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Date : 20040521

Dossier : IMM-9058-03

Référence : 2004 CF 734

ENTRE :

                                                            ISMAIL SERTKAYA,

                                                            BERRIN SERTKAYA,

                                                         BILGEHAN SERTKAYA,

                                                      CEMRE BEYZA SERTKAYA

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LA JUGE LAYDEN-STEVENSON


[1]                M. Sertkaya est un ingénieur originaire de la Turquie. Il prétend être un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger en raison de ses origines ethniques, de sa religion, de sa nationalité et de ses opinions politiques. Les demandes de son épouse et de ses enfants, en tant que membres d'un groupe social, dépendent de sa demande. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SPR) a conclu que les demandeurs n'étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. La famille demande l'annulation de la décision de la SPR et le renvoi de leur demande à un tribunal différemment constitué afin que celui-ci statue à nouveau sur l'affaire. Pour les motifs qui suivent, je ne puis accueillir leur demande.

[2]                M. Sertkaya prétend être un Kurde Alevi actif politiquement. Il fait état de neuf incidents où il a été arrêté, détenu et torturé par la police turque. Plusieurs de ces incidents se sont produits quand il a appelé la police après avoir été harcelé par des membres du MHP (Grey Wolves). M. Sertkaya soutient que ces événements se sont produits en raison des ses antécédents et de ses croyances et qu'ils sont à l'origine de sa décision de demander l'asile au Canada. La famille a quitté la Turquie en septembre 2000, a séjourné environ cinq mois aux États-Unis et est arrivée au Canada en février 2001.

[3]                La SPR a conclu que le récit de M. Sertkaya n'était ni crédible ni plausible. La Commission a tiré six conclusions importantes :

(1)         Le fait que le demandeur n'était pas membre du HADEP (Parti démocratique du peuple) n'était pas compatible avec ses antécédents et son récit. La SPR a rejeté les raisons avancées par M. Sertkaya pour expliquer pourquoi il n'est pas devenu membre du parti (il craignait qu'une liste des noms des membres du parti ne soit remise à la police et attire l'attention de cette dernière, et il avait peur d'être congédié) parce qu'elles étaient incompatibles ou insuffisantes;


(2)         La lettre censément écrite par l'employeur turc du demandeur, confirmant un événement lors duquel le demandeur avait été agressé, n'était pas authentique;

(3)         La prétention que le demandeur avait été arrêté et battu par la police lorsqu'il se trouvait dans un café pour professeurs à la retraite situé dans le même édifice que les bureaux du HADEP n'était pas plausible. La Commission a conclu qu'il était improbable qu'un tel café soit la cible des policiers. Si le café existait vraiment, il est peu probable que le demandeur l'aurait fréquenté après avoir prétendument été averti par la police de ne pas s'associer avec le HADEP;

(4)         Les explications offertes par le demandeur relativement à plusieurs contradictions relevées entre son FRP et son témoignage n'étaient pas crédibles;

(5)         Vu la preuve documentaire, il est peu probable qu'il aurait été nécessaire d'obtenir de faux documents pour que la famille puisse quitter la Turquie ou que la famille aurait réussi à franchir l'étape du contrôle d'identité avec de tels documents;

(6)         L'omission de demander l'asile ou de consulter un avocat à ce sujet au cours des cinq mois passés aux États-Unis n'était pas crédible. N'était pas crédible non plus la prétention selon laquelle la police avait recherché le demandeur après son départ de la Turquie.


[4]                En se fondant sur ces conclusions, la SPR a décidé que ni le demandeur ni sa famille n'avaient été victimes de persécution en Turquie. De plus, la SPR a conclu qu'il n'existait aucun élément de preuve démontrant que la communauté religieuse alevi était victime de persécution dans ce pays. Enfin, elle a conclu que les rapports médicaux et psychologiques soumis n'étaient pas reliés à des actes de persécution de la part de la police turque.

[5]                M. Sertkaya prétend que la SPR a commis une erreur lorsqu'elle a conclu qu'étant donné ses prétendus antécédents, il était improbable qu'il ne se fût pas associé officiellement au HADEP. Selon le demandeur, cette conclusion a eu pour effet que la question de la crédibilité a été tranchée à l'avance et a eu pour résultat de le mettre dans une position impossible. Puisque les listes des membres du parti sont fournies au gouvernement, il était raisonnable qu'il ait décidé de ne pas en devenir membre par crainte d'être victime de la persécution de la police ou de représailles dans son milieu de travail. Il soutient que le fait qu'il a quand même fait l'objet de persécution n'a aucune incidence sur le caractère raisonnable de ses gestes à cet égard.


