de la famille » aux termes de l’alinéa 199e) du RIPR et qu’il n’était donc pas admissible à un permis de travail à titre d’époux d’une étrangère étudiant au Canada. L’agent s’est ensuite appuyé sur cette conclusion pour conclure qu’il y a eu présentation erronée sur un fait important au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, car le fait que le mariage n’était pas authentique aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR.

VI. Conclusion

[39] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision de l’agent est raisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont soulevé aucune question à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑7058‑19

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑7058‑19

 

INTITULÉ :

HARPREET SINGH GILL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 MARS 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 MAI 2022

 

COMPARUTIONS :

Raj Sharma

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Camille Audain

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Sharma Harsanyi

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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