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Date : 20220324


Dossier : IMM-432-21

Référence : 2022 CF 409

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 mars 2022

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

ANDRESHA SONA ATHALIAH DAVIS

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse, Andresha Davis, est une citoyenne de Saint-Vincent-et-les-Grenadines (Saint-Vincent). Elle est arrivée au Canada le 21 décembre 2015 munie d’un visa de visiteur en vue de passer le temps des Fêtes avec ses sœurs et leur famille. Elle est restée au pays après l’expiration de son visa afin de prendre soin des enfants de sa sœur pendant que celle-ci retournait aux études.

[2] Le 7 juillet 2019, soit plus de deux ans après l’expiration de son visa de visiteur, la demanderesse a présenté, depuis le Canada, une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Sa demande a été rejetée le 4 janvier 2021, et elle sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

[3] La demande de dispense pour considérations d’ordre humanitaire de la demanderesse était principalement fondée sur les conséquences que son départ du Canada pourrait avoir sur ses nièces nées au Canada, ainsi que sur les difficultés auxquelles elle ferait face si elle était séparée de ses sœurs et de leurs familles. Elle a aussi renvoyé à son degré d’établissement au Canada et au fait qu’elle serait confrontée à des difficultés si elle devait retourner à Saint-Vincent en raison du marché de l’emploi dans ce pays et de l’incapacité de ses parents vieillissants à lui apporter de l’aide.

[4] Dans ses observations sur les considérations d’ordre humanitaire, la demanderesse a mentionné qu’elle vivait dans la maison de sa sœur aînée. Elle a expliqué qu’elle avait commencé à prendre soin de ses deux nièces lorsque sa sœur était retournée aux études et qu’elle avait continué à s’occuper d’elles lorsque sa sœur avait obtenu un emploi. Elle a décrit la relation étroite qu’elle entretenait avec ses nièces et elle a expliqué à quel point elle et ses nièces seraient anéanties si elle était forcée de retourner à Saint-Vincent. Cette affirmation était étayée par des lettres rédigées par ses sœurs et son beau-frère. De plus, sa sœur a souligné qu’elle n’aurait pas les moyens de prendre d’autres dispositions pour la garde de ses enfants si la demanderesse était forcée de quitter le Canada.

[5] L’agent a rejeté la demande après avoir conclu que la demanderesse n’avait pas établi l’existence de considérations d’ordre humanitaire suffisantes pour justifier une dispense. Il a accordé un certain poids favorable à l’établissement de la demanderesse au Canada, soulignant qu’elle agissait comme aide familiale résidente pour prendre soin des enfants de sa sœur, qu’elle prenait part aux activités de son église et qu’elle avait eu une conduite irréprochable durant son séjour au Canada. Cependant, il a aussi souligné qu’en restant délibérément au Canada après l’expiration de son visa, la demanderesse avait démontré un manque d’égards envers les lois canadiennes, ce à quoi il a attribué un poids défavorable.

[6] L’agent a accepté le fait que la demanderesse entretenait des liens étroits avec les membres de sa famille au Canada et il a reconnu la volonté de ceux-ci de lui apporter leur soutien. Toutefois, il a estimé que le lien de dépendance ne suffisait pas à confirmer l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle était une membre de la famille de fait. Il a conclu que le rejet de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire n’équivaudrait pas à une séparation permanente puisque, par le passé, la demanderesse avait souvent voyagé entre Saint-Vincent et le Canada. De plus, la demanderesse retournerait dans un pays qu’elle connaît bien et elle vivrait avec ses parents qui sont toujours à Saint-Vincent.

[7] Au sujet de l’intérêt supérieur des nièces de la demanderesse, l’agent a admis l’existence d’un lien étroit et le fait que la demanderesse manquerait aux enfants si elle devait retourner à Saint-Vincent. Il a souligné que les enfants resteraient avec leurs parents et qu’elles pourraient compter sur l’amour, les soins et le soutien de ceux-ci et des autres membres de leur famille au Canada. Pour ces raisons, il n’était pas convaincu que les facteurs relatifs à l’intérêt supérieur des enfants suffisaient à justifier une dispense pour considérations d’ordre humanitaire.

[8] Enfin, l’agent a rejeté l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle serait confrontée à des difficultés considérables si elle devait retourner à Saint-Vincent. Ses parents habitent dans ce pays, elle y a passé la majeure partie de sa vie et elle y a fait ses études. L’agent a accordé peu de poids au facteur relatif aux difficultés.