[6]                En partie, je suis d'accord avec M. Sertkaya. Vu les éléments de preuve qu'il a soumis montrant qu'il avait appuyé le HADEP, qu'il avait enseigné à des enfants à jouer aux échecs à la permanence du parti et qu'il avait, à l'occasion, sympathisé avec des membres du HADEP, il n'y avait aucune raison de conclure qu'il aurait nécessairement dû devenir officiellement membre du parti afin d'exprimer ses opinions politiques. Pour décider si un individu a été victime de persécution du fait de ses opinions politiques, la question pertinente est de savoir comment les actes ont été perçus par l'auteur allégué de la persécution. Par conséquent, la question de savoir si le demandeur était effectivement membre du HADEP n'avait pas d'incidence directe sur l'enquête de la SPR. Il était donc manifestement déraisonnable que la SPR conclue que l'omission de M. Sertkaya de devenir membre du HADEP était incompatible avec ses antécédents et ses actes. Par contre, cela ne signifie pas que la décision doive être annulée.

[7]                La prétention du demandeur selon laquelle la conclusion attaquée était déterminante n'est pas étayée par les motifs de la Commission. Je ne suis pas non plus d'accord avec M. Sertkaya lorsqu'il affirme que la SPR a fait preuve d'un excès de zèle en relevant des contradictions dans son récit ou que les autres conclusions étaient frivoles. L'examen des motifs révèle que les autres conclusions sur la crédibilité n'étaient pas fondées sur des considérations frivoles. En particulier, il était loisible à la Commission de tenir compte de l'authenticité de la preuve documentaire, de la cohérence du récit de M. Sertkaya, de la capacité de la famille d'obtenir et d'utiliser des documents frauduleux et de l'omission par la famille de chercher à obtenir l'asile au cours des cinq mois passés aux États-Unis. Les demandeurs n'ont pas réussi à démontrer que l'une ou l'autre de ces conclusions était erronée et, à mon avis, ces conclusions sont suffisantes pour étayer la décision de la Commission. L'erreur concernant l'adhésion au HADEP n'a pas d'importance relativement à la conclusion générale.


[8]                De plus, les demandeurs prétendent que la Commission a omis de tenir compte de la possibilité qu'ils soient persécutés dans l'avenir en tant que Kurdes Alevi et non simplement en tant qu'Alevis. Les demandeurs ont raison de dire que la SPR doit tenir compte de tous les motifs possibles de persécution : Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689. Toutefois, leur argument à cet égard est erroné. À la première page de ses motifs, la SPR a mentionné de façon précise que M. Sertkaya prétendait s'exposer à la persécution en raison des ses origines ethniques. Ses conclusions générales sont reliées à la « persécution » alléguée plutôt qu'à la persécution pour un seul motif. À la page 17 des motifs, la Commission a dit ceci :

Par conséquent, pour toutes les raisons précitées, le tribunal estime, selon la prépondérance des probabilités, ce qui suit au sujet des présents demandeurs. Ils sont Kurdes Alevi, mais ils n'ont pas subi de persécution du fait de leur origine ethnique kurde et de leur religion Alevi [...] Par conséquent, il n'existe pas de possibilité sérieuse que ces demandeurs soient persécutés ou qu'ils aient besoin de la protection du Canada, s'ils retournent dans leur pays.

[9]                De plus, à la page 18, la SRR a conclu :

Après un examen soigné de toute la preuve et pour toutes les raisons précitées, le tribunal estime que les demandeurs ne craignent pas avec raison d'être persécutés pour les motifs énumérés et qu'ils ne sont pas des personnes à protéger.

[10]            Le seul fait que la SPR ait choisi de renvoyer de façon précise, dans l'un des paragraphes de ses motifs, à la persécution des Alevi ne signifie pas qu'elle a omis de tenir compte également des prétentions des demandeurs en tant que Kurdes de souche. Les motifs de la Commission révèlent qu'elle a effectivement tenu compte de tous les motifs possibles de persécution, y compris de l'origine ethnique et de la religion.


[11]            Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera annulée et une ordonnance sera rendue dans ce sens. Les avocats n'ont pas soulevé de question pour certification et aucune question ne s'y prête.

                                                         « Carolyn A. Layden-Stevenson »          

                                                                                                     Juge                               

Ottawa (Ontario)

Le 21 mai 2004

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-9058-03

INTITULÉ :                                                    ISMAIL SERTKAYA,BERRIN SERTKAYA,

BILGEHAN SERTKAYA,CEMRE

BEYZA SERTKAYA

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :    TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE : LE 13 MAI 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

DATE DES MOTIFS :         LE 21 MAI 2004

COMPARUTIONS :

Alex Billingsley                          POUR LES DEMANDEURS

Amina Riaz                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      

Alex Billingsley                          POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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