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Date : 20220428


Dossier : IMM‑5640‑20

Référence : 2022 CF 623

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 avril 2022

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

KARMA DHONDUP

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Karma Dhondup, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 21 septembre 2020, par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) portant qu’il n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2] Le demandeur affirme craindre d’être persécuté en Chine parce qu’il est un bouddhiste tibétain qui s’oppose à l’occupation du Tibet par la Chine, et il prétend qu’il n’a pas la citoyenneté indienne. La SAR a confirmé la décision de la SPR et a rejeté la demande d’asile du demandeur au motif qu’il est un citoyen indien de naissance et qu’il n’avait pas établi qu’un obstacle important l’empêchait d’exercer ses droits de citoyenneté en Inde.

[3] Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur dans l’appréciation de sa capacité à obtenir la citoyenneté indienne et qu’elle n’a pas tenu dûment compte du risque qu’il soit expulsé de l’Inde et renvoyé en Chine.

[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SAR est raisonnable. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Les faits

A. Le demandeur

[5] Le demandeur est un bouddhiste tibétain âgé de 46 ans. Il est né dans une colonie de réfugiés tibétains à Mundgod, en Inde, qui est dirigée par l’administration centrale tibétaine (la Central Tibetan Administration ou la CTA). Dans cette colonie, la CTA lui a fourni un foyer, une éducation et un emploi.

[6] Les parents du demandeur étaient tous deux d’origine tibétaine. Ils se sont enfuis en Inde lorsque la Chine a envahi et occupé le Tibet en 1959. Le demandeur affirme que, selon l’article 5 de la loi chinoise intitulée Nationality Law (Loi sur la nationalité), il est considéré comme un ressortissant chinois par la Chine tant qu’il n’a pas obtenu la citoyenneté d’un autre pays. Il soutient que les réfugiés tibétains ont des droits limités en Inde, dont des droits de résidence temporaire, et qu’ils conservent ces droits aussi longtemps qu’ils continuent de renouveler le certificat d’étranger enregistré qui leur est délivré par le gouvernement indien. Le demandeur possède un certificat d’étranger enregistré ainsi qu’un « certificat d’identité » valide délivré par le gouvernement indien.

[7] En septembre 2016, la Haute Cour de l’Inde a ordonné à toutes les autorités de délivrance de passeports de traiter les demandes des réfugiés tibétains admissibles, [traduction] « sans quoi elles seraient poursuivies pour outrage au tribunal ». En mars 2017, le ministère des Affaires étrangères (le MAE) de l’Inde a donné suite à cette directive par la mise en œuvre d’une nouvelle politique (la politique de 2017 du MAE), qui exigeait que tous les bureaux régionaux des passeports traitent les demandes de passeport présentées par des réfugiés tibétains nés en Inde entre le 26 janvier 1950 et le 1er juillet 1987, et qu’ils considèrent ces demandeurs comme des citoyens indiens.

[8] Le demandeur prétend que, dans les faits, la politique de 2017 du MAE n’est pas respectée et que les Tibétains continuent de se buter à des obstacles dans l’exercice de leurs droits de citoyenneté, qui incluent le droit d’obtenir un passeport. Il affirme également que les Tibétains qui souhaitent obtenir la citoyenneté indienne doivent préalablement remplir certaines conditions en quittant la colonie où ils sont établis et en renonçant aux avantages qui leur sont accordés par la CTA.

B. La décision de la SPR

[9] Dans une décision datée du 6 novembre 2018, la SPR a conclu que le demandeur n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. La question déterminante pour la SPR était la capacité du demandeur à obtenir la citoyenneté indienne. La SPR a jugé que le demandeur est un citoyen de l’Inde de naissance selon la loi indienne intitulée Indian Citizenship Act (Loi sur la citoyenneté indienne) et qu’il n’avait pas établi l’existence d’un obstacle important qui l’empêchait d’exercer ses droits de citoyenneté en Inde. La SPR était aussi d’avis que le demandeur n’avait pas fait des efforts raisonnables pour obtenir la protection de l’Inde.

