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Date : 20000718


Dossier : T-1574-99



ENTRE :

     HON SUM CHENG

     demandeur

ET :


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur


     MOTIFS DE JUGEMENT

LE JUGE ROULEAU


[1]      Cet appel est interjeté par M. Cheng au titre du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. I-2, et de l'article 21 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7. Il porte sur la décision du juge de la citoyenneté R. Roberti, datée du 22 juillet 1999. Dans cette décision, le juge de la citoyenneté rejetait la demande de citoyenneté canadienne de Hon Sum Cheng déposée en vertu de l'article 5(1) de la Loi sur la citoyenneté.

[2]      Le demandeur, un citoyen de la Chine, est né le 27 octobre 1950. Il a reçu le statut de résident permanent au Canada le 6 mai 1994 et il a présenté une demande de citoyenneté canadienne le 5 juillet 1998. Cette demande indique qu'il s'est absenté du Canada pendant 662 jours au total entre le 8 novembre 1994 et le 8 juin 1998. Selon les calculs du bureau de la citoyenneté, il se serait absenté du Canada pendant 988 jours durant la période allant du 5 juillet 1994 au 5 juillet 1998, ce qui fait qu'il lui manquait 623 jours pour satisfaire au critère de résidence prévu par la Loi.

[3]      Le demandeur est un négociant en diamants. Il dirige ses affaires à partir de Hong Kong et voyage constamment.

[4]      L'épouse du demandeur et ses deux enfants sont devenus citoyens canadiens.

[5]      La question que je dois trancher est celle de savoir si le juge de la citoyenneté a commis une erreur en concluant que le demandeur n'avait pas satisfait au critère prévu à l'alinéa 5(1)c) de la Loi, selon lequel il doit avoir résidé au Canada pendant au moins trois ans (1 095 jours) dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande de citoyenneté canadienne.

[6]      Le demandeur soutient que bien que la Loi prévoit qu'il doit avoir résidé au Canada pendant au moins trois ans dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande de citoyenneté, ceci ne veut pas nécessairement dire qu'il devait être physiquement présent au Canada durant toute cette période. Il soutient qu'il a toujours eu l'intention de conserver sa résidence au Canada et qu'au vu de la preuve qu'il a présentée, il était en fait résident du Canada nonobstant ses absences liées à son travail.

[7]      Avant d'obtenir le droit d'établissement, le demandeur s'est acheté une maison et a déménagé tous ses meubles au Canada. Il a fermé son entreprise à Hong Kong, a pris des dispositions pour que ses enfants aillent à l'école, a ouvert des comptes bancaires, obtenu une carte d'assurance sociale, une carte de santé et un permis de conduire, et il a acheté une voiture. Dès son arrivée et pendant quelques semaines, il a cherché à établir une entreprise d'achat et de vente de diamants au Canada, mais il n'y est pas arrivé. Comme c'est le domaine qu'il connaît, il est retourné travailler sur le marché des diamants à Hong Kong. Son moyen de subsistance consiste à acheter et à revendre des diamants. Il soutient qu'il ne voyage pas seulement à Hong Kong, mais vers plusieurs autres destinations comme les États-Unis, Israël, les Philippines et la Corée. Un examen rigoureux de ses documents de voyage démontre qu'il a fait six voyages à Hong Kong, onze en Israël, et d'autres voyages vers plusieurs autres destinations y compris bon nombre vers les États-Unis.

[8]      Le défendeur soutient que je ne devrais pas intervenir dans la décision prise par le juge de la citoyenneté et que le défaut de satisfaire le critère de résidence devrait suffire à rejeter cet appel. Il suggère qu'avant de quitter le pays pour reprendre ses affaires d'achat-vente de diamants à l'étranger, le demandeur n'avait pas établi ou conservé sa résidence au Canada. Il soutient qu'il n'y a aucune preuve soumise à la Cour que le demandeur aurait cherché un emploi au Canada avant de reprendre sa carrière de négociant en diamants à Hong Kong.

[9]      Les motifs de décision du juge de la citoyenneté semblent être fondés sur sa conclusion que l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté doit être strictement respecté. Ses références à la jurisprudence semblent appuyer le point de vue que le Parlement a prévu une période de quatre ans durant laquelle un demandeur pouvait établir sa résidence, en accordant une année d'absence durant cette période, et donc qu'au minimum la présence physique doit être de 1 095 jours. Il ajoute ceci : [traduction] « À l'audience, il était clair que vous espériez pouvoir justifier à la Cour le défaut d'atteindre le nombre de jours de résidence requis. Vous savez certainement que dans certaines circonstances particulières on a jugé que des personnes répondaient à l'esprit du critère de résidence bien qu'elles aient été physiquement absentes du Canada pendant de longues périodes » .

