Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                                  Date : 20010330

                                                                                                                      Dossier : IMM-3415-00

OTTAWA (ONTARIO), LE 30 MARS 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE McKEOWN

ENTRE :

                                                          RAFAELS JUZBASEVS

                                                                                                                                           demandeur

                                                                          - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                                                ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                                             « W.P. McKeown »

                                                                                                        __________________________

                                                                                                                                                     Juge           

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


                                                                                                                                  Date : 20010330

                                                                                                                      Dossier : IMM-3415-00

                                                                                                       Référence neutre : 2001 CFPI 262

ENTRE :

                                                          RAFAELS JUZBASEVS

                                                                                                                                           demandeur

                                                                          - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE McKEOWN

[1]         Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision que la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rendue le 14 juin 2000 rejetant sa demande du statut de réfugié.

Les faits

[2]         Le demandeur, d'ethnie arménienne, est citoyen de l'Azerbaïdjan et résident permanent de la Lettonie.


[3]         Dans sa demande du statut de réfugié, le demandeur disait craindre avec raison d'être persécuté du fait de son appartenance à un groupe ethnique. Il a affirmé avoir été la cible en Lettonie d'organisations nationalistes extrémistes et des autorités gouvernementales lettones en raison de ses origines ethniques. Il affirme qu'il est considéré en Lettonie comme étant Russe et appartenant à une minorité visible. Le demandeur a décrit deux agressions dont il aurait été victime aux mains des membres d'un groupe extrémiste nommé Peronkrust (Croix de tonnerre), agressions qu'il ne pouvait signaler à la police parce qu'elle ne lui accorderait aucune protection et qu'elle ne ferait pas enquête. Il a témoigné qu'il avait été victime de violences en 1992, 1994 et 1996, et qu'il avait effectivement signalé les deux derniers incidents à la police. Il affirme que la police n'a pas enquêté sur ces agressions. (Dans un cas, il aurait retiré sa plainte compte tenu des menaces dont il aurait été l'objet.)

[4]         Le demandeur a présenté sa demande du statut de réfugié trois mois après son arrivée au Canada. Il détenait un visa de visiteur de six mois. Il a expliqué qu'il avait tardé à présenter sa demande parce que, à ce qu'on lui avait dit, s'il le faisait immédiatement, la demande de sa femme d'un visa de visiteur pourrait être rejetée.

Questions en litige

1.          La Commission a-t-elle commis une erreur en n'appliquant pas le critère juridique approprié pour décider s'il y avait exclusion en vertu de la section E de l'article premier de la Convention?


2.          La Commission a-t-elle commis une erreur en préférant la preuve documentaire au témoignage du demandeur, sans clairement expliquer les motifs de cette préférence?

3.          La Commission a-t-elle commis une erreur en faisant une évaluation déraisonnable quant au fait que le demandeur avait tardé à présenter sa demande du statut de réfugié?

Analyse

[5]         Dès le début de ses motifs, la Commission a conclu à l'exclusion en vertu de la section E de l'article premier de la Convention. Elle a affirmé à la page 1 de ses motifs :

Au cours de la procédure, le revendicateur a reconnu, comme son conseil, qu'il possède tous les droits de retour et la liberté d'échapper à l'expulsion qui seraient rattachés au statut de résident permanent de la Lettonie.

[6]         La Commission a ensuite reformulé cette affirmation à la page 2 d'une façon qui va plus loin que l'admission de l'avocat :

Comme on l'a dit précédemment, le revendicateur a déjà reconnu qu'il possédait tous les droits qui sont décrits comme étant conditionnels à un pays visé par la section 1(E), et par conséquent, selon toute probabilité, le tribunal est d'avis que le revendicateur devrait être exclu, aux termes de la section E du premier article de la Convention de 1951, puisqu'il possède des droits et des obligations en Lettonie, qui sont liés à la possession de la nationalité de ce pays, conformément aux lignes directrices établies dans le Guide aux alinéas 144 à 146.


[7]         Le demandeur avance que la Commission aurait dû considérer plus que la seule question de savoir s'il avait le droit d'entrer en Lettonie et d'en sortir, soit que la Commission aurait dû se demander si le demandeur pouvait se réclamer des services sociaux et avait les mêmes droits au travail en Lettonie qu'un citoyen de ce pays. La jurisprudence n'est pas claire sur ce point. Dans la décision Hamdan c. Canada (M.C.I.), [1997] A.C.F. no 364 (1re inst.) (Q.L.), le juge en chef adjoint Jerome a conclu que les droits du demandeur au travail et aux services sociaux aux Philippines étaient un point essentiel. Cependant, il a aussi affirmé au paragraphe 7 de sa décision :

[...] Il n'est pas nécessaire de déterminer s'il faut satisfaire à tous les critères énoncés dans la décision Shamlou pour que la personne soit soustraite à l'application de la section E de l'article premier, ou si d'autres critères peuvent être pertinents dans certains cas. Les critères pertinents varieront selon les droits qui sont normalement accordés aux citoyens dans le pays de résidence à l'étude. En l'espèce, il semble essentiel de tenir compte du fait que le requérant n'a ni le droit de travailler, ni le droit de bénéficier des services sociaux aux Philippines.

