Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220328


Dossier : T-410-21

Référence : 2022 CF 418

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 mars 2022

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

GENERAL ENTERTAINMENT AND MUSIC INC.

demanderesse

(partie intimée)

et

GOLD LINE TELEMANAGEMENT INC., GLWIZ INC., AVA TELECOM LIMITED, ATA MOEINI, SHAWN REYHANI, ARASH BAFEKR

défendeurs

(parties requérantes)

et

VIDA SHARIFIPOUR, faisant affaire sous le nom de GLOBAL FILM AND MEDIA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les entreprises défenderesses Gold Line Telemanagement Inc., GLWiZ Inc. et Ava Telecom Limited [collectivement, Gold Line] interjettent appel d’une ordonnance par laquelle la protonotaire Martha Milczynski [la protonotaire], en sa qualité de juge responsable de la gestion de l’instance, a rejeté une requête visant la suspension des procédures en faveur d’un arbitrage aux Bermudes.

[2] La protonotaire a conclu qu’il avait été mis fin valablement à l’entente contenant la clause d’arbitrage, que la demanderesse General Entertainment and Music Inc. [GEM Inc.] n’était pas partie à l’entente et que Gold Line avait pris certaines mesures pour poursuivre le litige qui l’empêchaient de contester la compétence de la Cour.

[3] Lorsqu’elles ont présenté leurs arguments à la protonotaire, toutes les parties ont convenu que l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour était régi par l’arrêt Z.I. Pompey Industrie c ECU-Line N.V., 2003 CSC 27 [Pompey] rendu par la Cour suprême du Canada. Selon cet arrêt, une fois convaincue qu’un connaissement valablement conclu lie par ailleurs les parties, la cour doit faire droit à la demande de suspension, à moins que le demandeur ne fasse valoir des « motifs assez sérieux » pour lui permettre de conclure qu’il ne serait pas raisonnable ou juste, dans les circonstances, d’exiger que le demandeur se conforme à cette clause.

[4] Dans le cadre de l’appel, Gold Line adopte une approche différente. Elle fait maintenant valoir que l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour doit être régi par la décision Campney & Murphy c Bernard & Partners, 2002 CFPI 1136 [Campney], dans laquelle le protonotaire John Hargrave a déclaré que la Cour n’a « […] besoin que de décider si on peut soutenir que le différend est visé par la clause d’arbitrage » (au para 18).

[5] Pour les motifs qui suivent, le pouvoir discrétionnaire par lequel la Cour peut suspendre des procédures en faveur d’un arbitrage devrait être exercé conformément à la doctrine établie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dell Computer Corp. c Union des consommateurs, 2007 CSC 34 [Dell]. Selon cette doctrine, les arbitres ont la compétence pour statuer sur leur propre compétence (le « principe de compétence-compétence »). Lorsqu’il existe une clause d’arbitrage, toute contestation de la compétence de l’arbitre doit d’abord être renvoyée à ce dernier. Les tribunaux judiciaires ne devraient déroger à cette règle générale et se prononcer en premier sur cette question que dans le cas où la contestation de la compétence de l’arbitre ne comporte qu’une question de droit seulement.

[6] Si une question concernant la compétence d’un arbitre requiert l’admission et l’examen d’une preuve factuelle, le tribunal doit normalement renvoyer cette question à l’arbitre. Pour les questions mixtes de droit et de fait, le tribunal doit aussi favoriser le renvoi à l’arbitre. La seule exception s’applique lorsque les questions de droit n’appellent qu’un examen superficiel de la preuve documentaire au dossier et lorsque le tribunal est convaincu que la contestation n’est pas une tactique dilatoire et qu’elle ne compromettra pas le recours à l’arbitrage.

[7] Le refus de la protonotaire de suspendre les procédures était fondé sur un principe de droit erroné. L’appel est accueilli, et les procédures devant la Cour sont suspendues en faveur d’un arbitrage aux Bermudes.

II. Contexte

A. Parties

[8] GEM Inc. a été constituée en société au Canada en 2015. Son mandat comprend la titularité de droits de propriété intellectuelle au Canada. GEM Inc. diffuse 28 chaînes de télévision en persan à ses abonnés au moyen de services par satellite payants.