[10]      Le juge de la citoyenneté ajoute ceci : [traduction] « Vous êtes venu au Canada en 1994 avec votre femme et vos enfants. Vous possédez une maison à Markham. Vous n'avez pu trouver un emploi satisfaisant au Canada et avez repris vos affaires à Hong Kong... Votre femme et vos enfants restent au Canada pendant vos absences. Vous vous rendez aussi en Israël et en Corée pour vos affaires... Je ne peux accueillir votre demande, puisqu'il semble que vous n'êtes qu'en visite au Canada et que vous n'y avez pas centralisé votre mode de vie » .

[11]      La jurisprudence établit clairement qu'avant qu'on puisse établir les trois années de résidence et faire une exception au critère imposé par la Loi, un demandeur doit d'abord établir qu'il a centralisé son mode de vie au Canada.

[12]      Il ne fait aucun doute que le demandeur a le fardeau de démontrer que le juge de la citoyenneté a exercé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur un principe erroné ou sur une idée complètement fausse des faits, ou pour tout autre motif incontestable. Ce n'est que dans ce cas que la Cour peut intervenir.

[13]      Il y a deux écoles de pensée quant à l'interprétation à donner au texte qui établit le critère de résidence, selon qu'on doit l'interpréter de façon stricte ou large. Le juge de la citoyenneté peut adopter l'une ou l'autre de ces écoles de pensée. Dans Koo Re (T-20-92), Mme le juge Reed expose certains critères qu'il y a lieu d'examiner, à la page 4 :

     1) la personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté;
     2) où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant;
     3) la forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu'elle n'est qu'en visite;
     4) quelle est l'étendue des absences physiques (lorsqu'il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables);
     5) l'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger);
     6) quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada: sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays.
    

[1]      Le juge de la citoyenneté n'a pas fourni une analogie claire qui pourrait me convaincre qu'il comprenait la jurisprudence ou qu'il a interprété les faits de manière raisonnable en appliquant le critère de façon stricte. On voit notamment qu'il a conclu que M. Cheng n'avait pas établi sa résidence au Canada, sans contester de quelque façon que ce soit les faits qui lui étaient présentés.

[2]      En l'instance, le juge de la citoyenneté ne semble pas s'être arrêté aux circonstances qui ont mené au retour du demandeur à Hong Kong pour y reprendre son négoce de diamants. Il n'a pas non plus fait de commentaire à ce sujet. Le demandeur est venu au Canada à l'origine dans la catégorie des investisseurs, ayant engagé quelque 250 000 $ dans un programme d'investissement. Il a ensuite vendu son entreprise à Hong Kong, a déménagé toute sa famille ici et il a acheté une maison et cherché un emploi acceptable.

[3]      Selon moi, les faits démontrent que le demandeur a conservé des attaches suffisantes avec le Canada durant ses absences.

[4]      Le demandeur était physiquement présent au Canada pendant une certaine période de temps avant ses absences. Durant cette période, il a cherché un emploi et tenté de fonder une entreprise ici. Sa famille immédiate et ses personnes à charge sont citoyens du Canada et ils y résident. On voit que lors de ses séjours ici il revient dans son pays et qu'il n'est pas seulement en visite. Il est clair qu'il maintient de bonnes attaches avec le Canada. On ne peut dire qu'il a centralisé son mode de vie à Hong Kong ou dans quelque autre pays. Ses absences sont justifiées par son travail.

[5]      L'appel est accueilli.



P. ROULEAU

JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 18 juillet 2000




Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER




No DU GREFFE :              T-1574-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :          Hon Sum Cheng c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          Le 22 juin 2000

MOTIFS DE JUGEMENT DE M. LE JUGE ROULEAU

EN DATE DU :              18 juillet 2000



ONT COMPARU


Robin L. Seligman                      POUR LE DEMANDEUR

David Tyndale                      POUR LE DÉFENDEUR



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Robin L. Seligman                      POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                 

Toronto (Ontario)






Date : 20000718


Dossier : T-1574-99


OTTAWA (Ontario), le 18 juillet 2000

EN PRÉSENCE DE : M. le juge Rouleau

ENTRE :

     HON SUM CHENG

     demandeur

ET :


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur


     JUGEMENT


[1]      L'appel est accueilli.






P. ROULEAU

JUGE



Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.

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