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Date : 20220222


Dossier : T‑1088‑21

Référence : 2022 CF 245

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 février 2022

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

CAROL NICOL DOWE

demanderesse

et

CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) [le TACRA] datée du 29 mai 2021. Le TACRA a refusé de réexaminer la décision du 6 décembre 1978 du Conseil de révision des pensions, qui a conclu que M. Robert Nicol, un ancien combattant, n’était pas admissible à une pension d’invalidité en vertu de la Loi sur les pensions, LRC 1985, c P‑6. La présente demande est déposée par son épouse survivante, Mme Carol Nicol Dowe.

Contexte

[2] Le contexte factuel n’est pas compliqué, et il n’est pas contesté. Malgré cela, cette demande de prestations de retraite a fait l’objet de plus de 10 instances antérieures depuis 1957.

[3] M. Nicol a servi comme pilote de chasse au sein de l’Aviation royale du Canada (l’ARC) de 1952 à 1957. Le 1er juillet 1954, M. Nicol était stationné à Zweibrücken, en Allemagne, avec la 3e Escadre de chasse de l’ARC. Ce jour‑là, il a participé à un pique‑nique de son unité pour célébrer la fête du Dominion (maintenant la fête du Canada). On a demandé aux officiers d’organiser leur propre déplacement dans des véhicules privés, ou on s’attendait à ce qu’ils le fassent. En route pour le pique‑nique, M. Nicol était passager, avec au moins cinq autres personnes, d’un véhicule appartenant à un autre officier, M. Alexander, et conduit par ce dernier. Un groupe d’officiers a quitté le pique‑nique dans le véhicule de M. Alexander vers 19 h ou 20 h. Ils se sont arrêtés dans un restaurant pour manger et se sont ensuite rendus dans un casino pour voir un spectacle. Le groupe a quitté le casino vers 23 h 30 pour revenir à la base. Quelques minutes après minuit, au tout début de la journée du 2 juillet 1954, la voiture a quitté la route. M. Nicol s’est fracturé l’humérus gauche, le fémur droit et le bassin, et a subi une lacération du périnée.

[4] Une commission d’enquête a été constituée le 5 juillet 1954 pour enquêter sur l’accident. Elle a reçu des déclarations sous serment de M. Alexander, de M. Nicol et d’un autre passager. Lorsqu’on leur a demandé s’ils étaient de service à l’ARC au moment de l’accident, ils ont tous répondu qu’ils ne l’étaient pas.

Commission canadienne des pensions — le 21 octobre 1958

[5] En octobre 1958, M. Nicol a demandé à la Commission canadienne des pensions [la CCP] de lui accorder une pension d’invalidité pour les blessures qu’il a subies au cours de l’accident de voiture. Dans une décision datée du 21 octobre 1958, la CCP a conclu que les blessures n’ouvraient pas droit à une pension en vertu du paragraphe 13(2) de la Loi sur les pensions (en vigueur à l’époque), car la preuve n’indiquait pas que les blessures étaient consécutives ou directement rattachées au service en temps de paix, notant la conclusion de la commission d’enquête selon laquelle M. Nicol n’était pas de service au moment de l’accident.

Commission canadienne des pensions — le 13 novembre 1959

[6] Lors d’une deuxième audience, M. Nicol a affirmé dans une lettre qu’au moment de l’accident, il revenait d’un pique‑nique organisé par l’ARC auquel il était tenu de participer et, comme l’Allemagne était toujours occupée, à sa connaissance, il était considéré comme étant de service de façon permanente. Il a également déclaré que, lorsqu’il a répondu aux questions de la commission d’enquête, il était encore très malade, était hospitalisé et n’était pas pleinement conscient de ce qu’il disait. Le 13 novembre 1959, la CCP a statué qu’elle n’avait trouvé aucun nouvel élément de preuve qui justifierait une modification de sa décision antérieure. Elle a conclu que M. Nicol n’était pas de service au moment de l’accident et que la preuve était insuffisante pour établir que les blessures étaient consécutives ou, autrement, directement rattachées au service en temps de paix au sens du paragraphe 13(2) si la Loi sur les pensions.

Comité d’appel de la Commission canadienne des pensions — le 7 mars 1960

[7] M. Nicol a interjeté appel de la décision rendue par la CCP à la suite de la deuxième audience auprès du comité d’appel de la CCP. Le 7 mars 1960, le comité d’appel a rejeté l’appel, car il n’a pas pu conclure que la preuve établissait que l’accident s’était produit dans des circonstances qui l’auraient amené à relever du paragraphe 13(2) de la Loi sur les pensions.

Comité d’examen de la Commission canadienne des pensions — le 6 octobre 1975

[8] En 1974, après des modifications à la Loi sur les pensions, LRC 1970, c P‑7, conformément à l’article 7 de la Loi modifiant la Loi sur les pensions, LRC 1970, c 22 (2e suppl), et aux paragraphes 12(2) et 12(3) de la version révisée de la Loi sur les pensions, M. Nicol a de nouveau demandé le réexamen des décisions antérieures concernant la pension. Dans une décision datée du 6 octobre 1975, la CCP a fait remarquer que la demande était fondée sur le paragraphe 12(2) de la Loi sur les pensions, en vertu duquel il doit y avoir des éléments de preuve démontrant que la blessure était consécutive ou directement rattachée au service en temps de paix, et le paragraphe 12(3), selon lequel l’invalidité est réputée être consécutive ou directement rattachée au service militaire si elle a été subie dans des circonstances particulières. La CCP a conclu que la preuve n’établissait pas que l’accident, qui a causé les invalidités faisant l’objet de la demande, était survenu dans des circonstances qui relevaient du paragraphe 12(2). L’état de M. Nicol n’était ni consécutif ni directement rattaché au service en temps de paix, et, par conséquent, la demande n’ouvrait pas droit à une pension.

Comité d’examen de la Commission canadienne des pensions — le 25 mai 1977

[9] En 1976, M. Nicol a demandé au comité d’examen de la CCP d’examiner la décision du 6 octobre 1975 de la CCP. M. Nicol a témoigné et répété qu’il croyait que la participation au pique‑nique était obligatoire et qu’il était de service au moment de l’accident. Le comité d’examen a conclu que M. Nicol n’était pas de service au moment de l’accident. Le pique‑nique s’est terminé vers 18 h ou 19 h, et M. Nicol, avec d’autres officiers, se sont rendus au casino pour manger et se rafraîchir dans un véhicule privé. Ils ont quitté le casino vers minuit et ont été impliqués dans un accident au cours de leurs déplacements. Le comité d’examen n’a pas pu trouver d’éléments de preuve indiquant que la participation de M. Nicol au pique‑nique était obligatoire. Il était convaincu, compte tenu de la preuve, que M. Nicol n’était pas de service au moment de l’accident, et il a conclu que les blessures n’ouvraient pas droit à une pension au sens des paragraphes 12(2) et 12(3) de la Loi sur les pensions, LRC 1970, c P‑7, dans sa version modifiée.

