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Date : 20040914

Dossier : IMM-5639-03

Référence : 2004 CF 1244

Ottawa (Ontario), le 14 septembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL

ENTRE :

                                                         MICHEALINA SKELLY

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE RUSSELL

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire relative à une décision datée du 2 juillet 2003 (décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Commission) a statué que Michealina Skelly (demanderesse) n'était pas une réfugiée au sens de la Convention ou une personne à protéger.


FAITS ÀL'ORIGINE DU LITIGE

[2]                La demanderesse est une citoyenne de Sainte-Lucie âgée de 32 ans qui a demandé la protection en raison de la violence conjugale dont elle était victime dans son pays d'origine.

[3]                Elle n'a jamais signalé les actes de violence à la police ni n'a tenté d'obtenir la protection de l'État avant de venir au Canada.

[4]                Elle a relaté comme suit dans son FRP les circonstances qui l'ont amenée à s'enfuir de Sainte-Lucie :

[TRADUCTION] En 1997, j'ai commencé à sortir avec un homme de Sainte-Lucie. Au début, nous étions tous deux très heureux et nous pensions que notre relation durerait très longtemps et que nous nous marierions un jour.

Très peu de temps après le début de notre relation, j'ai découvert de la marijuana dans les poches de vêtement de mon ami et, lorsque je l'ai confronté à ce sujet, il a d'abord nié consommer quelque substance que ce soit. Plus tard, il a admis qu'il consommait de la marijuana, mais uniquement à l'occasion, et il n'y voyait rien de mal.

Des gens de toutes sortes ont commencé à venir chez nous pour acheter de la drogue. Lorsque je lui ai dit que je n'approuvais pas sa conduite, il est devenu très agressif et violent. Il a commencé à me battre régulièrement. Il me donnait parfois des coups de pied et des coups de poing. Il lui est arrivé plusieurs fois de me gifler sans raison. Chaque fois qu'il avait consommé une bonne quantité de drogue, j'essayais d'éviter toute relation sexuelle avec lui, ce qui le mettait en colère. Il m'a violé plusieurs fois et ne voyait rien de mal dans ce comportement.

Seuls mes parents et ma grande amie au travail ont été mis au courant des agressions. J'étais trop embarrassée pour en parler à d'autres personnes. Mon père m'a dit de le quitter, mais je l'aimais encore et je ne voulais pas retourner habiter avec mes parents. J'ai essayé de le convaincre d'aller chercher de l'aide, mais il ne voulait pas et n'en sentait pas le besoin.

Il a ensuite commencé à sortir avec d'autres femmes et, encore là, lorsque je l'ai confronté, il m'a battue et a pointé une arme sur ma tempe.

Il a menacé de me battre si je signalais les incidents à la police.J'avais tellement peur qu'il mette sa menace à exécution que j'ai décidé de garder le silence.


En juillet 1999, je ne pouvais plus en supporter davantage. J'ai décidé de partir. Je suis allée chez ma soeur à Boston (États-Unis). En décembre 2000, une amie m'a invitée à aller la voir à Toronto. Le 25 décembre, alors que je me trouvais à Toronto, j'ai téléphoné à mon conjoint àSainte-Lucie. Il m'a suppliée de retourner à la maison et m'a dit qu'il avait changé. J'ai réfléchi, mais je ne l'ai pas cru.

Au début de juin 2001, j'ai décidé de retourner àla maison pour voir s'il était possible que la situation ait changé. J'ai découvert peu de temps après que jtais enceinte d'un autre homme. Je l'ai dit à mon ami et il est devenu très violent. Il m'a battue et m'a dit qu'il ne me pardonnerait jamais de l'avoir trompé. Il m'a enlevé mon passeport et m'a dit qu'il me tuerait si j'allais voir la police.

Mon père m'a conseillé de retourner au Canada. Lui-même et un de ses bons amis ont payé à un mandataire un montant de 5 000 $ en dollars des Caraïbes orientales (EC) pour me permettre de venir au Canada. Le 5 novembre 2001, je suis arrivée à Toronto avec le mandataire en me servant du passeport d'une autre personne. Nous nous sommes séparés dès que nous avons franchi tous les points de contrôle et il est parti avec le passeport.