[10] La SPR a examiné la documentation sur la situation dans le pays, qui fait état de la réticence qu’avaient les autorités indiennes à reconnaître la citoyenneté indienne des Tibétains nés en Inde entre 1950 et 1987, et elle a également tenu compte d’exemples de Tibétains nés durant cette période dont la demande de passeport avait été rejetée par les autorités. La SPR a toutefois fait remarquer que plusieurs progrès ont été réalisés sur ce plan, ce qui a permis à des Tibétains d’obtenir un passeport indien. Ces progrès comprennent entre autres la mise en œuvre de la politique de 2017 du MAE, ainsi que l’intervention de la Haute Cour de l’Inde, qui a reconnu la citoyenneté indienne des Tibétains qui demandent un passeport et a ordonné qu’un passeport leur soit délivré. La SPR était d’avis que la crainte que suscitait chez le demandeur l’idée de quitter sa colonie tibétaine ne justifiait pas le fait qu’il n’avait déployé que très peu d’efforts pour obtenir la citoyenneté indienne. Dans l’ensemble, la SPR n’était pas convaincue qu’un passeport indien ne serait pas délivré au demandeur s’il retournait en Inde et en faisait la demande.

C. La décision faisant l’objet du contrôle

[11] Le demandeur a interjeté appel de la décision de la SPR devant la SAR parce qu’il estimait que la SPR avait commis une erreur en concluant qu’il est un citoyen de l’Inde. Le 21 septembre 2020, la SAR a rejeté l’appel du demandeur et a confirmé la décision de la SPR portant qu’il n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. La SAR a conclu que le demandeur ne serait pas exposé à des obstacles importants dans l’exercice de ses droits de citoyenneté en Inde et qu’il n’avait pas déployé des efforts raisonnables pour surmonter les obstacles auxquels il se butait. En particulier, la SAR a tiré les conclusions suivantes :

  • La SPR a eu raison de conclure que, selon la Loi sur la citoyenneté indienne, le demandeur – qui est né en Inde en 1975 – est un citoyen de l’Inde de naissance.

  • La SPR a fait remarquer à juste titre que, depuis le jugement de la Haute Cour de Delhi de septembre 2016, il y a eu d’importants progrès pour les Tibétains et leurs droits de citoyenneté sont reconnus en Inde.

  • La SAR a reconnu les exemples donnés dans un article publié le 3 octobre 2017 dans le Tibet Sun, qui mentionne que des Tibétains font l’objet de discrimination de la part des responsables des bureaux régionaux des passeports lors du traitement de leur demande de passeport. Cependant, la SAR était d’avis que les exemples fournis dans cet article n’avaient pas une valeur probante suffisante pour qu’elle puisse remettre en question les politiques et les procédures générales applicables aux demandes de passeport en Inde, et que les complications liées aux demandes de passeport ne sont pas l’apanage de la communauté tibétaine. Par conséquent, la SAR a conclu qu’il n’existe qu’une simple possibilité que le demandeur soit victime de harcèlement s’il devait déposer une demande de passeport et que le demandeur n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il ferait personnellement l’objet d’une obstruction.

  • La SPR a eu raison de conclure que le fait de renoncer aux avantages accordés aux Tibétains par la CTA ne constitue pas un obstacle important à l’obtention de la citoyenneté indienne. La SPR a également souligné à juste titre qu’en cherchant à obtenir la protection du Canada, le demandeur devrait logiquement renoncer aux avantages que lui avait accordés la CTA.

  • La SPR a eu raison de conclure que le demandeur n’avait pas établi qu’il ne serait pas en mesure d’obtenir un passeport indien au Canada.

[12] La SAR a conclu que, puisque la SPR avait eu raison de conclure que le demandeur est un citoyen de l’Inde et qu’aucun obstacle important ne l’empêchait d’exercer ses droits de citoyenneté en Inde, il n’était pas nécessaire d’analyser le risque que le demandeur soit expulsé vers la Chine.

III. Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[13] La question en litige dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire consiste à savoir si la décision de la SAR est raisonnable, ce qui m’amène, plus particulièrement, à trancher les questions suivantes :

  1. La SAR a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de la capacité du demandeur à demander la citoyenneté en Inde?