Conseil de révision des pensions — le 6 décembre 1978

[10] M. Nicol a interjeté appel auprès du Conseil de révision des pensions lequel a confirmé, le 6 décembre 1978, la décision du 25 mai 1977 du comité d’examen de la CCP. M. Nicol a soutenu que le paragraphe 12(3) de la Loi sur les pensions s’appliquait parce qu’il fallait présumer que le pique‑nique était dûment autorisé, puisque le transport des rangs était offert et que les officiers étaient censés y participer. Ainsi, les blessures subies par M. Nicol au cours l’accident de voiture devraient être considérées comme consécutives ou directement rattachées au service dans la Force régulière. Le Conseil de révision des pensions a fait remarquer qu’après le pique‑nique, [traduction] « l’appelant ou ses compagnons n’avaient aucune obligation, et [qu’]ils étaient libres de faire ce qu’ils souhaitaient et ont décidé de se lancer dans une autre aventure de leur propre chef ». Il a conclu que les blessures subies par M. Nicol se sont produites [traduction] « dans le cas d’un accident de voiture à un moment et dans les circonstances où il n’exerçait pas une fonction militaire et les invalidités qui en ont résulté ne sont pas consécutives ou directement rattachées au service dans la Force régulière ». Il a confirmé la décision du comité d’examen.

Décision de réexamen du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) — le 3 septembre 2014

[11] M. Nicol est décédé le 23 décembre 2003. En 2013, son épouse, la demanderesse, a demandé au TACRA d’examiner la décision du 6 décembre 1978 rendue par le Conseil de révision des pensions, laquelle avait été rendue près de 34 ans plus tôt. La demanderesse a présenté de nouveaux éléments de preuve et a allégué que des erreurs de fait et de droit avaient été commises. Le 3 septembre 2014, le TACRA a rejeté la demande de réexamen. Le TACRA a conclu qu’aucune erreur de fait ou de droit n’avait été commise et que les nouveaux éléments de preuve, bien que pertinents et crédibles, n’auraient pas modifié l’issue de sa décision. Le TACRA a conclu que la blessure n’était pas consécutive au service, puisque M. Nicol n’avait reçu aucun ordre ou directive l’obligeant à participer au pique‑nique.

Contrôle judiciaire par la Cour fédérale du Canada — le 24 juin 2015

[12] La demanderesse a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision du 3 septembre 2014 du TACRA, laquelle a été rejetée par le juge de Montigny dans une décision datée du 24 juin 2015 (Nicol c Canada (Procureur général), 2015 CF 785 [Nicol 2015]).

Cour d’appel fédérale

[13] La demanderesse a interjeté appel de la décision rendue le 14 juin 2015 par la Cour fédérale et a également déposé une requête en vue de faire admettre de nouveaux éléments de preuve. La requête en vue de faire admettre de nouveaux éléments de preuve a été rejetée par la juge Gleason dans une ordonnance datée du 6 janvier 2016. L’audition de l’appel par la Cour d’appel fédérale a été ajournée sine die le 3 septembre 2020.

Comité de révision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) — le 25 juillet 2018

[14] La demanderesse a de nouveau demandé au TACRA de réexaminer la décision du 6 décembre 1978 du Conseil de révision des pensions. La demanderesse a déposé de nouveaux éléments de preuve et a allégué que le Conseil de révision des pensions a commis une erreur de fait en omettant d’établir un lien montrant que les blessures étaient consécutives ou directement rattachées au service, à savoir la participation au pique‑nique de l’escadron. Dans une décision datée du 25 juillet 2018, le TACRA a rejeté la demande de réexamen. Il a analysé les nouveaux éléments de preuve et a en fin de compte conclu qu’il n’établirait pas de lien entre le service militaire et l’accident, et qu’il ne modifierait donc pas la décision du comité de révision. Il a également conclu qu’aucune erreur de fait n’avait été commise et que les allégations de la demanderesse décrivaient en fait une erreur de droit. En ce qui concerne l’allégation concernant l’erreur de droit, selon laquelle le comité d’appel n’a pas correctement appliqué les faits à la loi et n’a pas établi de lien entre l’affaire et le service, c’est‑à‑dire la participation au pique‑nique de l’escadron, le comité de révision a conclu qu’aucune erreur de droit n’avait été commise. M. Nicol a participé au pique‑nique de l’escadron, puis il a profité de rafraîchissements et d’un divertissement non militaires, et l’accident s’est produit après minuit. En appliquant la loi à ces faits, on ne peut pas établir de lien avec le service militaire. Le comité de révision a refusé de rouvrir la demande de pension d’invalidité de la demanderesse.

Comité de révision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) — le 29 mai 2021

[15] En 2020, la demanderesse a demandé pour une troisième fois au TACRA de réexaminer la décision du 6 décembre 1978 du Conseil de révision des pensions. C’est cette décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

Dispositions pertinentes

Loi sur les pensions, LRC 1985, c P‑6

21(2) En ce qui concerne le service militaire accompli dans la milice active non permanente ou dans l’armée de réserve pendant la Seconde Guerre mondiale ou le service militaire en temps de paix :

a) des pensions sont, sur demande, accordées aux membres des forces ou à leur égard, conformément aux taux prévus à l’annexe I pour les pensions de base ou supplémentaires, en cas d’invalidité causée par une blessure ou maladie — ou son aggravation — consécutive ou rattachée directement au service militaire;

21(3) Pour l’application du paragraphe (2), une blessure ou maladie — ou son aggravation — est réputée, sauf preuve contraire, être consécutive ou rattachée directement au service militaire visé par ce paragraphe si elle est survenue au cours :

f) d’une opération, d’un entraînement ou d’une activité administrative militaires, soit par suite d’un ordre précis, soit par suite d’usages ou pratiques militaires établis, que l’omission d’accomplir l’acte qui a entraîné la maladie ou la blessure ou son aggravation eût entraîné ou non des mesures disciplinaires contre le membre des forces;

Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), LC 1995, c 18 [la Loi sur le TACRA]

3 Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s’interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l’égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.

39 Le Tribunal applique, à l’égard du demandeur ou de l’appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui‑ci;

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui‑ci et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien‑fondé de la demande.

111 Le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) est habilité à réexaminer toute décision du Tribunal d’appel des anciens combattants, du Conseil de révision des pensions, de la Commission des allocations aux anciens combattants ou d’un comité d’évaluation ou d’examen, au sens de l’article 79 de la Loi sur les pensions, et soit à la confirmer, soit à l’annuler ou à la modifier comme s’il avait lui‑même rendu la décision en cause s’il constate que les conclusions sur les faits ou l’interprétation du droit étaient erronées; s’agissant d’une décision du Tribunal d’appel, du Conseil ou de la Commission, il peut aussi le faire sur demande si de nouveaux éléments de preuve lui sont présentés.

[16] En passant, je fais remarquer ici que l’alinéa 21(3)f) de la Loi sur les pensions, LRC 1985, c P‑6, appliqué par le TACRA dans la décision faisant l’objet du présent contrôle est essentiellement la même disposition que l’alinéa 12(3)f) de la Loi sur les pensions, LRC 1970, c P‑7, dans sa version modifiée, comme il a été appliqué dans les décisions antérieures décrites ci‑dessus.

