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                                                                                                                                  Date: 20000609

                                                                                                                     Dossier: IMM-2088-00

OTTAWA (ONTARIO), le 9 juin 2000

DEVANT : Madame le juge Dolores M. Hansen

ENTRE :

ZINAIDA DENISKINA BEKKER

                                                                                                                                    demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

a/s du ministère de la Justice, Complexe Guy Favreau,

200 boul. René-Lévesque ouest, tour est, 5e étage,

Montréal (Québec) H2Z 1X4

                                                                                                                                           défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

rendus oralement par conférence téléphonique le vendredi 9 juin 2000.

[1]         La demanderesse a sollicité une autorisation et le contrôle judiciaire de la décision par laquelle le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration a refusé, le 10 mai 2000, la demande qu'elle avait présentée en vue d'obtenir un permis ministériel l'autorisant à demeurer au Canada.


[2]         Je suis ici saisie d'une requête visant à l'obtention d'une ordonnance sursoyant au renvoi de la demanderesse tant qu'il n'aura pas été statué sur la demande d'autorisation et, si cette demande est accueillie, tant qu'il n'aura pas été statué sur le contrôle judiciaire. L'expulsion devait initialement avoir lieu le 16 mai 2000. Le 12 mai 2000, l'audition de la requête visant au sursis à l'exécution de cette mesure de renvoi a été ajournée au 25 mai 2000. La Cour a été informée que le renvoi avait été reporté au 1er juin 2000. Étant donné qu'il n'y avait pas suffisamment de temps pour mener à bonne fin l'audition de l'affaire, l'audience a été ajournée au 5 juin 2000. À la fin de l'audience, la Cour a dit qu'elle rendrait sa décision oralement ce jour-là .

[3]         La demanderesse est atteinte d'un cancer du sein avancé qui a occasionné des complications à la colonne vertébrale, aux côtes, à l'aisselle, à la peau, aux poumons et aux jambes. À l'heure actuelle, elle suit un traitement de chimiothérapie.

[4]         La demanderesse doit être expulsée vers Israël. Le défendeur a pris d'importantes dispositions pour faire en sorte que les besoins de la demanderesse sur le plan médical soient satisfaits pendant le voyage et à son arrivée immédiate en Israël.

[5]         Comme la Cour d'appel fédérale l'a dit dans l'arrêt Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 86 N.R. 302, lorsqu'une requête en vue d'un sursis est présentée, le demandeur doit établir (1) qu'il existe une question sérieuse à trancher; (2) qu'il subira un préjudice irréparable si la réparation n'est pas accordée; et (3) que la prépondérance des inconvénients justifie l'octroi du sursis. Contrairement à ce que l'avocat de la demanderesse a affirmé dans son mémoire des faits et du droit, il s'agit d'un critère conjonctif en ce sens que le demandeur doit convaincre la Cour au sujet des trois volets du critère.


[6]         En ce qui concerne la question sérieuse, la Cour doit être convaincue que la demande n'est ni futile ni vexatoire. La demanderesse a énoncé un certain nombre de questions qui doivent être soulevées dans le cadre du contrôle judiciaire, notamment que la façon dont le renvoi est exécuté porte atteinte aux droits qui lui sont reconnus à l'article 7 de la Charte et le fait que le ministre a fondésa décision du 10 mai 2000 sur une conclusion de fait erronée. En ce qui concerne cette dernière question, voici ce que le ministre a dit dans sa lettre de refus :[TRADUCTION] « Les responsables de l'immigration à Tel-Aviv m'ont informéqu'un oncologiste sera mis à la disposition de Mme Bekker lorsqu'elle retournera en Israël et qu'elle peut être traitée adéquatement pour le cancer du sein. Je sais également que des membres de sa famille peuvent l'aider en Israël. À cette fin, je crois comprendre que la fille de Mme Bekker qui, à l'heure actuelle, est temporairement au Canada, retournera en Israël pour aider sa mère pendant qu'elle se rétablira. »

[7]         Il ressort clairement de la preuve non contredite dont la Cour dispose que la demanderesse n'a pas de famille en Israël et qu l'heure actuelle, sa fille n'a pas l'intention de s'installer en Israël. Étant donné que le ministre a déclaré se fonder sur ce fait erroné qui était essentiel à sa décision, je suis convaincue que la question n'est ni futile ni vexatoire et que la demanderesse a satisfait à ce volet du critère.