  2. La SAR a‑t‑elle omis de tenir dûment compte du risque que le demandeur soit expulsé de l’Inde et renvoyé en Chine?

[14] Les deux parties soutiennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. C’est aussi mon avis (Adelani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 23 aux para 13‑15; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov) aux para 10, 16‑17).

[15] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est empreint de déférence, mais demeure rigoureux (Vavilov aux para 12‑13). La cour de révision doit établir si la décision faisant l’objet du contrôle, y compris son raisonnement et son résultat, est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov au para 15). Une décision raisonnable est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov au para 85). La question de savoir si une décision est raisonnable dépend du contexte administratif, du dossier dont le décideur est saisi et de l’incidence de la décision sur les personnes qui en subissent les conséquences (Vavilov aux para 88‑90, 94, 133‑135).

[16] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit établir que la décision comporte des lacunes suffisamment capitales ou importantes (Vavilov au para 100). Une cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, ne doit pas modifier les conclusions de fait de celui‑ci (Vavilov au para 125). Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision, ou constituer une « erreur mineure » (Vavilov au para 100; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 au para 36).

IV. Analyse

A. La SAR a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de la capacité du demandeur à demander la citoyenneté en Inde?

[17] Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en concluant qu’il n’est pas exposé à des obstacles importants dans l’exercice de ses droits de citoyenneté en Inde.

[18] Dans l’arrêt Tretsetsang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 175 (Tretsetsang), la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’il appartient au demandeur d’asile d’établir qu’il ne peut pas se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité, ou qu’il est réticent à le faire, car il craint d’être persécuté, et que tout obstacle à l’exercice du droit à la protection de l’État doit être important (au para 71). Les paragraphes 72 et 73 de l’arrêt Tretsetsang sont ainsi libellés :

[72] Par conséquent, le demandeur qui invoque un obstacle à l’exercice de son droit à la citoyenneté dans un pays donné doit établir selon la prépondérance des probabilités :

a) qu’il existe un obstacle important dont on pourrait raisonnablement croire qu’il l’empêche d’exercer son droit à la protection de l’État que lui confère la citoyenneté dans le pays dont il a la nationalité;

b) qu’il a fait des efforts raisonnables pour surmonter l’obstacle, mais que ces efforts ont été vains et qu’il n’a pu obtenir la protection de l’État.

[73] Ce qui constitue des efforts raisonnables pour surmonter un obstacle important (établi par le demandeur) dans une situation donnée ne peut être déterminé qu’au cas par cas. Le demandeur ne sera pas tenu de faire des efforts pour surmonter ces obstacles s’il démontre qu’il serait déraisonnable d’exiger pareils efforts.

[19] Le demandeur affirme que la SAR a commis une erreur en concluant que le fait de renoncer aux avantages accordés par la CTA pour pouvoir demander un passeport indien ne constituait pas un obstacle important. La preuve dont dispose la SAR décrit les conditions que doivent préalablement remplir les réfugiés tibétains pour pouvoir demander un passeport indien, ce qui comprend l’obligation de quitter la colonie où ils sont établis et de renoncer aux avantages que leur a accordés la CTA. Le demandeur prétend qu’il n’a pas demandé la citoyenneté en Inde parce qu’il ne voulait pas perdre sa maison dans la colonie où il vivait ou l’emploi que lui avait fourni la CTA. Il soutient également que la documentation sur la situation dans le pays étaye son argument selon lequel il est rare et difficile pour les Tibétains qui ne vivent pas dans une colonie de trouver un emploi, et ce, même s’ils possèdent la citoyenneté indienne.

