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Date : 20220406


Dossier : IMM‑4912‑20

Référence : 2022 CF 493

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 avril 2022

En présence de madame la juge Pallotta

ENTRE :

DANIELA RENTERIA BONILLA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Daniela Renteria Bonilla, est une citoyenne de la Colombie qui craint de faire l’objet de persécution ou d’un préjudice par l’homme qui a tué son père ou par des membres d’un gang criminel. Elle croit que l’agresseur de son père est associé au gang et qu’il a tué son père en guise de représailles. Par conséquent, elle craint d’être exposée à un risque si elle retourne en Colombie. Dans la présente demande de contrôle judiciaire, Mme Bonilla conteste la décision rendue le 15 septembre 2020 par la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. La SAR a rejeté l’appel interjeté par Mme Bonilla à l’égard de la décision rendue le 23 octobre 2019 par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) et a confirmé la décision par laquelle cette dernière a conclu que Mme Bonilla n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] parce qu’elle dispose d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable en Colombie, à Tunja.

[2] La décision de septembre 2020 de la SAR est la troisième décision de la SAR concernant la demande d’asile de Mme Bonilla, et la décision d’octobre 2019 de la SPR est la seconde décision de la SPR. Après la première décision de la SAR, l’affaire a été renvoyée pour un nouvel examen par une ordonnance de la Cour rendue sur consentement. Le deuxième tribunal de la SAR a renvoyé l’affaire à la SPR, ce qui a mené à la décision d’octobre 2019 de la SPR, de laquelle Mme Bonilla a ensuite interjeté appel auprès de la SAR.

[3] Mme Bonilla soutient que la SAR a conclu de façon déraisonnable que Tunja constitue une PRI viable. À cet égard, elle fait valoir que la SAR a évalué de façon déraisonnable le risque que l’agresseur de son père ou les membres du gang la retrouvent à Tunja, en imposant un fardeau de la preuve impossible pour établir qu’ils ont les moyens et la motivation de la trouver, et en exigeant une preuve à l’appui qui ne lui serait pas normalement accessible. De plus, elle soutient que la SAR n’a pas dûment tenu compte de l’ensemble des facteurs qui contribuent à son profil de risque cumulatif en tant que jeune femme célibataire dont la famille a été prise pour cible et devenue victime de la violence des gangs.

[4] Pour les motifs exposés ci‑après, je conclus que Mme Bonilla a établi que la décision de la SAR était déraisonnable.

II. Question en litige et norme de contrôle

[5] Il incombe au demandeur d’asile d’établir qu’un endroit désigné comme PRI n’est pas viable, ce qu’il peut faire en réfutant au moins l’un des deux volets du critère. Le premier volet du critère consiste à établir si le demandeur d’asile est exposé à une possibilité sérieuse de persécution au titre de l’article 96 de la LIPR ou à un risque de préjudice au titre de l’article 97, dans l’endroit désigné comme PRI. Le second volet consiste à établir s’il serait déraisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, que le demandeur d’asile déménage dans l’endroit désigné comme PRI.

[6] La question à trancher dans la présente demande de contrôle judiciaire consiste à savoir si la SAR a évalué de façon déraisonnable le risque de persécution ou de préjudice auquel est exposée Mme Bonilla dans la ville désignée comme PRI, à savoir Tunja, selon le premier volet du critère de la PRI. Mme Bonilla ne soulève aucune erreur dans l’analyse faite par la SAR dans le cadre du second volet.

[7] Les parties conviennent que le bien‑fondé de la décision de la SAR devrait être examiné selon la norme de la décision raisonnable. La norme de la décision raisonnable commande un contrôle empreint de déférence, mais rigoureux : Vavilov, aux para 12, 13, 75 et 85. La cour de révision doit se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité : Vavilov, au para 99. Une décision raisonnable est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85. Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable : Vavilov, au para 100.

III. Analyse

[8] Mme Bonilla divise ses arguments en deux rubriques : (i) la question de savoir si la SAR a imposé un fardeau de la preuve impossible et s’attendait de façon déraisonnable à des éléments de preuve corroborants qui n’étaient pas accessibles à Mme Bonilla; (ii) la question de savoir si la SAR a omis d’évaluer le profil de risque cumulatif de Mme Bonilla, profil qui découle d’un ensemble de facteurs.

[9] Sous la première rubrique, Mme Bonilla soulève un certain nombre d’erreurs précises liées à l’erreur générale d’imposer un fardeau de preuve impossible. À cet égard, elle affirme que la SAR (i) a mal interprété ses arguments au sujet de la façon dont la SPR avait commis une erreur en évaluant le risque qu’elle soit retrouvée à Tunja, et n’a pas abordé les arguments qu’elle avait soulevés; (ii) a appliqué la mauvaise norme de preuve au critère de la PRI; (iii) a rejeté son témoignage, le qualifiant d’hypothétique; (iv) s’est livrée à ses propres hypothèses au sujet des motifs des agents de persécution, qui n’agissent pas de manière rationnelle; (v) a appliqué deux poids deux mesures aux conclusions de fait tirées de la jurisprudence antérieure, en se fondant sur les conclusions relatives aux risques auxquels font face les victimes d’actes criminels en général, tout en faisant une distinction avec les conclusions sur les risques auxquels sont exposées les victimes de crimes commis par des gangs en Colombie, au motif que chaque affaire repose sur des faits qui lui sont propres.

