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Date : 20220323


Dossier : T‑1199‑18

Référence : 2022 CF 393

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 23 mars 2022

En présence de madame la juge Go

ENTRE :

ONTARIO ADDICTION TREATMENT CENTRES

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS

(Jugement et motifs confidentiels rendus le 23 mars 2022)

I. Question préliminaire

[1] À titre préliminaire, selon le paragraphe 303(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles], le défendeur pertinent en l’espèce est le procureur général du Canada et non le ministre du Revenu national [le ministre]. L’intitulé de la cause a donc été modifié.

II. Aperçu

[2] Le demandeur, les Ontario Addiction Treatment Centres [les Centres], a été fondé en 1995 par les Dr Jeffrey Dalter et Michael Varenbut pour offrir des traitements contre les opioïdes et autres dépendances.

[3] En septembre 2009, le demandeur a demandé à l’Agence du revenu du Canada [l’ARC] de statuer sur la question de savoir si certains réactifs à base de cartouches utilisés dans les analyses de drogues [les trousses d’analyse] étaient détaxés en vertu de la Loi sur la taxe d’accise (LRC [1985], c E‑15) [la LTA], et donc exonérés de TPS/TVH conformément à une décision rendue le 20 juillet 2007 par la Cour canadienne de l’impôt, Centre Hospitalier Le Gardeur c La Reine, 2007 CCI 425 [Le Gardeur]. Le demandeur a retenu les services de KPMG LLP [KPMG] pour le représenter dans sa demande de décision.

[4] Dans une lettre datée du 5 août 2014, l’ARC a affirmé que les trousses d’analyse étaient exonérées de TPS/TVH (ou détaxées) et qu’une demande de remboursement pouvait être présentée dans les deux ans suivant le versement du montant. Cette période empêchait effectivement le demandeur de recevoir des remboursements pour la TPS/TVH payée au‑delà de ces deux années.

[5] Au nom du demandeur, KPMG a présenté une demande de remise datée du 10 septembre 2014 pour un peu plus de 1 million de dollars de TPS/TVH versés entre 2007 et 2012 [la demande de remise]. Le demandeur a présenté la demande en se fondant sur ce qu’il prétend être une erreur et un retard de l’ARC, ainsi que sur des circonstances semblables à celles d’un décret de remise accordé à la Fondation du Jardin du patrimoine canadien [la Fondation]. Le ministre a rejeté la demande de remise [la décision].

[6] Le demandeur présente une demande de contrôle judiciaire de la décision en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7. Le demandeur soutient que la décision était déraisonnable et que l’ARC a violé l’équité procédurale en ne lui permettant pas de commenter les conclusions de fait proposées ou les divergences apparentes avant de rendre la décision.

[7] Le juge responsable de la gestion de l’instance Aalto a rendu une ordonnance de confidentialité datée du 29 décembre 2020 qui traite des renseignements confidentiels concernant la Fondation. À la demande conjointe des parties, l’audition de la présente demande a eu lieu à huis clos pour permettre aux parties de se reporter aux documents qui ont été soumis à l’ordonnance de confidentialité tout au long de l’audience.

[8] Pour les motifs exposés ci‑après, je rejette la demande, car je conclus que la décision était raisonnable et qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale.

III. Le contexte

A. Contexte factuel

Évolution de la politique administrative de l’ARC concernant les produits de diagnostic in vitro

[9] Les trousses de diagnostic en question relèvent de la politique de l’ARC concernant les produits de diagnostic in vitro. Cette politique a évolué au fil du temps. Selon le rapport de l’ARC au Comité de l’Administration centrale sur les remises en date du 12 décembre 2017 [le rapport de l’ARC à l’Administration centrale sur les remises] concernant la demande de remise du demandeur :

[traduction]

Un produit de diagnostic in vitro est un produit composite, fourni sous un seul nom, qui consiste en des éléments, pièces ou accessoires utilisés ensemble pour exécuter une partie ou la totalité des fonctions prévues du produit. Un exemple de produit de diagnostic in vitro est une trousse de diagnostic composée de réactifs ou d’accessoires qui est utilisée in vitro par les laboratoires médicaux et les hôpitaux pour effectuer des diagnostics spécifiques concernant la collecte, la préparation et l’examen des spécimens prélevés sur le corps humain. Il existe des milliers de trousses de diagnostic de réactifs achetées par des laboratoires médicaux et des hôpitaux pour examiner des échantillons et recueillir des tests sérologiques de groupes sanguins.

[10] Ce rapport explique ensuite que, selon son contenu et son objet, un produit de diagnostic in vitro peut contenir une substance figurant à l’annexe D de la Loi sur les aliments et drogues [la LAD], qui peut à son tour être détaxée en vertu de la LTA. Santé Canada estime que ces trousses de diagnostic répondent à la définition de « médicament » dans la LAD si l’un des composants d’un produit de diagnostic in vitro est une substance figurant à l’annexe D de la LAD et que, sur cette base, Santé Canada considère ce produit comme une drogue figurant à l’annexe D.

[11] Avant 2000, l’ARC a simplement adopté la décision de Santé Canada concernant un médicament de l’annexe D et a considéré ce produit comme étant détaxé aux fins de la TPS/TVH en vertu de l’alinéa 2a) de la partie I de l’annexe VI de la LTA.

[12] Rapidement, de nombreux laboratoires médicaux et hôpitaux ont refusé de payer la TPS/TVH au motif que les produits de diagnostic in vitro utilisés étaient détaxés. En raison du [traduction] « traitement fiscal répandu et incohérent dans l’industrie », l’ARC a entrepris un examen de la situation fiscale des produits de diagnostic in vitro en août 2000. Après l’examen, l’ARC est revenue sur sa position et a cessé d’approuver la position de Santé Canada. La position administrative révisée de l’ARC était plutôt que ces produits n’étaient pas détaxés. Cette nouvelle politique administrative devait être appliquée de façon prospective après le 28 mars 2001.