[9] L’agent a ensuite conclu ce qui suit :

[traduction]
En conclusion, j’ai soupesé les éléments présentés par la [demanderesse], tant individuellement que globalement. J’accorde un certain poids favorable au facteur relatif à l’intérêt supérieur des enfants. Cependant, compte tenu de toutes les circonstances, je ne suis pas convaincu que les considérations d’ordre humanitaire sont suffisantes pour justifier qu’il soit fait droit à la présente demande de contrôle judiciaire.

[10] La seule question en litige en l’espèce est celle de savoir si la décision de l’agent est raisonnable. C’est cette norme de contrôle qui s’applique, conformément à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[11] Selon le cadre établi dans l’arrêt Vavilov, le rôle de la cour de révision « consiste à examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et à déterminer si la décision est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes » (Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 au para 2 [Société canadienne des postes]). Il incombe à un demandeur de convaincre la Cour « que la lacune ou la déficience [invoquée] [...] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, au para 100, cité avec approbation dans l’arrêt Société canadienne des postes, au para 33).

[12] La demanderesse soutient que la décision est déraisonnable parce que l’analyse faite par l’agent de l’intérêt supérieur des enfants et de son degré d’établissement au Canada manque de transparence et d’intelligibilité. Essentiellement, elle fait valoir que, si l’agent a mentionné les éléments de preuve pertinents à l’égard des facteurs relatifs à l’intérêt supérieur des enfants et à l’établissement, il n’a pas expliqué de façon suffisante la façon dont ils ont été soupesés. Selon elle, le fait que ces éléments importants n’aient pas fait l’objet d’une analyse suffisante rend la décision déraisonnable.

[13] Je ne suis pas convaincu. Par ses arguments, la demanderesse demande à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve, ce qui ne relève pas du rôle d’une cour de révision (Vavilov, au para 125).

[14] La cause de la demanderesse repose sur deux arguments : a) l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants faite par l’agent est déficiente, principalement parce qu’il n’a pas tenu compte de la preuve concernant la nature de la relation existant entre elle et la plus jeune de ses nièces et les répercussions financières qu’aurait la perte des soins qu’elle prodiguait aux enfants; et b) l’analyse de son établissement faite par l’agent est déficiente parce que celui-ci a indûment analysé les facteurs relatifs à l’établissement sous l’angle des difficultés. J’examinerai ces arguments successivement.

[15] En ce qui concerne l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants, la demanderesse reconnaît que l’agent a mentionné les éléments de preuve pertinents concernant la nature de sa relation avec ses nièces et le rôle qu’elle jouait dans leur vie, en particulier dans la vie quotidienne de la plus jeune de ses nièces. Elle soutient que l’analyse de l’agent est insuffisante parce qu’elle ne tient pas compte de la véritable nature de la relation, de l’incidence qu’aurait une séparation et des répercussions financières qu’aurait la perte des services de garde pour ses nièces. Plus précisément, la demanderesse conteste la déclaration suivante :

[traduction]
Je souligne que si [la demanderesse] devait retourner à Saint-Vincent, les enfants demeureraient sous la garde de leurs parents. La preuve dont je dispose ne suffit pas à démontrer que les parents n’apporteraient pas à leurs enfants le soutien émotionnel nécessaire pour les aider à s’adapter à [son] absence. Je souligne aussi que les enfants seront entourées des membres de leur famille élargie et de leur communauté.

[16] La demanderesse prétend que cette affirmation s’appuie sur des conjectures non fondées puisque rien n’indique que les parents ou un autre membre de la famille ou de la communauté soient en mesure de prodiguer aux enfants le type de soins qu’elle leur prodigue. Elle soutient que comme l’agent n’a pas examiné cet aspect, sa décision ne tient pas compte de l’un des fondements principaux de sa demande, ce qui la rend déraisonnable. Elle soutient aussi que le fait que l’agent n’ait pas analysé les répercussions financières de son renvoi pour les enfants et leurs parents constitue un vice fatal, car il démontre que l’agent n’a pas tenu compte du rôle essentiel qu’elle joue dans leur vie.

[17] Je ne suis pas convaincu. L’agent a tenu compte des nombreux éléments de preuve qui indiquaient que les enfants vivaient avec leurs parents, qu’elles entretenaient des liens étroits avec les membres de leur famille élargie et qu’elles prenaient part à la vie de la communauté. Il incombait à la demanderesse d’établir le bien-fondé de ses prétentions et, dans la mesure où le caractère inaccessible ou inabordable des services de garde d’enfants constituait un aspect essentiel de sa demande, il lui revenait de le démontrer au moyen d’éléments de preuve admissibles, ce qu’elle n’a pas fait. De plus, comme les enfants sont maintenant d’âge scolaire, leurs besoins en matière de garde sont différents de ce qu’ils étaient lorsqu’elles étaient plus jeunes.