[9] La programmation des chaînes diffusées par GEM Inc. comprend des séries télévisées, des films et d’autres œuvres cinématographiques produites ou acquises auprès d’autres producteurs. GEM Inc. affirme qu’elle est titulaire des droits d’auteur sur ces œuvres ainsi que de l’enregistrement de la famille de marques de commerce « GEM » au Canada.

[10] Jusqu’en 2017, le groupe d’entreprises GEM était établi à Istanbul, en Turquie, et à Dubai, aux Émirats arabes unis, et il exerçait ses activités principalement par l’intermédiaire d’une entité appelée General Entertainment and Media Advertising Agency LLC [GEMCO]. Dans sa déclaration, GEM Inc. fait valoir que GEMCO est la propriétaire antérieure de certains actifs qui appartiennent maintenant à GEM Inc. Néanmoins, cette dernière soutient qu’elle n’a pas succédé à GEMCO et qu’elle n’a pas assumé ses obligations contractuelles.

[11] Ava Telecom Limited [Ava] est une société établie aux Bermudes qui fournit du contenu à sa société mère, Gold Line Telemanagement Inc. Ava est l’entité contractante. Gold Line Telemanagement Inc. fournit des produits technologiques. GLWiZ Inc. est une filiale de Gold Line Telemanagement Inc. qui possède, exploite et met à niveau des logiciels pour une plateforme IP mondiale appelée GLWiZ.

[12] Collectivement, Gold Line fournit des services de médias par contournement, y compris la diffusion en continu par IP d’une programmation télévisuelle multiculturelle, y compris des chaînes de télévision en direct et des vidéos sur demande, sous le nom GLWiZ. Les services de GLWiZ sont offerts par l’intermédiaire d’applications sur les téléviseurs intelligents, d’applications sur les appareils mobiles, de sites Web et de boîtiers décodeurs.

B. Entente d’acquisition de contenu et d’octroi de licences

[13] À la fin de 2013, Ava a conclu une entente d’acquisition de contenu et d’octroi de licences [l’entente] avec une entité appelée « General Entertainment Media ». L’entente décrit « General Entertainment Media » comme le concédant, mais elle ne précise pas s’il s’agit de GEMCO, du groupe d’entreprises GEM de façon générale ou d’une autre entité.

[14] Conformément à l’entente, Ava a acquis le droit d’offrir du contenu provenant de General Entertainment Media. Ce contenu comprenait des émissions de télévision qui étaient soit produites, soit autorisées par General Entertainment Media, ainsi que d’autre contenu audio et vidéo.

[15] Gold Line affirme avoir aidé GEMCO dans d’autres projets d’entreprise, notamment la création d’un site Web touristique, la distribution de boîtiers décodeurs et d’abonnements connexes, et la fourniture de services téléphoniques au bureau de GEMCO à Toronto. Gold Line allègue que certains de ces services ont été fournis avant la signature de l’entente et que General Entertainment Media doit à Gold Line une somme de 89 933,38 $ US.

[16] Gold Line affirme que l’entente a été signée, en partie, afin de l’indemniser pour les services déjà rendus à GEMCO. Gold Line allègue qu’à la suite de la signature de l’entente, GEMCO lui devait 266 457,02 $ US. En date du 31 décembre 2020, Gold Line affirme que la dette de GEMCO a été réduite de 197 361,39 $ US conformément à l’entente.

C. Clauses pertinentes de l’entente

[17] L’entente contient une clause d’arbitrage, reproduite ci-dessous :

[traduction]

J. 8. Loi applicable. La présente entente doit être régie et interprétée conformément aux lois des Bermudes, sans donner effet à aucun conflit de dispositions législatives. Tout différend lié à la présente entente doit être réglé par voie d’arbitrage aux Bermudes, et chacune des parties se soumet irrévocablement à la compétence exclusive des Bermudes.

[18] L’entente contient également une clause de résiliation. Le passage pertinent est reproduit ci-dessous :


 

[traduction]

I. 3. Outre ce qui précède, chacune des parties peut résilier la présente entente sans motif, à tout moment, sous réserve d’un préavis de six (6) mois.