[13] Puis, la décision Le Gardeur a été rendue et a annulé la politique de l’ARC. La Cour de l’impôt s’est rangée du côté d’un hôpital qui a contesté la politique de l’ARC. La Cour a conclu que la composante essentielle de la trousse de diagnostic était une fourniture unique d’un médicament visé par l’annexe D, ce qui l’a rendu admissible à l’exonération de TPS/TVH. À la suite de cette décision, certaines trousses de diagnostic in vitro étaient détaxées.

[14] En coulisses, l’ARC ne souscrivait pas à la décision Le Gardeur. Cependant, pour des raisons indépendantes de sa volonté, l’ARC n’a pas fait appel de la décision de la Cour de l’impôt.

[15] En décembre 2009, l’ARC a publié l’avis 248 sur la TPS/TVH [l’avis 248] comme réponse administrative à la décision Le Gardeur. Comme il est expliqué dans la décision :

[traduction]

L’avis indiquait qu’à compter du 20 juillet 2017, la fourniture d’une trousse de diagnostic in vitro serait détaxée en vertu de l’alinéa 2a) de la partie I de l’annexe VI de la Loi si elle est utilisée pour diagnostiquer des maladies chez les humains et qu’elle comporte une ou plusieurs des substances suivantes : les anticorps monoclonaux et polyclonaux; le sang et les dérivés du sang; le venin de serpent; les micro‑organismes qui ne sont pas des antibiotiques. L’avis indiquait en outre que cela reflétait la position administrative provisoire de l’ARC quant au statut fiscal des trousses de diagnostic in vitro.

[Non souligné dans l’original.]

[16] L’avis 248 était censé constituer une solution administrative temporaire, l’ARC continuant de peaufiner sa position. Depuis, de nombreuses demandes de décision concernant le statut fiscal des trousses de diagnostic in vitro ont été envoyées à l’Unité des municipalités et des services de soins de santé de l’ARC.

[17] En octobre 2011, l’Unité envisageait quatre options relativement à la décision Le Gardeur : a) l’appliquer à tous les produits de diagnostic in vitro; b) l’appliquer uniquement aux produits de diagnostic in vitro utilisés dans le diagnostic d’une maladie (afin que les tests de dépistage de l’abus de drogues ne soient pas détaxés); c) déterminer que les produits de diagnostic in vitro n’étaient pas des drogues tout en clarifiant le sens du terme « drogue » aux fins de la Loi; ou d) demander une modification législative pour empêcher que ces produits soient détaxés.

[18] Entre octobre 2011 et août 2014, l’ARC estimait que les trousses de diagnostic pour l’abus de drogues étaient imposables puisqu’elles ne servaient pas à diagnostiquer des maladies. La position de l’ARC a changé en août 2014 lorsque plusieurs décisions du Comité de l’Administration centrale sur les remises ont conclu que les produits de diagnostic in vitro contenant des ingrédients visés par la décision Le Gardeur qui ont fait l’objet de tests de dépistage de drogues abusives étaient détaxés. Ces décisions renfermaient également l’avertissement selon lequel l’ARC continuait de revoir sa politique à cet égard.

Historique des rapports du demandeur avec l’ARC

[19] Comme il a été mentionné précédemment, le demandeur a retenu les services de KPMG pour demander une décision et, par la suite, pour sa demande de remise. Le demandeur déclare qu’en soumettant sa demande de décision, il s’attendait à recevoir une réponse dans les 45 jours ouvrables suivants, ce qui aurait respecté la norme de service du ministre (bien qu’à l’audience, le demandeur ait reconnu que la norme s’applique principalement aux affaires courantes).

[20] L’ARC a informé KPMG en avril 2010 qu’il s’agissait de la première demande faisant suite à la décision Le Gardeur, que la question était complexe et pouvait établir un précédent, et qu’il n’était pas possible de prévoir un délai pour la décision.

[21] Entre janvier 2010 et juillet 2014, le demandeur et KPMG ont présenté plus de vingt demandes de renseignements à l’ARC relativement à la demande de décision.

[22] En août 2014, l’ARC a rendu sa décision. Elle a déterminé que les trousses de diagnostic étaient détaxées. Le mois suivant, le demandeur a présenté sa demande de remise.

B. La décision faisant l’objet du contrôle

[23] Le rapport de l’ARC à l’Administration centrale sur les remises qui a été publié en décembre 2017 déconseillait de recommander la remise. Le 25 mai 2018, monsieur Geoff Trueman, sous‑commissaire de la Direction générale de la politique législative et des affaires réglementaires de l’ARC [sous‑commissaire], a rendu la décision. Celle‑ci informait le demandeur que la remise ne pouvait être recommandée.

[24] L’ARC a rejeté les arguments du demandeur au sujet de l’erreur et du retard de la part de l’ARC. Il a également été décidé que le décret de remise accordé à la Fondation avait été pris dans des circonstances propres à cet organisme et ne constituait pas un précédent pour accorder une mesure de redressement au demandeur.

IV. Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[25] Le demandeur soutient que la décision est déraisonnable à sa face même et eu égard au dossier. J’ai regroupé les arguments du demandeur au sujet du bien‑fondé de la décision dans les trois questions suivantes :

  • 1) La décision était‑elle déraisonnable parce qu’elle ne tenait pas compte de l’erreur commise par l’ARC?

  • 2) La décision était‑elle déraisonnable concernant sa conclusion selon laquelle le demandeur aurait pu présenter des demandes de remboursement préventives?

  • 3) La décision était‑elle déraisonnable parce qu’elle ne traitait pas des affaires semblables de la même façon?

[26] Le demandeur soutient en outre que le ministre a manqué à l’équité procédurale en ne demandant pas d’autres observations au demandeur.