[18] La décision de l’agent sur ce point tient compte de la preuve au dossier, et le raisonnement est à la fois clair et logique. La décision tient également compte de l’intérêt supérieur des enfants, que l’agent était tenu par la loi d’examiner. À tous égards, la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable. Il ne s’agit pas de savoir si la demanderesse ou la Cour sont d’accord avec le résultat.

[19] En ce qui concerne la question de l’établissement, la demanderesse soutient que l’agent a miné l’importance des facteurs militant en sa faveur en les examinant sous l’angle des difficultés, citant le paragraphe 38 de la décision Henson c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 1218 [Henson] et le paragraphe 9 de la décision Gan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 824 [Gan]. Elle affirme que l’agent s’est fondé sur des conjectures pour conclure qu’elle pourrait maintenir une relation avec sa famille au Canada grâce à des moyens technologiques et que sa famille élargie et ses parents âgés pourraient lui apporter de l’aide à Saint-Vincent. Elle prétend qu’il est impossible de savoir de quelle façon l’agent a soupesé ces facteurs au moment d’évaluer son établissement en raison de l’absence d’explications dans la décision. Comme pour les facteurs relatifs à l’intérêt supérieur des enfants, elle soutient que l’agent s’est contenté d’énumérer les éléments avant de tirer une conclusion, ce qui rend la décision déraisonnable.

[20] Je ne suis pas d’accord. Dans ses motifs, l’agent a renvoyé aux facteurs et aux éléments de preuve sur lesquels la demanderesse s’est appuyée et il a accordé un poids favorable à son établissement au Canada. Il a expressément mentionné qu’elle avait eu une conduite irréprochable, qu’elle subvenait elle-même à ses besoins et qu’elle avait noué de nombreux liens dans la communauté. Il a, en outre, tenu compte du fait qu’elle était délibérément restée au Canada longtemps après l’expiration de son visa, sans faire aucun effort pour régulariser son statut. Ses conclusions concernant la volonté des membres de la famille de la demanderesse d’aider celle-ci sont fondées sur les éléments de preuve qu’elle a fournis. La conclusion selon laquelle la demanderesse serait en mesure de maintenir une relation avec les membres de sa famille au Canada est fondée à la fois sur les antécédents de communication entre elle et ses sœurs au Canada avant son arrivée au pays, sur ses fréquents voyages entre Saint-Vincent et le Canada et sur la disponibilité de moyens de communication technologiques modernes qui sont largement utilisés. Aucune de ces conclusions ne relève de la spéculation non fondée; elles sont bien étayées par la preuve au dossier.

[21] En ce qui concerne cette question, le raisonnement de l’agent est clair, et je ne suis pas d’avis qu’il soulève les mêmes problèmes que ceux constatés par la Cour dans les décisions citées par la demanderesse (notamment Henson, Gan, Marshall c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 72, et Osun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 295). Dans ces décisions, les agents avaient évalué les difficultés dans le cadre de l’analyse de l’établissement, examinant ainsi à tort les facteurs relatifs à l’établissement sous l’angle des difficultés. En l’espèce, l’agent a examiné le degré d’établissement de la demanderesse au Canada en soupesant les facteurs favorables et défavorables. Il s’est aussi penché sur l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle serait confrontée à des difficultés si elle devait retourner à Saint-Vincent, mais je ne suis pas convaincu que l’agent ait, de façon inappropriée, entremêlé les deux analyses.

[22] Pour les motifs qui précèdent, je juge que la décision de l’agent est raisonnable, conformément au cadre établi dans l’arrêt Vavilov. Même si la demanderesse s’ennuiera sans doute de ses nièces et de ses sœurs si elle doit quitter le Canada, il s’agit d’une conséquence naturelle du fait qu’elle est restée ici sans régulariser son statut. L’agent a examiné la preuve conformément au cadre juridique, et la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable.

[23] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[24] Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-432-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Geneviève Bernier


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-432-21

INTITULÉ :

ANDRESHA SONA ATHALIAH DAVIS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À TORONTO (ONTARIO) ET À OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 15 MARS 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE DES MOTIFS :

le 24 MARS 2022

COMPARUTIONS :

Jessica Chanrashakar

 

POUR LA DEMANDERESSE

Idorenyiu Udoh-Orak

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocate

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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