Je suis retournée chez mon amie et j'ai dormi sur le sofa pendant quelque temps, mais j'ai commencé à avoir des complications liées à ma grossesse. Mon amie ne pouvait pas s'occuper de moi et du bébé. Nous avons décidé que je devrais aller à un refuge et demander de l'aide. Je me trouvais au refuge lorsque j'ai demandé l'asile.

Je n'ai pas entendu parler de mon ami depuis que j'ai quittéSainte-Lucie. Mon père m'a dit qu'il était alléplusieurs fois à la maison afin de savoir où je restais.

Connaissant le type d'homme qu'est mon ami et les activités auxquelles il se livre, je ne pouvais pas demander la protection du gouvernement. Il a menacéde me tuer si je le dénonçais aux autorités. Je crains que, si je dois retourner là-bas, je me ferai tuer par cet homme. Il est dangereux, il consomme de la drogue, il entretient des relations avec des gangs et il possède un fusil qu'il a déjà pointé sur ma tempe.

La police est corrompue et n'offre pas vraiment beaucoup de protection aux femmes victimes de violence.

Dossier de la demande, aux pages24 et 25

DÉCISION SOUS EXAMEN

[5]                La Commission a rejeté la demande de protection de la demanderesse, concluant que celle-ci pouvait avoir recours à une protection suffisante de l'État à Sainte-Lucie.


QUESTIONS EN LITIGE

[6]                La demanderesse soulève les questions suivantes :

L'appréciation générale de l'ensemble de la preuve par la Commission était-elle manifestement déraisonnable, abusive et arbitraire?

La Commission a-t-elle ignoré, mal énoncé ou mal compris une preuve importante dont elle était valablement saisie au point de commettre une erreur de droit?

ARGUMENTS

La demanderesse

[7]                La demanderesse soutient que la Commission a mal compris la preuve qui lui a été présentée et qu'elle a rendu une décision qui n'était pas fondée sur l'ensemble de la preuve, mais sur ses propres hypothèses et sur des déductions non justifiées. De plus, la Commission a mal interprété les faits et n'a pas tenu compte de documents cruciaux et du témoignage que la demanderesse a présenté de vive voix.

[8]                La demanderesse fait valoir que la Commission a mis en doute sa crédibilité pour la seule raison que, selon celle-ci, [TRADUCTION] « les femmes victimes de violence conjugale peuvent se réclamer de la protection de l'État à Sainte-Lucie, même si cette protection n'est pas parfaite » . La Commission a cité l'arrêt Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130 (C.A.F.), aux pages 132 et 133.

[9]                La demanderesse fait valoir qu'en utilisant les mots [TRADUCTION] « même si cette protection n'est pas parfaite » pour décrire la protection de l'État offerte à Sainte-Lucie, la Commission n'a pas tenu compte du fait que la demanderesse avait plusieurs raisons de ne pas signaler les actes de violence conjugale à la police.

[10]            Selon la demanderesse, le signalement aux autorités policières aurait donné lieu à des conséquences négatives graves pour son ami, étant donné que la police savait qu'il consommait de la drogue et en faisait le trafic.

[11]            La demanderesse ajoute que le critère que la Commission a appliqué pour savoir si la protection offerte par l'État était suffisante était erroné. L'exigence énoncée dans Villafranca pour permettre de conclure à l'absence de protection de l'État, soit l'effondrement complet de l'appareil étatique, a été rejetée dans Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689. De l'avis de la demanderesse, le statut de réfugié au sens de la Convention est établi lorsque, malgré les efforts consentis par l'État, celui-ci ne peut la protéger de façon satisfaisante, notamment lorsqu'il existe des éléments de preuve indiquant qu'elle subira vraisemblablement des conséquences plus graves. La demanderesse affirme avoir présenté des éléments de preuve clairs établissant que la police ne peut la protéger. Même si la police savait que son agresseur est un consommateur et trafiquant de drogue, elle ne pouvait rien faire. La Commission a commis une erreur en ignorant cet élément de preuve vital appuyant l'absence de protection de l'État.

