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Date : 20040819

Dossier : IMM-6658-03

Référence : 2004 CF 1156

Toronto (Ontario), le 19 août 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

                                                     NAVEED AHMAD SHAIKH

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                M. Naveed Ahmad Shaikh a soulevé deux questions en litige concernant la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), motifs datés du 22 juillet 2003, qui a rejeté sa demande d'asile selon laquelle il était un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger. M. Shaikh fait valoir que les conclusions de la Commission quant à la crédibilité et à l'invraisemblance étaient manifestement déraisonnables et que la Commission n'a pas tenu compte des éléments de preuve objectifs relativement au risque de persécution envers les adhérents à la foi chiite au Pakistan. Pour les motifs ci-dessous, j'ai conclu qu'aucun des moyens invoqués n'était fondé et la présente demande sera donc rejetée.

[2]                La Commission a accepté l'identité du demandeur en tant que musulman chiite du Pakistan. Toutefois, elle a conclu que plusieurs aspects de son témoignage n'étaient pas crédibles et que la preuve présentée par le demandeur était invraisemblable. La Commission a tiré les conclusions suivantes :

- le demandeur a témoigné au sujet d'incidents majeurs et a donné des détails sur son rôle au lieu de culte local où il se rend, l'Imambargah, lesquels avaient été omis dans le récit que contient son Formulaire de renseignements personnels (le FRP), comme par exemple :

- il a pris publiquement la parole au sujet de l'intimidation et des agressions perpétrées par le Sipah-e-Sahaba (le SSP) en août 1999;

- il a recueilli des dons en argent en allant dans les maisons de musulmans chiites, il a organisé les funérailles de martyrs, il a prononcé des discours lors de rassemblements et il a exprimé les préoccupations qu'il avait au sujet de la corruption policière;

- plus particulièrement, il s'est élevé contre la corruption policière lors d'un rassemblement qu'il avait lui-même organisé en août 1999;

- on lui a offert à plusieurs reprises un poste au service des finances de son Imambargah mais il a refusé, ne voulant pas remplacer le secrétaire aux finances qui était un homme âgé;


- il était sur la « liste des victimes ciblées » par le SSP;

- le SSP lui avait demandé de renier sa foi chiite;

[3]                La Commission n'a pas accepté l'explication donnée par le demandeur quant aux raisons pour lesquelles il n'avait pas mentionné ces événements dans son FRP, à savoir que l'expression « participation active » utilisée dans son FRP résumait le tout ou qu'il avait commis une erreur en ne mentionnant pas ces détails. La Commission a conclu que ces omissions constituaient des éléments importants, se trouvant « au coeur » de sa demande d'asile, que le demandeur était instruit, qu'il pouvait lire et comprendre l'anglais et qu'il se trouvait au Canada depuis le 26 janvier 2001, alors que son FRP a été rempli et signé un peu moins d'un an plus tard, en décembre 2001.


[4]                La Commission a fait remarquer que le demandeur avait fourni diverses raisons pour lesquelles il n'avait pas de reçu pour son don de 50 000 roupies en décembre 2000, alors qu'il avait un reçu antérieur pour un don de 500 roupies. La Commission a donc conclu que cet événement avait été inventé afin d'établir le bien-fondé de sa demande d'asile. La Commission a également conclu que le FRP du demandeur avait été modifié lors de l'audience pour énoncer que la police avait promis de préparer un PRI contre le SSP après l'incident du 6 décembre 2000, au lieu d'énoncer que la police avait décidé de préparer un PRI contre le SSP. Compte tenu de l'éducation et de la connaissance de l'anglais du demandeur, la Commission n'a pas accepté son explication selon laquelle une erreur avait été commise au départ lors de la préparation de son FRP. En raison de tous ces doutes quant à la crédibilité, la Commission n'a accordé aucun poids au rapport médical présenté par le demandeur.