[10] Mme Bonilla affirme que le décès de son père était lié à des événements survenus des mois plus tôt, après que son père a appris qu’il avait involontairement pris un membre d’un puissant gang criminel comme client d’affaires. Le client a menacé le père de Mme Bonilla lors d’un différend au sujet du paiement, et son père a signalé l’incident à la police et a déposé une plainte. Environ une semaine plus tard, des membres du gang criminel se sont rendus à la maison familiale et ont menacé de tuer ou de blesser la famille si le père de Mme Bonilla ne retirait pas sa plainte. La famille a pris des précautions pour éviter les préjudices. Mme Bonilla a quitté la Colombie pour étudier au Canada.

[11] Pendant qu’elle se trouvait au Canada, Mme Bonilla a reçu un appel l’informant que son père était décédé. Il avait été poignardé alors qu’il se rendait à pied chez les grands‑parents de Mme Bonilla, où il séjournait pour éviter le gang criminel, et il est mort à l’hôpital peu après. Mme Bonilla croit que le tueur de son père est associé au gang qui avait déjà menacé la famille, et que le meurtre de son père est un acte de représailles.

[12] L’oncle de Mme Bonilla a contribué à obtenir une condamnation dans l’affaire du meurtre de son père. L’agresseur a purgé une peine d’emprisonnement, mais il a été libéré depuis.

[13] Après le décès de son père, la mère et le frère de Mme Bonilla ont reçu d’autres menaces et ont été extorqués par des hommes qui prétendaient être associés au même gang criminel qui avait menacé son père.

[14] La crédibilité n’était pas la question déterminante dont était saisie la SPR (la PRI était la question déterminante); toutefois, la SPR a déclaré qu’elle [TRADUCTION] « avait des problèmes » avec la crédibilité de Mme Bonilla concernant l’identité de l’agent de persécution. La SPR a reconnu le témoignage de Mme Bonilla selon lequel des hommes qui se sont identifiés comme des membres du gang se sont rendus chez elle et ont menacé de tuer la famille si son père ne retirait pas sa plainte à la police, mais elle a déclaré que [traduction] « rien dans la preuve » ne rattachait l’agresseur à ce gang. Dans son témoignage, Mme Bonilla a affirmé qu’il s’agissait du seul gang qui avait menacé la famille, et que la famille a présumé que l’agresseur était un membre, mais la SPR a décrit cela comme une [traduction] « affirmation hypothétique ». La SPR a ajouté que [traduction] « le fait demeure que ce groupe a menacé le père de la demandeure d’asile » et a évalué la demande d’asile de Mme Bonilla en se demandant si elle serait exposée à un risque de la part de ce gang ou de l’agresseur dans la ville désignée comme PRI, à savoir Tunja.

[15] Devant la SPR, Mme Bonilla a soutenu qu’elle ne serait pas en sécurité dans l’endroit désigné comme PRI parce que la violence des gangs criminels (aussi appelés nouveaux groupes armés) était omniprésente en Colombie, y compris la violence perpétrée par les gangs qui ont succédé au gang qu’elle craint (le gang original s’était dissous, et des gangs successeurs ont émergé de cette dissolution). Elle s’est fondée sur la documentation relative aux conditions dans le pays, selon laquelle les gangs criminels ont la capacité de retrouver et de prendre pour cible des personnes n’importe où en Colombie, sans égard au contrôle territorial, et qu’il y a eu des cas documentés de personnes qui ont été retrouvées après avoir fui vers d’autres régions du pays. Elle s’est également fondée sur la preuve selon laquelle l’activité des gangs successeurs augmentait. À la lumière de cette preuve, Mme Bonilla a exhorté la SPR à tenir compte du fait que les membres du gang auraient des raisons de la prendre pour cible à titre individuel.

[16] La SPR a conclu que Mme Bonilla ne serait pas exposée à un risque à Tunja, en grande partie en raison de l’absence de preuve selon laquelle les gangs successeurs opèrent à Tunja.

[17] Dans son mémoire d’appel devant la SAR, Mme Bonilla a critiqué la conclusion de la SPR selon laquelle le lien entre l’agresseur et le gang redouté ne serait qu’une hypothèse. Mme Bonilla a souligné que la SPR avait admis que son père avait été assassiné après avoir signalé les menaces du gang à la police, et que la famille avait été menacée et extorquée un certain nombre de fois après sa mort. Elle a également fait remarquer que la SPR avait reconnu que des gangs successeurs sont apparus après le démantèlement du gang initial et a semblé reconnaître que ces gangs avaient la capacité de trouver des personnes d’intérêt partout au pays. Elle a souligné que la crédibilité n’était pas la question déterminante pour la SPR et que la SPR avait décrit le meurtrier comme étant [traduction] « l’assassin du père de la demandeure d’asile ». Par conséquent, la conclusion de la SPR selon laquelle il n’y avait pas de fondement objectif à l’intérêt de l’agresseur à exercer des représailles contre Mme Bonilla ou sa famille ne découlait pas de la preuve.

