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Date : 20000830

Dossier : T-1506-99

Ottawa (Ontario), le 30 août 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

ENTRE

WEI-CHENG LAI

appelant

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

intimé

Dossier : T-1507-99

ENTRE

LEE MEI-HSIU LAI

appelante

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

intimé

MOTIFS D'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER


[1]         Wei-Cheng Lai et son épouse, Lee Mei-Hsiu Lai, sont des demandeurs de la citoyenneté canadienne qui, en raison de leurs intérêts commerciaux, ont passé plus d'une année à l'étranger au cours de la période de quatre ans qui a précédé la date du dépôt de leur demande, que le juge de la citoyenneté a rejetée. Les avocats des demandeurs soutiennent que le juge a appliqué le critère énoncé par M. le juge Thurlow (tel était alors son titre) dans Re Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208 (1re inst.), (1978), 88 D.L.R. (3d) 243, mais qu'il ne l'a pas appliquéconvenablement. L'avocate du défendeur dit que le juge de la citoyenneté a plutôt appliqué le critère que M. le juge Muldoon a énoncé dans Re Pourghasemi (1993), 19 Imm. L.R. (2d) 259 (C.F. 1re inst.), (1993), 62 F.T.R. 122, et qu'il l'a convenablement appliqué. Vu les circonstances, la question litigieuse est clairement de savoir si les motifs du juge de la citoyenneté étaient convenables.

[2]         Wei-Chang Lai et Lee Mei-Hsiu Lai ont tous les deux formé un appel. Or, comme les faits de chaque affaire sont essentiellement identiques, les appels ont été entendu en même temps. Les présents motifs s'appliquent aux deux appels et ils seront versés dans chaque dossier.


[3]         Il n'est pas nécessaire d'examiner l'historique bien connu des avis partagés de notre Cour sur la question de l'exigence en matière de résidence prévue à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté(la Loi). Qu'il me suffise de dire qu'un certain nombre de juges de notre Cour ont conclu que l'omission du demandeur d'être physiquement présent au pays pendant 1 095 jours au cours de la période de quatre ans qui précède immédiatement la date du dépôt de la demande ne l'empêche pas d'obtenir la citoyenneté s'il peut établir que malgré ses absences, il a centralisé son mode de vie habituel au Canada à un point tel que ses périodes d'absence ne lui sont pas défavorables. Ils ont ainsi adopté le raisonnement de la décision Re Papadogiorgakis, précitée. D'autres juges ont par contre suivi la décision Re Pourghasemi, précitée, rejetant ainsi des demandes lorsque le nombre de jours de présence physique au pays était en deça du nombre minimal prévu par la loi, peu importe les raisons qui expliqueraient cette insuffisance.

[4]         On a au moins tenté à deux reprises de concilier ces avis, soit dans la décision Re Koo, [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.), [1992] A.C.F. no 1107, de Madame le juge Reed, et dans la décision Re Lam, [1999] A.C.F. no 410, (1999), 164 F.T.R. 177, de Monsieur le juge Lutfy (tel était alors son titre). Dans Koo, Madame le juge Reed a énuméré les facteurs qui, selon elle, laissent entrevoir un lien suffisant avec le Canada pour justifier l'octroi de la citoyenneté au demandeur malgré le fait que ses périodes d'absence excèdent le maximum prévu dans la loi. Monsieur le juge Lutfy, pour sa part, a traité du problème du point de vue de la norme de contrôle et conclu que lorsque le juge de la citoyenneté adopte, dans « des motifs clairs qui dénotent une compréhension de la jurisprudence » , l'une ou l'autre approche, le juge qui entend l'appel ne doit pas arbitrairement substituer son point de vue en ce qui concerne l'exigence applicable en matière de résidence à celui du juge de la citoyenneté.

[5]         On peut difficilement soutenir que les motifs du juge en l'espèce constituent « des motifs clairs qui dénotent une compréhension de la jurisprudence » . La lettre qui a été envoyée aux demandeurs dit simplement ceci :

[TRADUCTION] ... vous deviez me convaincre que vos absences du Canada pouvaient être considérées comme des périodes de résidence.

Jusqu'à la date de votre demande de citoyenneté le 20 juillet 1998, vous avez étéabsent pendant environ 834 jours et présent pendant seulement 627 jours; il vous manque donc 468 jours pour satisfaire à l'exigence de 1 095 jours. Un examen complet de votre cas m'a poussé à conclure que vos longues périodes d'absence du Canada ne peuvent être considérées comme des périodes de résidence en vertu de la Loi.


[6]         Le demandeur dit qu'en renvoyant au fait que les périodes d'absence pouvaient être considérées comme étant des périodes de résidence, le juge de la citoyenneté avait l'intention d'appliquer le critère de Re Papadogiorgakis, précitée. L'avocate du défendeur a souligné le paragraphe suivant :

[TRADUCTION] J'ai examiné la possibilité de faire une recommandation favorable en vertu du paragraphe 5(3) ou 5(4) de la Loi, mais j'ai décidé de m'abstenir principalement en raison du fait qu'aucune preuve n'établissait que le demandeur avait un quelconque problème de santé, qu'il subirait des difficultés particulières ou excessives, ou qu'il contribuerait de façon exceptionnelle à la vie canadienne.