[27] Les parties conviennent que la norme de contrôle du bien‑fondé de la décision est celle du caractère raisonnable, conformément à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], et que les questions d’équité procédurale exigent que la Cour effectue son propre contrôle et détermine si le processus satisfait au niveau d’équité requis dans toutes les circonstances : Mokrycke c Canada (Procureur général), 2020 CF 1027 [Mokrycke] au paragraphe 40.

[28] Le caractère raisonnable est une norme de contrôle fondée sur le principe de la déférence, mais aussi sur un cadre d’application plus rigoureux : arrêt Vavilov, aux paragraphes 12‑13. La cour de révision doit déterminer si la décision faisant l’objet du contrôle, y compris sa justification et son issue, est transparente, intelligible et justifiée : arrêt Vavilov, paragraphe 15. La décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : arrêt Vavilov, paragraphe 85. Le caractère raisonnable d’une décision dépend du contexte administratif pertinent, du dossier dont dispose le décideur et de l’incidence de la décision sur les personnes touchées par ses conséquences : arrêt Vavilov, aux paragraphes 88‑90, 94, 133‑135.

[29] Pour qu’une décision soit déraisonnable, le demandeur doit établir que la décision comporte des lacunes suffisamment capitales ou importantes : arrêt Vavilov, paragraphe 100. Toutes les erreurs ou préoccupations relatives à une décision ne justifient pas une intervention. La cour de révision doit s’abstenir de soupeser à nouveau la preuve devant le décideur et elle ne doit pas intervenir dans les conclusions de fait en l’absence de circonstances exceptionnelles : arrêt Vavilov, au paragraphe 125. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision ou une « erreur mineure » : arrêt Vavilov, au paragraphe 100.

V. Analyse

A. Lignes directrices et cadre législatif pertinents

[30] La demande du demandeur a été présentée en vertu du paragraphe 23(3) de la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC 1985, c F‑11 [LGFP], qui confère au ministre un vaste pouvoir discrétionnaire pour recommander la remise de taxes, comme suit :

23 (2) Sur recommandation du ministre compétent, le gouverneur en conseil peut faire remise de toutes taxes ou pénalités, ainsi que des intérêts afférents, s’il estime que leur perception ou leur exécution forcée est déraisonnable ou injuste ou que, d’une façon générale, l’intérêt public justifie la remise.

23 (2) The Governor in Council may, on the recommendation of the appropriate Minister, remit any tax or penalty, including any interest paid or payable thereon, where the Governor in Council considers that the collection of the tax or the enforcement of the penalty is unreasonable or unjust or that it is otherwise in the public interest to remit the tax or penalty.

[31] La jurisprudence établit qu’un décret de remise est un recours exceptionnel, hautement discrétionnaire, qui commande une grande retenue lors d’un contrôle judiciaire : Fink c Canada (Procureur général), 2019 CAF 276, au paragraphe 1; Escape Trailer Industries c Canada (Procureur général), 2020 CAF 54, au paragraphe 32; Matthew c Canada (Procureur général), 2017 CF 538, au paragraphe 5. Une demande de remise exige que le ministre crée un équilibre entre plusieurs facteurs, et la cour de révision doit normalement refuser de reconsidérer ces facteurs : Première Nation Waycobah c Canada (Procureur général), 2011 CAF 191, au paragraphe 19 [Waycobah]; Twentieth Century Fox Home Entertainment Canada Limited c Canada (Procureur général), 2012 CF 823, au paragraphe 36.

[32] L’ARC a élaboré un Guide concernant les remises d’impôt sur le revenu, de TPS/TVH, de taxe d’accise, de droits d’accise et de TVF en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques (octobre 2014) [Guide sur les remises]. Tout en reconnaissant que la remise est discrétionnaire et que chaque cas doit être examiné selon les faits qui lui sont propres, le Guide sur les remises énonce quatre facteurs qui sont habituellement pris en compte : situation financière extrêmement difficile, difficultés financières assorties de circonstances atténuantes, mesure ou conseil erroné des fonctionnaires de l’ARC et résultats non voulus des dispositions législatives : Jefferson c Canada (Procureur général), 2021 CF 658, au paragraphe 34; Meleca c Canada (Procureur général), 2020 CF 1159, au paragraphe 9.

Question 1 : La décision était‑elle déraisonnable parce qu’elle ne tenait pas compte de l’erreur commise par l’ARC?

[33] Le demandeur soutient avoir été « induit en erreur » par l’ARC quant au temps requis pour rendre une décision sur la question de savoir si les trousses de diagnostic étaient exonérées de la TPS/TVH. En outre, le demandeur fait valoir que l’on ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’il demande un remboursement avant le prononcé de la décision. Le demandeur soutient que la décision [traduction] « a exonéré l’ARC de tout acte répréhensible, a écarté la longue période nécessaire pour rendre la décision et n’a pas concilié les communications des Centres avec l’ARC au sujet du moment de rendre la décision dans les dossiers de l’ARC ».

[34] Je commence mon analyse par un examen de la demande de remise du demandeur. Le demandeur s’est senti lésé, ce qui est compréhensible, en raison des presque cinq ans qu’il a fallu à l’ARC pour examiner sa demande de décision. La demande de remise du demandeur indiquait sans équivoque l’incidence du retard sur sa capacité de demander un remboursement en temps opportun. En particulier, le demandeur a déclaré ce qui suit comme fondement de sa demande de remise soumise par KPMG :

[traduction]

Cette demande est présentée au motif qu’en raison d’une mesure ministérielle erronée, les Centres n’étaient pas admissibles en vertu de l’article 261 de la LTA au remboursement de la taxe payée par erreur pendant la période de remise.

[35] La demande de remise énonce ensuite les motifs pour lesquels la remise devrait être recommandée, à savoir :

  • Rien ne prouve la mauvaise foi de la part des Centres dans le cadre de la demande de remise.

  • On ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce que les Centres prennent des mesures en temps opportun pour demander un remboursement de la TPS/TVH étant donné que la décision n’a pas été rendue par l’ARC en temps opportun.