[18] Le mémoire à la SAR mentionnait également que les motifs de la SPR comportaient une faille décisive sur le plan de la logique. La SPR a conclu que Tunja serait sécuritaire en raison de l’absence d’éléments de preuve signalant que les gangs successeurs y opèrent; cependant, l’absence d’éléments de preuve signalant que Tunja est un centre pour l’activité des gangs n’est pas la même chose qu’une preuve selon laquelle le gang n’y est pas présent ou n’y a pas d’alliances. Mme Bonilla a soutenu qu’elle s’était fondée sur la preuve relative aux conditions dans le pays figurant dans le cartable national de documentation (CND) sur la Colombie, qui mentionnait que les gangs successeurs qu’elle croit être affiliés à l’assassin de son père sont capables de retrouver des personnes et de mener des attaques partout dans le pays, indépendamment de leur contrôle territorial. Elle a souligné qu’elle avait invoqué le risque individuel auquel elle est exposée, en tant que membre d’une famille qui avait été prise pour cible par des membres du gang prédécesseur. Mme Bonilla a fait valoir que la question la plus pertinente était de savoir si l’agresseur et le gang auraient des raisons de la prendre pour cible, et non de savoir si le gang est généralement présent à l’endroit désigné comme PRI. La preuve de l’activité d’un gang à Tunja n’est pas pertinente lorsque les membres du gang ont des raisons de poursuivre une personne.

A. La SAR a‑t‑elle mal interprété les arguments de Mme Bonilla en appel?

[19] Mme Bonilla soutient que la SAR a mal interprété ses arguments au sujet de la faille dans la logique de la SPR en affirmant ce qui suit : « la SPR a commis une erreur en concluant que l’absence d’éléments de preuve de la présence de gangs criminels à Tunja était un élément de preuve favorable de l’absence de ces gangs », et « la SPR devrait fonder un élément de preuve favorable attestant l’absence ». La SAR a ensuite rejeté les arguments mal interprétés au motif que de tels éléments de preuve sont peu susceptibles d’être trouvés et que Mme Bonilla avait mal interprété le fardeau de la preuve. Sans aborder les arguments que Mme Bonilla a présentés, la SAR n’a trouvé aucune erreur dans la conclusion de la SPR selon laquelle les groupes que Mme Bonilla craint n’ont pas la capacité de la retrouver à Tunja, en raison de l’absence d’éléments de preuve selon lesquels les gangs successeurs sont actifs à Tunja.

[20] Je suis d’accord avec Mme Bonilla pour dire que la SAR a mal interprété ses arguments. La reformulation des arguments faite par la SAR était incomplète et n’abordait pas ce que Mme Bonilla a appelé [traduction] « la question la plus pertinente ». De plus, bien qu’elle ait souligné que la SPR devait tenir compte des motifs de risque invoqués parce que ces motifs dictent les possibles risques dans un endroit proposé comme PRI, la SAR ne l’a pas fait. La SAR est plutôt parvenue à la même conclusion que la SPR en s’appuyant sur un raisonnement semblable, à l’aide de cartes qui montrent les territoires contrôlés par les gangs colombiens, sans aborder l’argument de Mme Bonilla selon lequel la SPR n’avait pas tenu compte de son risque individuel en tant que personne que le gang a des raisons de prendre pour cible.

[21] La SAR a également souligné que « la preuve objective citée par [Mme Bonilla] fait état de la nécessité de tenir compte dans une analyse de la capacité des groupes armés à trouver les personnes », mais elle n’a pas tenu compte de cette capacité dans le cadre de l’analyse, autrement qu’en faisant une simple affirmation selon laquelle les sources citées « ne mentionnent pas de conclusions de fait montrant que les gens peuvent être trouvés ». Cette affirmation ne peut être maintenue sans explication quant à la raison pour laquelle les déclarations dans les sources citées au sujet des réseaux nationaux et de la capacité des gangs criminels de retrouver et de cibler des individus n’étaient pas des « conclusions [...] montrant que les gens peuvent être trouvés ».