[19] En avril 2014, Ava et General Entertainment Media ont signé l’« addenda no 1 » [l’addenda] à l’entente. L’addenda prévoyait qu’Ava pouvait contrebalancer tout paiement qui lui était dû par tout montant payable par Gold Line. L’addenda a été signé par Ava le 16 avril 2014 puis signé au nom de « GEM TV » le 22 avril 2014.

D. Résiliation contestée de l’entente

[20] Le 17 octobre 2015, Mahan Karimian, en sa qualité de directeur général de « Gem Group TV », a envoyé à Ava un courriel dans lequel il demandait la résiliation immédiate de l’entente et la suspension de la diffusion de tout contenu de GEM. Le 22 octobre 2015, le vice-président à l’exploitation d’Ava a rejeté l’avis de résiliation au motif qu’un préavis de six mois était requis. Il a, en outre, mentionné que des sommes étaient toujours dues et qu’Ava continuerait à diffuser du contenu jusqu’à ce que toutes les factures en souffrance aient été payées. Gold Line a continué à se conformer à l’entente jusqu’en mars 2019.

III. Historique procédural

[21] La présente action a été introduite par le dépôt d’une déclaration le 5 mars 2021. GEM Inc. allègue que Gold Line a violé ses droits au titre de la Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c C-42, de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13 et de la Loi sur la radiocommunication, LRC 1985, c R-2. La déclaration fait état d’un piratage généralisé des signaux de télévision par satellite de GEM Inc., ainsi que de la reproduction et de la retransmission non autorisées d’émissions de télévision et de films à l’égard desquels GEM Inc. revendique des droits d’auteur.

[22] Il est en outre allégué, au paragraphe 64 de la déclaration, que GEMCO est la propriétaire antérieure de GEM Inc. Selon le paragraphe 69 de la déclaration :

[traduction]

Au fil du temps, les entreprises défenderesses et GEMCO (ou leurs filiales ou leurs successeurs en titre) ont conclu d’autres ententes au titre desquelles les entreprises défenderesses ont eu accès à de la programmation supplémentaire de GEM (comme du contenu vidéo sur demande, y compris certaines œuvres de GEM) en plus de l’accès aux chaînes de GEM afin de les offrir, à leur tour, à leurs abonnés par l’intermédiaire des plateformes GLWiZ (y compris au Canada), notamment une entente d’acquisition de contenu et d’octroi de licences signé vers octobre 2013 […]

[23] Gold Line a répondu à la déclaration en présentant une série de demandes de précisions et de documents. GEM Inc. a fourni des réponses à ces demandes le 15 avril 2021.

[24] Le 23 avril 2021, Gold Line a demandé à GEM Inc. son consentement en vue de faire suspendre les procédures devant la Cour en faveur d’un arbitrage aux Bermudes, comme le prévoyait l’entente. Le 6 mai 2021, GEM Inc. a refusé de consentir à la suspension des procédures.

[25] Gold Line a déposé une défense et demande reconventionnelle le 9 juin 2021. La demande reconventionnelle fait état de violations de la Loi sur les marques de commerce et de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C-34.

[26] Selon la défense, la Cour n’est pas le tribunal compétent pour régler les différends des parties, et la clause d’arbitrage contenue dans l’entente s’applique. Il est fait mention, dans la défense, de l’intention de Gold Line de [traduction] « conserver tous les droits pour ce qui est du ressort et du for pertinents en ce qui concerne la présente action et le présent différend » et de « conserver le droit de faire suspendre, rejeter ou annuler la présente affaire ou de prendre d’autres mesures […] ».

[27] Gold Line a amorcé une procédure d’arbitrage aux Bermudes au moyen d’un avis daté du 25 juin 2021.

[28] À la suite d’une conférence de gestion d’instance tenue le 2 juillet 2021, Gold Line a accepté de déposer une requête en suspension des procédures au titre du paragraphe 50(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7. Une requête en ce sens a été déposée le 5 juillet 2021.