[20] Pour étayer sa position, le demandeur invoque la décision de notre Cour dans l’affaire Pasang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 907 (Pasang). Tout comme lui, le demandeur dans l’affaire Pasang ne possédait qu’un certificat d’étranger enregistré, et il avait demandé l’asile au Canada parce que son statut en Inde était incertain. Dans l’affaire Pasang, notre Cour a conclu que la décision de la SAR était déraisonnable, car la SAR n’avait pas tenu compte des conséquences personnelles que pourrait avoir sur le demandeur la présentation d’une demande de citoyenneté indienne (aux para 23‑24). Le demandeur soutient que, comme dans l’affaire Pasang, la SAR n’a pas tenu compte des conséquences personnelles qu’il pourrait subir s’il tentait de demander un passeport indien. Par exemple, il pourrait être obligé de quitter sa colonie tibétaine, et il se retrouverait alors sans foyer et n’aurait plus accès à sa communauté ou au soutien du gouvernement pendant qu’il attend la délivrance de son passeport. De plus, le demandeur avance que l’incertitude liée à l’obtention d’un passeport ainsi qu’à la possibilité de trouver un emploi à l’extérieur de la colonie tibétaine constitue un obstacle important.

[21] Le demandeur affirme en outre que la SAR a fait abstraction des éléments de preuve au dossier qui démontrent que les Tibétains vivant en Inde sont essentiellement perçus comme des étrangers, et que même ceux qui sont considérés comme des citoyens aux yeux de la loi indienne ont de la difficulté à exercer leurs droits de citoyenneté. Il fait remarquer que certains éléments de preuve révèlent que les Tibétains qui essaient d’exercer leurs droits de citoyenneté en Inde sont victimes de discrimination et que, même si des Tibétains ont réussi à obtenir un passeport, plusieurs ont fait l’objet d’une obstruction et ont dû s’adresser aux tribunaux pour contester le rejet de leur demande de passeport. Il soutient que la preuve présentée à la SAR montre que les autorités refusent toujours de délivrer un passeport aux Tibétains, et ce, en dépit du jugement de la Haute Cour de l’Inde et de la politique de 2017 du MAE.

[22] Le demandeur renvoie à un article publié le 3 octobre 2017 dans le Tibet Sun, où il est mentionné que les [traduction] « Tibétains qui demandent un passeport indien continuent d’être exposés à diverses formes de discrimination et de harcèlement, et n’ont d’autres choix que de faire appel aux tribunaux pour obtenir réparation ». Selon le demandeur, la SAR a eu tort de faire fi de cet article parce qu’elle jugeait que son contenu était « trop vague » et, ce faisant, elle n’a pas tenu compte des exemples qui y étaient donnés de Tibétains qui avaient été victimes de harcèlement et avaient dû surmonter des obstacles lorsqu’ils ont tenté d’obtenir un passeport en Inde. À l’appui de cet argument, le demandeur invoque la décision Yalotsang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 563 (Yalotsang), dans laquelle la Cour a jugé que la SPR avait commis une erreur en concluant que la reconnaissance de la citoyenneté indienne de la demanderesse dépendait de la volonté de celle‑ci. Aux paragraphes 17 et 18 de la décision Yalotsang, la Cour a déclaré que la SPR n’avait pas tenu compte des éléments de preuve probants qui démontraient les obstacles que doivent surmonter les Tibétains qui tentent d’obtenir la citoyenneté en Inde, ce qui comprend l’obtention d’un avis juridique émis par un avocat :

[17] Entre autres obstacles, l’avocat décrit les difficultés rencontrées par les personnes dans la même situation que Mme Yalotsang à se procurer les pièces d’identité nécessaires à l’obtention d’un passeport indien, ainsi que la réticence des agents des passeports indiens à accepter que les Indiens nés au Tibet sont des citoyens indiens.

[18] Bien que la Commission ait brièvement fait allusion aux « affidavits » fournis par Mme Yalotsang à l’appui de son argument, elle ne s’est aucunement intéressée à ces éléments. En effet, on ne trouve pas la moindre allusion à l’avis juridique dans la décision de la Commission mis à part une mention obscure des « affidavits » présentés par Mme Yalotsang.