  • Les Centres demandent la remise dans un délai raisonnable après la publication de la décision.

  • Des preuves écrites corroborent le fait que les représentants de l’ARC ont pris une mesure erronée en ne rendant pas la décision en temps opportun.

[Non souligné dans l’original.]

[36] La demande de remise comprenait le registre des communications créé par KPMG détaillant environ vingt demandes qu’elle a présentées à l’ARC pour obtenir des mises à jour sur l’état d’avancement. Elle a ensuite conclu par d’autres observations qui ont tenu lieu de fondement à leur demande. Les parties pertinentes des observations portant sur la « mesure erronée » de l’ARC sont exposées de la façon suivante :

[traduction]

Les Centres ont d’abord déposé la demande de décision le 2 septembre 2009. Malgré plus de 20 demandes de mise à jour de l’état d’avancement, la décision n’a été rendue que le 5 août 2014 (soit près de 5 ans après la présentation de la demande de décision).

KPMG et les Centres ont demandé à l’ARC des mises à jour sur l’état de la réponse à plus de vingt reprises. L’ARC a indiqué à plusieurs reprises à KPMG ou aux Centres que la décision serait rendue sous peu ou dans les trois mois suivant la date de la discussion. L’incapacité des Centres de présenter une demande de remboursement à l’égard de la période de remise est uniquement attribuable à des mesures erronées de la part des représentants de l’ARC découlant de retards importants dans le prononcé de la décision.

Si l’ARC avait rendu la décision en temps opportun, les Centres auraient présenté immédiatement une demande de remboursement de taxe payée par erreur relativement aux deux années en instance et auraient donc eu droit à la taxe payée par erreur pendant la période de remise.

[Non souligné dans l’original.]

[37] La demande de remise a ensuite cité le Guide sur les remises, faisant valoir que la remise doit être recommandée [traduction] « parce que les fonctionnaires de l’ARC ont pris des mesures erronées », et ajoutant qu’[traduction] « il existe une preuve écrite justifiant le fait que les fonctionnaires de l’ARC ont pris des mesures erronées à l’égard de la personne (ou en l’absence de preuve écrite, les faits peuvent être vérifiés par d’autres moyens acceptables) ». Aucune autre preuve écrite n’a été présentée par le demandeur pour étayer sa prétention selon laquelle des fonctionnaires de l’ARC avaient pris des mesures erronées depuis le dépôt de sa demande de remise.

[38] Bref, la « mesure erronée » citée dans la demande de remise faisait référence aux « retards importants dans le prononcé de la décision » par les fonctionnaires de l’ARC. À mon avis, la décision répondait adéquatement à cette allégation.

[39] Comme nous l’avons déjà mentionné au paragraphe 14, la décision traitait d’abord de cette allégation en expliquant la position administrative provisoire de l’ARC dans l’avis 248 publié en décembre 2009. Cet avis a trait au statut fiscal des trousses de diagnostic in vitro.

[40] La décision décrit brièvement l’évolution de la politique de l’ARC sur les tests de diagnostic in vitro depuis la décision Le Gardeur rendue en 2009. Elle a également expliqué qu’au moment où KPMG a présenté la demande de décision au nom des Centres, l’ARC n’avait pas considéré que les tests de dépistage de la consommation de drogues pouvaient être détaxés aux fins de la TPS/TVH et que cette position n’avait été modifiée qu’en août 2014. Ainsi, bien que la décision ait tardé, ce retard a été rendu nécessaire par le processus entrepris par l’ARC pour élaborer sa politique sur les tests de diagnostic in vitro.

[41] Ensuite, la décision traitait de l’allégation de mesure erronée concernant les retards importants soulevés par le demandeur dans sa demande de remise dans les termes suivants :

[traduction]

Les dossiers de l’ARC indiquent que le fonctionnaire de l’Administration centrale affecté à la demande de décision des Centres a informé KPMG en avril 2010 qu’il ne pouvait fournir un délai estimatif pour rendre une décision en matière de TPS/TVH, puisqu’il s’agissait de la première demande de décision à la suite de la décision Le Gardeur, et que la question était très complexe et pouvait établir un précédent.

[42] La décision a ensuite conclu :

[traduction]

En ce qui concerne votre demande de remise, je n’assimile pas le temps pris pour rendre la décision relative aux Centres à une erreur de l’ARC. Les fonctionnaires de l’ARC n’ont pas pris de mesures erronées ou donné des conseils incorrects qui auraient empêché les Centres de prendre une autre mesure en temps opportun pour éviter ou minimiser les répercussions fiscales. Cela aurait constitué le dépôt de demandes de remboursement préventives.

[43] En résumé, le demandeur a fondé sa demande de remise sur les « retards importants » qui constitueraient la « mesure erronée » de l’ARC. La décision traitait de cette allégation en exposant l’historique de sa politique concernant les produits in vitro et en répondant directement à l’allégation du demandeur. Globalement, la décision répondait de façon raisonnable au fondement de la demande de remise du demandeur relativement aux retards importants de l’ARC.

[44] De plus, comme je l’ai mentionné précédemment, la politique de l’ARC sur les tests de diagnostic in vitro a évolué au fil du temps et fait encore l’objet d’un examen. La demande de décision du demandeur, selon l’ARC, a été la première à être examinée par l’ARC depuis la décision Le Gardeur. Dans ce contexte, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que le ministre a correctement établi un équilibre entre la situation du demandeur et l’évolution générale de la politique concernant les trousses d’analyse après la décision Le Gardeur de la Cour canadienne de l’impôt.

[45] Le demandeur conteste le fait que la décision cite de façon erronée son propre fonctionnaire qui aurait affirmé en avril 2010 qu’il ne pouvait fournir un délai estimatif pour rendre une décision parce que la question était « extrêmement complexe », alors que le fonctionnaire a en fait dit que la question était « complexe ». Cet argument semble reposer sur la sémantique. Que le mot « extrêmement » ait été utilisé ou non par le fonctionnaire de l’ARC, ce dernier n’a pas rendu la décision déraisonnable en faisant référence à la complexité de la question en litige et en confirmant que la demande du demandeur établissait un précédent.