[12]            La demanderesse allègue qu'elle a réfuté la présomption quant à la disponibilité d'une protection suffisante de l'État pour elle seule, en raison de sa situation particulière.

[13]            Selon la demanderesse, les motifs que la Commission a invoqués pour rejeter l'explication qu'elle a donnée au sujet de l'omission de sa part de dénoncer son ami à la police n'étaient pas raisonnables et étaient susceptibles d'examen. La Commission n'a cité aucun élément de preuve appuyant son opinion sur la question et il n'existait aucune preuve permettant de contredire la version de la demanderesse.

[14]            La demanderesse invoque le rapport du département d'État américain intitulé Country Report on St. Lucia - 2001, lequel indique qu'elle n'est pas la seule femme réticente à signaler une agression conjugale à la police :

[TRADUCTION] La police offre une formation aux agents de police chargés d'enquêter sur les viols et autres crimes commis contre les femmes, mais il n'y a aucune section spéciale qui s'occupe des crimes commis à l'endroit des femmes et des enfants... bien que la police hésite à intervenir dans les cas de conflits conjugaux et que bon nombre de victimes soient réticentes à signaler les cas de violence conjugale et de viol ou à porter des accusations.

[15]            La demanderesse reproche à la Commission d'avoir attaqué sa crédibilité parce qu'elle n'a pas dénoncé son agresseur à la police. Elle affirme qu'elle a sauvé sa propre vie en s'abstenant de faire un signalement à la police et en décidant plutôt de s'enfuir. La question que la Commission aurait dû se poser est la suivante : pourquoi les femmes sont-elles réticentes à signaler les cas de violence conjugale?

[16]            Dans Sabaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. n ° 901 (C.A.F.), la Cour a infirmé la décision d'un tribunal au motif que celui-ci avait formulé des conclusions arbitraires au vu du dossier et que, pour en arriver à ses conclusions, il a tiré des déductions déraisonnables de la preuve.

[17]            La demanderesse allègue que la Commission a statué sur la demande d'asile qu'elle avait présentée en se fondant sur une fausse hypothèse. La crédibilité de la demanderesse n'a jamais été contestée.

[18]            Dans Bastienne c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. n ° 221 (C.A.F.), un tribunal n'a pas mis en doute la crédibilité de la version des demandeurs selon laquelle ils avaient été emprisonnés et brutalisés par les autorités des îles Seychelles après avoir exprimé des opinions politiques, mais a néanmoins conclu que les éléments subjectif et objectif de la définition du réfugié n'avaient pas été établis. La Cour a infirmé la décision au motif que le tribunal avait commis une erreur en omettant d'examiner la preuve et de se demander si le traitement que les demandeurs avaient subi équivalait à de la persécution.

[19]            Dans Owusu-Ansah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 106 (C.A.F.), après avoir statué que le tribunal avait commis plusieurs erreurs au cours de son appréciation de la preuve, la Cour a examiné d'autres motifs que celui-ci avait invoqués et a conclu comme suit à cet égard (à la page 113) :


...

La révision d'une décision comme celle en l'espèce n'a rien d'un calcul arithmétique, mais il me semble que, lorsque la Commission a trouvé de nombreux motifs de douter qu'un requérant soit digne de foi et qu'elle a commis une erreur manifeste dans son choix d'une majorité importante de ceux-ci, il doit apparaître clairement à l'autorité chargée de la révision que les motifs qui restent ont étérégulièrement considérés.

[20]            Cependant, selon certaines décisions, lorsque la Commission a tiré des conclusions erronées au sujet de faits pertinents, ces erreurs à elles seules constituent des motifs de révision et il ne convient pas que la Cour se demande à quelle décision la Commission aurait pu en arriver en l'absence de ces conclusions erronées.