Décision faisant l’objet du contrôle

[17] Le TACRA fait remarquer qu’il peut examiner toute décision de ses organes prédécesseurs, y compris le Conseil de révision des pensions, en vertu de l’article 111 de la Loi sur le TACRA lorsqu’il existe certains motifs, soit lorsque de nouveaux éléments de preuve sont présentés, qu’une erreur de fait a été constatée ou qu’une erreur de droit a été commise. De plus, ces réexamens sont un processus en deux étapes. La première est l’étape d’examen préliminaire, qui vise à déterminer s’il existe des motifs de réexamen. S’il n’existe aucun motif de réexamen, la demande de réexamen est rejetée. S’il existe au moins un motif de réexamen, le TACRA passe à la deuxième étape, soit à l’audience de réexamen.

[18] Le TACRA fait remarquer que la demanderesse a choisi de procéder à l’audience en se fondant sur des observations écrites, conformément au paragraphe 28(1) de la Loi sur le TACRA. Il a également fait remarquer que les faits n’ont pas été contestés et que le dépôt d’aucun nouvel élément de preuve n’a été demandé. Le TACRA a décrit la position de la demanderesse qui était, essentiellement, que, d’une façon ou d’une autre, dans toutes les audiences antérieures, la présomption juridique prévue au paragraphe 21(3) de la Loi sur les pensions n’avait jamais été examinée.

[19] Le TACRA a interprété l’argument de la demanderesse comme concernant une erreur de droit. Il a conclu que, même si la demanderesse avait soutenu que les décisions antérieures n’avaient pas examiné la version actuelle de l’alinéa 21(3)f) de la Loi sur les pensions, en fait, la décision du 6 décembre 1978 du Conseil de révision des pensions avait examiné la version antérieure du paragraphe 21(3), soit le paragraphe 12(3) à l’époque.

[20] Quoi qu’il en soit, le TACRA a poursuivi en examinant l’alinéa 21(3)f) pour déterminer s’il prévoyait l’établissement d’un lien avec le service militaire, c’est‑à‑dire si M. Nicol avait subi ses blessures par suite « d’usages ou pratiques militaires établis ». Le TACRA a conclu que, bien que le pique‑nique de la fête du Dominion ait pu constituer un « usag[e] ou [une] pratiqu[e] militair[e] établ[i] » et que les autorités militaires pouvaient s’attendre à ce que M. Nicol participe au pique‑nique, il n’y avait manifestement aucun lien entre le service militaire et les activités menées après que M. Nicol et les autres officiers eurent quitté le pique‑nique. Par conséquent, l’alinéa 21(3)f) ne s’appliquait pas aux circonstances de l’espèce.

[21] Le TACRA fait remarquer que, comme M. Nicol était en service en Allemagne en temps de paix lorsque l’accident s’est produit, le critère à appliquer est celui de savoir si la blessure est consécutive ou directement rattachée au service militaire. En renvoyant aux affaires Fournier c Canada (Procureur général), 2005 CF 453 [Fournier] et Canada (Procureur général) c Frye, 2005 CAF 264 [Frye], le TACRA a déclaré qu’il devait tenir compte de ce qui suit :

[traduction]

[…] toutes les circonstances de l’affaire donnée, y compris le lieu, la nature de l’activité, le degré de contrôle exercé par les autorités militaires, la question de savoir s’il était de service à ce moment‑là et tout autre facteur pertinent, pour déterminer si l’accident de l’ancien combattant est consécutif au service militaire.

[22] Le TACRA a conclu que, dans l’affaire dont il était saisi, M. Nicol revenait d’un casino tard dans la soirée, qu’il était libre de faire ce qu’il voulait à ce moment‑là et qu’il n’était pas de service. Le TACRA était d’accord avec les conclusions du juge de Montigny dans la décision Nicol 2015, où il a été déterminé ce qui suit :

[…] Les Forces armées n’ont joué aucun rôle dans la décision de M. Nicol de se rendre au pique‑nique en tant que passager dans la voiture d’un autre officier ni dans celle de se joindre à ces officiers particuliers plutôt qu’à d’autres. Les officiers devaient prendre leurs propres dispositions pour se déplacer et aucune directive ne leur avait été donnée à ce sujet.

[23] Le TACRA a conclu que, dans sa décision du 6 décembre 1978, le Conseil de révision des pensions n’avait commis aucune erreur de droit en concluant que l’accident s’était produit à un moment et dans des circonstances où M. Nicol n’exerçait aucune fonction militaire, et que les invalidités qui ont résulté de l’accident n’étaient ni consécutives ni directement rattachées au service dans la Force régulière en temps de paix.

[24] Compte tenu de cette conclusion, le TACRA a refusé de rouvrir la décision du 6 décembre 1978 à des fins de réexamen.

Question en litige

[25] La demanderesse n’énonce pas explicitement une question en litige. Le défendeur soutient, et je suis d’accord, que la question est celle de savoir si la décision du TACRA était raisonnable.

Norme de contrôle

[26] La demanderesse soutient que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Toutefois, bien qu’il faille normalement faire preuve de déférence à l’égard d’un tribunal spécialisé comme le TACRA, la présente affaire concerne l’interprétation d’usages militaires. Étant donné qu’aucun des membres du comité du TACRA n’a d’expérience militaire, le degré de déférence dont on doit faire preuve à l’égard du TACRA devrait être faible.

[27] Le défendeur soutient que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. De plus, le degré de déférence dont on doit faire preuve à l’égard d’un tribunal administratif ne dépend pas des qualifications ou de l’expérience d’un membre du tribunal en particulier, mais plutôt de l’expertise inhérente du tribunal lui‑même en tant qu’institution (citant les affaires Edmonton (Ville) c Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd, 2016 CSC 47 au para 33 [Ville d’Edmonton]; Shahzad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 999 au para 26 [Shahzad]).

[28] Il est bien établi que, pour évaluer le bien‑fondé d’une décision administrative, comme la décision rendue par le TACRA, la norme de contrôle de la décision raisonnable est présumée s’appliquer (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 23, 25, 31, 48 et 49 [Vavilov]; voir aussi Thomson c Canada (Procureur général), 2021 CF 606 au para 32). Au moment d’appliquer la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci (Vavilov, au para 99).

[29] Je suis d’accord avec le défendeur que l’expertise ou l’expérience des membres individuels du tribunal n’influe pas sur le degré de déférence dont on doit faire preuve à l’égard du tribunal.

[30] Premièrement, dans sa discussion sur la norme de la décision raisonnable dans l’affaire Ville d’Edmonton, la Cour suprême affirme que la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable « repose sur le choix du législateur de confier à un tribunal administratif spécialisé la responsabilité d’appliquer les dispositions législatives, ainsi que sur l’expertise de ce tribunal en la matière ». Cette expertise « découle de la spécialisation des fonctions des tribunaux administratifs qui, comme le Comité, appliquent un régime législatif qui leur est familier », et non de l’expertise de chaque décideur : « […] comme dans le cas des juges, l’expertise n’est pas une question touchant aux qualifications ou à l’expérience d’un membre donné d’un tribunal administratif. C’est plutôt quelque chose d’inhérent au tribunal administratif en tant qu’institution » (Ville d’Edmonton, au para 33; voir aussi Shahzad, aux para 25‑26).