[46] Le demandeur soutient en outre que même si les dossiers de l’ARC indiquent qu’un agent des décisions avait déjà été affecté en janvier 2010 et que l’affaire était déjà désignée comme complexe, ces renseignements n’avaient pas été communiqués au demandeur. Les dossiers du demandeur indiquent que l’ARC a informé KPMG en juillet 2010 qu’une réponse prendrait probablement deux mois de plus (en octobre 2010), qu’une politique administrative pourrait devoir être élaborée et, encore une fois, en décembre 2011, qu’une ébauche de réponse était en cours d’examen et serait probablement publiée au cours des mois suivants. D’autre part, le demandeur soutient que les dossiers de l’ARC indiquent que celle‑ci savait qu’il s’agissait d’un cas courant et non prioritaire qui avait peu à voir avec l’établissement d’un précédent, mais que les retards étaient attribuables à un sous‑financement important de l’unité des secteurs des soins de santé de l’ARC.

[47] Je conclus que ces observations ne sont pas fondées. Le demandeur demande à la Cour d’interpréter ou d’apprécier de nouveau la preuve d’une manière qui convient à son argumentation. Ce n’est tout simplement pas mon rôle. Quoi qu’il en soit, la preuve, examinée globalement, révèle qu’il y avait de nombreux facteurs en jeu qui ont prolongé le temps qu’il fallait à l’ARC pour arriver à une position stratégique au sujet des tests de diagnostic in vitro. Le sous‑financement de l’unité des secteurs des soins de santé semble constituer l’un de ces facteurs, mais ce n’était pas le seul. De plus, il n’est pas déraisonnable que le sous‑commissaire s’abstienne de révéler des problèmes de dotation et d’opérations internes comme motifs du retard.

[48] Compte tenu de l’historique législatif et jurisprudentiel complexe et évolutif du traitement des tests de diagnostic in vitro, de l’évolution de la politique de l’ARC sur ces produits, et du fondement de la demande de remise du demandeur et de l’historique des communications entre le demandeur et l’ARC, je conclus que le ministre a raisonnablement déterminé que le délai pour rendre la décision n’équivalait pas à une mesure ou à un avis erroné de la part de l’ARC.

[49] Ma conclusion selon laquelle la décision était raisonnable à cet égard ne devrait pas être interprétée comme une conclusion qu’il n’y a pas eu de retard important dans le processus décisionnel de l’ARC. En toute déférence, cette question n’est pas de mon ressort.

Question 2 : La décision était‑elle déraisonnable concernant sa conclusion selon laquelle le demandeur aurait pu présenter des demandes de remboursement préventives?

[50] Le demandeur soutient en outre que la décision ne permet pas de conclure qu’il aurait pu présenter des demandes de remboursement préventives. Plus particulièrement, le demandeur soutient qu’il ignorait qu’il pouvait présenter une demande de remboursement préventive et qu’il n’a jamais été avisé de cette possibilité par l’ARC, son aide‑comptable, ses comptables ou ses conseillers chez KPMG — et qu’il ne connaît aucune publication de l’ARC traitant de la pertinence de présenter une demande de remboursement préventive.

[51] Le rapport de l’ARC à l’Administration centrale sur les remises indiquait que [traduction] « les représentants de l’ARC n’ont pas pris de mesures erronées ou donné des conseils incorrects qui ont empêché KPMG de prendre une autre mesure en temps opportun qui aurait protégé les Centres », et la décision indiquait que [traduction] « les représentants de l’ARC n’ont pas pris de mesures erronées ou donné des conseils incorrects qui auraient empêché les Centres de prendre une autre mesure en temps opportun pour éviter ou minimiser les répercussions fiscales ». Toutefois, le demandeur fait valoir qu’il n’a pas allégué que l’ARC l’avait empêché de présenter des demandes de remboursement préventives. Le demandeur soutient en outre que la décision suppose qu’il aurait pu s’en remettre à KPMG pour présenter des demandes de remboursement préventives. Cependant, les services de KPMG ont été retenus uniquement pour aider le demandeur à présenter sa demande de décision et KPMG n’était pas au courant des activités de conformité du demandeur ni de la taxe qu’il avait payée.

[52] Je constate que le demandeur était représenté par KPMG tout au long de la demande de décision et de la demande de remise depuis 2009. En outre, selon l’affidavit du Dr Michael Varenbut, l’un des fondateurs des Centres, à aucun moment avant la présentation de la demande de décision, pendant le processus d’obtention de la décision ou immédiatement avant la réception de la décision, KPMG n’a conseillé au demandeur de demander un remboursement de la taxe payée par erreur pour les produits, de façon préventive ou autre.

[53] En ce qui concerne le caractère raisonnable de la décision, comme le défendeur le soutient, et je suis de son avis, rien n’indique que l’ARC a pris des mesures ayant de quelque façon constitué des conseils au demandeur de ne pas demander de remboursement ou qui l’ont incité à envisager cette voie d’action. Le fait que le demandeur ignorait le délai de deux ans pour demander un remboursement, n’a pas pris de mesures pour déterminer quelles restrictions ou mesures pouvaient lui être offertes et n’a pas reçu de directives adéquates de la part de son aide‑comptable ou de son comptable ne justifie pas une conclusion de faute de la part du ministre.