[21]            La demanderesse cite également à la Cour Sharma c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1984), 55 N. R. 71 (C.A.F.), où la Cour a infirmé une décision dans laquelle la Commission d'appel a rejeté une demande de réexamen dans des circonstances où celle-ci s'était fondée sur des conclusions de fait erronées pour statuer que le demandeur n'était pas crédible. Examinant les conséquences des erreurs de fait sur la décision de la Commission d'appel, la Cour a formulé les remarques suivantes à la page 72 :

Il est clair que la Commission s'est basée sur ces conclusions de fait erronées pour conclure à la non-crédibilité du demandeur et pour conclure qu'on ne devrait pas faire droit à sa demande de procéder à une audition complète et que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention. Il est vrai que la Commission s'est également fondée sur certaines autres conclusions de fait qui ressortent de la preuve. Toutefois, pour en arriver à sa conclusion de non-crédibilité et pour se prononcer sur la demande comme elle l'a fait, la Commission a évidemment tenu compte de toutes ses conclusions de fait, y compris celles qui ne ressortaient aucunement de la preuve. Je ne pense pas qu'en l'espèce on puisse dire avec le moindrement de certitude que la conclusion de la Commission, en ce qui concerne la crédibilité du demandeur, et que sa décision au fond auraient étéles mêmes si elle n'avait pris en considération que les conclusions de fait qui ressortaient de la preuve sans tenir compte de ses conclusions de fait erronées. À mon avis, la Commission devrait maintenant reconsidérer la demande d'un nouvel examen sans cette fois tenir compte des conclusions de fait erronées.


[22]            La demanderesse ajoute qu'en l'absence de preuve indiquant le contraire, le témoignage qu'elle a donné sous serment doit être cru (Armson c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 9 Imm. L.R. (2d) 150 (C.A.F.)).

[23]            Dans Giron c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 143 N.R. 238, la Cour a statué qu'une conclusion d'invraisemblance fondée sur des critères externes ne pouvait être confirmée :

...[la SSR] a choisi de fonder en grande partie sa conclusion en l'espèce à l'égard du manque de crédibilité, non pas sur des contradictions internes, des incohérences et des subterfuges, qui constituent l'essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits, mais plutôt sur l'invraisemblance des critères extrinsèques, tels que le raisonnement, le sens commun et la connaissance d'office, qui nécessitent tous de tirer des conclusions que les juges des faits ne sont pas mieux placés que les autres pour tirer. (à 1-2)

[24]            La demanderesse invoque également Gosal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. n ° 346, où la Cour a infirmé une décision au motif que la SSR avait mal interprété la preuve et avait tiré des conclusions d'invraisemblance fondées sur un raisonnement douteux.

Le défendeur


[25]            Le défendeur soutient que la Cour ne devrait pas modifier les conclusions de fait et les autres conclusions que la Commission a tirées, à moins d'être convaincue que celle-ci s'est fondée sur des facteurs non pertinents ou qu'elle a ignoré des éléments de preuve. De plus, lorsque les déductions et conclusions de la Commission sont raisonnables au vu du dossier, la Cour ne devrait pas intervenir, même si elle n'est pas d'accord avec les conclusions en question (Miranda c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. n ° 437 (C.F. 1re inst.)).

[26]            Pour qu'une conclusion de fait soit susceptible de révision, elle doit être véritablement erronée; la conclusion doit avoir été tirée de manière arbitraire ou sans égard à la preuve et la décision doit être fondée sur la conclusion erronée (Rohm and Haas Canada Ltd. c. Tribunal anti-dumping (1978), 22 N.R. 175, 91 D.L.R. (3d) 212 (C.A.F.); Loi sur les Cours fédérales, L.R.C 1985, ch. F-7, article 18.1; Bhuiyan et al. c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 66 F.T.R. 310).

[27]            Le défendeur fait valoir qu'en l'espèce, aucune des trois conditions préalables n'a été établie.