B. La SAR a‑t‑elle appliqué la mauvaise norme de contrôle au critère de la PRI?

[22] En ce qui concerne la deuxième erreur soulevée, Mme Bonilla soutient que la SAR a déformé ou mal interprété le fardeau de la preuve lorsqu’elle a déclaré « je m’appuie sur la Cour fédérale, qui a déclaré que la norme de preuve d’une situation hostile dans la PRI est très élevée et requiert de [Mme Bonilla qu’elle] produise des éléments de preuve réels et concrets de cette situation ». Voici le contexte de cette déclaration, qui faisait partie de l’analyse du premier volet du critère de la PRI faite par la SAR :

[15] […] J’ai par ailleurs examiné les cartes figurant dans le cartable national de documentation (CND) des territoires contrôlés par les gangs les plus puissants de Colombie [y compris le gang successeur]. Ces renseignements démontrent que cette puissante organisation n’est pas présente à Tunja9. Je remarque que la preuve objective citée par [Mme Bonilla] fait état de la nécessité de tenir compte dans une analyse de la capacité des groupes armés à trouver les personnes. Ces sources ne mentionnent pas de conclusions de fait montrant que les gens peuvent être trouvés10. Enfin, je m’appuie sur la Cour fédérale, qui a déclaré que la norme de preuve d’une situation hostile dans la PRI est très élevée et requiert de [Mme Bonilla qu’elle] produise des éléments de preuve réels et concrets de cette situation11. J’estime que la SPR n’a commis aucune erreur au moment d’examiner les éléments de preuve contenus dans le CND au sujet des régions où ces groupes criminels sont actifs et en concluant que les groupes que l’appelante craint n’ont pas la capacité de la retrouver à Tunja, compte tenu de l’absence d’éléments de preuve de leurs activités là-bas.

[Notes en bas de page omises.]

[23] Mme Bonilla affirme que les deux volets du critère de la PRI sont tranchés en fonction de la norme de preuve civile, qui est la prépondérance des probabilités. En ce qui concerne le second volet, la jurisprudence établit une « barre haute » qui s’applique au critère du caractère déraisonnable : Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF nº 2118 au para 15, 266 NR 380 [Ranganathan]. Toutefois, cela ne modifie en rien la norme de preuve. C’est la définition du terme « déraisonnable » qui comporte un seuil élevé, qui n’exige rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un demandeur d’asile s’il habitait dans l’endroit proposé comme PRI ou s’il s’y rendait : ibid.

[24] En raison de cette erreur, Mme Bonilla affirme que la SAR s’attendait de façon déraisonnable à ce qu’elle fournisse des éléments de preuve corroborants et favorables selon lesquels les agents de persécution la poursuivront à Tunja, afin d’établir le risque auquel elle est exposée au titre du premier volet du critère de la PRI. Elle soutient que cette attente était irréaliste et qu’elle imposait un fardeau de la preuve excessivement élevé.

[25] Le défendeur fait valoir que la SAR n’a pas commis d’erreur en faisant référence à un seuil « très élevé » à l’égard de la norme de preuve au titre du premier volet du critère de la PRI, parce que la jurisprudence établit qu’un « seuil élevé » s’applique aux deux volets du critère : Iyere c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2018 CF 67 au para 35 [Iyere]; Adebayo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CF 330 au para 53 [Abedayo]).

[26] Je souligne que, au début de son analyse, la SAR a déclaré à juste titre : « il [incombe à Mme Bonilla] d’établir que, selon la prépondérance des probabilités, les personnes qu’elle craint ont la motivation et la capacité de la retrouver à Tunja ». Cependant, je suis d’accord avec Mme Bonilla pour dire que l’affirmation ultérieure de la SAR remet en cause la norme de preuve appliquée.

[27] À cet égard, les motifs de la SAR manquent de transparence quant à la façon dont elle a été guidée par le principe déclaré selon lequel « la norme de preuve d’une situation hostile dans la PRI est très élevée et requiert de [Mme Bonilla qu’elle] produise des éléments de preuve réels et concrets de cette situation » pour conclure, au titre du premier volet du critère de la PRI, que le gang que craint Mme Bonilla n’a pas la capacité de la trouver à Tunja. Les deux décisions de la Cour fédérale que la SAR a citées à l’appui de cette déclaration (Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 98 [Singh] et Ranganathan) renvoient à une « barre haute » dans le contexte du second volet de l’analyse de la PRI, et le seuil se rapporte au genre de conditions qui rendraient une PRI déraisonnable, même s’il s’agit d’un endroit « sûr » à l’égard d’un risque au titre de l’article 96 ou 97 selon le premier volet de l’analyse de la PRI. L’allégation de Mme Bonilla selon laquelle l’agresseur (ou un membre du gang auquel il est associé) la retrouverait et se vengerait n’est pas liée au second volet du critère de la PRI, ni aux conditions défavorables à Tunja. Il semble que la SAR ait appliqué une norme de preuve plus élevée que la « prépondérance des probabilités » ou qu’elle s’attendait à un autre type de preuve sans expliquer de quoi il s’agissait.