[31] Deuxièmement, dans l’affaire Vavilov, la Cour suprême a adopté une présomption voulant que la norme de la décision raisonnable soit la norme applicable au contrôle des décisions administratives. Par conséquent, l’une des justifications invoquées antérieurement pour appliquer la norme de la décision raisonnable – l’expertise relative des décideurs administratifs à l’égard de la question dont ils sont saisis – ne joue plus un rôle dans la détermination de la norme de contrôle à appliquer, contrairement à dans l’analyse contextuelle qui était antérieurement requise. Toutefois, le rôle de l’expertise dans les décisions administratives continue d’être un facteur pertinent dans les contrôles selon la norme de la décision raisonnable (Vavilov, aux para 27, 28, 31 et 58), dont le processus est décrit dans l’arrêt Vavilov (aux para 73‑142). Ce contrôle vise principalement à déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. La norme de la décision raisonnable exige de la cour de justice qu’elle fasse preuve de déférence envers une telle décision » (Vavilov, au para 85).

[32] En ce qui concerne le rôle de l’expertise des décideurs administratifs dans cette analyse selon la norme de la décision raisonnable, la Cour suprême a fait remarquer qu’un décideur administratif peut démontrer, par ses motifs, qu’il a rendu une décision en mettant à contribution son expertise et son expérience institutionnelle et que « [l]’attention respectueuse accordée à l’expertise établie du décideur peut indiquer à une cour de révision qu’un résultat qui semble déroutant ou contre‑intuitif à première vue est néanmoins conforme aux objets et aux réalités pratiques du régime administratif en cause et témoigne d’une approche raisonnable » (Vavilov, au para 93).

[33] Par conséquent, l’argument de la demanderesse, selon lequel, étant donné qu’aucun des membres du comité du TACRA n’a d’expérience militaire, le degré de déférence dont on doit faire preuve à l’égard du TACRA devrait être faible, est sans fondement.

Question préliminaire – admissibilité des nouveaux éléments de preuve

[34] Dans son dossier de demande, la demanderesse a inclus l’affidavit de Nicole Bélanger‑Drapeau, une employée du Cabinet juridique Michel Drapeau, souscrit le 6 août 2021. Cet affidavit joint cinq pièces, sans aucune explication.

[35] Le défendeur soutient que l’affidavit et ses pièces sont inadmissibles. Le défendeur souligne que, en règle générale, seuls les documents dont était saisi le décideur administratif sont admissibles dans le cadre d’un contrôle judiciaire (citant Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 17 [Access Copyright]). Le défendeur soutient que les cinq pièces constituent de nouveaux éléments de preuve dont n’était pas saisi le TACRA. Les pièces 1, 2, 3 et 5 constituent de nouveaux éléments de preuve qui portent sur le bien‑fondé de la question tranchée par le TACRA, et la pièce 4 (en plus de constituer de nouveaux éléments de preuve) n’est pas pertinente quant aux questions que doit trancher la Cour.

[36] La jurisprudence établit clairement que, en règle générale, le dossier de preuve dont est saisie une cour chargée d’un contrôle judiciaire se limite au dossier de preuve dont était saisi le décideur. À quelques exceptions près, les éléments de preuve dont n’était pas saisi le décideur et qui portent sur le fond de l’affaire ne sont pas admissibles, et ce, parce que le législateur a attribué aux décideurs administratifs et aux cours de justice des rôles différents. Ce sont les décideurs administratifs, et non les cours de justice, qui ont compétence pour trancher certaines questions sur le fond. Une cour de justice ne saurait se permettre de tirer des conclusions de fait sur le fond de l’affaire.

[37] Les exceptions reconnues à cette règle générale sont un affidavit : qui contient des renseignements généraux qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui sont pertinentes pour le contrôle judiciaire, sans aller au‑delà en fournissant des éléments de preuve se rapportant au fond de la question déjà tranchée par le décideur administratif; qui porte à l’attention de la cour de révision des vices de procédure qui ne figurent pas dans le dossier de preuve du décideur administratif, de sorte que la Cour peut ainsi s’acquitter de sa tâche d’examiner les questions d’équité procédurale; ou qui fait ressortir l’absence totale d’éléments de preuve dont disposait le décideur administratif lorsqu’il a tiré une conclusion donnée (Première nation de Namgis c Canada (Pêches et Océans), 2019 CAF 149 aux para 4 et 7‑10 [Namgis]; Access Copyright, au para 20; voir aussi Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263 aux para 19‑25 [Bernard]; et Delios c Canada (Procureur général), 2015 CAF 117 au para 45 [Delios]).

[38] Les pièces jointes à l’affidavit de Mme Bélanger‑Drapeau sont les suivantes :

Pièce 1 : un extrait d’une politique régissant les congés des Forces canadiennes publiée en janvier 2009

Pièce 2 : une page du Black’s Law Dictionary comprenant la définition du mot « custom » (« usage » en français)

Pièce 3 : un document qui serait un exemple d’autorisation de congé des Forces armées canadiennes en date du 5 novembre 1945

Pièce 4 : les biographies de chacun des membres du TACRA qui ont rendu la décision faisant l’objet du contrôle

Pièce 5 : une correspondance par courriel indiquant qu’il n’y a aucune autorisation de congé dans le dossier de M. Nicol en date du 1er juillet 1954

[39] La question soulevée par la demanderesse devant le TACRA était de savoir si, en participant au pique‑nique, M. Nicol avait participé à un usage ou pratique militaire établi, au sens de l’alinéa 21(3)f) de la Loi sur les pensions. La demanderesse n’a présenté aucun nouvel élément de preuve, et aucun argument n’a été présenté au sujet d’une autorisation de congé.

[40] La demanderesse soulève, pour la première fois dans la cadre du contrôle judiciaire, l’argument selon lequel il existait un usage militaire établi voulant que les autorisations de congé délivrées expirent à minuit. Selon la demanderesse, la raison pour laquelle les officiers ont quitté le casino à 23 h 30 était l’obligation de se présenter à la base avant minuit, c’est‑à‑dire un usage militaire, et que le TACRA n’en a pas tenu compte. Les pièces 1, 3 et 5 de l’affidavit contesté étayent toutes les arguments de la demanderesse concernant cette nouvelle question.