[28]            Plus précisément, la Commission pouvait, à la lumière du dossier dont elle était saisie, conclure que la demanderesse pourra se réclamer de la protection de l'État à Sainte-Lucie si elle décide de le faire. La Commission a souligné que la demanderesse n'avait fait aucun effort précédemment pour signaler les incidents de violence conjugale aux autorités. Elle a également mentionné que les autorités aideraient vraisemblablement la demanderesse, étant donné, surtout, qu'elles étaient apparemment au courant des activités du conjoint en matière de trafic de drogue. La Commission a finalement statué que la demanderesse n'avait pas établi qu'elle avait fait des efforts raisonnables pour se réclamer de la protection de l'État et qu'elle n'avait pas réussi à réfuter la présomption de disponibilité de cette protection.


[29]            Le défendeur ajoute que la Commission avait le droit d'en arriver à cette conclusion et que la demanderesse n'a soulevé aucune question de droit susceptible de faire l'objet d'un débat et de justifier l'intervention de la Cour.

[30]            De l'avis du défendeur, l'allégation de la demanderesse selon laquelle la police ne la protégerait pas, parce que son agresseur [TRADUCTION] « était déjà connu de la police comme un consommateur et un trafiquant de drogue et que, malgré tout, la police ne pouvait rien faire à ce sujet » , n'est pas fondée et n'est pas appuyée par la preuve.

[31]            Les arguments de la demanderesse sont d'autant plus ténus qu'elle n'a fait aucun effort pour se réclamer de la protection de l'État. Il ne suffit pas d'être en désaccord avec la décision de la Commission pour conclure que celle-ci comporte une erreur susceptible de révision.

[32]            La demanderesse n'a pas raison non plus de soutenir que la Commission a appliqué un critère erroné : la Commission a appliqué le critère qui convenait et que la Cour suprême du Canada a établi dans l'arrêt Ward.


[33]            L'allégation de la demanderesse selon laquelle elle a réfuté la présomption de disponibilité d'une protection de l'État [TRADUCTION] « non pas pour chaque personne au pays, mais pour elle seule » ne démontre pas l'existence d'une erreur susceptible de révision. La demanderesse devait convaincre la Commission de l'absence de protection étatique et il ne suffit pas à cette fin d'affirmer que cette protection n'est pas disponible pour elle.

[34]            Il est bien reconnu en droit que, dans une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale ne devrait pas substituer sa décision à celle de la Commission. Lors de tout contrôle judiciaire des conclusions de fait tirées par un tribunal inférieur comme la Commission, la première question à trancher est de savoir si la conclusion était raisonnable à la lumière de la preuve dont la Commission était saisie. Dans l'affirmative, elle doit être confirmée et la décision sera susceptible de révision uniquement lorsque les conclusions de fait peuvent être considérées comme des conclusions tirées de façon abusive ou arbitraire sans tenir compte des éléments dont le tribunal disposait (Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, alinéa 18.1(4)d)).

[35]            Dans la présente affaire, la Commission n'a tiré aucune conclusion de nature arbitraire et toutes ses conclusions étaient fondées sur la preuve dont elle disposait.

Analyse


[36]            La demanderesse soutient essentiellement que, même si la police et les tribunaux de Sainte-Lucie sont peut-être résolus à appliquer les lois de façon à protéger les femmes contre la violence, cette protection serait inutile pour elle, en raison de la situation particulière dans laquelle elle se trouve. Selon elle, plusieurs années peuvent s'écouler avant le traitement d'une cause d'agression et, entre-temps, son agresseur (comme le font de nombreux autres à Sainte-Lucie) exercera sa vengeance sur elle et la tuera.

[37]            Dans son affidavit et sur son FRP, elle a mentionné que la police est corrompue et ne protège pas les femmes victimes de violence. Voici comment elle s'exprime à la page 9 de son FRP :

[TRADUCTION] Connaissant le type d'homme qu'est mon ami et les activités auxquelles il se livre, je ne pouvais pas demander la protection du gouvernement. Il a menacé de me tuer si je le dénonçais aux autorités. Je crains que, si je dois retourner là-bas, je me ferai tuer par cet homme. Il est dangereux, il consomme de la drogue, il entretient des relations avec des gangs et il possède un fusil qu'il a déjà pointé sur ma tempe.

La police est corrompue et n'offre pas vraiment beaucoup de protection aux femmes victimes de violence.