[7]         L'avocate a soutenu qu'il ressort de ce renvoi aux paragraphes (3) et (4) de l'article 5, qui prévoit une dispense de l'application des exigences de l'alinéa 5(1)c), que le juge a conclu que le nombre requis de jours de présence n'avait pas été atteint, ce qui démontre que le juge de la citoyenneté avait l'intention d'appliquer le critère de Re Pourghasemi, précitée. Cela ressort également du dossier du tribunal, qui contient un formulaire faisant état de l'avis au ministre de la décision du juge de la citoyenneté et contenant, sous la rubrique intitulée « Reasons - Motifs » , la mention suivante :

[TRADUCTION] Absence totale 834 - « absent plus souvent que présent » ne satisfait pas à 5(1)c)

[8]         Cela indique peut-être encore plus clairement que le juge de la citoyenneté voulait simplement se fonder sur le nombre de jours de présence physique pour étayer sa décision.

[9]         La Loi exige que le juge de la citoyenneté avise le ministre, et les demandeurs, de sa décision. Le paragraphe 14(2) traite de l'avis au ministre :


(2) Aussitôt après avoir statué sur la demande visée au paragraphe (1), le juge de la citoyenneté, sous réserve de l'article 15, approuve ou rejette la demande selon qu'il conclut ou non à la conformité de celle-ci et transmet sa décision motivée au ministre.

(2) Forthwith after making a determination under subsection (1) in respect of an application referred to therein but subject to section 15, the citizenship judge shall approve or not approve the application in accordance with his determination, notify the Minister accordingly and provide the Minister with the reasons therefor.

[10]       Le paragraphe 14(3) traite de l'avis aux demandeurs :

3) En cas de rejet de la demande, le juge de la citoyenneté en informe sans délai le demandeur en lui faisant connaître les motifs de sa décision et l'existence d'un droit d'appel.

(3) Where a citizenship judge does not approve an application under subsection (2), the judge shall forthwith notify the applicant of his decision, of the reasons therefor and of the right to appeal.

[11]       La question de savoir si les motifs étaient convenables a été traitée par la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick dans l'arrêt Boyle c. Nouveau-Brunswick (Commission de la santé, de la sécuritéet de l'indemnisation des accidents au travail), [1996] A.N.-B. no 291, (1996), 179 N.-B.R. (2d) 43, dont le sommaire résume la conclusion du juge Bastarache de la façon suivante :

[TRADUCTION] Il ne suffit pas de faire l'énumération des éléments de preuve considérés pour remplir l'obligation d'exposer des motifs. Les motifs doivent également expliquer aux parties pourquoi le tribunal a rendu la décision à laquelle il est parvenu, et ils doivent permettre à la cour d'appel de s'acquitter de son rôle. En conséquence, le tribunal doit expliquer les éléments de preuve sur lesquels il a fondé ses conclusions de façon assez détaillée pour établir qu'il n'a pas outrepassé sa compétence ni agi contrairement à la loi.

[12]       Il est clair qu'en l'espèce, le juge de la citoyenneté n'a ni énuméré les éléments de preuve dont il a tenu compte, ni expliqué comment il est parvenu à la conclusion qu'il a tirée. Pour cette raison, je n'estime pas que l'obligation de fournir aux demandeurs les motifs de la décision a été remplie.


[13]       Cela serait suffisant pour trancher l'appel. Cependant, il paraît y avoir une autre raison d'accueillir l'appel. Les motifs qui ont été fournis au ministre dans l'avis que le juge de la citoyenneté lui a fait parvenir pour l'informer de sa décision ne sont pas les mêmes motifs que ceux qui ont été communiqués aux demandeurs. Même si on ne connaît pas clairement la teneur des deux séries de motifs, il est évident qu'il y a lieu de fournir les mêmes motifs au ministre et aux demandeurs. Or, les motifs exposés au ministre laissent entendre que la demande a été rejetée sur la base du nombre de jours de présence physique, alors que ceux qui ont été fournis aux demandeurs semblent suggérer qu'il n'a pas été satisfait au critère de la résidence par interprétation.

[14]       Pour ces motifs, l'appel est accueilli. Les avocats des demandeurs ont invité la Cour à rendre la décision que le juge de la citoyenneté aurait dû rendre et à renvoyer l'affaire au ministre, en lui recommandant d'accorder la citoyenneté à leurs clients. Une certaine jurisprudence établit que la Cour peut attirer l'attention du juge de la citoyenneté qui entend l'affaire de nouveau sur des éléments de preuve particuliers ou sur les motifs de la Cour (voir Re Fudoli, [1995] A.C.F. no 467, (1995), 93 F.T.R. 148, le juge MacKay), mais elle ne prévoit pas que la Cour a le droit de rendre la décision que le juge de la citoyenneté aurait dû rendre. On a déjà conclu que la Cour n'avait pas compétence pour faire une recommandation au ministre sur la façon dont il doit exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 5(3) de la Loi. Re Khat (1991), 49 F.T.R. 252, (1991), A.C.F. no 949 (le juge Strayer). Cependant, il ressort de la jurisprudence qu'une ordonnance portant que l'affaire soit entendue par un autre juge de la citoyenneté peut être rendue. Je rendrai donc une telle ordonnance.


ORDONNANCE

Les appels qui ont été formés contre la décision du juge de la citoyenneté Overlander sont accueillis et l'affaire est renvoyée pour qu'un autre juge de la citoyenneté l'entende à son tour.

     « J.D. Denis Pelletier »     

        juge

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                    T-1506-99 ET 1507-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :     Wei-Cheng Lai et

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

Lee-Mei-Hsiu Lai et

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 8 août 2000

MOTIFS D'ORDONNANCE ET ORDONNANCE RENDUS PAR M. LE JUGE PELLETIER

EN DATE DU :                                       30 août 2000

ONT COMPARU :                 

M. Kevin G. McKenzie

M. Jim Cummings                                                                         POUR LES DEMANDEURS

Mme Emilia Pech                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     

McKenzie & Company

Vancouver (C.-B.)                                                                         POUR LES DEMANDEURS

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (C.-B.)                                                                         POUR LE DÉFENDEUR

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