[41] Lorsqu’elle a comparu devant moi, la demanderesse a soutenu que l’affidavit de Mme Bélanger‑Drapeau est admissible parce qu’il correspond à l’exception générale relative aux renseignements généraux. Cette position reposait sur l’argument selon lequel l’usage militaire a toujours été une question centrale dans l’affaire. La demanderesse a reconnu que les observations qu’elle a présentées devant le TACRA n’abordaient aucunement les autorisations de congé, y compris la question de savoir si la délivrance des autorisations de congé constituait un usage militaire qui obligeait M. Nicol à quitter le casino pour retourner à la base avant minuit, établissant ainsi un lien entre ce déplacement et l’accident, et le service militaire. Toutefois, elle a soutenu que cette question aurait dû être [traduction] « intuitive » pour le TACRA ou lui être [traduction] « intrinsèquement connu », et qu’elle aurait dû être connue de toute personne ayant une expérience militaire. La demanderesse soutient que la question avait été implicitement soulevée et qu’elle aurait dû être examinée par le TACRA, de sa propre initiative, parce que, dans un énoncé de cas daté du 26 octobre 1976, on renvoie à une pièce 3, à savoir un rapport sur les blessures accidentelles ou auto‑infligées ou les décès immédiats, dont un résumé indique que M. Nicol n’était pas de service au moment de l’accident et qu’il était en congé payé. Si j’ai bien compris l’argument, la demanderesse affirme que l’affidavit de Mme Bélanger‑Drapeau est admissible puisqu’il établit l’existence d’un usage qui n’a pas été pris en compte auparavant.

[42] Cet argument ne peut pas être retenu.

[43] D’abord, l’affidavit de Mme Bélanger‑Drapeau ne correspond pas à l’exception relative aux renseignements généraux. Dans l’affaire Bernard, le juge Stratas a réexaminé la règle générale, et a renvoyé aux décisions antérieures de la Cour d’appel fédérale dans les affaires Access Copyright, Connolly c Canada (Procureur général), 2014 CAF 294 et Delios, et il a précisé les trois exceptions reconnues. En ce qui concerne l’exception relative aux renseignements généraux, il a déclaré ce qui suit :

[23] L’exception des renseignements généraux existe parce qu’elle s’accorde entièrement avec la logique de la règle générale et les valeurs du droit administratif plus globalement. Elle respecte les rôles propres au décideur administratif et à la cour de révision, les rôles du juge du fond et du juge de révision et, de ce fait, la séparation des pouvoirs. Les renseignements généraux exposés dans l’affidavit ne représentent pas de nouveaux renseignements sur le fond. Ils se bornent à résumer la preuve dont était saisi le juge du fond, c'est‑à‑dire le décideur administratif. Rien n’incite le juge de révision à s’immiscer dans le rôle du décideur administratif en tant que juge du fond, rôle assigné à celui‑ci par le législateur. Ajoutons que l’exception des renseignements généraux facilite à la Cour la tâche consistant à contrôler une décision administrative (soit la tâche de voir à la primauté du droit) en relevant, récapitulant et mettant en évidence les éléments de preuve les plus utiles dans cette tâche.

(Non souligné dans l’original.)

[44] Dans la décision Delios, le juge Stratas a déclaré ce qui suit :

[45] L’exception des « renseignements généraux » vise les observations purs et simples propres à diriger la réflexion du juge réformateur afin qu’il puisse comprendre l’historique et la nature de l’affaire dont le décideur administratif était saisi. Dans les procédures de contrôle judiciaire visant les décisions administratives complexes se rapportant à des procédures et des faits compliqués, étayées par des centaines ou des milliers de documents, le juge réformateur trouve utile de recevoir un affidavit qui passe brièvement en revue, d’une manière neutre et non controversée, les procédures qui se sont déroulées devant le décideur administratif, et les catégories de preuves que les parties ont présentées à l’administrateur. Dans la mesure où l’affidavit ne s’engage pas dans une interprétation tendancieuse ou une prise de position – rôle de l’exposé des faits et du droit –, il est recevable à titre d’exception à la règle générale.

[46] Toutefois, « [o]n doit s’assurer que l’affidavit ne va pas plus loin en fournissant des éléments de preuve se rapportant au fond de la question déjà tranchée par le tribunal administratif, au risque de s’immiscer dans le rôle que joue le tribunal administratif en tant que juge des faits et juge du fond » : Access Copyright, précité, au paragraphe 20a).

[45] La Cour d’appel fédérale a également abordé la question de la production d’une nouvelle preuve par affidavit dans l’affaire Nicol v Attorney General, dossier no A‑405‑15 (appel de la décision du 3 septembre 2014 du TACRA). La Cour a conclu ce qui suit :

[traduction]

Sous réserve de quelques exceptions limitées qui ne sont pas applicables en l’espèce, les éléments de preuve dont n’était pas saisi le tribunal de première instance [en l’espèce, le TACRA] ne sont pas admissibles dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire ou d’un appel d’une décision du tribunal de première instance rendue dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire [citant Access Copyright] […]. De nouveaux éléments de preuve ne sont pas admissibles dans les présentes circonstances parce qu’un appel ou un contrôle judiciaire n’implique pas un réexamen des allégations des parties sur le fond, mais plutôt une évaluation de la question de savoir si le tribunal a commis une erreur susceptible de contrôle. Comme le TACRA n’était pas saisi des affidavits que l’appelante cherche à inclure, ces affidavits ne sont pas pertinents quant à la question de savoir si la décision du TACRA devrait être annulée. Les requêtes de l’appelante doivent donc être rejetées.

(Non souligné dans l’original.)

[46] L’affidavit de Mme Bélanger‑Drapeau lui‑même n’offre aucune explication quant à son objectif ou à l’objectif des cinq pièces jointes. À mon avis, les pièces 1, 2, 3 et 5 constituent de nouveaux éléments de preuve qui se rapportent au bien‑fondé de la question plus large dont était saisi le TACRA – soit la question de savoir si un réexamen était justifié parce qu’une erreur avait été commise dans la décision du 6 décembre 1978 en ne tenant pas compte de la question de savoir si M. Nicol était visé par l’alinéa 21(3)f) de la Loi sur les pensions. Le TACRA a ensuite examiné par lui‑même si M. Nicol était visé par l’alinéa 21(3)f) et, compte tenu de la preuve dont il était saisi, a conclu qu’il ne l’était pas.

[47] En résumé, les pièces 1, 2, 3 et 5 constituent de nouveaux éléments de preuve qui se rapportent au fond de la décision du TACRA, ce dernier n’était pas saisi de ces éléments de preuve, et les pièces ne fournissent pas de renseignements généraux et ne correspondent à aucune des exceptions limitées à la règle générale. L’affidavit et ces pièces ne sont pas admissibles sur ce fondement.

[48] En ce qui concerne la pièce 4, c’est‑à‑dire les biographies des membres du comité du TACRA, la demanderesse la présente à l’appui de l’argument selon lequel le comité du TACRA qui a tranché son dossier n’avait aucune expertise militaire et qu’on devrait donc faire preuve d’un degré élevé de déférence à l’égard de la décision. Comme il est discuté ci‑dessus relativement à la norme de contrôle, cet argument est sans fondement. Les éléments de preuve ne sont donc pas pertinents quant au présent contrôle judiciaire.

[49] De plus, comme le montrent les observations présentées par la demanderesse dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, les pièces 1, 2, 3 et 5 visent et servent à étayer l’argument de la demanderesse selon lequel le TACRA [traduction] « n’a pas tenu compte des conditions réelles de l’autorisation de congé militaire, dans sa version en vigueur en 1954, et de ce que l’usage aurait exigé d’un militaire servant à l’étranger ». Pourtant, le TACRA n’a pas été saisi de cette question ni des pièces de l’affidavit de Mme Bélanger‑Drapeau.