[38]            La demanderesse affirme donc que les bonnes intentions du gouvernement sont inutiles dans son cas, parce qu'elle ne sera pas protégée contre cet individu.

[39]            Qui plus est, la demanderesse fait valoir (preuve documentaire à l'appui) que sa situation n'est pas rare dans les Caraïbes, où il y a une culture de violence contre les femmes et les enfants.

[40]            D'après la transcription de l'audience, la Commission estimait que la demanderesse disposait de certains recours à Sainte-Lucie (elle pouvait se tourner du côté de sa famille, quitter le pays ou communiquer avec la police), mais qu'elle n'a tenté de se prévaloir d'aucun d'eux. Sa seule solution a été de quitter Sainte-Lucie et de demander l'asile. Toutefois, la Commission a fondé sa décision sur la disponibilité d'une protection suffisante de l'État.


[41]            La Commission a conclu qu'une femme victime de violence conjugale peut se réclamer de la protection de l'État à Sainte-Lucie, même si cette protection n'est pas parfaite, et n'était pas [TRADUCTION] « convaincue ... que les autorités de Sainte-Lucie ne répondraient pas à la demanderesse si elle décidait de signaler les incidents dont elle a été victime, étant donné, surtout, qu'elle a déclaré au cours de son témoignage que François était connu des autorités en raison des activités liées à la drogue auxquelles il se livrait » .

[42]            Comme l'indique clairement l'arrêt Ward, avant qu'une personne puisse demander l'asile, elle doit d'abord tenter de se réclamer de la protection de l'État dans son pays de référence ou réfuter la présomption de disponibilité de cette protection.

[43]            La demanderesse n'a fait aucun effort pour se réclamer de la protection de l'État (elle estimait que c'était inutile, compte tenu de sa situation), ni même pour déterminer le type de protection qu'elle pouvait obtenir.


[44]            Il appert de la jurisprudence concernant la protection de l'État dans les cas de violence conjugale que la Commission doit examiner les circonstances particulières de la partie demanderesse et décider si une protection efficace peut être assurée. Bien entendu, lorsqu'un demandeur a cherché à obtenir la protection de l'État dans le passé et que cette protection lui a été refusée, ce refus créera une forte présomption quant à l'absence de disponibilité ultérieure de cette protection. Cependant, cette présomption n'est pas déterminante, notamment dans les cas où le demandeur mettrait sa vie en danger s'il se réclamait de la protection de l'État.

[45]            La question cruciale à trancher est de savoir si l'État peut offrir une protection dans les circonstances particulières en l'espèce. Les remarques que le juge Gibson a formulées dans Elcock c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. n ° 1438 (C.F. 1re inst.), m'apparaissent particulièrement pertinentes en l'espèce :

... la SSR a commis une erreur donnant ouverture à révision en omettant d'examiner effectivement non seulement s'il existait des mécanismes légaux et procéduraux de protection mais encore si ltat, par l'intermédiaire de la police, était disposé à mettre ces mesures en oeuvre. Non seulement le pouvoir protecteur de ltat doit-il comporter un encadrement légal et procédural efficace mais également la capacité et la volonté d'en mettre les dispositions en oeuvre.

[46]            Dans la même veine, dans D'Mello c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l' Immigration), [1998] A.C.F. n ° 72, la Commission avait conclu à l'existence d'une preuve documentaire suffisante pour appuyer la disponibilité d'une protection de l'État à l'encontre des risques de violence conjugale, mais la Cour a annulé la décision au motif que d'autres éléments de preuve avaient été ignorés :

La SSR se fonde sur un extrait de Human Rights Brief, Women in India, comme faisant autorité à lgard de la thèse selon laquelle il y a en Inde un mécanisme législatif et procédural dont les femmes victimes de violence familiale peuvent se prévaloir. Cependant, la SSR omet de mentionner les paragraphes qui suivent la citation sur laquelle elle se fonde, où il est question des difficultés auxquelles font face les femmes qui comptent sur ce mécanisme ainsi que de l'inefficacitéde ce mécanisme. Ces difficultés ressortent d'autres parties de la preuve documentaire dont disposait la SSR ... La crainte de la requérante principale ne reposait pas sur l'absence de mécanisme législatif et procédural, en Inde, visant à protéger les femmes victimes de violence entre les mains de leur mari ou de représentants de leur mari, mais plutôt sur le fait que la police n'aidait pas ces femmes et sur le fait qu'il était difficile, compte tenu de l'absence de pareille aide, de se prévaloir avec succès du mécanisme législatif et procédural existant de protection établi par ltat indien.