[5]                La Commission a également fait remarquer que le demandeur avait admis ne pas avoir pris les menaces initiales de juillet 1999 au sérieux et que cet aveu d'absence de crainte subjective en juillet 1999 était « révélateur » , puisque si ces menaces avaient vraiment eu lieu de la manière que le demandeur les avait décrites, la Commission estimait alors que cette absence de crainte n'était pas plausible. La Commission a également conclu qu'il n'était pas plausible que le demandeur n'ait pas pris de précautions, en réduisant ses activités auprès de l'Imambargah, et n'ait pas insisté pour faire un don privé à l'Imambargah, compte tenu du fait qu'il aurait été antérieurement la cible de menaces et d'agressions de la part du SSP.

ANALYSE

[6]                M. Shaikh fait valoir que la Commission a commis une erreur en concluant que son témoignage n'était pas crédible ou plausible, étant donné qu'il avait déclaré dans son FRP qu'il était impliqué [traduction] « dans une très grande mesure » auprès de son Imambargah et qu'il avait également décrit sa participation comme « active » . Par conséquent, il soutient que son FRP ne contredit pas son témoignage mais simplement que son témoignage a été plus précis en donnant beaucoup de détails concernant ces déclarations et que la conclusion de la Commission tirée contre lui relativement à ces présumées omissions est déraisonnable.


[7]                Le demandeur soutient également que la Commission a tiré une inférence défavorable déraisonnable de la modification apportée à son FRP, puisqu'un mot manquant, conséquence d'une mauvaise communication avec l'interprète, a changé le sens de la phrase. Le demandeur prétend également qu'il a fourni une explication raisonnable quant aux raisons pour lesquelles il n'avait pas mentionné dans son FRP le fait qu'il avait pris la parole lors du rassemblement d'août 1999, puisque dans son FRP, il s'était concentré sur les incidents qui impliquaient des actes de violence dirigés contre lui-même ou ses biens. De plus, la conclusion de la Commission quant à l'invraisemblance au sujet du reçu pour le don était déraisonnable, puisque le demandeur a témoigné que son magasin avait été pillé, que des documents avaient donc été égarés et que, comme il était pieux, il n'avait pas besoin de reçu. Le demandeur invoque la décision Tshimanga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1512 (1re inst.) (QL), à l'appui de la proposition selon laquelle la Commission commet une erreur lorsqu'elle ne tient pas compte de l'ensemble des éléments de preuve pour apprécier la crédibilité.


[8]                Pour sa part, le défendeur soutient que la Commission a mis au premier plan, dans des [traduction] « termes puissants et irrésistibles » , les nombreuses omissions, incohérences et invraisemblances dans la preuve du demandeur et qu'elle a raisonnablement rejeté sa demande d'asile. La Commission pouvait tirer une inférence défavorable à l'encontre de la crédibilité du demandeur en raison des éléments de preuve omis dans son FRP. L'explication du demandeur selon laquelle il avait été [traduction] « plus précis » lors de l'audience a été jugée [traduction] « insuffisante » par la jurisprudence, puisque cela ne justifiait pas nécessairement l'omission de faits importants dans un FRP et que la Commission pouvait tirer une inférence défavorable de telles omissions : Basseghi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1867 (1re inst.) (QL), et Oduro c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 73 F.T.R. 191.

[9]                En ce qui a trait au fait que le demandeur n'avait pas de reçu pour le don de 50 000 roupies, le défendeur fait valoir que la Commission a réprouvé les « explications confuses et incompatibles » du demandeur concernant les raisons pour lesquelles il n'avait pas de reçu (page 6 des motifs de la Commission) et que la conclusion quant à l'invraisemblance n'était pas fondée simplement sur l'absence du reçu lui-même.