[29] Les parties ont présenté leurs arguments le 23 septembre 2021, et la protonotaire a rejeté la requête en suspension des procédures le 8 décembre 2021.

IV. Question en litige

[30] La seule question soulevée par le présent appel est de savoir si les procédures engagées devant la Cour auraient dû être suspendues en faveur d’un arbitrage aux Bermudes.

V. Analyse

[31] Aux termes du paragraphe 50(1) de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour peut suspendre les procédures : a) au motif que la demande est en instance devant un autre tribunal; b) lorsque, pour quelque autre raison, l’intérêt de la justice l’exige.

[32] Les conclusions factuelles tirées par la protonotaire sont susceptibles de contrôle en appel selon la norme de l’erreur manifeste et dominante. En ce qui concerne les questions de droit et les questions mixtes de fait et de droit, lorsqu’il y a une question de droit isolable, la norme applicable est celle de la décision correcte (Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 aux para 65-66).

[33] En l’espèce, les parties ont invité la protonotaire à appliquer le mauvais critère juridique pour décider s’il y avait lieu de suspendre les procédures engagées devant la Cour en faveur d’un arbitrage aux Bermudes. De ce fait, la protonotaire a rendu une décision erronée en droit.

[34] Les parties ont utilisé les expressions [traduction] « clause de compétence législative », « clause d’élection de for » et « clause d’arbitrage » sans distinction, ce qui a entraîné une grande confusion. Une clause de compétence législative précise le droit applicable au contrat; une clause d’élection de for vise à écarter la compétence d’un tribunal, par ailleurs susceptible d’être régulièrement saisi, au profit de celle d’un tribunal étranger; une clause d’arbitrage lie les parties à un mécanisme de règlement des différends établi au moyen d’un accord consensuel (Douez c Facebook, Inc., 2017 CSC 33 au para 1; TELUS Communications Inc. c Wellman, 2019 CSC 19 aux para 52-55).

[35] Les facteurs qui orientent l’application de chaque type de clause ne sont pas les mêmes et ils ne sont pas interchangeables. Les clauses d’élection de for n’établissent pas le mécanisme de règlement des différends, seulement le for. En ce qui concerne les clauses d’arbitrage, la Cour suprême du Canada a affirmé à maintes reprises que les parties à une clause d’arbitrage valide doivent respecter l’entente qu’elles ont conclue.

[36] La Loi sur la Convention des Nations Unies concernant les sentences arbitrales étrangères, SRC 1985, c 16 incorpore au droit canadien la Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, RT Can 1986 no 43, adoptée par la Conférence des Nations Unies sur l’arbitrage commercial international tenue à New York le 10 juin 1958 [la Convention de New York]. Le paragraphe II(3) de la Convention de New York prévoit ce qui suit :

Le tribunal d’un État contractant, saisi d’un litige sur une question au sujet de laquelle les parties ont conclu une convention au sens du présent article, renverra les parties à l’arbitrage, à la demande de l’une d’elles, à moins qu’il ne constate que ladite convention est caduque, inopérante ou non susceptible d’être appliquée.

[37] Lorsqu’une partie cherche à se soustraire à une clause d’arbitrage en contestant la validité de l’entente conclue ou la compétence de l’arbitre, la Cour doit généralement permettre que la question soit d’abord tranchée par l’arbitre (Dell, au para 84). Dans l’arrêt Uber Technologies Inc. c Heller, 2020 CSC 16 [Uber], la Cour suprême du Canada a ainsi résumé la doctrine établie dans l’arrêt Dell :

La doctrine établi[e] dans l’arrêt Dell est bien résumée dans l’affaire connexe Rogers Sans‑fil Inc. c. Muroff, [2007] 2 R.C.S. 921, par. 11 : Les juges majoritaires ont conclu qu’en présence d’une clause d’arbitrage, toute contestation de la compétence de l’arbitre doit d’abord être renvoyée à l’arbitre. Les tribunaux judiciaires ne devraient déroger à cette règle générale et se prononcer en premier sur cette question que dans le cas où la contestation de la compétence de l’arbitre ne comporte qu’une question de droit seulement. Lorsqu’une question soulevant la compétence de l’arbitre nécessite l’admission et l’examen des faits, les tribunaux sont normalement tenus de renvoyer ces questions à l’arbitrage. Quant aux questions mixtes de droit et de fait, les tribunaux doivent également privilégier le renvoi à l’arbitrage; n’y font exception que les situations où les questions de fait ne nécessitent qu’un examen superficiel de la preuve documentaire versée au dossier et où le tribunal est convaincu que la contestation ne se veut pas une tactique dilatoire ou qu’elle ne met pas en péril le recours à l’arbitrage.