[54] À l’audience, le demandeur a soulevé l’argument supplémentaire selon lequel sa demande s’inscrit carrément dans le Guide sur les remises, citant à l’appui des exemples inclus dans ce Guide quant aux circonstances dans lesquelles la remise serait appropriée en raison de mesures ou de conseils erronés de la part des représentants de l’ARC. Je constate toutefois que les deux exemples inclus dans le Guide sur les remises concernent des personnes qui donnent suite à des conseils réels donnés par des fonctionnaires de l’ARC qui se révèlent erronés, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

[55] Je note en outre que ces exemples dans le Guide sur les remises de l’ARC étaient précédés de l’énoncé suivant :

Pour déterminer si des mesures raisonnables ont été prises, il faut tenir compte de la situation personnelle de la personne. Par exemple, nos attentes peuvent différer pour une personne âgée, gravement malade ou peu avertie.

[56] L’argument du demandeur selon lequel la décision n’indiquait pas expressément que sa demande avait été refusée parce que son cas ne concernait pas « une personne âgée, gravement malade ou peu avertie » n’est tout simplement pas fondé, car cette expression ne fait que souligner le type de circonstances personnelles qui peuvent être prises en compte par l’ARC. Plus important encore, je conclus que le sous‑commissaire a bel et bien fait référence aux critères énoncés dans le Guide sur les remises, notamment : les résultats non voulus des dispositions législatives, les mesures ou conseils erronés des fonctionnaires de l’ARC, la situation financière extrêmement difficile ou les difficultés financières assorties de circonstances atténuantes, et j’ai conclu qu’aucun de ces critères ne s’applique à l’affaire. Le sous‑commissaire a également indiqué qu’il avait tenu compte de tous les facteurs pertinents pour déterminer [traduction] « s’il serait juste, raisonnable ou autrement dans l’intérêt public de recommander une remise », et il a décidé de ne pas le faire. Compte tenu de toutes les circonstances de la présente affaire, y compris la situation personnelle du demandeur, je ne vois aucune raison de modifier la conclusion du sous‑commissaire.

Question 3 : La décision était‑elle déraisonnable parce qu’elle ne traitait pas les affaires semblables de la même façon?

[57] Dans sa demande de remise, le demandeur soutient que la remise a été accordée à la Fondation dans des circonstances semblables. La décision précisait que le décret accordant la remise à la Fondation avait été [traduction] « pris dans des circonstances propres à cet organisme » et que, par conséquent, il [traduction] « ne constitue pas un précédent pour accorder une mesure de redressement au [demandeur] ».

[58] Certains détails concernant les procédures de remise à la Fondation ont été désignés confidentiels au vu du décret sur la confidentialité. Le décret de remise à la Fondation ainsi qu’une note explicative sont publics. Le décret de remise en date du 30 janvier 2003 prévoit :

Sur recommandation de la ministre du Revenu national et en vertu du paragraphe 23(2)a(l) de la Loi sur la gestion des finances publiques, Son Excellence la Gouverneure générale en conseil, estimant que l’intérêt public le justifie, fait remise à la Fondation du Jardin du patrimoine canadien de la somme de 21 861,35 $ au titre de la taxe payée aux termes de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise relativement à des fournitures, à condition que cette somme n’ait pas été remboursée, créditée ou remise d’aucune autre façon.

[59] La note explicative au décret de remise dit :

Le décret accorde à la Fondation du Jardin du patrimoine canadien une remise de 21 861,35 $ au titre de la taxe sur les produits et services (TPS). La fondation avait cessé d’être admissible au remboursement de cette somme pour avoir omis de présenter sa demande dans le délai prescrit en raison du temps qu’a exigé le classement des fournitures en cause.

[60] Le demandeur fait valoir que si la Fondation perdait son droit au remboursement de la taxe payée en raison du temps qu’a exigé le classement des produits en cause, le même raisonnement et le même résultat devraient s’appliquer au demandeur compte tenu de l’objectif du ministre de promouvoir l’équité et la cohérence du processus décisionnel. Le demandeur souligne que la décision ne fournit aucune raison précise de distinguer la demande de la Fondation de celle du demandeur, soutenant que les cas semblables devraient être tranchés de la même façon selon l’arrêt Vavilov, au paragraphe 129.

[61] Le demandeur présente plusieurs autres arguments qui, d’une part, tentent de dégager des similitudes entre sa cause et celle de la Fondation et d’autre part, suggèrent que la Fondation peut avoir |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||

[62] Je rejette tous les arguments avancés par le demandeur en ce qui concerne la Fondation. Ce n’est pas parce qu’une autre entité reçoit un décret de remise pour les remboursements de TPS/TVH que la remise est justifiée dans le cas du demandeur. Tant la jurisprudence que la politique de l’ARC confirment que les décrets de remise sont exceptionnels et très discrétionnaires et que chaque cas doit être évalué à la lumière des faits particuliers, en tenant compte des intérêts divergents pour déterminer si la perception de l’impôt serait déraisonnable, injuste ou autrement contraire à l’intérêt public : Waycobath, au paragraphe 18.

[63] Comme l’a également confirmé le passage cité par le demandeur de l’arrêt Vavilov, les décideurs administratifs ne sont pas liés par leurs décisions antérieures et le simple fait qu’il existe un conflit entre les décisions d’un organisme administratif ne menace pas la primauté du droit : arrêt Vavilov, au paragraphe 129.

[64] Bien que je ne sois pas tenu par ce commentaire, je note que le juge responsable de la gestion des instances Aalto a également commenté dans sa directive du 30 mars 2020 la production de documents confidentiels concernant la Fondation dans les termes suivants : |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| Je suis de cet avis.

[65] Contrairement à la présente affaire, les circonstances entourant la Fondation ne semblent pas concerner des questions médicales ou juridiques complexes qui ont été contestées devant les tribunaux ou qui ont fait l’objet d’un examen stratégique interne par l’ARC pendant des années.

[66] Le demandeur soutient que la Fondation a des arguments moins convaincants et qu’elle a tout de même obtenu un décret de remise. Le demandeur souligne quelques‑unes des raisons possibles pour expliquer cette situation :

|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||

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[67] Même si les spéculations du demandeur étaient exactes quant aux raisons pour lesquelles un décret de remise a été pris en faveur de la Fondation et même si ses circonstances étaient moins contraignantes, cela ne signifie pas que le demandeur doive conséquemment obtenir une remise.