[10]            En ce qui concerne la première question en litige, à savoir le caractère raisonnable des conclusions de la Commission quant à la crédibilité et à l'invraisemblance, je suis d'accord avec le défendeur. La Commission avait le droit de tirer une inférence défavorable à l'encontre du demandeur du fait qu'il manquait des détails dans son FRP. Bien qu'un autre décideur, ou la Cour, n'eût peut-être pas jugé aussi sévèrement ces omissions à l'encontre du demandeur, la Commission, agissant raisonnablement, pouvait le faire. Les omissions du demandeur avaient trait, dans une large mesure, à une description de sa participation auprès de l'Imambargah et de la communauté chiite et indiquaient qu'il était manifestement un personnage important. Dans son FRP, il a seulement fait référence à sa participation « active » auprès de l'Imambargah. La Commission avait le droit de percevoir de façon défavorable, contre le demandeur, cette absence de détails dans son FRP : Basseghi, précitée.

[11]            De plus, le demandeur n'a pas démontré que la Commission avait omis de tenir compte de la totalité des éléments de preuve pour tirer ses conclusions défavorables quant à la crédibilité. Je souligne que la Commission est présumée avoir examiné l'ensemble de la preuve, à moins que le contraire ne soit démontré comme, par exemple, lorsque les éléments de preuve non mentionnés contredisent directement les conclusions de la Commission sur des points pertinents et importants : voir les arrêts Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.) et Florea c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.) (QL), de même que les décisions Markovskaia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1994), 86 F.T.R. 74, et Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35.


[12]            Deuxièmement, le demandeur soutient qu'en dépit des conclusions de la Commission quant à la crédibilité, elle a commis une erreur en n'analysant pas les répercussions que les conditions actuelles au Pakistan pourraient avoir sur lui en tant que membre de la minorité chiite et en tant que commerçant; deux faits qu'elle a acceptés. La preuve au dossier démontre que les chiites importants ont été ciblés par le SSP. Le demandeur affirme que la jurisprudence a établi que, s'il démontrait son identité, la Commission était tenue d'apprécier la situation d'un demandeur à la lumière des conditions objectives du pays. La Commission, selon le demandeur, a commis une erreur en omettant de faire exactement cela.

[13]            Le demandeur a invoqué les décisions Kamalanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 15 Imm. L.R. (3d) 55 (C.F. 1re inst.), et Mylvaganam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1195 (1re inst.) (QL), dans lesquelles la Cour a décidé que la Commission avait commis une erreur en omettant, malgré ses doutes quant à la crédibilité du demandeur, d'analyser la preuve documentaire selon laquelle des personnes semblables au demandeur étaient persécutées.

[14]            Le demandeur fait valoir que la Commission n'a pas tenu compte des éléments de preuve dont elle disposait concernant les conditions du pays, comme le rapport du Département d'État des États-Unis intitulé Report on Human Rights Practices in Pakistan, March 2003, indiquant que les chiites étaient visés par les actes de violence à motifs religieux et que la police refuse parfois d'accuser les personnes ayant commis ces actes de violence. De plus, le demandeur affirme que la Commission n'a pas tenu compte de la preuve documentaire récente dont elle disposait selon laquelle le gouvernement n'est pas sincère dans son engagement à interdire les groupes militants et que la protection offerte par l'État aux chiites du Pakistan est inadéquate.


[15]            Le défendeur affirme que les décisions citées par le demandeur à l'appui de son deuxième argument ne sont pas applicables à son affaire et que, en revanche, la conclusion de la Commission quant à la crédibilité était vraiment déterminante en ce qui concerne sa demande d'asile. La Commission n'était pas tenue de faire une autre appréciation des conditions au Pakistan et de la question de savoir si, en dehors de la preuve présentée par le demandeur que la Commission a jugée non crédible et en se basant sur son identité en tant que musulman chiite, le demandeur serait confronté à une possibilité sérieuse d'être persécuté. Le défendeur a invoqué les décisions Djouadou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1568 (1re inst.) (QL), Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 3 C.F. 537 (C.A.), Yassine c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 27 Imm. L.R. (2d) 135 (C.A.F.), et Mathiyabaranam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1676 (C.A.) (QL), à l'appui de cette position. Le défendeur soutient que l'identité du demandeur en tant que musulman chiite ne constitue pas en soi le fondement minimum pour une demande d'asile, puisqu'il n'y a rien dans la preuve documentaire à laquelle réfère le demandeur qui indique que cela suffirait à démontrer une possibilité raisonnable de persécution à l'encontre du demandeur au Pakistan.