[23] Le défendeur soutient que la SAR s’est appuyée à juste titre sur les conclusions tirées par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Tretsetsang. Ce faisant, la SAR a raisonnablement conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il se butait à des obstacles importants qui l’empêchaient d’exercer ses droits de citoyenneté en Inde ni qu’il avait déployé des efforts raisonnables pour surmonter ces obstacles. Le défendeur fait valoir que le demandeur n’a pas tenté d’obtenir la citoyenneté en Inde, et que la SAR a apprécié la preuve de manière raisonnable, ce qui l’a amenée à conclure que le demandeur n’avait pas démontré qu’il ne serait pas en mesure d’obtenir la citoyenneté en Inde.

[24] En outre, le défendeur affirme qu’il était raisonnable pour la SAR de conclure que l’argument du demandeur concernant sa crainte de perdre les avantages que lui avait accordés la CTA était circulaire. Il est en effet logique qu’une personne qui souhaite obtenir la citoyenneté indienne renonce à certains avantages dont bénéficient les réfugiés tibétains, puisqu’elle ne serait plus un réfugié après l’obtention de la citoyenneté. En demandant l’asile au Canada, le demandeur ne peut pas décider s’il préfère renoncer aux avantages que lui avait offerts la CTA pour avoir la citoyenneté indienne ou obtenir l’asile au Canada; de fait, s’il est en mesure d’exercer ses droits de citoyenneté en Inde, il est tenu de le faire. Le défendeur fait valoir que, même si le demandeur peut démontrer qu’il perdrait en réalité tous les avantages que lui avait accordés la CTA, il n’a pas expliqué pourquoi il serait disposé à perdre ces avantages seulement s’il obtient l’asile au Canada, pas s’il obtient la citoyenneté indienne.

[25] Je souscris à la position du défendeur. Je suis également d’avis que la situation du demandeur est différente de celle du demandeur dans l’affaire Pasang. Contrairement au demandeur dans l’affaire Pasang, qui avait une éducation modeste et travaillait comme marchand ambulant (Pasang au para 23), le demandeur en l’espèce a un baccalauréat en commerce de l’Université de Mysore. Suivant le critère énoncé dans l’arrêt Tretsetsang, je suis convaincu que, en l’espèce, la SAR a procédé à une appréciation individualisée des conséquences personnelles que pourrait avoir sur le demandeur la présentation d’une demande de citoyenneté indienne, et qu’elle a raisonnablement conclu que le demandeur ne se heurterait pas à des obstacles importants dans l’exercice de ses droits de citoyenneté en Inde et qu’il n’avait pas déployé des efforts raisonnables pour surmonter l’obstacle qui se présenterait à lui s’il cherchait à obtenir la citoyenneté indienne (aux para 71‑73).

[26] Pour ce qui est de l’argument du demandeur selon lequel la SAR n’a pas mentionné les éléments de preuve contenus dans le dossier qui font état des obstacles auxquels se heurtent les Tibétains en Inde, je tiens à souligner que les décideurs administratifs sont présumés avoir examiné l’ensemble de la preuve dont ils disposent, et qu’ils ne sont pas tenus de mentionner chacun des éléments de preuve dans leurs motifs (Yalotsang au para 19). La SAR a déclaré ce qui suit durant son analyse de la preuve au dossier :

L’appelant fonde également sur la jurisprudence son argument concernant la délivrance des NOC par la CTA, mais ces décisions sont antérieures à des changements majeurs des conditions dans le pays. Les tribunaux et la branche exécutive du gouvernement indien ont affirmé sans équivoque que les Tibétains nés en Inde sont des citoyens et que des passeports devraient leur être délivrés. Les éléments de preuve présentés par l’appelant montrent que de nombreux Tibétains ont depuis obtenu des passeports indiens. La SAR accorde plus de poids au mémoire du ministère des Affaires étrangères ordonnant la délivrance de passeports aux Tibétains nés en Inde au cours de la période concernée qu’à des rapports anecdotiques dans des articles de presse.

[27] L’article paru dans le Tibet Sun décrit les obstacles auxquels se butent les Tibétains lorsqu’ils présentent une demande de passeport à un bureau régional des passeports en Inde. Cet article cite les propos d’un avocat qui affirme que les bureaux régionaux des passeports appliquent la politique de 2017 du MAE de façon arbitraire, et il précise que de nombreux Tibétains qui ont tenté d’obtenir un passeport indien ont été obligés de s’adresser aux tribunaux pour faire appliquer cette politique.