[50] En ce qui concerne ce point, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit dans la décision Namgis :

[12] Il arrive parfois que les parties tentent de soulever, devant la cour de révision de première instance, des questions qui auraient dû d’abord être soumises à l’examen du décideur administratif, puis tentent de présenter des éléments de preuve à l’appui de ces nouvelles questions. Les cours de révision sont, à juste titre, très réticentes à entendre de nouvelles questions : Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; relativement à l’examen de nouvelles questions constitutionnelles, voir Okwuobi c. Commission scolaire Lester‑B.‑Pearson; Casimir c. Québec (Procureur général); Zorrilla c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 16, [2005] 1 R.C.S. 257, et Forest Ethics Advocacy Association c. Canada (Office national de l’énergie), 2014 CAF 245, [2015] 4 R.C.F. 75, aux paragraphes 43 à 47. Il en est ainsi du fait notamment de la règle générale expliquée plus haut selon laquelle la cour de révision ne peut pas normalement admettre des éléments de preuve autres que ceux qui ont été présentés au décideur administratif. Cette règle respecte également la position du législateur, qui a investi le décideur administratif, et non notre Cour, du pouvoir de trancher les questions en litige.

[51] À mon avis, comme il en sera discuté ci‑dessous, la présente affaire correspond à cette situation. Les pièces 1, 2, 3 et 5 sont donc également inadmissibles puisqu’elles sont présentées à l’appui d’un nouvel argument dont n’était pas saisi le TACRA. De plus, à ce titre, les nouveaux éléments de preuve ne sont pas pertinents pour trancher la présente demande de contrôle judiciaire.

[52] Je conclus que l’affidavit de Mme Bélanger‑Drapeau, ainsi que ses pièces, sont inadmissibles.

La décision du TACRA est‑elle raisonnable?

[53] En s’appuyant sur les pièces 1, 2, 3 et 5 de l’affidavit de Mme Bélanger‑Drapeau, la demanderesse soutient que le TACRA n’a tenu compte ni des conditions réelles des autorisations de congé militaire, dans leur version en vigueur en 1954, ni de l’usage que devait respecter un militaire en service à l’étranger à cette époque. La demanderesse soutient qu’un usage militaire habituel veut que M. Nicol et les autres officiers aient reçu des autorisations de congé, que ces autorisations expiraient habituellement à minuit, et que la raison pour laquelle M. Nicol et les autres officiers ont quitté le casino à 23 h 30 était pour retourner à la base avant minuit. Par conséquent, selon ce raisonnement, l’accident de voiture qui a causé les blessures de M. Nicol est suffisamment rattaché au service pour justifier une indemnisation en vertu de l’article 21 de la Loi sur les pensions, puisqu’il est directement rattaché à un usage militaire établi. La demanderesse soutient que la présente affaire est similaire aux affaires Fawcett c Canada (Procureur général), 2012 CF 750 [Fawcett 2012], et Frye, où les demanderesses ont participé à des activités rattachées à un but militaire par l’entremise d’ordres ou de politiques.

[54] Le défendeur soutient que la décision du TACRA est raisonnable. De plus, bien que la demanderesse soutienne que le TACRA a commis une erreur dans son application de l’alinéa 21(3)f) de la Loi sur les pensions en omettant de tenir compte des conditions des autorisations de congé militaire, aucun élément de preuve ou observation à cet effet n’a été présenté au TACRA. Par conséquent, cet argument n’est pas pertinent quant au contrôle de la décision du TACRA selon la norme de la décision raisonnable et ne devrait pas être examiné par la Cour dans le cadre du contrôle judiciaire. Le défendeur soutient également que les affaires Fawcett 2012 et Frye se distinguent toutes les deux en raison de leurs faits, et que la présente affaire est plus analogue à l’affaire Greene‑Kelly c Canada (Procureur général), 2018 CF 1188 [Greene‑Kelly].

Analyse

[55] Comme le fait remarquer le TACRA dans sa décision, en vertu de l’article 111 de la Loi sur le TACRA, il devait déterminer si la décision du 6 décembre 1978 contenait une erreur de droit ou une erreur de fait, ou si de nouveaux éléments de preuve justifiaient le réexamen de la décision. Ce sont les seuls motifs qui, si l’existence d’un de ceux‑ci est établie, justifieraient le réexamen de la décision.

[56] Le TACRA fait remarquer que la demanderesse n’a présenté aucun nouvel élément de preuve à l’appui de sa demande de réexamen. De plus, même si la case [traduction] « erreur de fait » a été cochée dans la demande, aucun argument précis n’a été présenté à l’appui de ce motif. En ce qui concerne le dernier motif, soit l’erreur de droit, le TACRA a déclaré que la demanderesse alléguait qu’en vertu de l’alinéa 21(3)f) de la Loi sur les pensions, on aurait dû conclure que M. Nicol était de service au moment de l’accident.

[57] L’alinéa 21(3)f) prévoit ce qui suit :

21(3) Pour l’application du paragraphe (2), une blessure ou maladie – ou son aggravation – est réputée, sauf preuve contraire, être consécutive ou rattachée directement au service militaire visé par ce paragraphe si elle est survenue au cours :

f) d’une opération, d’un entraînement ou d’une activité administrative militaires, soit par suite d’un ordre précis, soit par suite d’usages ou pratiques militaires établis, que l’omission d’accomplir l’acte qui a entraîné la maladie ou la blessure ou son aggravation eût entraîné ou non des mesures disciplinaires contre le membre des forces;

[58] Le TACRA a d’abord conclu que, contrairement à l’argument de la demanderesse selon lequel l’alinéa 21(3)f) n’avait été examiné par aucun des décideurs précédents, le Conseil de révision des pensions (appelée le comité d’appel par le TACRA) a examiné la version antérieure de la disposition, qui constituait le paragraphe 12(3) de la Loi sur les pensions à l’époque. Le TACRA a noté la conclusion du Conseil de révision des pensions (dans sa décision du 6 décembre 1978) selon laquelle :

[traduction]

Le Conseil conclut, en se fondant sur les éléments de preuve, que l’appelant ou ses compagnons n’avaient aucune obligation de retourner directement à leur base et qu’après le pique‑nique, ils étaient libres de faire ce qu’ils souhaitaient et ont décidé de se lancer dans une autre aventure de leur propre chef.

[59] Comme l’a fait remarquer le défendeur, le paragraphe 12(3) a également été examiné dans les décisions rendues le 6 octobre 1975 et le 25 mai 1977.