[16]            À mon avis, les décisions citées par le demandeur peuvent être distinguées et celles citées par le défendeur sont applicables en l'espèce. J'estime que la Cour, dans la décision Seevaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 167 F.T.R. 130, à la page 132, a bien exposé les circonstances dans lesquelles la Commission sera tenue d'examiner la preuve documentaire, même en présence de conclusions défavorables quant à la crédibilité à l'encontre du demandeur :


Il est clair que lorsque la seule preuve qui relie le demandeur à la persécution émane de son témoignage, le fait de rejeter ce témoignage signifie que le lien avec la persécution n'existe plus. Il devient donc impossible d'établir un lien entre la revendication de la personne et la preuve documentaire.

La situation est évidemment différente en l'espèce, car il existait une preuve, dont la CIN de la demanderesse principale, émanant d'autres sources que son témoignage et permettant de relier sa demande à la persécution infligée aux jeunes femmes tamoules au Sri Lanka.


[17]            À mon avis, bien que la Commission ait accepté que le demandeur était un musulman chiite de Lahore, ses nombreux doutes quant à la crédibilité de celui-ci et à la vraisemblance de sa preuve portaient principalement sur le degré de participation ou d'importance qu'il avait prétendu avoir auprès de la communauté chiite. Par conséquent, puisque la Commission a déterminé qu'il y avait absence d'éléments de preuve crédibles, à savoir que le demandeur jouait un rôle aussi actif auprès de sa communauté chiite, qui lieraient sa situation à la description, que l'on trouve dans la preuve documentaire générale, des chiites qui étaient ciblés par les extrémistes musulmans sunnites, il n'était pas nécessaire de procéder à une analyse plus approfondie pour savoir si le demandeur était confronté à la persécution en se basant sur cette autre preuve, malgré les conclusions défavorables de la Commission quant à la crédibilité. Dans les affaires Seevaratnam, précitée, Kamalanathan, précitée, et Mylvaganam, précitée, d'autres éléments de preuve, à part le propre témoignage du demandeur, étayaient la possibilité que le demandeur pourrait être persécuté, sur le seul fondement des facteurs acceptés tels que l'identité et l'ancien lieu de résidence du demandeur. En l'espèce, le fait que le demandeur était un commerçant chiite de Lahore ne constituait pas, en soi, un facteur indiquant qu'il pourrait être persécuté, conformément à la preuve documentaire. Par conséquent, devant la preuve non crédible du demandeur, la Commission n'était pas tenue d'effectuer une analyse plus approfondie, puisqu'elle avait exprimé en des termes clairs les raisons pour lesquelles elle ne croyait pas le demandeur lorsqu'il prétendait avoir un rôle important auprès de sa communauté chiite locale.

                                                     

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n'a été proposée et aucune n'est certifiée.

« Richard G. Mosley »

                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 IMM-6658-03

INTITULÉ :                                                                NAVEED AHMAD SHAIKH

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          TORONTOI (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 17 AOÛT 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                                               LE 19 AOÛT 2004

COMPARUTIONS :

Lani Gozlan                                                                   POUR LE DEMANDEUR

Stephen H. Gold                                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Max Berger & Associates                                              POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


             COUR FÉDÉRALE

                                 Date : 20040819

                    Dossier : IMM-6658-03

ENTRE :

NAVEED AHMAD SHAIKH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE    

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