[28] Je ne vois pas en quoi les décisions Iyere et Adebayo aident à faire la lumière sur le raisonnement de la SAR. Dans ces affaires, la Cour a déclaré que le seuil élevé énoncé dans l’arrêt Ranganathan (« rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un demandeur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr ») s’applique aux deux volets du critère. Cependant, tout comme les décisions Singh et Ranganathan, Iyere et Adebayo se concentraient sur le second volet du critère de la PRI. Ces décisions énoncent les critères appropriés pour les deux volets (Iyere aux para 30‑34, 39 et 42; Adebayo aux para 49‑52 et 58‑59) et ne créent aucun lien entre un « seuil élevé » et la norme de preuve. De plus, contrairement à l’argument du défendeur, la SAR n’a pas simplement fait référence à un seuil élevé dans son analyse au titre du premier volet. La SAR s’est plutôt fondée sur l’absence d’activités de gang dans Tunja et a été guidée par une norme de preuve « très élevée » exigeant des preuves réelles et concrètes de conditions défavorables (sans tenir compte de la preuve relative aux conditions dans le pays concernant la capacité des groupes criminels de suivre des individus en dehors de leur sphère d’activité) pour conclure que les groupes que craint Mme Bonilla n’ont pas la capacité de la retrouver à Tunja.

[29] En résumé, je suis convaincue que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle, soit en appliquant une norme de preuve plus élevée que la norme civile, soit en s’attendant à d’autres éléments de preuve sans explication adéquate.

C. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en rejetant la preuve de Mme Bonilla, en la qualifiant d’hypothétique?

[30] Mme Bonilla soutient qu’un autre exemple de l’attente déraisonnable de la SAR en matière de preuve à l’appui a trait à la preuve de Mme Bonilla au sujet de la motivation de l’agresseur et des moyens dont il dispose pour la trouver à Tunja. La SAR a conclu que Mme Bonilla avait supposé que l’homme déclaré coupable du meurtre de son père serait motivé à la retrouver, et qu’elle avait formulé des hypothèses au sujet de son association avec un gang criminel qui a les moyens de la retrouver. La SAR a déclaré que Mme Bonilla avait donné « très peu de détails » au sujet des mécanismes par lesquels il pourrait la rechercher en Colombie. La SAR a conclu que Mme Bonilla n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve convaincants pour établir que cet homme avait les moyens de la retrouver à Tunja.

[31] Mme Bonilla affirme qu’il était déraisonnable de la part de la SAR de rejeter sa preuve soi‑disant hypothétique, puisqu’elle comprenait, entre autres, un témoignage de vive voix (le sien et celui de sa mère) ou des éléments de preuve documentaire démontrant que : (i) un gang criminel a menacé son père et l’a assassiné après qu’il eut signalé la menace à la police, (ii) son oncle a joué un rôle dans la condamnation de l’agresseur et (iii) le même gang a pris pour cible sa mère et son frère et les a extorqués. Elle a également fourni des éléments de preuve selon lesquels, depuis ce temps, l’agresseur a été libéré de prison, et elle a fait référence à la preuve relative aux conditions dans le pays concernant les activités des gangs criminels en Colombie, démontrant que les gangs criminels ont une portée nationale. Selon Mme Bonilla, le fait d’exiger davantage — comme une preuve favorable de l’activité d’un gang ou de la présence de l’agresseur à Tunja, une preuve selon laquelle elle ou sa famille ont été retrouvées dans une autre ville en Colombie, ou une preuve autre que la preuve relative aux conditions dans le pays pour démontrer que ces agents de persécution ont la capacité de la retrouver — imposerait un fardeau excessivement élevé et irréaliste dont elle ne peut pas s’acquitter.

[32] Mme Bonilla fait valoir que la SAR n’a pas respecté les principes énoncés dans la décision Senadheerage c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2020 CF 968 [Senadheerage]. Le décideur doit fournir ses motifs pour exiger des éléments de preuve corroborants et, avant de tirer une conclusion défavorable d’un défaut de fournir ces éléments de preuve, il doit exister une attente raisonnable que les éléments de preuve soient accessibles et le demandeur doit avoir la possibilité d’expliquer pourquoi il ne les a pas obtenus : Senadheerage, au para 36.

[33] Je suis d’accord avec Mme Bonilla pour dire qu’il était déraisonnable pour la SAR de rejeter son témoignage en le qualifiant d’hypothèse.

[34] Comme il a été mentionné précédemment, Mme Bonilla a contesté la conclusion de la SPR selon laquelle le lien entre l’agresseur et le gang était hypothétique. Dans le mémoire à SAR, elle a souligné que sa crédibilité n’était pas la question déterminante pour la SPR. Elle a fait valoir que la SPR avait examiné son témoignage selon lequel sa peur de l’agresseur est liée à l’association de ce dernier avec des gangs criminels, que la SPR a reconnu que son père a été tué après avoir reçu des menaces de la part d’hommes s’identifiant comme membres du gang et qu’elle avait reconnu que l’agresseur était [traduction] « l’assassin du père de la demandeure d’asile ». Dans sa décision, la SAR a souligné que le père de Mme Bonilla a involontairement pris un membre d’un groupe criminel comme client, s’est adressé à la police lorsque le client l’a menacé, de sorte que le client a menacé de tuer la famille, que le père a « par la suite » été assassiné et que la famille craignait pour sa vie, et que, après le décès du père, la mère et le frère de Mme Bonilla ont reçu des menaces et été victimes de tentatives d’extorsion pendant plusieurs mois en 2015 et en 2016. Il semble donc que la SAR ait accepté en grande partie les mêmes éléments de preuve que la SPR a acceptés. À tout le moins, la SAR n’a rejeté aucun de ces points et n’a tiré aucune conclusion quant à la crédibilité.