[60] Quoi qu’il en soit, le TACRA a ensuite examiné la question de savoir si l’alinéa 21(3)f) prévoyait un lien avec le service militaire. En évaluant l’argument de la demanderesse selon lequel les blessures ont été subies par suite d’un usage établi, soit la participation au pique‑nique, le TACRA a conclu ce qui suit :

[traduction]

Bien que le comité reconnaisse que le pique‑nique de la fête du Dominion ait pu constituer un usage ou pratique militaire établi et que les militaires pouvaient s’attendre à ce que l’ancien combattant participe au pique‑nique, il n’y avait manifestement aucun lien entre le service militaire et les activités menées après que l’ancien combattant et d’autres personnes eurent quitté le pique‑nique. Par conséquent, l’alinéa 21(3)f) ne s’appliquerait pas aux circonstances de l’espèce.

[61] Le TACRA a fait remarquer qu’il y avait une différence cruciale entre le service en temps de paix et le service en temps de guerre ou le service spécial. En temps de paix, le principe de l’indemnisation prévoit qu’un militaire est admissible à une pension d’invalidité pour une invalidité causée par une blessure consécutive ou directement rattachée à un service militaire. En ce qui concerne le service en temps de guerre et le service spécial, le principe de l’assurance s’appliquerait, lequel prévoit qu’un militaire est admissible à une pension d’invalidité pour une invalidité causée par une blessure – ou son aggravation – qui est survenue au cours du service en temps de guerre ou du service spécial. Dans ces circonstances, les militaires bénéficient d’une protection 24 heures par jour, tous les jours de la semaine, et doivent seulement démontrer que leur invalidité est apparue durant la période admissible de service. Contrairement au principe de l’indemnisation, le militaire n’est pas tenu d’établir un lien de cause à effet entre l’invalidité et le service militaire (conformément aux alinéas 21(1)a) et b) de la Loi sur les pensions, et aux paragraphes 2(1) et 45(1) de la Loi sur le bien‑être des vétérans).

[62] Étant donné qu’au moment de l’accident, M. Nicol était en service en Allemagne en temps de paix, le TACRA a conclu que le critère applicable est celui de savoir si la blessure est consécutive ou directement rattachée au service militaire.

[63] Renvoyant aux affaires Fournier et Frye, le TACRA a déclaré qu’il avait tenu compte de toutes les circonstances de l’affaire dont il était saisi, y compris le lieu, la nature de l’activité, le degré de contrôle exercé par les autorités militaires, la question de savoir si M. Nicol était de service à ce moment‑là et tout autre facteur pertinent, pour déterminer si l’accident est consécutif au service militaire. Le TACRA a conclu que les circonstances dont il était saisi étaient que M. Nicol revenait d’un casino tard dans la soirée, qu’il était libre de faire ce qu’il voulait à ce moment‑là et qu’il n’était pas de service.

[64] En ce qui concerne l’argument de la demanderesse selon lequel M. Nicol n’avait aucun contrôle sur son moyen de transport, le TACRA a déclaré qu’il était d’accord avec les conclusions de la Cour dans la décision Nicol 2015 et a cité le paragraphe 35 de cette décision.

[65] Je fais remarquer que, dans la décision Nicol 2015, le juge de Montigny a conclu ce qui suit :

[32] Je reconnais en outre que le service militaire ne se limite pas uniquement à donner et à recevoir des ordres, et que les officiers sont invités, au moins de manière implicite, à assister à des réunions sociales comme à un pique‑nique le Jour du Canada, en particulier, au cours d’une époque stressante comme l’était la Guerre froide, au cours de laquelle les officiers devaient composer avec une importante pression. En fait, le Conseil de révision des pensions a été jusqu’à mentionner que la décision aurait fort bien pu être différente si les blessures subies par le mari de la demanderesse s’étaient produites au cours du pique‑nique ou sur le chemin du retour, s’il était retourné directement à sa base.

[33] Le Conseil de révision des pensions a toutefois conclu que le lien potentiel avec le service militaire a été rompu lorsque le mari de la demanderesse et ses camarades se sont arrêtés sur le chemin du retour pour manger dans un restaurant et pour assister à un spectacle au casino. À mon avis, le TAC pouvait raisonnablement confirmer cette décision et juger que les faits qui s’étaient produits entre temps avaient rompu le lien de causalité qui aurait pu exister entre le service militaire de M. Nicol et ses blessures.

[34] La demanderesse répond que son mari partageait une voiture avec d’autres officiers, y compris avec son commandant, et qu’il ne disposait d’aucun autre moyen de transport pour revenir à la base. En tant que passager, ce n’était pas lui qui décidait de faire un arrêt dans le restaurant ou au casino. Malheureusement, il existe très peu d’éléments de preuve à ce sujet, si ce n’est le fait que l’on s’attendait à ce que les officiers prennent leurs propres dispositions pour se rendre au pique‑nique; nous ne savons même pas si M. Nicol est revenu avec les mêmes officiers avec lesquels il s’était rendu au pique‑nique.

[35] Si M. Nicol avait conduit sa propre voiture pour se rendre au pique‑nique et qu’il s’était arrêté au retour pour manger, boire et aller au casino, il serait évident, selon moi, que le lien exigé entre ses blessures et son service militaire serait absent. À mon avis, le fait qu’il ait eu le malheur de demander de rentrer à la base avec ses collègues officiers dans une voiture dont le conducteur s’est endormi et a eu un accident ne compense pas l’absence d’un lien de causalité. Les Forces armées n’ont joué aucun rôle dans la décision de M. Nicol de se rendre au pique‑nique en tant que passager dans la voiture d’un autre officier ni dans celle de se joindre à ces officiers particuliers plutôt qu’à d’autres. Les officiers devaient prendre leurs propres dispositions pour se déplacer et aucune directive ne leur avait été donnée à ce sujet.

(Non souligné dans l’original.)

[66] Le TACRA a conclu, après avoir tenu compte de toutes les circonstances, que les blessures subies par M. Nicol au cours l’accident de voiture n’étaient ni consécutives ni directement rattachées au service militaire. Après avoir examiné l’alinéa 21(3)f) de la Loi sur les pensions, ainsi que la jurisprudence concernant le paragraphe 21(2), le TACRA a conclu que le Conseil de révision des pensions (c’est‑à‑dire le comité d’appel) n’avait commis aucune erreur de droit en concluant que l’accident s’était produit à un moment et dans des circonstances où M. Nicol n’exerçait aucune fonction militaire et que les invalidités qui en ont résulté n’étaient ni consécutives ni directement rattachées au service dans la Force régulière.

[67] En l’absence d’une erreur de fait ou de droit, le TACRA a refusé de rouvrir la décision.

[68] Dans ses observations écrites, la demanderesse ne conteste aucune de ces conclusions. Elle n’affirme pas qu’elles sont déraisonnables.

[69] En fait, la demanderesse soulève un argument tout à fait nouveau : le TACRA aurait commis une erreur dans son application de l’alinéa 21(3)f) en omettant de tenir compte de l’existence d’un usage militaire établi voulant que les autorisations de congé expirent à minuit. Selon la demanderesse, la raison pour laquelle les officiers ont quitté le casino à 23 h 30 était l’obligation de se présenter à la base avant minuit, c’est‑à‑dire un usage militaire, et que le TACRA n’en a pas tenu compte. Toutefois, comme il a été mentionné ci‑dessus, elle a présenté cet argument devant le TACRA et n’a présenté aucun élément de preuve à cet égard lorsqu’elle a demandé le réexamen. Elle tente maintenant d’étayer ce nouvel argument en se fondant sur de nouveaux éléments de preuve dont n’était pas saisi le TACRA et, en s’appuyant sur ces nouveaux éléments de preuve, elle affirme que la décision de refuser le réexamen était déraisonnable. Cet argument ne peut pas être retenu.