[38] Pour ce qui constitue un examen superficiel, la question essentielle est celle de savoir s’il est possible de tirer les conclusions de droit nécessaires de faits qui sont soit évidents au vu du dossier, soit non contestés par les parties (Uber, au para 36).

[39] En l’espèce, les faits pertinents ne sont ni évidents au vu du dossier ni non contestés par les parties. GEM Inc. conteste à la fois l’application et la validité de l’entente. Les questions de savoir si GEMCO et GEM Inc. sont des entités distinctes, si les demandes de GEM Inc. découlent de l’entente et si la relation d’affaires s’est poursuivie après la délivrance de l’avis de résiliation nécessitent toutes un examen du dossier de la preuve plus approfondi que ce qui est autorisé dans le cadre d’une requête en suspension. Ce sont des questions mixtes de fait et de droit complexes qui doivent d’abord être examinées par un arbitre.

[40] La Cour suprême du Canada a reconnu l’importance du principe de « compétence-compétence », c’est-à-dire que les arbitres ont la compétence pour statuer sur leur propre compétence. Les questions de savoir si une clause d’arbitrage est exécutoire, si un différend peut être soumis à l’arbitrage et si un arbitre a compétence pour accorder la réparation demandée relèvent de ce principe reconnu à l’échelle internationale (Dell, au para 11; Seidel c TELUS Communications Inc., 2011 CSC 15 [Seidel] au para 29; Uber, aux para 31-33).

[41] Une partie ne peut se soustraire à l’arbitrage en faisant valoir la résiliation du contrat contenant la clause d’arbitrage. Selon la doctrine de la séparabilité, une clause d’arbitrage est « autonome et juridiquement indépendante du contrat principal dans lequel elle figure ». La doctrine de la séparabilité est un prolongement logique de la règle selon laquelle la contestation de la compétence d’un tribunal arbitral doit d’abord être examinée par ce dernier. Les tribunaux du monde entier reconnaissent quasi uniformément la doctrine de la séparabilité, même là où aucune loi ne la prévoit (Uber, aux para 221-223).

[42] Il s’ensuit que GEM Inc. ne peut pas invoquer la preuve de la résiliation de l’entente comme une raison pour se soustraire à l’arbitrage. Même si l’entente avait été valablement résiliée, la Cour n’en serait pas moins tenue de renvoyer « systématiquement » les parties à l’arbitrage. Il est indéniable que la portée, la validité et la durée de l’entente sont au cœur du différend entre les parties.

[43] Le fardeau qui incombe à un demandeur qui cherche à se soustraire à l’arbitrage est lourd. Il ne lui suffit pas de démontrer que la clause d’arbitrage peut ne pas s’appliquer, ni même qu’il est probable qu’elle ne s’applique pas. Dans la mesure où le différend pourrait être visé par la clause d’arbitrage, il doit être renvoyé à l’arbitrage (Campney, au para 10, citant Sarabia v Oceanic Mindoro (The), 1996 CanLII 1537 au para 28 (BCCA).

[44] Une clause d’arbitrage est caduque, inopérante ou non susceptible d’être appliquée uniquement si elle est manifestement entachée. Pour que la clause soit à ce point manifestement entachée, la nullité doit être « incontestable », de telle sorte qu’il ne saurait y avoir de débat sérieux quant à la validité (Uber, au para 33). Une allégation de nullité « incontestable » ne doit nécessiter rien de plus qu’un examen superficiel du dossier. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

[45] Les parties ont invoqué à tort l’arrêt Pompey devant la protonotaire. Cette affaire concernait un connaissement qui exigeait que tout différend soit réglé par les tribunaux d’Anvers, en Belgique. Il n’existait pas de clause d’arbitrage entre les parties. L’arrêt Pompey fournit des directives sur l’application d’une clause d’élection de for, et non sur l’exécution d’une clause d’arbitrage.