[47]            Dans la présente affaire, il a été prouvé devant la Commission qu'il existe à Sainte-Lucie un encadrement légal et un gouvernement résolu à protéger les femmes contre la violence conjugale. Cependant, la demanderesse a fait valoir ce qui suit :

1.          il existe une différence entre un encadrement légal formel et les déclarations du gouvernement et ce que les autorités gouvernementales et policières peuvent faire ou sont disposées à faire pour protéger les femmes victimes de violence conjugale;

2.          la demanderesse ne s'est pas réclamée de la protection de l'État dans le passé parce que, compte tenu du mode de vie de l'agresseur, elle aurait mis sa vie en danger en le faisant;

3.          la demanderesse ne peut se réclamer de la protection de l'État à l'avenir parce qu'elle serait exposée au même risque.

[48]            En ce qui a trait à la situation particulière de la demanderesse que la Commission devait examiner pour trancher la question en l'espèce, la demanderesse a fait valoir que cette situation résidait dans le fait que son ami était un trafiquant de drogue, qu'il avait menacé de la tuer si elle le dénonçait aux autorités et que la police de Sainte-Lucie est corrompue et ne l'aidera pas beaucoup.

[49]            La demanderesse allègue qu'elle a présenté une preuve de l'incapacité de l'État de la protéger, parce qu'elle a [TRADUCTION] « démontré que l'État est incapable de la protéger de son agresseur, étant donné que la police est déjà au courant des activités illicites qu'il poursuit et ne pouvait rien faire pour y mettre un frein » . En réalité, la demanderesse affirme que, étant donné que la police n'avait pris aucune mesure dans le passé pour mettre un terme aux activités de l'agresseur en matière de drogue, elle s'est montrée incapable de la protéger des menaces de violence qu'il avait proférées à son endroit.

[50]            Il est évident à la lumière de la décision que la Commission a examiné cet argument et l'a rejeté :

[TRADUCTION] Le tribunal n'est pas convaincu par les arguments de l'avocate selon lesquels les autorités de Sainte-Lucie ne répondraient pas à la demanderesse si elle décidait de signaler les incidents de violence conjugale dont elle a été victime, étant donné, surtout, qu'elle a déclaré au cours de son témoignage que François était connu des autorités policières en raison des activités liées à la drogue auxquelles il se livrait.

[51]            Le fait que la police de Sainte-Lucie n'a pris aucune mesure pour freiner les activités liées à la drogue de l'ami de la demanderesse ne prouve guère qu'elle ne répondrait pas à une demande de protection contre des risques de violence. Il est donc difficile de reprocher à la Commission d'avoir conclu que la demanderesse n'avait pas réfuté la présomption de disponibilité de la protection de l'État dans sa situation, parce qu'elle [TRADUCTION] « n'a fait aucun effort pour se réclamer de la protection de l'État à Sainte-Lucie, ni même pour déterminer le type de protection qu'elle pouvait obtenir » .

[52]            Je ne puis conclure que la décision comporte une erreur susceptible de révision semblable à celle que la demanderesse a invoquée.

                                                     

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Il n'y a aucune question à faire certifier.

      « James Russell »      

   Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                                                     

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                     

DOSSIER :                                                     IMM-5639-03

INTITULÉ :                                                    MICHEALINA SKELLY

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 21 JUILLET 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :                                   LE 14 SEPTEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Esther Obembe                                                             POUR LA DEMANDERESSE

Lorne McClenaghan                                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Esther Obembe

Avocate

Mississauga (Ontario)                                                    POUR LA DEMANDERESSE

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)                                                          POUR LE DÉFENDEUR


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