[35] La seule déclaration dans la décision de la SAR qui semble viser les arguments de Mme Bonilla au sujet du lien entre l’agresseur et le gang est la suivante :

Je conviens que l’appelante n’a pas besoin d’établir l’identité précise des agents de persécution (que ce soit les [l’un ou l’autre des gangs successeurs]), mais il lui incombe d’établir que, selon la prépondérance des probabilités, les personnes qu’elle craint ont la motivation et la capacité de la retrouver à Tunja.

[36] Bien que cette déclaration soit ambiguë, il semble qu’elle puisse seulement être comprise comme un accord avec l’argument de Mme Bonilla selon lequel la conclusion de la SPR à l’égard d’une [traduction] « affirmation hypothétique » a été faite par erreur. Autrement, la SAR n’a pas abordé un point central, soit la question de savoir si l’agresseur était [traduction] « un assassin » qui a assassiné le père de Mme Bonilla en guise de représailles. Quoi qu’il en soit, la SAR a commis une erreur lorsqu’elle s’est fondée sur le même motif que la SPR — à savoir que Mme Bonilla formulait des hypothèses au sujet du lien — pour conclure que l’agresseur n’aurait pas accès aux moyens d’un gang criminel pour la retrouver. Si la SAR a convenu que la conclusion de la SPR était erronée, il s’agissait là d’une conclusion contradictoire. Si la SAR n’était pas d’accord au sujet de l’erreur de la SPR, elle a omis d’aborder un argument central avant de conclure que l’agresseur ne disposerait pas des moyens d’un gang criminel pour retrouver Mme Bonilla au motif que la preuve de son lien avec le gang relevait de l’hypothèse.

D. Les erreurs relevées précédemment constituent une lacune suffisamment grave pour que la décision de la SAR soit déraisonnable

[37] Le défendeur soutient que, mis à part l’absence de preuve de l’activité du gang criminel dans Tunja, d’autres éléments de preuve appuient la conclusion de la SAR selon laquelle Mme Bonilla serait [traduction] « en sécurité » à Tunja. Cela comprenait la preuve que le gang devenait de plus en plus fragmenté et localisé, et la preuve que la famille de Mme Bonilla n’avait reçu aucune menace depuis 2016.

[38] À mon avis, les conclusions supplémentaires de la SAR ne peuvent appuyer indépendamment sa décision de rejeter la demande d’asile de Mme Bonilla. Par conséquent, j’estime que les erreurs décrites aux sections A, B et C ci‑dessus constituent des lacunes suffisamment graves pour rendre la décision de la SAR déraisonnable.

[39] Premièrement, la décision de la SAR ne fait pas référence à la fragmentation ou à la localisation du gang redouté. Si la SAR s’est fondée sur la preuve de la fragmentation ou de la localisation des activités des gangs contenue dans la preuve relative aux conditions dans le pays pour appuyer sa conclusion, elle aurait d’abord dû reconnaître et traiter les arguments et la preuve contraires de Mme Bonilla — à savoir que l’activité et la vigueur des gangs redoutés étaient à la hausse.

[40] Deuxièmement, bien qu’elle ait conclu que l’absence de nouvelles menaces depuis 2016 signalait un manque de motivation (Mme Bonilla soutient qu’il s’agissait d’une hypothèse, et le défendeur fait valoir qu’il s’agissait d’une conclusion raisonnée), la SAR n’a pas déclaré que cette conclusion suffisait à elle seule pour rejeter la demande d’asile de Mme Bonilla. Les moyens et la motivation peuvent être interreliés, et il n’est pas clair que la SAR aurait tiré une conclusion différente sur la motivation si, par exemple, elle avait conclu que l’agresseur aurait facilement accès aux moyens de trouver Mme Bonilla et de lui causer un préjudice en raison de son affiliation à un groupe criminel. Même en supposant que la SAR n’a pas formulé d’hypothèses comme le prétend Mme Bonilla, la décision de la SAR demeure déraisonnable.

[41] Compte tenu de mes motifs ci‑dessus, il est inutile que j’examine les autres arguments de Mme Bonilla. Néanmoins, je les aborderai brièvement ci‑après.