[46] La protonotaire n’a pas précisément conclu que Gold Line avait [traduction] « acquiescé » à la compétence de la Cour. Elle a plutôt souligné que les actions et les mesures prises par Gold Line après que la déclaration lui eut été signifiée étaient pertinentes relativement à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’accorder ou non une suspension.

[47] L’acquiescement ne peut pas servir d’issue de secours pour éviter l’arbitrage. Ce serait contraire aux principes qui sous-tendent la certitude commerciale et le renvoi systématique à l’arbitrage par les tribunaux. Sans surprise, il n’est pas question d’acquiescement dans les arrêts Uber, Dell, Seidel ou Desputeaux c Éditions Chouette (1987) inc., 2003 CSC 17 [Desputeaux].

[48] GEM Inc. soutient que les procédures devant la Cour ne devraient pas être suspendues puisque les mesures de réparation qu’elle sollicite sont prévues par la loi. Cependant, dans l’arrêt Desputeaux, la Cour suprême du Canada a souligné que l’adoption d’une disposition comme l’article 41.25 (alors l’article 37) de la Loi sur le droit d’auteur visait à définir la compétence matérielle des tribunaux judiciaires sur une question. Elle n’entend pas exclure la procédure arbitrale. Elle ne fait que désigner le tribunal qui, au sein du système judiciaire, aura compétence pour entendre les litiges concernant un sujet particulier. On ne saurait présumer qu’elle exclut la juridiction arbitrale, faute de la mentionner expressément (Desputeaux, au para 42).

[49] Si le législateur avait voulu exclure l’arbitrage en matière de droit d’auteur, il l’aurait fait clairement (Desputeaux, au para 46). Ni la Loi sur les marques de commerce ni la Loi sur la radiocommunication n’excluent l’arbitrage de manière explicite.

VI. Conclusion

[50] L’appel est accueilli, et les procédures devant la Cour sont suspendues en faveur d’un arbitrage aux Bermudes.

[51] Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur les dépens, Gold Line pourra présenter des observations écrites, ne dépassant pas trois (3) pages, dans les quatorze (14) jours suivant la date du présent jugement. GEM Inc. pourra présenter des observations écrites en réponse, ne dépassant pas trois (3) pages, dans les quatorze (14) jours suivant le dépôt des observations de Gold Line.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. L’appel est accueilli, et les procédures devant la Cour sont suspendues en faveur d’un arbitrage aux Bermudes.

  2. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur les dépens, Gold Line pourra présenter des observations écrites, ne dépassant pas trois (3) pages, dans les quatorze (14) jours suivant la date du présent jugement. GEM Inc. pourra présenter des observations écrites en réponse, ne dépassant pas trois (3) pages, dans les quatorze (14) jours suivant le dépôt des observations de Gold Line.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Geneviève Bernier


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-410-21

 

INTITULÉ :

GENERAL ENTERTAINMENT AND MUSIC INC. c GOLD LINE TELEMANAGEMENT INC., GLWIZ INC., AVA TELECOM LIMITED, ATA MOEINI, SHAWN REYHANI et ARASH BAFEKR c VIDA SHARIFIPOUR, faisant affaire sous le nom de GLOBAL FILM AND MEDIA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE TORONTO ET OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er mars 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 MARS 2022

 

COMPARUTIONS :

James Green

Laurent Massam

 

Pour la demanderesse/

PARTIE INTIMÉE

 

Neil Paris

Adam Stikuts

Michael Adams

 

POUR LES DÉFENDEURS/

PARTIES REQUÉRANTES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse/

PARTIE INTIMÉE

 

Paris & Company

Avocats

Toronto (Ontario)

Riches, McKenzie & Herbert LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS/

PARTIES REQUÉRANTES

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.