[8]         L'affidavit d'une psychologue, à l'hôpital où la demanderesse est traitée, a été déposé à l'appui de l'argument selon lequel cette dernière subira un préjudice irréparable. On a joint à l'affidavit le rapport de lvaluation de la psychologue. Voici ce qu'elle déclare en conclusion :


[TRADUCTION]

Mme Bekker a fait l'objet d'un diagnostic de cancer du sein métastatique. Lvolution de sa maladie a été compliquée et est décrite par son oncologiste, le docteur Victor Sandor. La cliente suit actuellement des traitements de chimiothérapie et a besoin de soins oncologiques et familiaux continus. De fait, l'aide physique et l'encouragement de sa famille font partie intégrante de son traitement. La visite d'amis, l'intérêt que les amis, les voisins et d'autres membres de la collectivité russe portent à son bien-être, la présence de ses petits-enfants l'aident à supporter cette maladie pénible et démoralisante. Il serait possible de considérer que la famille et les amis de Mme Bekker font partie intégrante de lquipe de traitement et la participation de la famille est fortement encouragée dans les directives sur le traitement. Selon les normes de soins psychologiques en oncologie telles qu'elles ont été présentées par l'Association canadienne d'oncologie psychologique (1999), il est important de faire participer les familles au traitement des patients atteints d'un cancer. La lutte contre le cancer exige de la force tant sur le plan psychologique que physique. À l'heure actuelle, Mme Bekker tire sa force des bonnes relations qu'elle entretient avec son équipe médicale ainsi que de l'appui de la collectivité et de son environnement. Mme Bekker ne sera pas en mesure de supporter ses souffrances physiques et psychologiques seule dans un pays qui pourrait lui dispenser de bons soins médicaux, mais qui ne peut pas lui fournir les autres éléments que comportent de bons soins : la famille et les amis. Sa volonté de vivre, ses habiletés d'adaptation, son espoir n'existeront pas sans la participation de son environnement actuel, qui lui est très favorable. Je suis fermement convaincue que si on retire à Mme Bekker les soins médicaux et familiaux dont elle bénéficie à l'heure actuelle, cela aura pour effet non seulement d'abréger sa vie, mais aussi de rendre ses dernières années pénibles et solitaires.

[9]         La preuve révèle que la demanderesse aurait accès à des soins médicaux d'une grande qualité si elle était expulsée en Israël, mais compte tenu de la preuve présentée par la psychologue et des publications qui ont été soumises à la Cour au sujet des effets médicaux néfastes importants découlant d'une détérioration de ltat psychologique de la personne qui est traitée pour un cancer, je suis convaincue que le volet du critère se rapportant au préjudice irréparable a été satisfait.

[10]       Lorsque le demandeur peut convaincre la Cour au sujet des deux premiers éléments du critère, la prépondérance des inconvénients joue en sa faveur.

[11]       Pour ces motifs, la demande de sursis à l'expulsion est accueillie.


ORDONNANCE

IL EST PAR LES PRÉSENTES ORDONNÉ qu'il soit sursis au renvoi de la demanderesse tant qu'il n'aura pas été statué sur l'autorisation et, si pareille autorisation est accordée, tant qu'il n'aura pas été statué sur le contrôle judiciaire.

           « Dolores M. Hansen »              

J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                               IMM-2088-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :               ZINAIDA DENISKINA BEKKER

LIEU DE L'AUDIENCE :                   OTTAWA (ONTARIO) et MONTRÉAL (QUÉBEC)

par conférence téléphonique

DATE DE L'AUDIENCE :                 le 9 juin 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE du juge Dolores M. Hansen en date du 9 juin 2000

ONT COMPARU :

Colin Singer et Arfan Tinawi             POUR LA DEMANDERESSE

Jocelyne Murphy                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Colin Singer                                        POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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