E. La SAR a‑t‑elle appliqué deux poids deux mesures aux conclusions de fait tirées de la jurisprudence antérieure?

[42] Mme Bonilla soutient que la SAR a appliqué deux poids deux mesures aux conclusions de fait tirées de la jurisprudence antérieure lorsqu’elle s’est fondée sur les conclusions relatives aux risques auxquels sont exposées les victimes d’actes criminels en général, tout en distinguant les conclusions relatives aux risques auxquels font face les victimes de crimes commis par des gangs en Colombie en particulier, au motif que chaque affaire repose sur ses propres faits. Mme Bonilla affirme que la SAR a utilisé une évaluation [traduction] « statistique » des conclusions tirées de la jurisprudence antérieure pour appuyer sa conclusion selon laquelle les victimes d’actes criminels ne parviennent généralement pas à établir une crainte de persécution fondée sur un motif prévu à la Convention (c’est‑à‑dire, au titre de l’article 96 de la LIPR). Parallèlement, elle affirme que la SAR a distingué les conclusions de fait d’une décision de la SPR (TB8‑07027) et d’une décision de la Cour fédérale (Sanchez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2018 CF 665 [Sanchez]) qui appuieraient son argument selon lequel Tunja n’est pas un endroit sûr.

[43] Cet argument ne me convainc pas. La SAR n’a pas effectué une évaluation [traduction] « statistique », mais elle a plutôt fait référence à une règle générale reconnue dans la jurisprudence selon laquelle une relation familiale avec une victime d’acte criminel est généralement insuffisante pour établir une demande d’asile fondée sur un motif de persécution prévu à la Convention, au titre de l’article 96 de la LIPR. La SAR n’a pas appliqué deux poids, deux mesures lorsqu’elle a fait la distinction entre la décision antérieure de la SPR et la décision Sanchez.

F. La SAR a‑t‑elle omis d’évaluer le profil de risque cumulatif de Mme Bonilla, qui découle d’un ensemble de facteurs?

[44] Mme Bonilla soutient que la SAR a examiné des éléments de son profil de risque isolément pour conclure que chacun représentait un risque généralisé. Elle affirme qu’il s’agissait d’une erreur parce que son profil comprend un ensemble de facteurs de risque : (i) elle une jeune femme célibataire; (ii) son père a été tué par un homme affilié à un gang puissant; (iii) sa famille s’est fait extorquer dans le passé; (iv) des groupes successeurs du gang sont présents dans tout le pays; (v) l’assaillant de son père a un motif objectif de la poursuivre.

[45] Mme Bonilla reconnaît que la SAR a examiné la question de savoir si elle était exposée à un risque en raison de son seul sexe parce qu’elle avait affirmé que la SPR avait commis une erreur en omettant de considérer le risque fondé sur le sexe comme un profil de risque « résiduel » distinct. Toutefois, elle affirme que son mémoire à la SAR faisait également valoir qu’elle serait exposée à un risque de violence fondée sur le sexe comme l’un des aspects du risque posé par les agents de persécution redoutés. Son sexe s’ajoute à ce profil de risque, car elle serait à risque d’enlèvement et de violence sexuelle de la part des agents redoutés en raison de son sexe.

[46] Le défendeur affirme que la SAR n’a pas mal interprété le profil de risque de Mme Bonilla, et que l’analyse de la SAR répondait aux arguments que Mme Bonilla avait soulevés en appel. Je partage cet avis. La SAR a examiné la question de savoir si le risque allégué que présentaient les gangs criminels ou le tueur du père signalait un élément de risque fondé sur le sexe, et elle a conclu que ce n’était pas le cas. Bien que le préjudice que Mme Bonilla pourrait subir puisse être une forme de violence fondée sur le sexe, la SAR a conclu que son risque sous‑jacent demeure un risque en tant que victime d’un acte criminel ou en tant que membre d’une famille victime d’un acte criminel. Mme Bonilla n’a pas démontré qu’elle serait persécutée « du fait de » son sexe au titre de l’article 96 de la LIPR, et elle n’a pas démontré que son risque de violence fondée sur le sexe serait différent de celui d’une autre femme célibataire en Colombie au titre de l’article 97 de la LIPR. À mon avis, la SAR était réceptive à l’allégation d’un risque indépendant fondé sur le sexe, ainsi qu’à l’allégation selon laquelle le sexe avait une incidence sur le risque aux mains des agents redoutés, et elle a effectué l’analyse de la PRI en conséquence.

IV. Question proposée aux fins de certification

[47] L’alinéa 74d) de la LIPR prévoit que le jugement consécutif au contrôle judiciaire n’est susceptible d’appel devant la Cour d’appel fédérale que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale. Pour qu’une question soit dûment certifiée aux termes de l’article 74 de la LIPR, la question proposée doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale : Lewis c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2017 CAF 130 au para 36 [Lewis]. La question doit avoir été discutée par la Cour fédérale et elle doit découler de l’affaire elle‑même, et non de la manière dont la Cour peut l’avoir tranché : Lewis, au para 36.

[48] À l’audience de la présente demande, Mme Bonilla a soulevé une question possible à certifier découlant des arguments du défendeur selon lesquels un « seuil élevé » s’applique aux deux volets du critère de la PRI, conformément aux décisions Iyere et Adebayo. J’ai invité les parties à présenter des observations après l’audience.