[28] Dans sa décision, la SAR a reconnu que les autorités locales continuent d’imposer des difficultés aux personnes d’origine tibétaine qui souhaitent faire reconnaître leur citoyenneté. Cependant, la SAR a écarté l’article du Tibet Sun parce qu’elle était d’avis qu’il était « trop vague et ne donn[ait] aucune indication de l’ampleur du problème ».

[29] Il m’apparaît excessif de s’attendre à ce que le demandeur démontre l’ampleur des obstacles auxquels se heurtent les Tibétains qui souhaitent obtenir la citoyenneté en Inde, d’autant plus que l’article du Tibet Sun précise que les bureaux régionaux des passeports appliquent les règles de façon arbitraire. Je reconnais néanmoins qu’il faut faire preuve de retenue à l’égard de l’appréciation du dossier par la SAR et qu’il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve dont disposait la SAR. Je suis également d’avis que la décision Yalotsang n’est pas particulièrement utile pour étayer l’argumentation du demandeur. Je souligne que, dans la décision Yalotsang, la Cour a conclu que la SPR ne s’était pas intéressée à l’avis juridique qui avait été présenté par la demanderesse et qui constituait un élément de preuve crucial (au para 22). En l’espèce, la SAR a en fait tenu compte des exemples fournis dans l’article du Tibet Sun, mais elle a toutefois décidé d’accorder un poids moindre à cet élément de preuve. Par conséquent, je suis d’avis que le demandeur n’a pas démontré que la SAR n’a pas pris en considération certains des éléments de preuve contenus dans le dossier.

[30] À la lumière du critère énoncé dans l’arrêt Tretsetsang et de la jurisprudence de notre Cour, je suis d’avis que, dans sa décision, la SAR a dûment tenu compte des obstacles qui se présenteraient au demandeur s’il cherchait à obtenir la citoyenneté indienne, tels que les conséquences personnelles que pourrait avoir sur lui la présentation d’une demande de citoyenneté indienne, ainsi que des efforts qu’il avait faits pour obtenir la citoyenneté indienne. Je conclus donc que la décision de la SAR est fondée sur une analyse rationnelle et qu’elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles (Vavilov au para 85).

B. La SAR a‑t‑elle omis de tenir dûment compte du risque que le demandeur soit expulsé de l’Inde et renvoyé en Chine?

[31] Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en concluant qu’il n’était pas nécessaire d’analyser le risque qu’il soit expulsé de l’Inde et renvoyé en Chine. Il affirme que la documentation sur la situation dans le pays qui avait été présentée à la SAR renferme des renseignements sur trois personnes qui ont été expulsées vers la Chine conformément à une ordonnance d’un tribunal indien parce qu’elles ne possédaient pas de certificat d’étranger enregistré, dont une personne d’origine tibétaine qui est née en Inde. Le demandeur souligne que son certificat d’étranger enregistré est actuellement expiré et qu’il aurait de la difficulté à le renouveler. Il avance que, compte tenu de ces circonstances, la SAR devait tenir compte du risque accru qu’il soit expulsé vers la Chine.

[32] Je suis d’avis que les éléments de preuve présentés par le demandeur ne contiennent pas suffisamment de renseignements pour me permettre de conclure que le demandeur serait expulsé vers la Chine ou qu’il serait persécuté en Inde. Je conclus donc que le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir ses allégations selon lesquelles il serait persécuté et il risquait d’être expulsé vers la Chine, et qu’il était raisonnable pour la SAR de ne pas avoir analysé le risque qu’il courait en Chine.

V. Conclusion

[33] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision de la SAR est raisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont soulevé aucune question à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5640‑20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Manon Pouliot, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5640‑20

 

INTITULÉ :

KARMA DHONDUP c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 MARS 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 AVRIL 2022

 

COMPARUTIONS :

Phillip Trotter

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Rachel Hepburn‑Craig

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Phillip Trotter

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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