[68] À mon avis, l’une des principales différences est que |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| Voilà qui fait davantage concorder l’affaire de la Fondation avec le type de « mesure erronée » de l’ARC pour justifier une demande de remise. Je conviens avec le défendeur que cela distingue l’affaire de la Fondation de l’affaire en cause.

[69] La décision démontre que le ministre était au courant des observations du demandeur concernant la Fondation. Toutefois, comme le défendeur le souligne, il n’y a pas eu dérogation par rapport au Guide sur les remises au moyen d’une distinction de la décision de la Fondation, puisque selon ce Guide, chaque décision doit être examinée en fonction de son bien‑fondé.

[70] Le demandeur soutient en outre que la décision manquait de transparence parce qu’elle n’a pas expliqué pourquoi les circonstances étaient propres à la Fondation. Le demandeur fait valoir qu’il n’y a rien en droit qui empêche le ministre de fournir davantage de motifs. Je rejette l’argument du demandeur.

[71] Comme l’a confirmé l’arrêt Vavilov, l’approche du caractère raisonnable doit tenir compte de « la diversité des décisions administratives en reconnaissant que ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière en cause. Ces contraintes d’ordre contextuel cernent les limites et les contours de l’espace à l’intérieur duquel le décideur peut agir, ainsi que les types de solutions qu’il peut retenir » : arrêt Vavilov, au paragraphe 90.

[72] Se fondant uniquement sur les renseignements accessibles au public qui concernent le décret de remise pris à l’égard de la Fondation et sur la note explicative qui accompagnait le décret, le demandeur a demandé que son dossier soit traité de la même façon par le ministre. Le demandeur reconnaît qu’il ne disposait d’aucun renseignement sur la situation de la Fondation. Cependant, il affirme dans sa demande de remise que son cas était semblable à celui de la Fondation. Tout cela a été fait alors que le demandeur savait pertinemment que les décrets de remise sont un « recours exceptionnel », hautement discrétionnaire, qui est fondé sur la « situation personnelle » des personnes demandant réparation.

[73] La décision traitait les observations du demandeur de façon adéquate, sans révéler de renseignements confidentiels au sujet d’un tiers, en disposant que le cas de la Fondation était propre à sa situation. À mon avis, ces motifs répondaient de façon appropriée à la simple affirmation du demandeur, en tenant compte des contraintes juridiques avec lesquelles le ministre devait composer.

[74] À l’audience, le demandeur a ajouté qu’il ignore si la demande de la Fondation aurait dû être accueillie ou si toutes les demandes de remise devraient être traitées de la même façon, mais que le ministre devrait [traduction] « être honnête avec les contribuables et simplement dire que nous modifions notre approche ». En toute déférence, c’est exactement ce qu’a fait le ministre en informant le demandeur que la décision concernant la Fondation [traduction] « ne constitue pas un précédent pour accorder une mesure de redressement aux Centres ».

[75] Le demandeur soutient également que le ministre n’a pas reçu de renseignements exacts et complets au sujet de la Fondation, citant une note manuscrite dans le rapport de l’ARC à l’Administration centrale sur les remises rédigée par le sous‑commissaire et la référence manquante à la Fondation dans le procès‑verbal du 18 décembre 2017 du Comité de l’AC sur les remises [le procès‑verbal de la réunion du Comité].

[76] Je note que ce procès‑verbal renvoie d’abord le lecteur au rapport de l’ARC à l’Administration centrale sur les remises pour obtenir « tous les détails du cas », qui contenait des renseignements sur la Fondation. Je note également l’affirmation de la Cour, dans Frank Arthur Investments Inc. c Ministre du Revenu national, 2014 CF 336, au paragraphe 38, selon laquelle le sous‑commissaire « n’était pas tenu d’examiner personnellement tous les documents au dossier » et pouvait se servir des rapports dressés par l’agent principal des décisions chargé d’enquêter sur les questions en litige et de préparer un rapport sommaire, ce qui a été fait en l’espèce.

[77] Compte tenu des faits de la présente affaire par rapport à ceux de la Fondation et compte tenu de la nature discrétionnaire d’un décret de remise, je juge qu’il est raisonnable de conclure que le décret de remise pris pour la Fondation l’a été dans des circonstances propres à cet organisme et ne constitue pas un précédent pour accorder une mesure de redressement aux Centres.

Question 4 : Le ministre a‑t‑il manqué à l’équité procédurale en ne demandant pas d’autres observations?

[78] Le demandeur soutient qu’il aurait dû avoir au moins une occasion d’aborder les conclusions de fait proposées et de commenter toute divergence apparente dans la compréhension de l’affaire par le ministre avant que la décision ne soit rendue. Le demandeur souligne qu’environ un million de dollars étaient en jeu.

[79] Plus particulièrement, le demandeur soutient que le ministre a tiré des conclusions défavorables quant à la capacité du demandeur de prendre rapidement des mesures pour éviter ou minimiser les répercussions fiscales en présentant des demandes de remboursement préventives, sans être au courant de la situation du demandeur, notamment : l’avis de l’ARC de continuer à payer l’impôt en attendant l’issue de la demande de décision (cet argument n’a pas été invoqué à l’audience, avec sagesse); la nature de l’engagement limité entre le demandeur et KPMG; l’absence de conseils donnés au demandeur par son aide‑comptable, son comptable, KPMG et l’ARC; et l’absence de publication sur la présentation de demandes de remboursement préventives.

[80] Je note que la Cour a réitéré dans Peter Easton c Agence du revenu du Canada, 2017 CF 113, au paragraphe 55, et dans de nombreux autres cas, que le régime fiscal canadien « est fondé sur l’autocotisation » et qu’il « revient au contribuable de connaître la loi et de mener ses affaires financières conformément à la Loi ».