[49] Les observations après l’audience de Mme Bonilla proposent la question suivante aux fins de certification :

[traduction]
En examinant la viabilité d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) et le critère disjonctif à deux volets énoncé dans l’arrêt Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), [1992] 1 CF 706, 140 NR 138 (CA) à 711 [Rasaratnam], si un « seuil élevé » s’applique aux deux volets du critère (Adebayo c Canada (MCI), 2019 CF 330, au para 53; Iyere c Canada (MCI), 2018 CF 67, au para 35), un demandeur d’asile doit‑il s’acquitter d’un fardeau de preuve proportionnellement plus élevé selon lequel il y a plus qu’une possibilité sérieuse de persécution selon la prépondérance des probabilités dans l’endroit proposé comme PRI, au titre du premier volet du critère?

[50] Cette question découle de l’affaire en raison de la déclaration de la SAR selon laquelle elle « [s’appuyait] sur la Cour fédérale, qui a déclaré que la norme de preuve d’une situation hostile dans la PRI est très élevée ».

[51] Selon Mme Bonilla, bien que les décisions Adebayo et Iyere précisent toutes deux que le « seuil élevé » s’applique aux deux volets du critère de la PRI, les affaires ne s’écartent pas vraiment du droit établi dans des affaires fondamentales comme Ranganathan et Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] CF 589, 109 DLR (4th) 682 (CAF). Subsidiairement, si les décisions Adebayo et Iyere s’écartent de la jurisprudence établie en imposant un « seuil élevé » de fardeau de la preuve, plutôt que de la nature des circonstances qui rendraient une PRI déraisonnable au titre du second volet du critère de la PRI, ce point devrait alors être précisé en tant que question d’importance générale, parce qu’il crée une incertitude dans les règles de droit.

[52] Le défendeur s’oppose à la question à certifier proposée au motif qu’elle aurait dû être soulevée au moins cinq jours avant l’audience : Lignes directrices sur la pratique dans les instances intéressant la citoyenneté, l’immigration et les réfugiés (5 novembre 2018); Ait Elhocine c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2020 CF 1068 au para 38. Je ne rejette pas la question proposée pour ce motif, car elle découle des nuances de la position du défendeur qui ne sont devenues apparentes que pendant la plaidoirie.

[53] Le défendeur soutient également que la question proposée n’est pas d’importance générale, car elle a déjà été réglée par la jurisprudence dans ce domaine. Bien que le langage utilisé dans chaque affaire puisse varier, le fardeau de la preuve n’a pas changé. Le fardeau imposé à un demandeur d’asile de fournir des éléments de preuve objectifs pour prouver qu’il existe une possibilité sérieuse de persécution ne modifie pas le fardeau de la preuve qui a déjà été établi. Les observations de la Cour dans l’arrêt Ranganathan n’ont pas élevé le fardeau au‑delà de la prépondérance des probabilités, mais elles ont simplement souligné que la preuve présentée doit démontrer objectivement qu’il y a un risque sérieux pour la sécurité ou la vie d’un demandeur d’asile dans l’endroit désigné comme PRI, et les observations de la Cour dans les décisions Iyere et Adebayo soulignent la même exigence. De plus, tout argument concernant l’applicabilité correcte du critère de la PRI fondé sur les déclarations faites par la SAR est fondé sur des faits et ne constitue pas le fondement d’une question certifiée.

[54] À mon avis, la question dont la certification est proposée ne respecte pas le critère applicable.

[55] Aucune des parties n’a présenté de jurisprudence qui remet en question le critère à deux volets bien établi pour déterminer si une PRI est viable, ou la norme de preuve qui s’applique à ce critère. De plus, les observations présentées après l’audience précisent que la position du défendeur sur le sens de « seuil élevé » correspond davantage à la position de Mme Bonilla en comparaison à ce qui semblait être le cas pendant la plaidoirie.

[56] De plus, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que cette question est fondée sur des faits. En raison de la déclaration de la SAR et du contexte dans lequel elle a été faite, la SAR semblait appliquer une norme de preuve plus élevée que la « prépondérance des probabilités », ou elle semblait exiger des éléments de preuve corroborants et favorables sans explication adéquate.

[57] Je refuse de certifier la question.

V. Conclusion

[58] Pour les motifs exposés précédemment, Mme Bonilla a établi que la décision de la SAR était déraisonnable. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4912‑20

LA COUR STATUE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision de la SAR datée du 15 septembre 2020 est annulée et l’affaire fera l’objet d’un nouvel examen par un tribunal différemment constitué de la SAR.

  3. Il n’y a pas de question à certifier.

« Christine M. Pallotta »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4912‑20

 

INTITULÉ :

DANIELA RENTERIA BONILLA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 OCTOBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE PALLOTTA

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 AVRIL 2022

 

COMPARUTIONS :

Arthur Ayers

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Alexandra Pullano

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Arthur Ayers

Avocat

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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