[70] Premièrement, on ne peut pas conclure que le TACRA a commis une erreur en omettant d’aborder un argument ou un élément de preuve dont il n’était pas saisi (Leblanc c Canada (Procureur général), 2019 CF 959 au para 28; Nowoselsky c Canada (Procureur général), 2007 CF 1065 au para 108; Odunsi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 208 aux para 18 et 24).

[71] Deuxièmement, comme le souligne le défendeur, bien que le TACRA doive appliquer les règles de preuve énoncées à l’article 39 de la Loi sur le TACRA, celles‑ci ne s’appliquent pas isolément (Whitty c Tribunal des anciens combattants (révision et appel), 2019 CF 1125 au para 55). Il incombe toujours à la demanderesse d’établir, selon la prépondérance des probabilités, les faits nécessaires pour ouvrir droit à une pension (Canada (Procureur général) c Wannamaker, 2007 CAF 126 au para 5). En l’espèce, les faits dont était saisi le TACRA n’ont pas été remis en question. Le TACRA n’était pas saisi, lorsqu’il a rendu sa décision, des faits que la demanderesse cherche maintenant à établir et à invoquer à l’appui de son nouvel argument. Même l’application ou l’interprétation la plus libérale de l’article 39 n’aide pas la demanderesse dans ces circonstances.

[72] Troisièmement, lorsqu’elle a comparu devant moi, la demanderesse a soutenu que le TACRA avait commis une erreur en concluant que, lorsque M. Nicol revenait tard dans la nuit d’un casino, il était alors libre de faire ce qu’il voulait et qu’il n’était pas de service au moment de l’accident. Autrement dit, tout lien avec le service militaire a été rompu quand il a quitté le pique‑nique. Selon la demanderesse, cette erreur était attribuable au fait que les nouveaux éléments de preuve (inadmissibles) étayent le fait que M. Nicol était en congé à ce moment‑là, et le TACRA n’a pas tenu compte de cette situation. En fin de compte, la demanderesse a reconnu que, si l’affidavit de Mme Bélanger‑Drapeau était inadmissible, l’ensemble de ses arguments sont sans fondement.

[73] Quatrièmement, le nouvel argument équivaut à une demande de nouvelle instruction plutôt qu’à une demande de contrôle judiciaire de la décision du TACRA par la Cour. Ce n’est pas le rôle de la Cour de procéder à une évaluation de novo de la demande de la demanderesse (Vavilov, aux para 83, 116 et 125). Compte tenu de cela, le nouvel argument n’est pas non plus pertinent quant à l’évaluation de la décision du TACRA selon la norme de la décision raisonnable.

[74] Par conséquent, je suis d’accord avec le défendeur que le nouvel argument ne devrait pas être pris en compte dans l’examen de la présente demande de contrôle judiciaire de la décision du TACRA (Namgis, au para 12; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 aux para 23‑26).

[75] Enfin, compte tenu de mes conclusions ci‑dessus, je n’ai pas à examiner l’argument de la demanderesse selon lequel la présente affaire ressemble étroitement aux affaires Fawcett 2012 et Frye. De plus, la demanderesse n’a pas présenté au TACRA d’observations fondées sur ces affaires lorsqu’elle a demandé le réexamen. En fait, les observations de la demanderesse semblent alléguer que la Cour a commis des erreurs dans l’affaire Nicol 2015 (ces allégations ne pourraient être examinées que par la Cour d’appel fédérale, et non par le TACRA).

[76] Quoi qu’il en soit, comme le souligne le défendeur, la décision Fawcett 2012 sur laquelle s’est appuyée la demanderesse a donné lieu à un nouvel examen (pour des motifs d’équité procédurale), par suite duquel on a conclu que la demanderesse n’était pas de service et que ses blessures n’étaient pas consécutives à son service militaire. Cette décision a été contestée dans le cadre d’un contrôle judiciaire, mais la Cour fédérale (Fawcett c Canada (Procureur général), 2017 CF 1071) et la Cour d’appel fédérale (Fawcett c Canada (Procureur général), 2019 CAF 87) ont toutes deux confirmé le caractère raisonnable de la décision, et l’autorisation d’appel a été refusée par la Cour suprême du Canada (Kimberly Y Fawcett c Procureur général (de)du Canada, 2019 CanLII 101524 (CSC)).

[77] En ce qui concerne l’affaire Frye, je suis d’accord avec le défendeur qu’il est possible de la distinguer sur le plan factuel. Dans cette affaire, le supérieur de l’intimée avait approuvé une politique de loisir et de détente afin d’éviter que les soldats ne s’épuisent. De plus, l’intimée était de service 24 heures par jour, sept jours par semaine, dans une zone à risque élevé. L’activité en question avait un lien de causalité avec le service actif en raison de la politique de loisir. Bien que la demanderesse tente d’assimiler l’existence d’une politique établie à [traduction] « la délivrance d’une autorisation de congé pour célébrer la fête nationale du Canada » et, par conséquent, de convaincre qu’elle est suffisamment rattachée au service militaire, cet argument n’a pas été présenté devant le TACRA.

[78] Je souligne également que le TACRA a tenu compte des facteurs décrits dans les décisions Frye et Fournier, et qu’il a expliqué pourquoi les circonstances des blessures de M. Nicol n’ont pas démontré un lien suffisant avec le service militaire. Enfin, je suis d’accord avec le défendeur que la présente affaire ressemble en fait davantage à l’affaire Greene‑Kelly.

Conclusion

[79] Le nouvel argument de la demanderesse selon lequel le TACRA a commis une erreur en omettant d’examiner la question de savoir si la délivrance d’une autorisation de congé constitue un usage militaire ne sera pas examiné en vue de statuer sur la présente demande de contrôle judiciaire de la décision du TACRA.

[80] Je suis d’accord avec le défendeur que le TACRA a raisonnablement rejeté la demande de réexamen de la demanderesse, en concluant que le Conseil de révision des pensions n’a pas commis d’erreur de droit dans sa décision du 6 décembre 1978. La décision du TACRA était transparente, intelligible et justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques auxquelles le TACRA était assujetti (Vavilov, au para 99).

[81] Le défendeur ne demande pas de dépens, et, par conséquent, aucuns ne seront adjugés.


JUGEMENT dans le dossier T‑1088‑21

LA COUR STATUE que :

  1. la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. aucuns dépens ne sont adjugés.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1088‑21

 

INTITULÉ :

CAROL NICOL DOWE c CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Tenue par vidéoconférence au moyen de Zoom

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 février 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 FÉVRIER 2022

 

COMPARUTIONS :

Joshua M. Juneau

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Emma Gozdzik

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet juridique Michel Drapeau

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Ministère de la Justice

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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