[81] Comme le fait remarquer le défendeur, l’obligation d’équité procédurale dans une demande de remise sous le régime de la LGFP est minimale : Desgagnés Transarctik Inc c Canada (Procureur général), 2014 CAF 14 [Desgagnés] au paragraphe 35. De plus, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’obligation d’équité procédurale aurait été remplie si le décideur disposait d’un résumé des observations du demandeur et que ce dernier n’avait droit qu’à une occasion adéquate, et non optimale, d’informer le décideur de sa cause : Waycobath, au paragraphe 32.

[82] Le défendeur soutient que les exigences de l’équité procédurale ne signifient pas nécessairement un droit de présenter des observations supplémentaires. Citant la référence de l’arrêt Baker à des attentes légitimes, le défendeur soutient que rien dans le Guide sur les remises ou dans tout autre document publié ne donnerait lieu à une attente raisonnable de présenter d’autres observations : Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC) [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 26. Le défendeur cite également la décision Costabile c ADRC, 2008 CF 943 [Costabile], au paragraphe 38, dans laquelle la Cour a conclu que l’ARC n’était pas tenue de demander des renseignements supplémentaires à un demandeur qui demandait une renonciation aux pénalités et aux intérêts. En résumé, le défendeur conclut que le ministre s’est conformé au degré d’équité procédurale exigé par le demandeur dans le contexte d’un cadre décisionnel hautement discrétionnaire.

[83] Comme la jurisprudence le confirme, l’exigence d’équité procédurale dans une demande de remise est minimale : Desgagnés, au paragraphe 25. Comme le juge Russell l’a souligné dans la décision Costabile, au paragraphe 38 : « Le demandeur a eu l’occasion de soumettre des renseignements et des documents lorsqu’il a présenté sa demande fondée sur les dispositions d’équité. Selon moi, le ministre n’était pas tenu de demander d’autres renseignements, d’autres documents ou d’autres observations de la part du demandeur en l’espèce. » À mon avis, il convient d’arriver à la même conclusion en l’espèce.

[84] Le demandeur était représenté par KPMG tout au long du processus. Il a présenté une demande écrite de représentation par KPMG. Il connaissait parfaitement le Guide sur les remises et y faisait expressément référence dans sa demande de remise. KPMG a également représenté le demandeur dans sa demande de décision. En attendant la décision, KPMG a communiqué à plusieurs reprises avec l’ARC pour demander des mises à jour sur l’état de la situation et défendre les intérêts du demandeur. Rien n’empêchait le demandeur de prendre d’autres mesures ou de présenter d’autres observations, le cas échéant, pour protéger ses intérêts.

[85] Le demandeur cite la décision Mokrycke, au paragraphe 40, pour étayer sa position selon laquelle la Cour doit être convaincue que le ministre a fait ce que l’équité procédurale exige. À mon avis, la décision Mokrycke n’aide pas le demandeur. Précisons d’abord que la décision Mokrycke n’a pas été prise sur le fondement de l’équité procédurale, bien que le juge Norris ait commenté la question, car le demandeur se représentait lui‑même et ne semblait pas connaître le Guide sur les remises. Ce n’est pas le cas en l’espèce. En fin de compte, le juge Norris a conclu que la décision de refuser la remise était déraisonnable parce qu’elle ne tenait pas compte de la situation personnelle et professionnelle du demandeur et du motif pour lequel il n’était pas en mesure de répondre à la vérification de l’ARC à temps (y compris l’absence d’aide des deux comptables retenus par le demandeur). Aucune des circonstances de la décision Mokrycke ne s’applique en l’espèce.

[86] Tout comme le demandeur ne peut rejeter sur l’ARC la faute de sa décision de ne pas demander conseil sur la possibilité d’une demande préventive, je conclus de même que le ministre n’a pas enfreint l’équité procédurale en ne demandant pas d’autres observations du demandeur sur cette question avant de refuser la remise.

[87] De plus, le demandeur soutient que le ministre ne lui a pas donné l’occasion de comprendre la situation de la Fondation qui justifierait une dérogation au décret de remise accordé dans cette affaire, même si le ministre était autorisé à divulguer les renseignements nécessaires en vertu du paragraphe 295(5) de la LTA. Le défendeur ne fait aucune observation sur cette question.

[88] Le paragraphe 295(5) dispose qu’un fonctionnaire peut fournir à une personne un renseignement confidentiel qu’il est raisonnable de considérer comme nécessaire dans certaines circonstances prévues par règlement. Comme le reconnaît le demandeur, l’exigence de divulgation est permissive. Elle n’impose donc pas à l’ARC l’obligation de le faire. Comme je l’ai déjà établi, la conclusion du ministre selon laquelle les circonstances entourant la Fondation étaient propres à cet organisme était raisonnable. Dans ces circonstances, le demandeur ne m’a pas convaincue que la divulgation qu’il cherchait à obtenir relève de l’article 295(5) de la LTA.

[89] Pour tous les motifs exposés ci‑dessus, je conclus que rien ne justifie d’intervenir dans la décision.

[90] Les parties présenteront des observations sur les dépens d’ici le 30 avril 2022.

II. Conclusion

[91] La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

[92] Le défendeur pertinent en l’espèce est le procureur général du Canada. Une modification sera donc apportée.


JUGEMENT dans le dossier T‑1199‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

  2. Les parties présenteront des observations sur les dépens d’ici le 30 avril 2022.

  3. Le défendeur sera remplacé et sera dorénavant le procureur général du Canada.

« Avvy Yao‑Yao Go »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1199‑18

 

INTITULÉ :

ONTARIO ADDICTION TREATMENT CENTRES c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 FÉVRIER 2022

 

JUGEMENTS ET MOTIFS PUBLICS :

LA JUGE GO

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 MARS 2022

 

COMPARUTIONS :

Thang Trieu

Patricia Lahoud

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Brent Cuddy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Thang Trieu

Katie Patterson

KPMG Law LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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