[8]         Il semble que l'application de la section E de l'article premier ne nécessite pas nécessairement la prise en considération de tous les critères relatifs à la résidence, vu que l'analyse dépend largement des particularités de l'espèce. Dans la présente affaire, la Commission a affirmé à la page 10 de la transcription :

[TRADUCTION] Ce qui nous intéresse dans le fond, c'est de savoir pourquoi vous vous considérez « apatride » et si vous avez le droit de retourner en Lettonie. Vous avez un passeport pour étranger : quels droits cela vous donne-t-il quant à la résidence en Lettonie? Dans ce contexte, quels droits normalement attachés à la nationalité possédez-vous, vu la section E de l'article premier de la Convention et son incidence sur l'application de la définition de réfugié au sens de la Convention?


[9]         En outre, si le demandeur éprouvait des difficultés quant à ses droits en raison du fait qu'il n'était pas citoyen, il semble vraisemblable qu'il aurait demandé la citoyenneté lorsqu'il aurait satisfait à l'exigence de résidence de quatre ans. Étant donné qu'il a marié sa femme (une citoyenne de Lettonie) en 1991, il pouvait demander la citoyenneté à compter de 1995. Le demandeur affirme qu'il n'était pas au courant de l'exigence de résidence de quatre ans. Le FRP du demandeur contient l'affirmation que les non-citoyens ne peuvent exercer certaines professions en Lettonie.

[10]       À la page 30, un membre de la Commission a fait le commentaire suivant :

[TRADUCTION] Monsieur, je voudrais simplement -- je crois que cela vaudrait la peine, qu'obtenir la citoyenneté vous aiderait dans votre recherche d'emploi en Lettonie, vu le contexte, vous savez, je veux dire que certaines professions ne sont pas accessibles -- comme la preuve documentaire nous le dit et selon votre description dans votre Formulaire de renseignements personnels -- aux non-citoyens en Lettonie, certaines professions seulement, comme celles du domaine pharmaceutique.

[11]       Aux pages 42 et 43 de la transcription, l'agent chargé de la revendication a déposé certains documents, portant à l'attention de la Commission les renseignements suivants sur la Lettonie contenus dans les Country Reports de 1999 du Département d'État des États-Unis :

[TRADUCTION] En 1998, le Cabinet des ministres a modifié la réglementation établissant une distinction entre les citoyens et les non-citoyens aux fins du calcul des avantages sociaux; ces pratiques ont été jugées conformes aux normes et pratiques internationales permettant à un État de limiter à ses citoyens l'accessibilité aux emplois au service du gouvernement, la participation à la politique nationale et la jouissance de certains droits de propriété.

[12]       À mon avis, dans les circonstances présentes, le défendeur a bien montré selon la prépondérance des probabilités que la clause d'exclusion s'applique et que le demandeur a les droits et les obligations des citoyens du pays en question. Une fois que le défendeur a établi la preuve prima facie, la section E de l'article premier s'applique et il incombe dorénavant au demandeur de prouver qu'il ne peut pas conserver son statut dans le pays visé par la section E de l'article premier.


[13]       En ce qui concerne la deuxième question, le demandeur avance que la Commission a commis une erreur en préférant la preuve documentaire à son témoignage sans fournir d'explication claire et raisonnable. À la page 5 de ses motifs, la Commission a affirmé :

La suprématie de la preuve documentaire ne concorde pas avec la description de la situation que le revendicateur a donnée dans son témoignage, qui l'aurait mené à quitter la Lettonie, et à décider de chercher refuge ailleurs.

[14]       Il ne s'agit cependant que de la simple question de l'appréciation de la preuve par la Commission. La Commission avait la preuve que la police avait capturé le chef de l'organisation que le demandeur disait craindre (Croix de tonnerre) et que l'organisation n'existait plus. Selon la preuve documentaire, la principale cause de crainte de la part du demandeur n'existait plus. Le demandeur a présenté d'autres éléments de preuve selon lesquels il était harcelé; mais il était loisible à la Commission de préférer la preuve documentaire à la preuve du demandeur.


[15]       Le demandeur avance aussi que la Commission a commis une erreur en ce qui concerne le fait qu'il a tardé à présenter sa demande du statut de réfugié. La Commission a entendu les raisons que le demandeur a présentées pour expliquer le délai de trois mois. À la page 8 de ses motifs, la Commission a décidé que les explications du demandeur n'étaient pas une justification raisonnable pour le délai, « compte tenu des conséquences graves d'un retour possible dans un pays qui serait censé le persécuter » . Il est loisible à la Commission de tirer une conclusion défavorable du fait que le demandeur a tardé a présenter une demande du statut de réfugié. Bien que le seul délai ne constitue probablement pas un motif suffisant pour rejeter la revendication du statut de réfugié du demandeur, il s'agit d'un facteur que la Commission peut prendre en considération pour tirer sa conclusion.

[16]       La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                                             « W.P. McKeown »

                                                                                                          _________________________

                                                                                                                                                     Juge             

Ottawa (Ontario)

Le 30 mars 2001

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DE DOSSIER :                                                                  IMM-3415-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                                 RAFAELS JUZBASEVS

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :                                                    21 MARS 2001

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                      Toronto (Ontario)

MOTIFS D'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR :          le juge McKEOWN

DATE :                                                                                    30 mars 2001

ONT COMPARU :

Ronald Poulton                                                              pour le demandeur

Martin E. Anderson                                                                   pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Ronald Poulton                                                              pour le demandeur

Morris Rosenberg                                                                      pour le défendeur

Sous-procureur général

du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.